V. Giard & E. Brière (p. 1-9).
Fragment d’histoire future

C’est vers la fin du xxve siècle de l’ère préhistorique jadis appelée chrétienne, qu’eut lieu, comme on sait, la catastrophe inattendue d’où procèdent les temps nouveaux, l’heureux désastre qui a forcé le fleuve débordé de la civilisation à s’engloutir pour le bien de l’homme. J’ai à raconter brièvement ce grand naufrage et ce sauvetage inespéré si rapidement accompli en quelques siècles d’efforts héroïques et triomphants. Bien entendu, je passerai sous silence les faits particuliers qui sont connus de tous et ne m’attacherai qu’aux grandes lignes de cette histoire. Mais auparavant il convient de rappeler en peu de mots le degré de progrès relatif auquel l’humanité était déjà parvenue, dans sa période extérieure et superficielle, à la veille de ce grave événement.

I

LA PROSPÉRITÉ


L’apogée de la prospérité humaine, dans le sens superficiel et frivole du mot, semblait atteint. Depuis 50 ans, l’établissement définitif de la grande fédération asiatico-américano-européenne et sa domination incontestée sur ce qui restait encore, çà et là, en Océanie ou dans l’Afrique centrale, de barbarie inassimilable, avait habitué tous les peuples, convertis en provinces, aux délices d’une paix universelle et désormais imperturbable. Il n’avait pas fallu moins de 150 ans de guerres pour aboutir à ce dénouement merveilleux. Mais toutes ces horreurs étaient oubliées ; et, de tant de batailles effroyables entre des armées de 3 et 4 millions d’hommes, entre des trains de wagons cuirassés lancés à toute vapeur et faisant feu de toutes parts les uns contre les autres, entre des escadres sous-marines qui se foudroyaient électriquement, entre des flottes de ballons blindés, harponnés, crevés par des torpilles aériennes, précipités des nues avec des milliers de parachutes brusquement ouverts qui se mitraillaient encore en tombant ensemble ; de tout ce délire belliqueux, il ne restait plus qu’un poétique et confus souvenir. L’oubli est le commencement du bonheur, comme la crainte est le commencement de la sagesse.

Par une exception unique, les peuples, après cette gigantesque hémorrhagie, goûtaient non la torpeur de l’épuisement, mais le calme de la force accrue. Cela s’explique. Depuis un siècle environ, les conseils de révision, rompant avec la routine aveugle du passé, triaient avec soin les jeunes gens les plus valides et les mieux faits pour les exonérer du service militaire devenu tout automatique, et envoyaient sous les drapeaux tous les infirmes, bien suffisants pour le rôle extrêmement amoindri du soldat et même de l’officier inférieur. C’était là de la sélection intelligente, et l’historien ne saurait manquer au devoir de louer avec gratitude cette innovation, grâce à laquelle l’incomparable beauté du genre humain actuel s’est formée à la longue. En effet, quand on regarde, à présent, derrière les vitrines de nos musées d’antiquités, ces singuliers recueils de caricatures que nos aïeux appelaient leurs albums photographiques, on peut constater l’immensité du progrès accompli de la sorte, si tant est que nous descendions vraiment de ces laiderons et de ces homuncules, comme l’atteste une tradition d’ailleurs respectable.

De cette époque date la découverte des derniers microbes non encore analysés par l’école néo-pastorienne. La cause de toutes les maladies étant connue, le remède ne tarda pas à l’être, et, à partir de ce moment, un phtisique, un rhumatisant, un malade quelconque est devenu un phénomène aussi rare que l’était jadis un monstre double ou un honnête marchand de vin ; c’est depuis cette époque que s’est perdu le ridicule usage de ces questions sanitaires qui encombraient les conversations de nos ancêtres « Comment allez-vous ? Comment vous portez-vous ? » La myopie seule avait continué alors sa marche lamentable stimulée par la diffusion extraordinaire des journaux, pas une femme, pas un enfant qui ne fit usage du pince-nez. Cet inconvénient momentané, du reste, a été largement compensé par les progrès qu’il a fait faire à l’art des opticiens.

Avec l’unité politique qui supprimait les hostilités des peuples, on avait l’unité linguistique qui effaçait rapidement leurs dernières diversités. Depuis le xxe siècle déjà, le besoin d’une langue unique et commune, comparable au latin du Moyen-Age, était devenu assez intense parmi les savants du monde entier pour les décider à faire usage dans tous leurs écrits d’un idiome international. Après une longue lutte de rivalité avec l’anglais et l’espagnol, c’est le grec qui, depuis la débâcle de l’Empire anglais et la reprise de Constantinople par l’Empire helléno-russe, s’imposa définitivement. Peu à peu, ou plutôt avec la célérité propre à tous les progrès modernes, son emploi descendit, de couche en couche, jusqu’aux plus humbles degrés de la société, et, dès le milieu du xxiie siècle, il n’y eut plus un petit enfant, de la Loire au fleuve Amour, qui ne s’exprimât tacitement dans la langue de Démosthène. Ça et là quelques villages perdus dans des creux de montagnes s’obstinaient encore, malgré la défense de leurs instituteurs, à estropier de vieux patois appelés jadis le français, l’allemand, l’italien, mais on eût bien ri d’entendre dans les grandes villes ce charabias.

Tous les documents contemporains s’accordent à attester la vitesse, la profondeur, l’universalité du changement qui s’opéra dans les mœurs, dans les idées, dans les besoins, dans toutes les formes de la vie sociale nivelées d’un pôle a l’autre, à la suite de cette unification du langage. Il semblait que jusqu’alors le cours de la civilisation eût été endigué, et que, pour la première fois, toutes les digues rompues, il se répandît à l’aise sur le globe. Ce n’étaient plus des millions, c’étaient des milliards, que le moindre perfectionnement industriel nouvellement découvert valait à son inventeur car rien n’arrêtait plus dans son expansion rayonnante la vogue d’une idée quelconque née n’importe où. Ce n’était plus par centaines, mais par milliers, pour la même raison, que se comptaient les éditions d’un livre tant soit peu goûté du public et les représentations d’une pièce tant soit peu applaudie. La rivalité des auteurs était donc montée à un diapason suraigu. Leur verve d’ailleurs pouvait se donner carrière, car le premier effet de ce déluge de néo-hellénisme universalisé avait été de submerger à jamais toutes les prétendues littératures de nos grossiers aïeux, devenues inintelligibles, et jusqu’au titre même de ce qu’ils appelaient leurs chefs-d’œuvre classiques, jusqu’à ces noms barbares de Shakspeare, de Gœthe, de Hugo, maintenant oubliés, dont nos érudits déchiffrent les vers rocailleux avec tant de peine. Piller ces gens-là que presque personne ne pourrait plus lire, c’était leur rendre service et leur faire trop d’honneur. On ne s’en fit pas faute ; et le succès fut prodigieux de ces hardis pastiches donnés pour des créations. La matière à exploiter de la sorte était abondante, inépuisable. Par malheur pour les jeunes écrivains, d’antiques poètes, morts depuis des siècles, Homère, Sophocle, Euripide, étaient revenus à la vie, cent fois plus florissants de santé qu’au temps de Périclès même ; et cette concurrence inattendue gênait singulièrement les nouveau-venus. Des génies originaux avaient beau en effet faire jouer des nouveautés à sensation, telles que Athalias, Hernanias, Macbethès, le public les négligeait souvent pour courir aux représentations d’Œdipe-Roi ou des Oiseaux. Et Nanaïs, peinture pourtant vigoureuse d’un romancier novateur, échoua complètement devant le succès frénétique d’une édition populaire de l’Odyssée. Aux oreilles saturées d’alexandrins classiques, romantiques ou autres, excédées des jeux enfantins de la césure et de la rime, tantôt jouant à la bascule et s’appauvrissant ou s’enrichissant tour à tour, tantôt jouant à cache-cache et disparaissant pour se faire chercher, le bel hexamètre libre et abondant d’Homère, la strophe de Sapho, l’iambe de Sophocle, vinrent procurer des délices ineffables, qui firent le plus grand tort à la musique d’un certain Wagner. La musique en général retomba à son poste secondaire dans la hiérarchie des beaux-arts, et il y eut en revanche, dans ce renouvellement philologique de l’esprit humain, l’occasion d’une floraison littéraire inespérée qui permit à la poésie de reprendre son rang légitime, c’est-à-dire le premier. Elle ne manque jamais de refleurir, en effet, quand reverdit la langue, et à plus forte raison quand celle-ci change tout à fait et qu’il y a plaisir à exprimer de nouveau les banalités éternelles.

Ce n’était pas là un simple passe-temps de délicats. Le peuple y prenait part avec passion. Certes, à present, il avait le loisir de lire et de savourer les œuvres d’art. La transmission de la force à distance par l’électricité, et sa mobilisation sous mille formes, par exemple en bouteilles d’air comprimé aisément transportables, avaient réduit à rien la main-d’œuvre. Les cascades, les vents, les marées étaient devenus les serviteurs de l’homme, comme aux âges reculés et dans une proportion infiniment moindre, l’avait été la vapeur. Distribuée et utilisée intelligemment par des machines perfectionnées aussi simples qu’ingénieuses, cette immense énergie gratuite de la nature avait rendu depuis longtemps superflus tous les domestiques et la plupart des ouvriers. Les travailleurs volontaires qui existaient encore passaient trois heures à peine aux ateliers internationaux, grandioses phalanstères où la puissance de production du travail humain, décuplée, centuplée, outrepassait toutes les espérance de leurs fondateurs.

Ce n’est pas à dire que la question sociale eût été résolue par là ; faute de misère, il est vrai, on ne se disputait plus la richesse et l’aisance, lot de tout le monde que presque personne n’appréciait plus ; faute de laideur aussi, on n’appréciait guère ni n’enviait l’amour, que l’abondance extraordinaire des jolies femmes et des beaux hommes rendait si commun et si peu malaisé, en apparence au moins. Chassé ainsi de ses deux grandes voies anciennes, le désir humain se précipita tout entier vers le seul champ qui lui restât ouvert, et qui s’agrandit chaque jour par les progrès de la centralisation socialiste, le pouvoir politique à conquérir ; et l’ambition débordante, grossie tout à coup de toutes les convoitises confluentes en elle seule, et de la cupidité, et de la luxure, et de la faim envieuse, et de l’envie affamée des âges précédents, atteignit alors des hauteurs effrayantes. C’était à qui s’emparerait de ce bien suprême, l’État ; c’était à qui ferait servir l’omnipotence et l’omniscience de l’État universel à réaliser son programme personnel ou son rêve humanitaire. Ce n’est point, comme on l’avait annoncé, une vaste république démocratique qui sortit de là. Tant d’orgueil en éruption ne pouvait ne pas soulever un trône nouveau, le plus haut, le plus fort, le plus radieux qui fut jamais. D’ailleurs, depuis que la population de l’État unique se comptait par milliards, le suffrage universel était devenu impraticable et illusoire. Pour obéir à l’inconvénient majeur d’assemblées délibérantes dix ou cent fois trop nombreuses, on avait dû tellement agrandir les circonscriptions électorales que chaque député représentait au mois dix millions d’électeurs. Cela n’est pas surprenant si l’on songe que, pour la première fois, l’on avait eu alors l’idée si simple d’étendre aux femmes et aux enfants le droit de vote, exercé en leur nom, bien entendu, par leur père ou leur mari légitime ou naturel. Entre parenthèses, cette salutaire et nécessaire réforme, aussi conforme au bon sens qu’à la logique, réclamée à la fois par le principe de la souveraineté nationale et par les besoins de stabilité sociale, faillit échouer, chose incroyable, devant la coalition des électeurs célibataires.

La tradition rapporte que la proposition de loi relative à cette extension indispensable du suffrage eût été infailliblement rejetée si, par bonheur, l’élection récente d’un milliardaire suspect de tendances césariennes n’avait affolé l’assemblée. Elle crut nuire à la popularité de cet ambitieux en se hâtant d’accueillir ce projet où elle ne vit qu’une chose, c’est que les pères et les maris outragés ou alarmés par les galanteries du nouveau César allaient être plus forts pour entraver sa marche triomphale. Mais cette attente, paraît-il, fut déçue.

Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, de cette légende, il est certain que, par suite de l’élargissement des circonscriptions électorales combiné avec la suppression du privilège électoral, l’élection d’un député était un véritable couronnement et donnait d’ordinaire à l’élu le vertige des grandeurs. Cette féodalité reconstituée devait aboutir à la reconstitution de la monarchie. Un instant, des savants ceignirent cette couronne cosmique, suivant la prophétie d’un ancien philosophe, mais ils ne la gardèrent pas. La science, vulgarisée par des écoles innombrables, était devenue chose aussi commune qu’une femme charmante ou un élégant mobilier ; et, simplifiée extrêmement par sa perfection même, achevée dans ses grandes lignes immuables, dans ses cadres désormais rigides et remplis de faits, ne progressant plus que d’un pas imperceptible, elle tenait fort peu de place en somme dans le fond des cervelles où elle remplaçait simplement le catéchisme d’autrefois. La plus grande partie de la force intellectuelle allait donc ailleurs, ainsi que la gloire et le prestige. Déjà, les corps scientifiques, vénérables par leur antiquité, commençaient, hélas ! à se teinter d’une légère patine de ridicule, qui faisait sourire et songer aux synodes de bonzes ou aux conférences ecclésiastiques telles que les représentent de très vieux dessins.

Il n’est donc point surprenant qu’à cette première dynastie d’empereurs physiciens et géomètres, pastiches débonnaires des Antonins, ait promptement succédé une dynastie d’artistes évadés de l’art et maniant le sceptre comme naguère l’archet, l’ébauchoir ou le pinceau. Le plus glorieux de tous, homme d’une imagination exubérante maîtrisée et servie par une énergie sans égale, fut un architecte qui, entr’autres projets gigantesques, imagina de raser sa capitale, Constantinople, pour la reconstruire ailleurs, sur l’emplacement, désert depuis trois mille ans, de l’antique Babylone. Idée vraiment lumineuse. Dans cette plaine incomparable de la Chaldée, arrosée par un autre Nil, il y avait une autre Égypte plus fertile encore et plus belle à ressusciter, à transfigurer, une étendue horizontale infinie à couvrir de monuments hardis et pressés, de populations denses et fiévreuses, de moissons dorées sous un ciel toujours bleu, de chemins de fer rayonnant en réseau ferré de la ville de Nabuchodonosor aux extrémités de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, à travers l’Himalaya, le Caucase et le Sahara. Tout cela fut fait en quelques années. La force emmagasinée et électriquement transmise de cent cascades abyssiniennes et de je ne sais combien de cyclones suffit sans peine à transporter des monts d’Arménie la pierre, le bois et le fer nécessaires à tant de constructions. Un jour, un train de plaisir composé de mille et une voitures, ayant passé trop près d’un câble transmetteur au moment de sa plus forte charge, fut foudroyé en un clin d’œil et pulvérisé. Mais aussi Babylone, la fastueuse cité de fange, aux misérables splendeurs de brique crue et peinte, se trouva rebâtie de marbre et de granit, pour la plus grande humiliation des Nabopolassar et des Balthazar, des Cyrus et des Alexandre. Inutile d’ajouter que les archéologues firent, à cette occasion, d’inappréciables découvertes dans plusieurs couches superposées d’antiquités babyloniennes et assyriennes. La fureur d’assyriologie alla si loin que tous les ateliers de sculpteurs, les palais et même les armoiries des souverains se remplirent de taureaux ailés à tête humaine, comme jadis les musées étaient pleins de cupidons ou de chérubins « cravatés de leurs ailes » et qu’on fit même imprimer certains manuels d’école primaire en caractères cunéiformes, pour ajouter à leur autorité sur les jeunes imaginations.

Cette débauche impériale de maçonnerie ayant occasionné malheureusement les septième, huitième et neuvième banqueroutes de l’État et plusieurs inondations consécutives de papier-monnaie, on se réjouit, en général, de voir, après ce régne brillant, la couronne portée par un financier philosophe. L’ordre à peine rétabli dans les finances, il se mit en mesure d’appliquer sur une grande échelle son idéal gouvernemental qui était d’une nature toute singulière. On ne tarda pas à remarquer, en effet, après son avènement, que toutes les dames d’honneur nouvellement choisies, très intelligentes d’ailleurs, mais sans le moindre esprit, brillaient, avant tout, par leur éclatante laideur ; que les livrées de la cour étaient d’une teinte grise et morne ; que les bals de la cour, reproduits par la cinématographie instantanée à millions d’exemplaires, fournissaient la collection des plus honnêtes et des plus insipides visages et des formes les moins apéritives qu’on pût voir ; que les candidats récemment nommés, après envoi préalable de leurs portraits, aux plus hautes dignités de l’Empire, se distinguaient essentiellement par la vulgarité de leur tournure ; enfin, que les courses et les fêtes publiques (dont le jour était désigné à l’avance par des dépêches secrètes annonçant l’arrivée d’un cyclone américain) se trouvaient, neuf fois sur dix, avoir lieu un jour de brouillard épais ou de pluie battante, qui les transformait en un déploiement immense d’imperméables et de parapluies. En fait de projets, comme en fait de gens, le choix du prince était toujours celui-ci le plus utile ou le meilleur parmi les plus laids. Une insupportable monochronie, une monotonie écrasante, une nauséabonde insipidité, étaient le timbre distinctif de toutes les œuvres du gouvernement. On en rit, on s’en émut, on s’en indigna, on s’y habitua. Le résultat fut qu’au bout d’un temps il ne se rencontra plus un ambitieux, un politicien, c’est-à-dire un artiste ou un littérateur déclassé et cherchant le beau hors de son domaine, qui ne se détournât de la poursuite des honneurs pour se remettre à rimer, sculpter et peindre ; et depuis lors, s’est accrédité cet aphorisme que la supériorité des hommes d’État n’est que la médiocrité élevée à la plus haute puissance.

Grand bienfait qu’on doit à ce monarque éminent. La haute pensée de son règne a été révélée par la publication posthume de ses mémoires. De cet écrit si regrettable, il ne nous reste que ce fragment bien propre à nous faire déplorer la perte du reste « Quel est le vrai fondateur de la Sociologie ? Auguste Comte ? Non, Ménénius Agrippa. Ce grand homme a compris que le gouvernement était l’estomac, non la tête du corps social. Or, le mérite d’un estomac, c’est d’être bon et laid, utile et repoussant avoir, car si cet indispensable organe était agréable à regarder, il serait à craindre qu’on n’y touchât et la nature n’aurait pas pris tant de soin pour le cacher et le défendre. Quel homme sensé se pique d’avoir un bel appareil digestif, un foie gracieux, des poumons élégants ? Cette prétention ne serait pourtant pas plus ridicule que la manie de faire grand et beau en politique. Il faut faire solide et plat. Mes pauvres prédécesseurs… » Ici, une lacune. Un peu plus loin, on lit « Le meilleur gouvernement est celui qui s’attache à être si parfaitement bourgeois, correct, neutre et châtré, que personne ne se puisse plus passionner ni pour ni contre. » Tel était ce dernier successeur de Sémiramis. Sur l’emplacement retrouvé des jardins suspendus, il avait fait dresser, aux frais de l’État, une statue de Louis-Philippe en aluminium battu, au milieu d’un jardin public planté de lauriers-sauces et de choux-fleurs.

L’univers respirait. Il baillait un peu sans doute, mais il s’épanouissait pour la première fois dans la plénitude de la paix, dans l’abondance presque gratuite de tous les biens et même dans la plus brillante floraison ou plutôt exposition de poésie et d’art, mais surtout de luxe, que la terre eût encore vue. C’est alors qu’une alarme extraordinaire et d’un genre nouveau, provoquée à juste titre par des observations astronomiques faites sur la tour de Babel, reconstruite en tour Eiffel très agrandie, commença à se répandre parmi les populations épouvantées.