Fragments d’Artémire


Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 2 - Théâtre (1) (p. 119-153).




FRAGMENTS

D’ARTÉMIRE

TRAGÉDIE

REPRÉSENTÉE, POUR LA PREMIÈRE FOIS, LE 15 FÉVRIER 1720.

AVERTISSEMENT
DES ÉDITEURS DE L’ÉDITION DE KEHL.

Cette pièce fut jouée le 15 février 1720. Elle eut peu de succès[1]. Le fond de l’intérêt est le même que dans Mariamne. C’est également une femme vertueuse persécutée par un mari cruel qu’elle n’aime point. Mais la fable de la pièce, le caractère des personnages, le dénoûment, tout est différent ; et, à l’exception d’une scène entre Cassandre et Artémire, qui ressemble à la scène du quatrième acte, entre Hérode et Mariamne, il n’y a rien de commun entre les deux pièces. On n’a pu retrouver Artémire ; il n’en reste que la scène dont nous venons de parler, une parodie jouée à la Comédie-Italienne, et le rôle d’Artémire tout entier.

D’après ces débris, nous avons essayé de retrouver le plan de la pièce ; mais celui qu’on pourrait deviner d’après la parodie est fort différent du plan que donnerait le rôle d’Artémire ; nous avons préféré ce dernier, parce qu’il a permis de conserver un plus grand nombre de vers.

On verra dans ces fragments que M. de Voltaire, qui n’avait alors que vingt-six ans, cherchait à former son style sur celui de Racine. L’imitation est même très-marquée[2].


FRAGMENTS D’ARTÉMIRE PERSONNAGES[3]

CASSANDRE, roi de Macédoine.

ARTÉMIRE, reine de Macédoine.

PALLANTE, favori du roi.

PHILOTAS, prince.

MÉNAS, parent et confident de Pallante.

HIPPARQUE, ministre de Cassandre.

CÉPHISE, confidente d’Artémire.

La scène est à Larisse, dans le palais du roi.

La huitième et dernière représentation eut lieu le 8 mars. On fit 2, 353 livres de recette. FllAGMKMS

D^VRTÉMIRE

ACTE PREMIER.

SCÈNE J.

ARTKMIKE. CÉPHISE.

Artémire, en proie à la plus vive doulour, ne cache point à Ccphis : i les tour- ments que lui foit éprouver l’iiumeur soupçonneuse et la cruauté de Cassandro son mari, que la guerre a éloigne d’elle, et dont It retour la fait trembler.

ARTÉMIRE.

Oui, tous ces conquérants rassemblés sur ce bord, Soldats sous Alexandre, et rois après sa mort ’, Fatigués de forfaits, et lassés de la guerre, Ont rendu le repos ({u"ils ôtaient à la terre. Je rends grâce, Céphise, à cette heureuse paix Qui, brisant tes liens, te rend à mes souhaits. Hélas ! que cette paix que la (Irèce respire Est un bien peu connu de la triste Artémire ! Cassandre… à ce nom seul, la douleur et Teffroi De mon cœur alarmé s’emparent malgré moi. ^ ainqueur des Locriens, Cassandre va paraître : Esclave en mon palais, j’attends ici mon maître ; Pardonne, je n"ai pu le nommer mon époux. Eh ! comment hii donner encore un nom si (b^ix !

1. Ce beau vers est devenu proverbo. K. — Dans Arlequin-Deucalion, Piron se moqua du poëte, qui, après un tel début, ne se soutenait pas. Il montra Arle- quin sur Pégase, essayant de gravir le Parnasse, et récitant les deux premiers vers à’ Artémire. Soudaia Arlequin trébuchait et culbutait. « Jarnidieu ! grommelait-il en se frottant l’échiné, c’est bien dommage, j’allais beau train. » On dit que Voltaire fut courroucé de cette malico ; on raconte même une anecdote à ce sujet ; mais nous pensons, comme M, G. Desnoiresterres, que Thistoire de ce beau courroux n’est qu’une fable. (G. A.) 126 FRAGMENTS D’ARTÉMIRE.

11 ne l"a que trop bien oublié, le barbare !

CÉPHISE.

Vous pleurez !

ARTÉiMIRE.

Plilt aux dieux qu’à Mégare enchaînée, J’eusse été pour jamais aux fers aliandonnée ! Plût aux dieux que l’hymen éteignant son flambeau Sous ce trône funeste eût creusé mon toiu])eau ! Les fers les plus honteux, la mort la ])lus terrible. Étaient pour moi, Céphise, un tourment moins horrible Que ce rang odieux où Cassandre est assis, Ce rang que je déteste, et dont tu féblouis.

CÉPHISE.

Quoi ! vous…

AIlTÉMinE.

11 te souvient de la triste journée Qui ravit Alexandre à l’Asie étonnée. La terre, en frémissant, vit après son trépas Ses chefs impatients partager ses États ; Et jaloux l’un de l’autre, en leur avide rage. Déchirant à l’envi ce superbe héritage. Divisés d’intérêts, et pour le crime unis’, Assassiner sa mère, et sa veuve, et son fils : Ce sont là les honneurs qu’on rendit à sa cendre. Je ne veux point, Céphise, injuste envers Cassandre, Accuser un époux de toutes ces horreurs ; Un intérêt plus tendre a fait couler mes pleurs : Ses mains ont immolé de plus chères victimes, Et je n’ai pas besoin de lui chercher des crimes ^ Du prix de tant de sang cependant il jouit ; Innocent ou coujjable, il en eut tout le fruit ; 11 régna : d’Alexandre il occupa la place. La Crèce épou\antée ai)prouva son audace, Et ses rivaux soumis lui demandant des lois, 11 fut le chef des Crées et le tyran des rois. Pour mon malheur alors attiré dans l’Épi re, Il me vit ; il m’ofl’rit son cœur et son empire. Antinniis, mon père, insensible à mes pleui’s.

I. Voltaire a depuis employé ce vers dans Mérope (acte I, se. i.)

’2. Ce vers se trouve dans la Ilenriadc, cliant II, vers 170.

•\cci’|)lii m ; ili ; i’<’ iiioi ces l’iincstcs iKniiieurs :
Je me phiigiiis cil vain de sa contrainte anstriv :
En me tyrannisant il crut agir on pere :
Il pensait assurer ma gloire et mon bonheur.
A peine il jouissait (\o sa fatale erreur,
Il la connut Lientôt : le soupçonneux Cassandre
Devint son ennemi dès qu’il devint son gendre.
Ne me demande point quels divers intérêts,
Quels troubles, quels complots, quels mouvements secrets,
Dans cette cour trompeuse excitant les orages,
Ont de Larisse en feu désolé les rivages :
Enfui dans ce palais, théâtre des revers,
Mon père infortuné se vit chargé de fers.
Hélas ! il n’eut ici que mes pleurs pour défense.
C’est là que de nos dieux attestant la vengeance.
D’un vainqueur homicide embrassant les genoux.
Je me jetai tremblante au-devant de ses coups.
Le cruel, repoussant son épouse éplorée…
O crime, ô souvenir dont je suis déchirée !
Céphise ! en ces lieux même, où tes discours flatteurs
Du trône où tu me vois me vantent les douceurs,
Dans ces funestes lieux, témoins de ma misère.
Mon époux à mes yeux a massacré mon père.

CÉPHISE.

Par un époux… un père… ! ô comble de douleurs !

ARTÉMIRE.

Son trépas fut pour, moi le plus grand des malheurs.
Mais il n’est pas le seul ; et mon Ame attendrie
Doit à ton amitié l’histoire de ma vie.
Céphise, on ne sait point quel coup ce fut pour moi
Lorsqu’au tyran des Grecs on engagea ma foi ;
Le jeune Philotas, avant cet hyménée,
Prétendait à mon sort unir sa destinée.
Ses charmes, ses vertus, avaient touché mon cœur ;
Je l’aimais, je l’avoue ; et ma fatale ardeur
Formant d’un doux hymen l’espérance flatteuse,
Artémire sans lui ne pouvait être heureuse.
Tu vois couler mes pleurs à ce seul souvenir ;
Je puis à ce héros les donner sans rougir ;
Je ne m’en défends point, je les dois à sa cendre.

CÉPHISE.

Il n’est plus ? 128 FRAGMENTS D’ ARTK.MIRl-.

ARTÉMIIIE.

Il mourut de la main de Cassandre ; Et lorsque je voulais le rejoindre au tomi)eau, Céphise, on m’ordonna d’épouser son hourreau.

CÉPHISE.

Et vous pûtes former cet hymen exécrable ?

ARTÉMIRE,

J’étais jeune, et mon })ère (’tait inexorable ;

D’un refus odieux je tremblais de m’arnu’r :

Enfin sans son aveu je rougissais d’aimer.

Que veux-tu ? j’obéis. Pardonne, ombre troj) clière,

Pardonne à cet hymen oi’i me força mon p{’re.

Hélas ! il en reçut le cruel châtiment,

Et je pleure à la fois mon père et mon amant.

Cependant elle doit respecter le nœud qui l’unit à Cas>aiidre. CÉPHISE.

lui parler et le voir,

Et dans ses bras…

ARTÉMIRE.

Hélas ! c’est là mon désespoir. Je sais que contre lui l’amour et la nature Excitent dans mon cœur un éternel murmure. Tout ce que j’adorais est tombé sous ses coups, Céphise ; cependant Cassandre est num époux : Sa parricide main, toujours prom|)te à me nuire, A souillé nos liens, et n’a pu les détruire. Peut-être ai-je en secret le droit de \v haïr, Mais en le haïssant je lui dois obéir. Telle est ma destinée

fli’phisc lui jiarlc de sa grandeur. N’ous réjjnez. lui dit-eilo.

OucI mallieur eu régnant ne peid être adouci ?

AR TKM 1 ItK.

Céphise ! nioi, régner ! moi, commaïKb’r ici !

Tu connais nud Cassandre ! il me laisse en partage

Sur ce trône sanglant la honte et l’esclavage.

Son favori Pallante est ici le seul l’oi ;

C’est un sccoud l\rau (|ui m’iuq)ose la loi.

(Mic dis-jc’.' tous ces rois courtisans de Pallante,

llattanl iniligm-nicnt son audace insolente, ACTE I, SCENE II. 1 2’« 

Auprès de mon époux implorent son api)ui, Et leurs fronts couronnés s’abaissent (lovant lui. Et moi…

CÉPIIISE.

L’on vient à vous,

AIITKMII’.E.

Dieux ! j’aperçois Pallante ; Que son larouciie asi)ect maillige et m’épouvante !

SCENE II.

PALLANTE. ARTÉMIRE. CÉPIIISE.

PAI.I.ANTE.

Et de ses actions rende un compte fidèle.

A HT ÉM IRE.

Pliilotas ! dieux I qu’entends-je ? ah ciel : quelle nouvelle ! Quoi, seigneur, Pliilotas verrait encor le jour ! Se peut-il ? .,.

P ALLA ME.

Oui, madame, il est dans cette cour,

AP.TÉMII’.E.

Quel miracle ! quel dieu !

PALLANTE.

Redemander son trône et soutenir ses droits.

ARTÉMIRE,

., Dieux tout-puissants !

PALLANTE,

Lisez ce qu’il m’ordonne,

ARTÉMIRE,

Je ne le cèle point, tant de bonté m’étonne.

Depuis quand daigne-t-on confier à ma foi

Le secret de l’État et les lettres du roi ?

Vous le savez, Pallante, esclave sur le trône,

A mon obscurité Cassandre m’abandonne.

Je n’eus jamais de part aux ordres qu’il prescrit.

PALLANTE.

Lisez ce qu’il m’écrit.

Théâtre. J. 9 130 FRAGMENTS T)" ARTK.MIRE.

ARTÉMIUE (lit ; .

Cassaiulre à PaUante, (c Je reviens triompliant au sein de mon empire ; Je laisse sous mes lois les Locriens soumis ; Et voulant me venger de tous mes ennemis, J’attends de votre main la tête d’Artémire. » Ainsi donc mon destin se consomme aujourd’hui ! Je n’attendais pas moins d’un ôpoux tel que lui. Pallante, c’est à vous qu’il demande ma tête ; Nous êtes maître ici, votre victime est prête. Vous l’attendez sans doute, et cet ordre si doux Ainsi que pour Cassandre a des charmes pour aous,

PALLANTE.

Voulez-vous vivre encore, et régner ?

ARTÉMIUE.

Ail ! seigneur, Quelle pitié pour moi peut touclier votre cœur ? Je vous l’ai déjà dit, prenez votre victime. Mais ne puis-je en mourant vous demander mon crime Et pour([noi de mon sang votre maître altéré Frappe aujourd’hui ce coup si longtemps dilleré ?

PALLANTE.

Pour l’indigne instrument de ses assassinais.

ARTÉMIRE.

Vous me connaissez mal, et mon àiiie est surprise

Bien moins de mon trépas que de votre entreprise.

Permettez qu’Artémire, en ces derniers moments,

Vous découvre son cœur et ses vrais sentiments.

Si mes yeux, occupés à pleurer ma misère,

Ne voyaient dans le roi que l’assassin d’un père ;

Si j’écoutais son crime et nu)n coMir irrité,

Cassandre périrait, il l’a ti’op mérité :

Mais il est mon époux, ([U()i<[ue indigne de l’être ;

Le ciel ([ui me poursuit me l’a donné pour mailre :

Je connais mon devoir, et sais ce (|ue je doi

Aux nœuds inforliinés (pii l’unissent à moi.

Qu’à son gré dans mon sang il éteigne sa rage ;

Des dieux, par lui l)ra\és, il est pour moi l’image ;

Je n’accepterai point le hras que vous m’ollrez :

Jl peut trancher mes jours, les siens me sont sacrés ; ACTE I, SCKNE II. 131

Et j’niiiio mieux, soigiiour, dans mon sort d(ploral)le, Mourir par ses lorlaits que de vivre coupai)ic.

PALLANTE.

Il faut sans balancer inépouser ou prrir ;

Je ne puis rien de plus : (’"est à \ous de choisir.

Mil’KMIl’iK.

Afon clioix est fait ; sui\ez ce (jue Je l’oi ^ous mande : Il ordonne ma mort, et je vous la « Icmande. Elle finit, seigneur, un éternel ennui, Et c’est l’unique bien que j"ai reçu de lui.

l’ALLANTi : .

Mais, madame, songez…

ARTÉMIRE.

Non, laissez-moi, Pallante. Je ne suis point à plaindre, et je meurs trop contente : Artémire à vos coups ne ^eut point échapper. J’accepte votre main, mais c’est pour me frapper.

(Elle sort.) Pallante est furieux de ne pouvoir recueillir le fruit des soupçons jaloux qu’il a sennes dans le cœur de Cassandrc. Cependant il ne desespère pas de vaincre la résistance de la reine ; il s’enhardit dans le projet d’assassiner le roi.

Son trône, ses trésors, en seront le salaire : Le crime est approuvé quand il est nécessaire.

Il a besoin d’un complice ; il croit ne pouvoir mieux choisir que Menas, sou parent et son ami, qu"il voit paraître. Il lui demande sïl se sent assez de courage pour tenter une grande entreprise. Menas répond que douter de son zèle et de son amitié, c’est lui faire la plus grave injure. Pallante alors lui confie l’amour dont il brûle pour la reine. Menas n’en est point étonné ; mais il représente à Pallante que la vertu d’Artémire est égale à sa beauté. Pallante ne regarde la vertu des femmes que comme une adroite hj’pocrisio :

^ oilà quelle est souvent la ^ ertu d’une femme : — li’honueur peint dans ses yeux semble être dans son àme ; ^ — -Mais de ce faux honneur les dehors fastueux —— ^e servent qu’à couvrir la honte de ses feux. Au seul amant chéri prodiguant sa tendresse, Pour tout autre elle n’a qu’une austère rudesse ; Et l’amant rebuté prend souvent pour vertu Les fiers dédains d’un cœur qu’un autre a corrompu.

11 développe ses projets à Menas, qui lui promet de ne pas le trahir, mais qui refuse d’être complice de ses crimes. Pallante, resté seul, ne regarde plus Menas que comme un confident dangereux dont il doit prévenir l’indiscrétion.

FIN DU PREMIER ACTE. ACTE DEUXIEME.

SCENE I.

ARTÉMIRE, PALLANTE, CÉPH[SE.

ARTEMIRE.

Ah ! c"ei\ est trop, Pallante.

PALLANTE.

Si vous me résistez, ce n’est que ])ar lai])lesse.

ARTÉMIRE.

Ainsi ce grand courage ose me proposer D’assassiner Cassandre, et de vous épouser ! Je veux bien retenir une colère vaine, Mais songez un peu plus (jue je suis votre reine : Sur mes jours malheureux vous pouvez attenter, Mais au sein de la mort il faut me respecter. Finissez pour jamais un discours (jui m’oiïense : La mort me déplaît moins qu’une telle insolence. Et jfe vous aime mieux dans ce fatal moment Comme mon meurtrier que comme mon amant. Frappez, et laissez là vos fureurs indiscrètes.

PALLANTE.

Reconnaître un vengeur, ou craindre \olre maître.

ARTÉMIRE.

Oui, vous pouvez verser le sang de votre roi ; Mais j(> vous avertis de commencer par moi. Dans (|uelque extrémité (|ue Cassandre me jette, Arlémirc est encor sa femme et sa sujette. J’irai parer les coups que l’on veut lui porter, FI lui (•ons(’r\{’rai le jour (pi’il \(Mit nrôt(M’.

Pallantu sort : Artû’inirc reste avec ( ; é])liiso, qui lui api)i’ond quo Piiilotas n’est point mort, qu’il va reparaître ; elle lui conseille de ménager l’allante, de gagner AtlTl- : II, SCtNE I. I.{ : {

(lu ti’iniK, ; itiii di" ivdcvcnir maîtresse de sa destinée : elle lui reproche d’avoir trup bravé le favori du roi.

Mndanio, jiisfjUP-lM dovioz-voiis l’irritor ?

AUTKMIUK.

Ml : je liiUais les roiips (|ii(’ l’on vent mo porter ; (Irjjliiso, avec ]) ! aisir ai< ; rissaiit sa rolrro, Moi-niêmo je pressais le trépas qu’il (litière : Je rends grâces aux dieux dont le cruel secours, Quand Philotas revient, va terminer mes jours. Hélas ! de mon époux armant la main sanglante, Du moins ils ont voulu que je meure innocente.

CÉPHISE.

(Juaiid vous pouvez régner, vous périssez ainsi ?

ARTÉMIRE.

IMiilotas est vivant, Philotas est ici :

Alalheureusc ! comment soutiendras-tu sa vue ?

Toi qui, de tant d’amour si longtemps prévenue,

Après tant de serments, as reçu dans tes bras

Le cruel assassin de ton cher Philotas !

Toi que l)rûle en secret une flamme infidèle.

Innocente autrefois, aujourd’hui criminelle !

Hélas ! j’étais aimée, et j’ai rompu les nœuds

De l’amour le plus tendre et le plus vertueux.

J’ai trahi mon amant : pour qui ? pour un perfide.

De mon père et de moi meurtrier parricide.

A l’aspect de nos dieux je lui promis ma foi.

Et l’empire d’un cœur qui n’était plus à moi ;

Et mon âme, attachée au serment qui me lie.

Lui doit encor sa foi quand il m’ôte la vie !

Non ; c’est trop de tourments, de trouhle et de remords :

Emportons, s’il se peut, ma vertu chez les morts.

Tandis que sur mon cœur, qu’un tendre amour déchire,

Ma timide raison garde encor quelque empire.

CÉPHISE.

Nous vous perdez ^ous seule, et tout veut vous servir.

ARTÉMIRE.

Je connais ma faiblesse, et je dois m’en punir.

CÉPHISE.

Madame, pensez-vous qu’il vous chérisse encore ?

ARTÉMIRE.

H doit me détester, Céphise, et je l’adore.

Son retour, son nom seul, ce nom cher à mon cœur, 1 34 F R A G M E N T S 1 ) ’ A R 1’ I- : .MIRE.

i)"un fou trop mal éteint a raiiiiiir rardcur.

Ma mort, qu’en même temps Pallante a prononcée,

N"a pas du moindre trouble occupé ma pensée ;

Je n’y songeais pas même ; et mon ftme en ce jour

N’a de tous ses malheurs senti que son amour.

A quelle honte, ô dieux, m’avez-vous fait descendre 1

Ingrate à Philotas, infidèle à Cassandre,

Mon ca’ur, empoisonné d’un amour dangereux,

Fut toujours criminel et toujours malheureux :

Que leurs ressentiments, que leurs haines s’unissent ;

Tous deux sont oflensés, que tous deux me punissent

Qu’ils viennent se baigner dans mon sang odieux !

CÉPHISE.

Madame, un étranger s’avance dans ces lieux,.

ARTÉMIliE.

Si c’est un assassin que Pallante m’envoie, Céphise, il peut entrer ; je l’attends avec joie, O mort ! avec plaisir je passe dans tes bras… Céphise, soutiens-moi : grands dieux ! c’est Philotas !

SCENE II. •

IMIILOTAS, ARTÉMIRE, CÉIMIISE.

ARTÉMIUE.

Quoi ! c’est vous que je vois ! quoi ! la parque ennemie A respecté le cours d’une si belle ^ie !

Philotas adresse des reproches à Arténiire, sur ce qu’elle lui a niauqué de lui (Ml passant dans les bras do Cassandre, et lui raiip(>lle l’amour dont ils (uit brùN’ l’un pour l’autre,

PHILOTAS.

F^st-ce ainsi que vous m’avez ai UK" ?

ARTÉMIUK.

Vous pouvez étaler aux yeux d’une inOdèle La haine et le nu’pris que vous avez pour elle. Accablez-moi des noms réservés aux ingrats ; Je les ai ni(ril(s, je ne m’en plaindrai pas. Si pourtant Philotas, à liavers sa coK’re, Daignait se souvenir combien je lui fus chère, Qu(ii([ue indigne du jour cl de laiil d’îiiuitié. ACTI- II. SCHXH II. ’I3 : i

. J’ose osprrcr encore un l’e.ste de |)iti(’.

l\"outrai ; ez point une Ame assez iiil’ortniK’e :

Le sort (jui \ous poursuit ne m’a jioint (pai’iiiiéc ;

]| me haïssait trop pour me donner à aous.

l’IlILOTAS.

…. Cette horreur se peut-elle excuser ?

ARTÉMIRE.

Je ne m’excuse point, je sais mon injustice. Dans mon crime, seigneur, j’ai trouvé mon supplice. Ne me reprochez plus votre amour outrage’ ; Plaignez-moi bien plutôt, vous êtes trop vengé. Je ne vous dirai point que mon devoir austère Attachait mes destins aux ordres de mon père ; A cet ordre inhumain j’ai dû déso])éir : Seigneur, le ciel est juste ; il a su m’en punir. Quittez ces lieux, fuyez loin d’une criminelle.

Pliilotas lui répète combien Cassandre, un lâche assassin, était indigne d’elle.

PHILOTAS.

Est d’être possédé par un lâche assassin.

ARTÉMIRE.

Cessez de me parler de ce triste hyménée ;

Le flamheau s’en éteint ; ma course est terminée.

Cassandre me punit de ce malheureux choix.

Et je vous parle ici pour la dernière fois.

Ciel ! qui lis dans mon cœur, et qui vois mes alarmes.

Protège Pliilotas, et pardonne à mes larmes.

Du trépas que j’attends les pressantes horreurs

A mes yeux attendris n’arrachent point ces pleurs ;

Seigneur, ils n’ont coulé qu’en vous voyant paraître ;

J’en atteste les dieux, qu’ils offensent peut-être.

Mon cœur, depuis longtemps ouvert aux déplaisirs.

N’a connu que pour vous l’usage des soupirs.

Je vous aimai toujours… Cette fatale flamme

Dans les bras de Cassandre a dévoré mon âme :

Aux portes du tombeau je puis vous l’avouer.

C’est un crime, peut-être, et je vais l’expier.

Hélas ! en vous voyant, vers vous seul entraînée.

Je mérite la mort où je suis condamnée. <36 FRAGMENTS D’ARTÉMIRE.

PHILOTAS.

Quel crime ai-je commis ? quelle erreur obstinée…

ARTÉMIRE.

Vous apprendrez trop tôt quelle est ma destinée. Adieu, prince,

SCÈNE III.

PALLANTE, ARTÉMIRE, CÉPHISE.

PallaïUe revient, et surprend Philotas avec Artémire. Philotas sort en bravant ce favori, qui presse Artémire d’accepter sa main pour sauver sa vie : elle la refuse.

PALLANTE.

. . Je veux que vous-même ordonniez de son sort,

ARTÉMIRE.

Le mien est dans tes bras, et tu vois ta victime. Tyran, tu peux frapper, c’est bien assez d’un crime.

PALLANTE.

. . Toujours à la mort vous aurez donc recours ?

ARTÉMIRE.

La mort est préférable à ton lâche secours ; Achève, et de ton roi remplis l’ordre funeste.

PALLANTE.

Et je vois malgré vous d’où partent vos refus.

ARTÉMIRE.

Que peux-tu soupçonner, lâche ? que peux-tu croire ? Tranche mes tristes jours, mais respecte ma gloire.

Aussi bien n’attends [)as que je puisse jamais

Racheter cette vie au prix de tes forfaits. —’"^es yeux, que sur ta rage nn faii)le jour éclaire, —^’iOmmencent à percer cet horrible mystère.

Tu n’as pu d’aujourd’hui tramer tes attentats ;

Pour tant de jjoliticjue un jour ne suffit pas.

Tu t’attendais sans doute à l’ordre de ton maître ;

Je te dirai bien plus, tu l’as dicté peut-être.

Si tu peux t’étonner de mes justes soupçons.

Tes crimes sont connus, ce sont là mes raisons. ACTK 11, SCKM- ; m.

C’est toi dont lo.s conseils et dont la calomnie De mon mallieureuv père ont fait trancher la Aie ; C’est toi qni, de ton |)rinc(’ inlVinic corniptenr, Au crime, dès l’enfance, as préparé son cœui’ ; C’est toi qui, sur son trône appelant l’injustice, L’as conduit par degrés au bord dn préci|)ice. Il était né peut-être et juste et généreux ; Peut-être sans Pallantc il serait vertueux ! Puisse le ciel enfin, troj) lent dans sa justice, A la (irèce opprimée accorder ton supplice ! Puisse dans l’avenir ta mort épouvanter Les ministres des rois qui pourraient t’imiter ! Dans cet espoir heureux, traître, je vais attendre Et l’efTet de ta rage, et l’arrêt de Cassa ndre ; Et la voix de mon sang, s’élevant vers les cieux, Ira pour ton supplice importuner les dieux.

(Elle sort.)

FIN DL DELXIEME ACTE. ACTE TROISIÈME.

SCENE j.

ARTÉMIRE, PlllLOTAS.

ARTÉMIRE.

Je TOUS l’ai dit, il m’aime, et, maître de mon sort, 11 ne donne à mon choix que le crime ou la mort. Dans ces extrémités où le destin me livre, A ous me connaissez trop pour m’ordonner de vivre.

PHILOTAS.

Que peut-être le ciel nous i-(ser\e à tous deux.

ARTÉMIRE.

Non, prince ; sans retour les dieux m’ont condamnée. Puisqu’il d’autres qu’à vous les cruels m’ont donnée, Cet amour, aiitrelbis si tran(|uille et si doux, Désormais dans Larisse est un crime pour nous. Je ne puis sans remords vous voir ni vous entendre : D’un charme trop ftital j’ai peine à me défendre : \ ous aigrissez mes maux, au lieu de les guérii- : Ali ! rn\ez Artémire, et laissez-la niourii’.

PHILOTAS.

\(’i'tu trop cruelle !

AUTÉMIUE.

loi Irop l’igoiireuse !

PIllI.OTAS.

Artémire, vivez !

ARTKMIIU ; .

Et pour qui ? ,., malheureuse !

PHILOTAS.

Si jamais Notre cd’iir partagea mes ennuis…

AliTÉMlRE.

Je \ous aime, et je luciii’s : c’est tout ce (jue je puis.

PHILOTAS,

\ii uoui df celte auioiir (|iie les dieux ont tr.iliie… ACÏl’ 111. S ci : M’ 1. ’l.-^it

AIîTKMIliK.

"\l( »ii Jiliioiir csl iiii (’l'iliic : il l’iiiil ’|ii.i<’ rcxpif.

l’Ill 1.0 TAS.

\ oiis (Mes sa coiiiplice, et \()ilà AOti’c criiiio.

AiriKMIliK.

Les droits (ju’il a sur moi…

PllII.OTAS.

Tous SCS droits sont perdus,

ARTÉMIUE.

Je suis soumise à lui.

PHILOTAS,

Non, vous ne Têtes plus.

A UT KM IRE.

Les dieux nous ont unis.

PHILOTAS.

Son crime vous dégage.

ARTÉMIP.E.

De l’univers surpris quel sera le langage ? Quelle honte ! seigneur, et quel afîront nouveau 1 Si, fuyant un époux

PHILOTAS,

Je vous vais de la mort apprendre le chemin.

ARTÉMIRE.

N’ajoutez point, cruel, au malheur qui me presse : Mon cœur vous est connu, vous savez ma faihlesse ; Prince, daignez la plaindre et n’en point ahuser. \ oyez à quels aflronts vous voulez m’exposer ; Peut-être on ne sait point les malheurs que j’évite ; Sans en savoir la cause on apprendra ma fuite : Elle aime, dira-t-on, et son égarement Lui fait fuir un époux dans les bras d’un amant. Non, vous ne voulez pas que ma gloire ternie…

PHILOTAS.

J’irai traîner ailleurs un destin déplorable,

ARTÉMIRE.

Le pourrez-vous, seigneur ?

PHILOTAS. Ne vous rendez-vous pas à ma juste prière ?


ARTÉMIRE.

Cruel ! avec plaisir je quittais la lumière,

Je détestais la vie, et déjà ma douleur

Du barbare Pallante accusait la lenteur.

Faut-il que, combattant une si juste envie,

Vos discours, malgré moi, me rendent à la vie ?

Et que ferai-je, ô ciel ! en des climats plus doux,

De ces jours malheureux qui ne sont pas pour vous ?


PHILOTAS.

................................................

Venez, allons, madame.


ARTÉMIRE.

Où, seigneur ? en quels lieux ?

Contre mes ennemis qui pourra me défendre ?

Où serai-je à l’abri des fureurs de Cassandre ?


PHILOTAS.

.................................................

. . Daignez me suivre, et vous laissez conduire.


ARTÉMIRE.

A quelle extrémité voulez-vous me réduire ?


SCENE II.

ARTÉMIRE, PHILOTAS, CÉPHISE, UN MESSAGER

.................................................


LE MESSAGER.

Madame…


ARTÉMIRE.

Eh bien ?


LE MESSAGER.

Cassandre…


ARTÉMIRE.

Mon époux !


LE MESSAGER.

Cassandre en ce palais arrive dans une heure.

(Le messager sort.)


ARTÉMIRE, à Philotas.

Enfin, vous le voyez, il est temps que je meure ;

Contre tous vos desseins le ciel s’est déclaré. ACTi- III. scKNi’ ; m. U’ :

rill LOT \s.

. . . (Irojcz-moi, iiK’iiagcoiis cos iiist ; itits.

AIlTKMIIti : .

Quoi ! vous voulez

l’IlII.OTAS.

\oiis ir ; i\(’z [)lii.s (Tasilc !…

AIlTKMinK.

Que dites-vous, seigneur ? c’est trop nous attendrir : Le destin veut ma perte, il lui faut obéir. Adieu. Songez à vous ; quittez un lieu funeste Que la fureur habite, et que le ciel déteste. Nous prétendez en ^ ain m’arracher au trépas ; Vous vous perdez, seigneur, et ne me sauvez pas. A nos tyrans communs dérobons une proie ; Laissez-moi dans la tombe emporter cette joie. Mon àme chez les morts descendra sans effroi. Si Philotas veut vivre, et vivre heureux sans moi.

PHILOTAS.

. . . Ail dieux ! c’est Pallante lui-même.

AI’.TÉMIUE.

Suivez de ce palais les détours écartés ; Allez… et nous, rentrons.

SCENE III.

PALLANTE. ARTÉ.MIRE, CÉPHISE.

Pallantc retient la reine, et lui signifie l’ordre do sa mort. P ALLANTE.

C/est à VOUS de choisir

Du fer ou du poison que je viens vous offrir.

ARTÉMIRE.

Mon espérance, enfin, n’a point été trompée ; Mes destins sont remplis : donnez-moi cette épée : Le trépas le plus prompt est pour moi le plus doux. Donnez, donnez. 142 FRAGMENTS D’ARTKMIRE.

SCÈXE IV.

PALLAMi : , ARTÉMIRE, CÉPIIISE. HII » PARQUE.

HIPPARQUE.

Madame, ah dieux ! que faites-vous ? Arrêtez.

ARTÉMIRE,

J’olx’is aux lois de votre maître,

HIPPARQUE, Il apprend à la reine que Cassandre a révoqué ses ordres sanguinaires,

. . Je vais combler tout ce peuple de joie,

ARTÉMIRE.

Keportez doue ce fer au roi qui vous envoie : Le cœur de son épouse à ses lois est soumis ; Le roi veut que je vive, Hipparque, j’obéis. S’il est las sur mon front de voir le diadème, S’il veut encor mon sang, j’obéirai de même.

(Elle sorti

Dans la scène suivante, Paliante, loin de renoncer à ses projets criminels, les embrasse avec plus d’ardeur, et cherche de nouveaux moyens pour les accomplir. On croit que c’est ici qu’il disait :

Dieux puissants ! secondez la fureur qui m’anime, Et ne me punissez du moins qu’après mon crime.

FIN DU TROISIEME ACTE. ACTE QUATRIEME.

Dans les premières scènes, PallaïUc trompe Cassandre par une nouvelle ini])os- ture, en lui persuadant qu’il avait découvert une intelligence criminelle entre la reine et Menas, et qu’il vient de poignarder celui-ci, l’ayant surpris clioz la reine. Cassandre reprend toute sa fureur.

SCENE m.

CASSANDRE.

. . OuG pour sa mort aujourd’hui tout soit prêt, Et vous, allez m’atteudre.

SCÈNE IV.

CASSANDRE, ARTÉMIRE, CÉPHISE.

ARTÉMIRE.

OÙ suis-je ? où vais-je ? ô dieux ! je me meurs, je le voi.

CÉPHISE,

Avauçous,

ARTÉMIRE.

Ciel !

CASSANDRE.

Eli bieu ! que voulez-vous de moi ?

CÉPHISE.

Dieux justes, protégez une reine innocente !

ARTÉMIRE.

Vous me voyez, seigneur, interdite et mourante ; Je n’ose jusqu’à vous lever un œil treml)]ant. Et ma timide voix expire en vous parlant.

CASSANDRE.

Levez-vous et quittez ces indignes alarmes.

ARTÉMIRE.

Hélas ! je ne viens point par d’impuissantes larmes, Craignant votre justice, et fuyant le trépas, Mendier un pardon que je n’obtiendrais pas. La mort à mes regards s’est déjà présentée ; i FRAGMENTS D" AIITK.MIR li.

Traiiquillo et sans rofjfret je Taiirais acceptée ’ : Faiit-il ([lie votre haine, ardente à me sauver, Pour un sort plus affreux m’ait voulu réserver ? Au delà (le la mort étend-on sa colère ? Écoutez-moi du moins, et souffrez à vos pieds Ce malheureux ohjet de tant d’inimitiés. Seigneur, au noiu des dieux que le parjure offense, Par le ciel qui m’entend, qui sait mon innocence, Par votre gloire enfin que j’ose en conjurer. Donnez-moi le trépas sans me déshonoi-erl

CASSANDRE.

N’en accusez que vous, quand je vous rends justice ; La honte est dans le crime, et non dans le supplice. Levez-vous et quittez un entretien fâcheux Qui redouble ma honte et nous pèse à tous deux. Voilà donc le secret dont vous vouliez m’instruire ?

ARTÉMIRE.

Klil que me servira, seigneur, de vous le dire ? J’ignore, en vous parlant, si la main qui me perd Dans ce moment affreux vous trahit ou vous sert ; .l’ignore si vous-même, en proscrivant ma \u\ N’avez point de Pallante armé la calomnie. Hélas ! après deux ans de haine et de malheurs. Souffrez (quelques soupçons qu’excusent vos rigueurs : Mon cœur même en secret refuse de les croire : Vous me déshonorez, et j’aime votre gloire ; Je ne confondrai point Pallante et mon époux ; Je vous respecte encore, en mourant par vos coups. Je vous plains d’écouter le monstre qui m’accuse ; Et quand vous m’opprimez, c’est moi qui vous excuse : Mais si vous appreniez que Pallante aujourd’hui M’offrait contre vous-même un criminel a]ipui. Que Menas à mes pieds, craignant votre justice. D’un heureux scélérat infortuné complice, \ii nom de ce perfide im|)lorait… Mais, hélas ! \()iis (l(’t()urnez les yeux, et ne m’écontez pas.

c \ssAM)in : . Non, je n’(C()iil(> point \os lâches inq)(>slures : Cessez, n’cnqjruntcz point le secours des |)ai"jiir(’s : C’est hicii assez pour moi de tous aos attentats ;

1. Decroix proposait de lin’ : Je l’avais accepter. ACTl- IV, SCI : NF IV. Uo

Par de iioiiveaiix forfaits no les (léfcndoz pas. Aussi Lion c’on est fait, votre perte est certaine, Toute |)l ; iiiit(’ est frJNole, et toute excuse est vaine.

A UT KM IRE.

Hélas ! MÙliy mon cœur, il ne craint |)()int vos coups ; Faites couler mon sanj ; — ; barbare, il est à vous. Mais rbjmcii dont le no’ud nous unit Tun à l’antre. Tout malheureux (ju" !) est, joint mou bonnciir au vôtre : Pounjuoi d’un tel aliVont voulez-vous vous couvrir ? —i^aissoz-moi chez les morts descendre sans rougir. Croyez que pour Menas une flamme adultrro…

CASSAXDRE.

Si Menas m’a trahi. Menas a dû vous plaire.

Votre cœur m’est connu mieux que vous ne pensez ;

Ce n’est pas d’aujourd’hui que vous me haïssez.

AIITÉMIRE.

Eh bien ! connaissez donc mon àme tout entière : Ae cherchez point ailleurs une triste lumière ; De tous mes attentats je vais vous informer. Oui, Cassandre, il est vrai, je n’ai pu vous aimer ; Je vous le dis sans crainte, et cet aveu sincère Doit peu vous étonner, et doit pou vous déplaire. Et quel droit, en effet, avioz-vous sur un cœur Qui ne voyait en vous que son persécuteur, Vous qui, de tous les miens ennemi sanguinaire, Avez jusqu’en mes bras assassiné mon père ; Vous que je n’ai jamais abordé sans efï’roi ; Vous dont j’ai vu le bras toujours levé sur moi ; Vous, tyran soupçonneux, dont l’affreuse injustice M’a conduite au trépas de supplice en supplice ? Je n’ai jamais de vous reçu d’autres bienfaits, ^ous le savez, Cassandre ; apprenez mes forfaits : Avant qu’un nœud fatal à vos lois m’eût soumise. Pour un autre que vous mon àme était éprise : J’étouffai dans vos bras un amour trop charmant ; Je le combats encore, et même en ce moment : Ne vous en flattez point, ce n’est pas pour vous plaire. \ ous êtes mon époux, et ma gloire m’est chère, Mon devoir me suffit ; et ce cœur innocent Vous a gardé sa foi, même en vous haïssant. J’ai fait plus ; ce matin, à la mort condamnée. J’ai pu briser les nœuds d’un funeste hyménéo ;

Théâtre. I. 10 146 FRAGMENTS DARTÉ.MIHE.

Jo voyais dans mes mains l’cmpii-o et votre sort ;

Si j’avais dit un mot, on vous donnait la mort.

Vos peuples indignés allaient me reconnaître.

Tout m’en sollicitait ; je l’aurais dû peut-être ;

Du moins, par votre exemple instruite aux attentats.

J’ai pu rompre des lois que vous ne gardez pas :

J’ai voulu cependant respecter votre vie.

Je n"ai considén ni votre harbarie,

Ni mes périls présents, ni mes malheurs passés ;

J’ai sauvé mon époux : vous vivez, c’est assez.

Le temps, qui perce enfin la nuit la |)ii]s ohscure.

Peut-être éclaircira cotte liorrible aventure ;

Et vos yeux, recevant une triste clarté,

^ erront trop tard un jour luire la vérité,

\ous connaîtrez alors le crime que vous faites ;

Et vous en frémirez, tout tyran que vous êtes.

CASSANDRE.

Vos crimes sont égaux, périssez comme lui.

ARTÉMIRE.

Enfin, c’en est donc fait ; ma honte est résolue.

CASSANDRE.

\ otrc honte est trop juste, et vous l’avez voulue.

ARTÉMIRE.

Que du moins à mes yeux Pallante ose s’offrir.

Cassandre se retire sans plus rien écouter.

SCÈNE V. ARTÉMIRE, GÉPHISE.

CÉPHISE.

Sait punir les forfaits et venger l’innocence.

ARTÉMIRE.

Avec quel artifice, avec quelles noirceurs Pallante a su tramer ce long tissu d’horreurs ! Non, je no reviens point de ma surprise extrême. Quoi ! Menas à mes yeux massaci’é par lui-même, Vingt conjurés mourants qui n’accusent que moi ! Ah ! c’en est trop, Céphise, et je pardonne au roi. îh’las ! le roi, séduit pai’ ce làclu^ artifice. ACTE IV, SCÈNH V. 14’

Semble me roiulamner liii-mèmo avec justice.

CÉPHISE,

Implorez Philntas, à qui votfe vei"tii l)(’s longtem|).s…

ARTÉMIlii : .

Justes dieux ! quel nom j)roiionccs-tu ? Hélas ! voilà le comble à mon sort déplorable ; Pliilotas nùibaiidonne, et fuit une coupable ; Il déteste sa llannue et mes faibles attraits, Et pour moi tous les cœurs sont fermés désormais,

CKPHISE.

Pouvez-vous soupçonner qu’un cœur (pii vous adore…

ARTÉMIRE.

Si Pliilotas m’aimait, s’il m’estimait encore. Il me verrait, Cépliise, au péril de ses jours : De ma triste retraite il connaît les détours ; L’amour l’y conduirait, il viendrait m’y défendre ; Il viendrait y braver le courroux de Cassandre. Je ne demande point ces preuves de sa foi : Qu’il me croie innocente, et c’est assez pour moi.

CÉPHISE.

Ah ! madame, souffrez que je coure lui dire…

ARTÉMIRE.

Va, ma chère Céphise ; et, devant que j’expire. Dis-lui, s’il en est temps, qu’il ose encor me voir : Peins-lui mes sentiments, peins-lui mon désespoir. Si son cœur obstiné refuse ta prière, S’il refuse à mes pleurs cette grâce dernière. Retourne, sans tarder, dans ces funestes lieux ; Tu recevras mon âme et mes derniers adieux. Conserve après ma mort une amitié si tendre ; Dans tes fidèles mains daigne amasser ma cendre ; Remets à Philotas ces restes malheureux. Seuls gages d’un amour’ trop fatal à tous deux. Éclaircis à ses yeux ma douloureuse histoire ; Peut-être après ma mort il pourra mieux t’en croire. Dis-lui que, sans regret descendant chez les morts. Si j’ai pu dans la tombe emporter des remords, Combattant en secret le feu qui me dévore. Je ne me reprochais que de l’aimer encore.

FIN DU QUATRIÈME ACTE. ACTE CINQUIÈME.

SCENE I.

ARTÉMIRE, CÉPHfSE.

CÉPHISE.

Philotas

Par des détours secrets arrive sur mes pas.

ARTÉMIRE.

A quel abaissement suis-je donc parvenue !

CÉPHISE.

Madame, le voici.

SCENE II.

ARTÉMIRE, CÉPHISE, PHILOTAS.

ARTÉMIRE.

Daignez souflrir ma vue ; Seigneur, je vais mourir ; le temps est précieux. Pour la dernière fois tournez vers moi les yeux, Et m’apprenez du moins si cette infortunée Au fond de votre cœur est aussi condamnée.

PHILOTAS.

La honte ou la douleur doil teniiiner ma vie.

ARTÉMIRE.

Piiilotas ! et c’est vous qui me traitez ainsi ?

Mon époux me condamne, et vous, seigneur, aussi ?

.le |)ar(l()ime k Cassandre une erreur excusable ;

\()iirri dans les forfaits, il m’en a cru capable ;

Il m’avait offensée, il devait me haïr ;

Il me cherchait un criiiie aliu de nTen pimii’ : ACTI- : V. SCENE II. 149

Mais vous, qui, près de moi soupirant dans l’Épire,

Avez lu tant do fois dans lo cœur d’Arténiire ;

Vous (\o ([iii la vertu nirrita tous mes soins ;

Vous (|iii nfaimiez, hélas ! (jiii le disiez du moins ;

C’est vous ([ui, redoublant ma honte et mon injure.

Du monstre qui m’accuse écoutez l’imposture ?

Barbare ! vos soupçons manquaient à mon malheur.

Ah : loi*sque de Pallante éprouvant la fureur,

Combattant malgré moi ma llamme et vos alarmes,

Mon cœur désespéré résistait à vos larmes,

Et, trop faible en effet contre un charme si doux.

Cherchait dans le trépas des armes contre vous,

Hélas ! qui m’aurait dit que dans cette journée

Ma vertu par vous-même eût été soupçonnée ?

J’ai cru mieux vous connaître, et n’ai pas dû penser

Qu’entre Pallante et moi vous puissiez balancer.

Pardonnez-moi, grands dieux, qui m’avez condamnée !

De l’univers entier je meurs abandonnée ;

Ma mort, dans le tombeau cachant la vérité,

Fera passer ma honte à la postérité.

Toutefois, dans l’horreur d’un si cruel supplice,

Si du moins Philotas m’avait rendu justice.

S’il pouvait m’esiimer et me plaindre en secret,

Je sens que je mourrais avec moins de regret.

PHILOTAS.

Quel droit un malheureux avait-il sur votre âme ? Comment…

ARTÉMIRE.

Ah ! si mon cœur s’est pu laisser toucher. S’il a quelque penchant que j’en doive arracher. Vous ne savez que trop pour qui, plein de tendresse. Ce cœur a jusqu’ici combattu sa faiblesse. J’ai peut-être offensé les dieux et mon époux : Mais si je fus coupable, ingrat, c’était pour vous.

PHILOTAS.

Courons à vos tyrans.

ARTÉMIRE.

Non, demeurez, seigneur. J’aime mieux vos regrets qu’une audace inutile ; Innocente à vos yeux, je périrai tranquille ; 150 FRAGMENTS D’ARTÉMIRE.

Et le sort qui m’attend pourra me sembler doux,

Puisqu’il me punira de n’être point à vous.

Adieu : le temps approche où Ton veut que j’expire :

Adieu, N’oubliez point l’innocente Artémire :

Que son nom vous soit cher ; elle l’a mérité :

A son honneur flétri rendez la pureté,

Et que, malgré l’horreur d’une tache si noire,

Vos larmes quelquefois honorent sa mémoire !

PHILOTAS.

le parti qui vous reste,

Et j’y cours.

ARTÉMIRE.

Arrêtez. Ah ! désespoir funeste ! De quel malheur nouveau me va-t-il accabler ? Géphise, il valait mieux mourir sans lui parler. Et… Mais quelle pâleur sur ton front répandue !

CÉPHtSE.

. . Ce monstre encor se présente à vos yeux,

ARTÉMIRE.

Céphise, il vient jouir du succès de son crime ; Dans les bras de la mort il vient voir sa victime ; C’est peu de mon trépas, s’il n’en repaît ses yeux. Allons, et remettons notre vengeance aux dieux.

SCENE VIL

ARTÉMIRE, CÉPHISE, UN GARDE.

LE GARDE,

Il examine, il doute, et ses yeux vont s’ouvrir.

ARTÉMIl’.E.

Dieux, dont la main sur moi sans cesse appesantie Me promène ù son gré de la mort à la vie. Dieux puissants, sur moi seule étendez votre bras ! Hendez-moi mon supplice, et saincz IMiilotas ; Éteignez dans mon sang une ardeur inlidèle : Plus son péril est grand, pins je suis criniinclle. Viens, Cassandre, il est temps ; viens, frappe. Acnge-toi Je te pardonne tout, et n’immole que moi. ACTE V, SCÈNK IX. 131

\h 1 lo for trop loiigtoinps est levé sur ma tôto !

Je.soidlVc à chaque instant la mort ({ue l’on m’apprête.

Qu’ils viennent.

SCENE YIII.

ARTÉMIRE, CÉPHISE, PHILOTAS.

ARTKMIRE.

Mais quel dieu vous redonne à mes vœux ? Vous vivez !

PHILOTAS.

C’en est fait, il faut périr tous deux.

ARTÉMIRE,

Vous :

PHILOTAS.

Mous venons vous défendre, et périr à vos pieds.

ARTÉMIRE.

Ah ! si quelque pitié pour moi vous intéresse !

PHILOTAS.

Hélas ! à mes fureurs connaissez ma tendresse.

ARTÉMIRE.

A des périls certains cessez de vous offrir. Que pouvez-vous pour moi, prince ?

PHILOTAS.

Je puis mourir.

ARTÉMIRE.

Ciel ! de quels cris affreux ces voûtes retentissent ! Je ne me connais plus ; mes genoux s’affaiblissent. Seigneur, au nom des dieux…

SCENE IX.

les mêmes. un envoyé. l’envoyé. Va succéder peut-être à tant d’inimitié.

ARTÉMIRE.

Qu’entends-je ! 132 FRAGMENTS D’ARTK.MIRE.

l’envoyé.

Et votre époux expire,

ARTÉMIRE.

Lui ! mon époux !…

PHILOTAS.

Et ce n’est pas à inoi d’en être le témoin.

(Il sort.) ARTÉMIRE.

Dieux ! puis-je soutenir ces funestes approches ! Hélas ! son sang versé me fait trop de reproches.

SCÈNE DERNIÈRE.

ARTÉMIRE, CÉPHISE, CASSANDRE.

Cassandre, blesse dans un combat, est amené presque mourant sur la scène. CASSANDRE.

Tous les rois sont trompés. Séduit ])ar l’imposture, J’ai longtemps soupçonné la vertu la plus pure. A présent, mais trop tard, mes yeux se sont ouverts ; Je vous connais, enfin, madame, et je vous perds.

. . . Et je reçois le prix de mes forfaits.

ARTÉMIRE.

Ah ! seigneur, puisqu’enfin la vertu vous est chère,

Vivez, daignez jouir du jour qui vous éclaire.

Malgré vos cruautés je suis encore à vous ;

Vos remords vertueux m’ont rendu mon époux.

Vivez pour effacer les crimes de Pallanle ;

Vivez pour protéger une épouse innocente ;

Ne perdez point de temps, souffrez qu’un promptjsecours…

Cassandre expire après avoir pardonné à Pliilotas, et rendu justice à la reine. FIN DES FRAGMENTS d’aRTÉMIRE, VARIANTES

DES FRAGMENTS IVARTÉMIRE.

Page 133, vers 12. — Ce vers et ceux qui le suivent ont été changés. C’est de feu Decroix que je tiens la première version cjue voici :

Je ne vous ô’ ! \ i poiot qu’u.i père ioo.orable A voulii, mi ; jrc moi, cq’c Iiymea exécrable. Qpoi qu’il n ? ’oii ordonné, j’ui dû désobéir ; Soigne jp. Je ciel est juste, il a su m’en i)unir. Puissiez-vous seulenicnt, soigneux de votre gloire, D’un amour si funo-ie oublier la mémoire ! Puissent ’es jusies d’eux, touchés de vos verius, Rendre heureux ce grand cœur où je ne prétends plus ! Vivez, partez, fuyez cette terre infidèle. (B.)

Page 144, vers 31. — Voici de la fin de ce couplet une première version (jui m’a été communiquée par feu Decroix :

Qu’à vous assassiner sa main seule était prête. Qu’il voulait à mes p’eds apporter votre tète, Que Menas 16 servait dans ces desseins affreux, D’un heureux scélérat confident malheureux ; Et que ce traître enfin, craignant votre justice, En massacrant Menas, a perdu son complice. J’en atteste les dieux et mon époux… Hélas ! Vous détournez les yeux, etc. (B.)

Page 147, vers I. — Decroix m’a communiqué les quatre vers que voici, et que l’auteur avait placés ici, puis supprimés :

O vous qui me livrez à mon cruel destin. Vous, arbitres des rois que j’ai servis en vain, Dieux puissants ! vous lisez dans le fond de mon âme ; J’ai vécu vertueuse, et vais mourir infâme- (B.)

FIN DES VARIANTES D ARTEMIRE.

  1. Une note du Temple du Goût apprend qu’Artémire eut huit représentations. La pièce n’avait pas roussi à la première, et l’auteur l’avait même retirée ; mais le 23 février, on en donna une seconde représentation, avec des changements, et cette tragédie eut quelque succès. Elle fut jouée pour la huitième et dernière fois le 8 mars. Je crois que ce qui détermina Voltaire à faire cesser de jouer sa pièce fut la parodie que, le 10 mars, Dominique fit jouer aux Italiens sous le même titre d’Artémire. Cette parodie est imprimée dans le premier volume du recueil des Parodies du nouveau théâtre italien. Voltaire n’a jamais voulu laisser imprimer sa tragédie. Feu Decroix, l’un des rédacteurs de l’édition de Kehl, en ayant recueilli quelques fragments, les fit imprimer dans l’édition à laquelle il coopérait. De nouvelles recherches lui procurèrent une copie du rôle d’Artémire, corrigée de la main de l’auteur. Le comte d’Argental se rappela aussi quelques vers. Telle est la source des nouveaux fragments que j’ai ajoutés, et dont je suis redevable à feu Decroix.

    Luchet, dans son Histoire littéraire de Voltaire, dit que c’est à l’occasion d’Artémire « que les députés des comédiens du roi offrirent à MM. de l’Académie française l’entrée de leur spectacle ». Voltaire ne fut de l’Académie que vingt-six ans plus tard, et je ne vois pas quel rapport peut avoir existé entre Artémire et l’Académie française.

    Mouhy, dans son Abrégé de l’histoire du théâtre français, dit que, le 2 mars 1732, sept députés des comédiens du roi se rendirent à l’Académie française, et que le sieur Quinault Dufresne y prononça un discours par lequel il invitait les académiciens à prendre leurs places gratis à la comédie. Mouhy se trompe d’un jour : le 2 mars 1732 était un dimanche, et l’Académie ne tint pas de séance ; ce fut le lendemain lundi, 3 mars 1732, qu’elle reçut la députation des comédiens. Il y avait douze ans moins cinq jours qu’avait eu lieu la dernière représentation d’Artémire. Il n’est donc pas à croire que cette pièce fût pour quelque chose dans la démarche des comédiens. B.

  2. Artémire fut traitée avec si peu d’égards que Voltaire, ne se possédant plus,bondit, de la loge où il se tenait, sur le théâtre, et se mit à prendre à partie et à haranguer le parterre. Lorsqu’on sut que c’était lui, les clameurs s’apaisèrent ; il s’exprima avec tant d’adresse, d’éloquence, de pathétique même, que les murmures se convertirent en bravos. (Duvernet, Vie de Voltaire, 1786, p. 44, 45.)

    Si l’arrêt du public avait été sévère. Voltaire l’avait accepté pleinement ; loin d’en appeler, il le tenait pour bon et déclarait nettement que la pièce ne reparaîtrait plus. C’était compter sans Madame, la mère du Régent, à qui il avait dédié Œdipe, et qui voulut absolument la revoir. Le poëte obtint quelque répit pour remanier l’ouvrage ; mais il aurait eu besoin de bien plus de temps qu’il ne lui en était laissé. « Il fait ses protestations que, quoiqu’il y ait beaucoup changé, il n’a pas assez changé encore ; qu’il faudrait plus d’un mois pour y faire les changements nécessaires, et que l’on n’en peut rien faire de bon. Un auteur ne peut mieux se rendre justice. » Sans doute, et c’est là un mérite assez rare pour être signalé. M. de Caumartin de Boissy, à qui nous empruntons ces lignes, ne paraît pas autrement édifié de cette rigueur du poëte envers son œuvre, et comme Voltaire, qui était sincère, ne voulait point permettre que l’on continuât les représentations d’Artémire, et se prononçait à cet égard avec sa vivacité habituelle, malgré l’accueil plus encourageant du public, il se moque du petit Arouet qu’il trouve et fort extravagant et fort ridicule. « Il dit toutes les sottises du monde au maréchal de Villeroy sur ce qu’il (le maréchal) voulait qu’on la rejouât devant le roi. Il veut absolument la raccommoder encore et se met en fureur contre quiconque lui propose de la faire rejouer. » Mais cela nous semble assez raisonnable et assez légitime, n’en déplaise à M. de Boissy. Ce fut le 23 février que la pièce reparut après de notables corrections pour être jouée on tout huit fois. Le président Bouhier raconte que le poëte, n’ayant pu empêcher qu’on reprit sa pièce, avait comploté, lui et une petite troupe de ses amis, de l’interrompre par leurs clameurs, ce que les comédiens, avertis, s’étaient mis en mesure de prévenir, en lui faisant refuser l’entrée. Il força la garde et se mit à crier au milieu du parterre qu’il priait tout le monde de s’en retourner, et que c’était une chose indigne de jouer une pièce malgré l’auteur. L’exempt des gardes voulut le faire sortir. Arouet, ayant fait quelque résistance, fut maltraité et mis dehors par les épaules, sans que personne osât prendre ouvertement sa défense. Et Artémire, représentée malgré lui, fut applaudie presque d’un bout à l’autre. (G. D.)

    M. G. Desnoiresterres ne croit pas à cette anecdote. « Ce qui reste vrai, dit-il, c’est qu’il avait dû s’incliner devant le désir de gens qu’on ne refuse point. »

    On attribua l’interruption finale de la tragédie à la parodie qu’en donna Dominique aux Italiens, sous le même titre d’Artémire. Mais Voltaire, avant l’éclosion de la parodie, avait pris son parti… Il garda son manuscrit, et se borna à utiliser plus tard dans Mariamne le peu de vers qui lui semblèrent dignes de survivre au naufrage de sa tragédie.

  3. Noms des acteurs : Legrand, Du Boccage, Dangeville, Quinault (Philotas), Fontenay, Dufresne (Pallante), Duchemin, Legrand fils ; Mmes  Salley (Céphise), Lecouvreur (Artémire), Dufresne. — Recette : 5, 167 livres.