Imprimerie officielle (p. 30-35).

L’HÔTEL DE VILLE



HÔTEL DE VILLE

Les travaux de construction de l’Hôtel de Ville actuel, commencés par l’entrepreneur Krous en 1884 furent bientôt interrompus. Mais la municipalité les fit continuer en 1900 sur un plan modifié. Ils ont pris fin en 1901.

À la place des ruines désolées de ce grand terrain vague rempli de hautes herbes d’où émergeaient de ci de là quelques fers rouillés, à la place de ce qu’on appelait « la Vieille Mairie », bâtiment inachevé qui déparait l’une des principales rues du chef-lieu, s’est élevé un élégant édifice dont l’inauguration eut lieu le 21 septembre 1901. Il est entouré d’une grille de 35 mètres environ du côté de la rue Amiral de Gueydon et de près de 70 mètres dans la rue de la République, et l’allée de l’entrée est flanquée de deux grandes pièces d’eau.

L’on voit sur la façade les armes de la Ville et la patriotique devise « France Toujours » que, par acclamation, le Conseil Municipal a ajoutée à ces armes.

« C’est le serment gravé sur la pierre et plus profondément encore dans nos cœurs d’être toujours Français ou de ne pas être[1]. »

Ces armes se composent de la couronne indiquant la place forte, d’un cartouche sur lequel sont disposés les faisceaux du licteur, l’ancre, la hache et la feuille de chêne. Ce cartouche est soutenu de droite et de gauche par deux consoles.

Au milieu du toit s’élève un campanile portant une horloge à quatre faces.

Deux escaliers conduisent au premier étage, dans le foyer où triomphe seule la statue de la Liberté de A. Carrier Belleuse, de 1879.

L’artiste a représenté une Liberté qui, après avoir brisé les fers d’un esclave, étend victorieusement les bras et montre au monde les fragments des liens rompus. « Sa figure rayonne d’une beauté auguste et sa bouche clame avec force les temps nouveaux… L’homme demi-nu, dont les muscles saillent vivants, sous le bronze des bras, des jambes et de la poitrine, lève vers elle, un visage bouleversé… mais où brillent des yeux remplis d’une tendresse et d’une reconnaissance infinies. Le groupe est admirable de la déesse qui libère, et de l’esclave qui se dresse timidement n’osant encore croire à son bonheur. L’artiste a mis dans ce double mouvement une fougue telle que l’on croit voir animés les personnages, et après, l’oreille surprise, note l’absence du cri qui sort de la bouche ouverte ».

Sur le socle sont gravés, sur une plaque de cuivre, les termes mêmes du décret d’abolition, et les noms des signataires de ce décret, membres du gouvernement provisoire de 1848 : Dupont de l’Eure, Lamartine, Armand Marrast, Garnier Pagès, Albert, Marie, Ledru Rollin, Flocon, Crémieux, Louis Blanc et Arago. Sept de ces noms ont été donnés à des rues de Fort-de-France.

À côté de ces lignes un cartouche en cuivre présente le profil austère de Schœlcher.

Dans cette pièce, un médaillon de Mlle Jouvray, reproduit les traits d’Antoine Siger, ancien Maire, qui y a perdu la vie le 29 avril 1908 dans l’exercice de ses fonctions.

À droite, le salon ou salle des mariages. On y voit un buste en bronze de Schœlcher par F. Bogino, des tableaux de Ménardeau et un écrin contenant un faisceau tricolore, ouvrage de broderie qui fut offert pendant l’exil à Schœlcher par les dames anglaises de Jersey.

À gauche, une salle où l’on voit le portrait de Victor Schœlcher par Descostiers. Dans cette salle qui est affectée aux délibérations du Conseil municipal, l’on a placé aussi le portrait d’Ernest Deproge qui fut conseiller, « comme pour attester qu’il y prend encore part, à la façon d’un grand aîné aux conseils avisés et expérimentés, au sein d’une Assemblée de famille[2]. »

L’on voit, dans le cabinet du Maire, la photographie du « projet de la ville à construire au cul de sac de la Martinique avec la contrescarpe du Fort Royal », projet dressé par l’ingénieur Decombe et visé le 15 décembre 1681 par Blénac.

À l’Hôtel de Ville a été annexé en 1912 un théâtre où 800 spectateurs environ peuvent trouver place.

Avant l’édifice actuel, le terrain était occupé par une très ancienne construction qui a servi de Mairie en dernier lieu, et, antérieurement, par le Collège Saint-Victor et ensuite par l’hospice de Charité ou hospice civil dont il est fait mention dans deux plans des 1er mai 1826 et 1er décembre 1847[3]. On y accédait par une allée de tamariniers et les constructions étaient plus éloignées de la rue Amiral de Gueydon que le bâtiment actuel.

La grande salle de cet hospice a servi d’église provisoire de 1841 à 1854.

Un service funèbre y a été célébré le 14 avril 1848 pour les victimes de la révolution de février, « dans notre église provisoire, dans ce lieu d’exil où depuis 10 ans, la place des invalides est occupée par l’autel de Dieu[4] ».

C’est aussi là que, le 27 mai 1848, la foule se rendit, après avoir planté l’arbre de la Liberté où elle a été bénie une seconde fois par le curé, l’abbé Morel[4].

Le 15 juin 1848, après la grand’Messe, l’arbre de la Fraternité a été déposé et béni à la porte de cette salle avant d’être planté[4]. L’immeuble devait être vendu en 1860 pour la création d’un petit séminaire-collège[5]. Il fut aussi question d’un échange qui permettrait d’utiliser le terrain à ces mêmes fins : « le collège Saint-Victor, cher encore aux personnes qui l’ont connu, allait renaître de ses cendres »[6], mais ni la vente ni l’échange n’eurent lieu.

Au n° 118, la Maison centrale et l’Asile provisoire des aliénés qui occupent une partie de l’ancien enclos des Capucins. Elle a remplacé la prison civile et militaire détruite par le tremblement de terre du 11 janvier 1839. Cette prison et la vieille geôle ont été réunies[7].

Une partie du terrain de la Prison, nécessaire à son agrandissement, a été ensuite détachée de l’enclos des Capucins et donnée par l’État à la Colonie par décret du 15 octobre 1861[8].

La Gendarmerie et le Presbytère actuels, ainsi que la Prison et l’Hôtel de Ville, occupent ledit enclos. Sur le terrain de la Gendarmerie ont été la préfecture apostolique, le logement du Curé et une chapelle[9].

Un incendie qui a eu lieu le 23 septembre 1838 a détruit la partie occupée par le préfet apostolique (J. O. M. 29 septembre 1838) et probablement la chapelle aussi : c’est sans doute cet incendie que la population désignait par les mots « du feu préfet », ainsi qu’il nous a été raconté naguère.

Le terrain entier (mairie, maison centrale, gendarmerie, presbytère, écoles primaires de Perrinon) a été concédé aux R. P. Capucins par la Compagnie des Indes Occidentales le 7 juin 1672[10] et leur a été donné par Mme Hurault, Veuve de Gourselas, le 26 avril 1679[11]. Cette donation a été confirmée par une ordonnance du Comte de Blénac du 30 avril 1679[12].

On dit que le trésor de l’Église, c’est-à-dire les vases sacrés et autres objets précieux, aurait été caché dans ce terrain de la préfecture par les Capucins pendant la grande révolution et qu’ils s’y trouveraient peut-être encore. On dit aussi que le dernier survivant des religieux qui connaissaient les lieux, serait mort à la Rochelle tandis qu’il allait se rendre à la Martinique pour renseigner le clergé sur place. Mais comme toutes les histoires de trésors, ces faits méritent confirmation.

Le bâtiment qu’on voyait en entrant dans l’enclos, précédé d’un jardin, a duré jusqu’en ces derniers temps. Le Palais de justice s’y est trouvé après 1830 jusqu’en 1857 (il figure à cette place dans un plan de 1855).

C’est la Cour Royale qui se transporta d’abord dans cet ancien couvent des Capucins dont la chapelle reconstruite avait été convertie en salle d’audience. Le siège des magistrats et sans doute aussi le fauteuil du Roi reposaient sur les tombes des religieux ensevelis sous les dalles du sanctuaire. Survint le tremblement de terre du 11 janvier 1839 : la vieille chapelle fut renversée de fond en comble ainsi que les dépendances. Mais le couvent se releva pour offrir l’hospitalité à tous les services judiciaires réunis pour la première fois dans un même local. La magistrature y trouvait ainsi, au point de vue matériel, un bien-être dont elle n’avait pas joui depuis bien des années. Et sous les frais ombrages des gigantesques manguiers qui entouraient le Palais, le magistrat et l’avocat se préparaient souvent, par une causerie familière, aux fatigues d’une longue audience[13].

Un jour vint cependant où l’on trouva les constructions insuffisantes, eu égard à une nouvelle organisation judiciaire, on découvrit même que ces constructions étaient incohérentes, leurs dispositions irrégulières, leur aspect peu digne de leur destination, et le service judiciaire délaissa les lieux en 1857. La gendarmerie l’a remplacé. À la vérité, le bâtiment était très ancien, aux murs épais et d’une allure qui révélait son origine et sa première destination : « voûtes basses, épaisses et lourdes, longs couloirs sombres, petites cellules éclairées par de petites fenêtres en plein cintre[14] ».

La Colonie en resta locataire et l’État le lui a vendu par acte du 18 décembre 1924, approuvé par décret du 17 février 1925.

C’est plus tard que les importantes constructions actuelles ont été édifiées.

Une rue a été naguère projetée entre la Gendarmerie et la Maison Centrale. Sa nécessité s’impose aujourd’hui plus encore qu’hier, puisque la population a beaucoup augmenté. Elle aurait été le prolongement de la rue Isambert et aboutirait à la Levée. Ce projet est indiqué dans un plan du 1er mai 1826[15].

Le presbytère actuel a été construit dans le jardin du couvent des R. P. Capucins (10 novembre 1841). C’est ce qui explique pourquoi on l’appelle souvent « le couvent ».

Il y a dans le salon, un beau portrait de Mgr Lequien par Pierre Bodart, Grand prix de Rome.

Au presbytère ont été annexés une bibliothèque, une chapelle et un assez important bâtiment affecté au cinéma et à d’autres œuvres paroissiales.

  1. Discours de M. Victor Sévère, maire de Fort-de-France du 21 septembre 1901. Moniteur de la Martinique, 27 septembre 1901.
  2. Discours de M. Joseph Saint-Félix, Maire adjoint de Fort-de-France, à l’inauguration du monument Deproge le 12 juillet 1925.
  3. Arch. ministère colonies, n° 680 et 1130.
  4. a, b et c J. O. Martinique, 15 avril, 27 mai et 17 juin 1848.
  5. Moniteur de la Martinique, année 1860.
  6. Discours de M. Blanger, vicaire général, du 27 novembre 1866. Moniteur de la Martinique, du 6 décembre 1866.
  7. Décision du Gouverneur, datée du Macouba du 31 juillet 1840, B. O . Martinique, année 1840, page 290
  8. B. O. Martinique, année 1861, page 194.
  9. Projet de réunion des geôles de Fort-Royal 1er mai 1826. arch. Ministère Col. n° 676.
  10. (6) Origine des paroisses, par M. J. Renard, page 50.
  11. Histoire de la paroisse Fort-de-France, par le P. Janin.
  12. Transcription hypothécaire du 12 octobre 1841.
  13. Moniteur de la Martinique 8 novembre 1857.
  14. Arch. minis. Col. n° 676.
  15. Histoire de la paroisse de Fort-de-France par le P. Janin.