Fragment d’astronomie chaldéenne, découvert dans les visions du prophète Ézéchiel

Fragment d’astronomie chaldéenne, découvert dans les visions du prophète Ézéchiel, et éclairci par l’abbé L. Chiarini, professeur de langues et d’antiquités orientales à l’université royale de Varsovie.

Res ardua vetustis novitatem dare, novis auctoritatem, obsoletis nitorem, obscuris lucem, fastiditis gratiam, dubiis fidem.
C. Plin. secund.

Lorsqu’on lit avec attention et critique les visions d’Ézéchiel, et qu’on les compare avec les prophéties que les autres envoyés du Seigneur ont publiées avant lui, on s’apperçoit quelles offrent de grandes analogies entre elles, tant pour les objets dont elles traitent que pour le but quelles se proposent, mais que les premières présentent des symboles et des images que l’on chercherait en vain dans les secondes. Cette différence a frappé, en tout temps, les interprètes juifs et chrétiens, et ils ont même élevé des doutes sur l’authenticité des écrits de cet illustre prophète de la captivité de Babylone. Cependant cette dissemblance si frappante ne dérive que de ce que la main de l’éternel fut sur lui au pays des Chaldéens (ch. i, 3), et non dans la Palestine[1].

Ézéchiel qui, selon Lowth et Grotius, se distingue entre tous les écrivains sacrés, autant par son génie que par son instruction, a dû emprunter au peuple qui le tenait en esclavage, tout ce que ses arts et ses sciences lui offraient de remarquable, et le mêler aux traditions qu’il tenait de ses pères et aux connaissances qu’il devait à son éducation. Nous le voyons en effet fixer d’abord l’époque de sa mission, d’après la chronologie chaldéenne et celle de l’histoire des rois de la Judée (ib. 2), et en appeler plus loin (iv, 1) à la manière dont les savans babyloniens notaient leurs observations célestes, et traçaient le plan d’une ville ou la carte d’un pays entier, sur des briques cuites[2].

La science des astres, qui florissait de son temps en Chaldée plus que partout ailleurs, dut frapper de bonne heure son imagination[3], et porter son esprit, prompt à saisir les rapports des choses, à lui emprunter tout ce qu'elle offrait de plus étonnant, et de plus propre à rendre sensibles aux yeux de ses compagnons d’infortune, les doctrines que le ciel lui inspirait et qu’il lui commandait de propager.

Dans la première de ses visions, un vent de tempête qui venait du septentrion, met à la portée de sa vue une grosse nuée enflammée, au milieu de laquelle était une roue à quatre faces ; au centre de la roue, un feu ardent, et à ses quatre faces, quatre animaux, dont chacun avait la ressemblance d’un homme, et étincelait de toute part. Sur la tête de ces quatre animaux reposait le firmament, et sur le firmament un trône où était assis le fils de Dieu dans toute sa gloire.

Qu’une vision aussi majestueuse soit l’image de l’univers, ce qui nous le persuade en premier lieu, c’est le but du prophète, qui est de montrer à ses coreligionnaires comment la gloire de Dieu, qui avait résidé jusqu’alors dans le saint des saints, de la même manière qu'elle résidait dans le ciel[4], se voyant contrainte de descendre du propitiatoire, à cause que le temple était profané par le culte du soleil et des astres, allait errer sur les bords du fleuve Kebar.

Ce qui nous le persuade en second lieu, c’est tout l’apparat des phénomènes qui accompagnent ce spectacle, et qui sont précisément les mêmes que les autres prophètes mettent en action dans les épiphanies d’un Dieu courroucé, et qui remue la nature entière dont il est l’auteur. Ces phénomènes sont les vents agités, des nuages menaçans, le feu qui dévaste, les éclairs qui s’entrecoupent, le tonnerre qui gronde, la mer qui mugit, enfin l’arc-en-ciel qui paraît dans les nuées en un jour de pluie (i, 4, 24, 28), et qui annonce que la colère de l’Éternel est apaisée.

Mais ce qui met encore dans une plus grande évidence une semblable vérité, ce sont les quatre animaux qui jouent un grand rôle dans cette vision, et qui y tiennent la place des quatre vents, et des quatre génies tutélaires de la nature. En effet, les chérubins כְּרוּבִים car tel était le nom de ces animaux (x, 20), ont été d’abord la figure du bœuf (שׁוֹר)[5], ou de la principale divinité de l’Égypte, qui, ayant pris peu à peu une posture droite, en forme de statue, conserva la tête et les pieds d’un veau. Moïse en plaça deux dans le tabernacle pour y servir de support au trône de l’Éternel, afin d’apprendre ainsi aux Hébreux à mépriser les dieux du peuple dont ils venaient de secouer le joug, et pour les cérémonies duquel ils nourrissaient du penchant[6]. Mais plus tard les chérubins devinrent, dans le langage des prophètes, des figures panthées, propres à représenter des idées cosmologiques, plutôt que des idoles. C’est pour cette raison qu’Ézéchiel en a fait le symbole de toute la nature animée, en leur donnant, pour me servir de ses propres paroles, la face de quatre animaux dont chacun est le roi de son espèce, savoir : la face de l’homme, du lion, du bœuf et de l’aigle. Nous trouvons dans le Talmud une remarque judicieuse, exprimée en ces termes : « Le roi des bêtes fauves est le lion, le roi du bétail est le bœuf, le roi des volatiles est l’aigle ; mais l’homme est élevé au-dessus de tous les animaux, et Dieu au-dessus des animaux, de l’homme et de tout l’univers[7]. »

Mais comme au temps d’Ézéchiel, il était passé en maxime du langage sacré[8], de se figurer le Dieu des armées assis sur les chérubins ישֵׁב הַכְּרֻבִים (ii Sam. vi, 2) monté sur un chérubin, et volant sur les ailes du vent וַיִרְכַב עַל כְּרוּב וַיָעֹ֑ף וַיֵדֶא עַל כַּבְפֵּי רוּחַ (Ps. XVIII, 11) faisant enfin ses anges des vents עֹשׂהֶ מַלְאָכָיו רוּחוֹת (Ps. CIV, 4), Ézéchiel fit de ces quatre chérubins, de ces quatre génies tutélaires de la nature, les quatre vents du monde, les quatre chevaux du char du Tout-puissant. Nous avons pour garans de cette explication le prophète Zacharie, qui a été peut-être contemporain d’Ézéchiel, et l’auteur de l’Apocalypse qui a copié et développé les images pittoresques de l’un et de l’autre. En effet, le premier donne aux quatre vents du ciel אַרְבַּע רוּחוֹת הַשָׁמַיִם (vi, 5) quatre chariots אַרְבַּע מַרְכָּבוֹת (ib. 1), qu’ils tenaient continuellement attelés entre deux montagnes d’airain, pour exécuter les ordres de l’Éternel sur toute la terre. Après cela, dit le solitaire de Pathmos, je vis quatre anges qui se tenaient aux quatre coins de la terre et qui retenaient les quatre vents de la terre, τέσσαρας ἀγγέλους ἑστῶτας ἐπὶ τὰς τέσσαρας γωνίας τῆς γῆς, κρατοῦντας τοὺς τέσσαρας ἀνέμους τῆς γῆς (vii, 1)[9].

Mais comme, d’autre part, les deux chaînons extrêmes de la création ont été le ciel et la terre (Gen. i, 1), savoir : le ciel empyrée sur lequel réside la majesté de Dieu (Ps. viii, 2), et que l’Éternel abaisse lorsqu’il veut paraître aux mortels ayant l’obscurité sous ses pas (Ps. xviii, 10), et la terre qui est le marche-pied de son trône (Is. lxvi, 1) ; le même prophète place sur la tête et sur les ailes ouvertes de ces quatre chérubins, une étendue semblable au cristal, qui était le symbole du ciel des cieux (רָקִיעַ i, 22, Gen. i, 8) comme le plafond chez les Égyptiens[10], et sous leurs pieds une autre étendue pareille qui, comme nous le verrons dans la suite, ne pouvait être que le symbole de la terre (i, 15).

Ces circonstances et beaucoup d’autres semblables que j’omets pour être plus court, (car je ne donne ici qu’un extrait d’un plus long ouvrage), nous autorisent à croire que la roue qui joue un grand rôle dans cette vision d’Ézéchiel, appelée par les talmudistes מעשׂה מרכבה l’œuvre du chariot, n’est nullement la roue d’un char ordinaire, comme on l’a pensé jusqu’ici, mais celle d’un char tout particulier qui a été donné par Milton au fils de Dieu :

Forth rush’d with whirlwind sound
The chariot of Paternal Deity, &c.
[11]

En d’autres termes, si ce char a été celui de l’univers (universitatis currus), ainsi qu’on peut le déduire de tout ce que je viens d’exposer, la roue sur laquelle il se meut et qui en occupe la partie intérieure, ne peut être que le symbole de la sphère céleste, ainsi que je vais le démontrer.

Le but spécial de mes recherches sera donc de prouver que cette roue sur laquelle on a tant écrit jusqu’ici, n’est que le symbole de la sphère étoilée. Je tâcherai de remplir ma tâche en examinant :

1.° La nature du langage astronomique dont le prophète se sert dans la description détaillée qu’il donne de cette roue ;

2.° Les trois qualités d’être animée, harmonique et pleine d’yeux, qu’elle a en commun avec la sphère des étoiles fixes ;

3.° Enfin, la destination de la cassolette remplie de charbons ardens, qu’Ézéchiel place dans le centre de cette roue, et qui ne peut y représenter que le soleil.

Voici une roue dans la terre, dit le Prophète (i, 15), auprès des animaux (qui se tenaient debout) à ses quatre faces והִנֵה אוֹפָן אֶחָד בָּאָרֶץ אֵצֶל הַחַיוֹת לְאַרְבַּעַת פָּנָיו. Après une aussi expresse déclaration que cette roue n’était qu’une וְהִנֵה אוֹפָן אֶחָד, on ne saurait s’imaginer comment les interprètes en ont pu voir quatre dans ce passage, et les changer en quatre roues d’un char ordinaire. Ils ont été induits en erreur, je pense, parce qu’Ézéchiel se sert plus bas du pluriel הָאוֹפַנִים (les roues), et qu’au dixième chapitre (v. 9) il a recours à cette répétition et une roue auprès d’un chérubin, et une roue auprès d’un chérubin : אוֹפָן אֱחָד אֵצֶל הַכְּרוּב אֶחָד וְאוֹפָן אֶחָד אֵצֶל הַכְּרוּב אֶחָד. Mais ils n’ont fait attention, ce me semble, ni à la situation où le Prophète s’est placé et qu’il a voulu nous retracer, ni au génie de la langue hébraïque.

Ézéchiel, apercevant de loin le char de la Majesté divine, voit une sphère que la distance lui présente sous la forme d’une roue. Elle s’approche, et il y découvre quatre faces, que les quatre animaux touchaient de leurs corps אַצֶל לְהַחַיות לְאַרְבַעַת פָּנָיו. Il veut nous faire entendre qu’il est revenu peu à peu de sa première impression, non pour changer une seule roue en quatre, mais pour nous dire qu’il a enfin reconnu qu’une seule et même roue avait quatre faces אַרְבַּעַת פָּנָיו, et que chacune de ces faces pouvait être nommée roue אוֹפָן, vue à la même distance, mais dans une autre direction que la première fois. Le mot roue est donc ici synonyme de face, ou d’un des quatre côtés d’une sphère. Or, lorsque le Prophète revient une seconde fois sur cette même circonstance de sa vision, il nous dit plus clairement que chacune de ces faces אוֹפָן touchait un chérubin אוֹפָן אֶחָד אֵצֶל הַכְּרוּב אֶחָד de même qu’il nous avait dit la première fois que chaque chérubin touchait une face de cette sphère לְאַרְבַּעַת פָּנָיו. En effet, toute espèce de répétition, telle que celle dont se sert Ézéchiel dans cette vision, considérée selon les règles de la syntaxe hébraïque, aussi bien que selon celles des autres langues orientales, ne sépare pas les objets ; mais elle les distribue, en assignant à chacun la place qui lui convient, de sorte que la phrase, une roue auprès d’un chérubin, et une roue auprès d’un chérubin, veut dire que cette sphère avait autant de faces ou de côtés qu’il y avait de chérubins, et que chaque chérubin présidait à celle de ces faces qui répondait au vent dont il était le symbole.

L’identité de ces deux versets (i, 15 ; x, 9) a paru si frappante au célèbre Rosenmüller, qu’il les explique l’un par l’autre, comme si le second n’était que le commentaire du premier. Nous verrons plus loin qu’Ézéchiel substitue aux quatre roues ou cercles le nom propre d’une sphère (galgal), et qu’il dit expressément qu’elle se trouvait placée au milieu des quatre chérubins מִבֵּינוֹת לַכְּרֻבִים (x, 6). Il faut aussi remarquer que, comme les quatre faces de cette roue étaient formées par quatre cercles placés l’un dans l’autre, comme le sont le méridien, l’équateur et les deux colures des sphères ordinaires, on pourrait traduire ici l’expression ophan par cercles, car ces deux mots aussi sont synonymes, comme nous allons le voir. Dans cette hypothèse, l’explication de ce passage serait : et un cercle à côté d’un chérubin, et un cercle à côté d’un chérubin. Alors, Ézéchiel aurait voulu nous avertir par cette phrase, que les quatre chérubins se tenaient debout aux quatre côtés des deux cercles principaux d’une sphère. Il me paraît que l’une ou l’autre de ces deux hypothèses est toujours préférable au parti de faire violence au texte sacré, jusqu’à révoquer en doute qu’il parle d’une seule roue, là où il dit והִנֵה אוֹפָן אֶחָד et voici une roue sur la terre.

Cette roue, continue le Prophète (ib. 16), avait quatre faces, parce qu’elle était composée de quatre cercles, tous de la même couleur, de la même façon, de la même ressemblance, et dont l’aspect et la façon étaient comme si un cercle était placé au milieu d’un autre cercle : מַרְאֵה הָאוֹפֵנִים וּמַעֲשֵׂיהֶם כְּעֵין תַרְשִׁישׁ וּדְמוּת אֶחָד לְאַרְבַּעְתָן כְּמַרְאֵיהֶם וּמַהֲשֵׂיהֶם כַאֲשֶׁר יִהְיֶה הַאוֹפָן בְּתוךְ הָאוֹפָן. La sphéricité de cette machine est si palpable dans ce verset, que même les interprètes qui ont vu dans Ézéchiel les roues d’un char ordinaire, ont été forcés de l’admettre. Le Prophète, dit le D. Rosenmüller, annonce par ces paroles qu’il avait remarqué quelque chose de singulier dans ces roues, c’est-à-dire quelles étaient faites de manière qu’une roue entrait dans l’autre et la coupait à angles droits, de sorte qu’elles n’avaient pas un seul cercle, ainsi que les roues ordinaires d’un char, mais deux cercles qui se croisaient mutuellement. Au lieu donc d’insister sur une chose généralement admise, je me bornerai à faire observer que le langage dont se sert Ézéchiel dans cette occasion, est parfaitement analogue à celui qu’ont employé les astronomes de l’antiquité, en parlant du système planétaire, et des symboles ou instrumens qui le représentaient. En effet, Platon nous entretient dans sa République (liv. X) du fuseau mystérieux de la nécessité (Ἀνάγϰης ἄτραϰτος), qui tournait les sphères célestes, en nous disant, comme Ézéchiel, qu’il traversait, avec son extrémité inférieure, plusieurs petits globes (σφονδύλους) de la même forme, renfermés et artistement combinés l’un dans l’autre ; ὥσπερ ἂν εἰ ἐν ἑνὶ μεγάλῳ σφονδύλῳ ϰοίλῳ ϰαὶ ἐξεγλυμμένῳ διαμπερὲς ἄλλος τοιοῦτος ἐλάττων ἐγϰέοιτο, ἁρμόττων, ϰαθάπερ οἱ ϰάδδοι οἱ εἰς ἀλλήλους ἁρμόττοντες. Aratus se sert, dans ses Phénomènes, de la même phrase astronomique qu’Ézéchiel et Platon, adaptés l’un dans l’autre, en nous peignant les principaux cercles de la sphère céleste :

Αὐτοὶ δ’ ἀπλάνεες ϰαὶ ἀρηρότεες ἀλληλοῖοι.

Enfin Ptolémée nous donne, dans son Almageste (liv. V, c. 1), la description d’un astrolabe sphérique, desccription qu’on pourrait prendre pour une version des paroles du Prophète de la captivité. « Prenant, dit-il, deux cercles bien façonnés au tour, à quatre faces perpendiculaires, de même proportion dans leur grandeur, parfaitement égaux et semblables entre eux, &c. » : Δύο οὐς ϰύϰλους λαϐόντες ἀϰριϐῶς τετοϝνευμένους τετραγώνους ταῖς ἐπιφανείαις ϰαὶ συμμέτρους μὲν τῷ μεγέθει, πανταχόθεν δὲ ἴσους, ϰαὶ ὁμοίους ἀλλήλοις, συνηρμόσαμεν ϰατὰ διάμετρον πρὸς ὀρθὰς γωνίας ἐπὶ τῶν αὐτῶν ἐπιφανείων.

Ézéchiel, comme je viens de le dire, analyse peu à peu les impressions qu’un premier coup d’œil avait excitées dans son âme, de sorte qu’il commence par nommer apparence de feu (i, 4) et animaux (ibid., 5) ce qu’il trouve, après un plus mûr examen, n’être que l’image d’un homme lumineux (viii, 2), et celle des chérubins (x, 20). De même la roue (אוֹפָן) qu’il a aperçue d’abord (i, 15), devient par degrés une sphère à quatre faces et à quatre cercles, et il entend de ses propres oreilles appeler leur assemblage du nom de galgal (x, 13) לָאוֹפַנִים לָהֵם קוֹרָא הַגַלְגַל בְּאָזְנָי. Il est clair par là que les אוֹפַנִים (roues, cercles) constituent le nom des parties, et que le גַלְגַל (galgal) est celui de l’ensemble de cette machine[12].

Je m’arrêterai donc un instant à déterminer la signification astronomique de ces deux mots ophan et galgal, signification qui n’a pas été saisie au juste par les autres interprètes.

Les mots dont se servent Ézéchiel et les autres prophètes de la captivité, demandent très souvent à être éclaircis par le génie de la langue chaldéenne. Or, autant de lois que le mot אופָן (ophan) est appliqué en chaldéen à la science des astres, nous voyons qu’il sert à désigner un des cercles de la sphère céleste.

On dit, par exemple, selon Castell et Buxtorf :

אוֹפַן הַמַּזָלוֹת pour le Zodiaque.

אוֹפַן הַמִישׁוֹר pour l’Équateur.

אוֹפַן הַמַּפְריִשׁ pour l’Horizon.

אוֹפַן הֲציִ הַיוֹם pour le Méridien et ainsi du reste[13].

Le Targum de Jonathan substitue, comme nous le dirons plus tard, à l’ophan vu par Ézéchiel (i, 15), la hauteur des cieux יוּם שְׁמַיָא, comme pour nous faire entendre que le mot אופָן ne peut s’employer que pour désigner une partie de la sphère céleste. Le Talmud, au contraire, substitue le mot אופנים à la sphère étoilée, en disant qu’il est défendu aux Juifs d’en faire des représentations dans le but d’en adorer les astres. « Vous n’imiterez pas, dit-il[14] au nom de Dieu, vous n’imiterez pas la ressemblance de mes créatures qui me servent en haut, tels que les ophans, &c.

לא תעשון כדמות שמשיי המשמשין לפני במרום

Je ne me dissimule pas qu’on peut m’objecter que les auteurs des Targums, et des deux Talmuds ont bien pu puiser ces notions astronomiques dans les livres des Grecs et des Latins, sous la domination desquels ils ont vécu ; mais il ne faut pas oublier que tous ces écrivains ne sont, en dernière analyse, que les compilateurs de traditions qui remontent tout au moins aux temps d’Esdras, et l’on conviendra, j’espère, qu’on ne doit pas confondre l’âge de la création des termes scientifiques, avec celui des monumens où ils paraissent pour la première fois. L’explication de l’autre mot galgal, nous fournira une preuve bien convaincante de cette vérité qui mérite d’être appréciée, principalement dans l’examen de l’antiquité orientale.

Maimonide, qui a été le plus savant antiquaire de son temps, nous apprend, dès le commencement de sa Main forte (יד החזקה, l. i, sect. 3), que le mot galgal, veut dire le ciel, le firmament, une sphère céleste quelconque, et par conséquent il y a neuf galgal, savoir les sept cieux planétaires, celui des étoiles fixes et le premier mobile : העגלגלים הנקראים שמים ורקיע וזבול וערנות והם תשעה פלפלים וגומיר. Les Talmudistes attachent au mot galgal précisément la même signification, tout en nous faisant remarquer que, selon les savans d’Israël, le galgal est fixe, les planètes et les constellations sont en mouvement גלגל קבוע ומזלות הוזרים, tandis que chez les sages des autres peuples, le galgal est en mouvement, et les planètes et les constellations sont fixes[15] גלגל חוזר ומזלות קבועין. Dans le même Targum de Jonathan, on se sert du mot galgal autant de fois qu’Ézéchiel emploie l’expression ophan, dans la conviction que le Prophète désigne par ce nom les sphères célestes.

Or, quiconque voudrait conclure de cet état des choses, que la langue chaldéenne a emprunté du grec parlé par les Juifs après la captivité, cette signification astronomique du mot galgal, et tâcherait de nous le persuader en s’appuyant principalement sur le passage du Talmud que je viens de citer, et qui nous laisse entrevoir que les docteurs de la synagogue n’ont pas été étrangers aux notions scientifiques des philosophes de la Grèce, se laisserait séduire par de vaines apparences. En effet, l’auteur du psaume lxxvij, qui a été tout au moins contemporain d’Ézéchiel, a attribué au mot galgal, précisément la même signification que les talmudistes et les targumistes, dans ce passage très-remarquable (ib. 19) : קוֹל רַעַמְךָ בַגַּלְגַּל הֵאִירוּ נְיָקִים תֵּנֵל יָגְזָה וַתִּיְעַשׁ הָאָרֵץ, la voix de ton tonnerre dans le galgal, les éclairs ont éclairé la partie du globe habitée, la terre en a été émue et en a tremblé. Les LXX et la Vulgate, dit le D.r Rosenmüller, traduisent ici[16] : la voix de ton tonnerre dans la roue, ce qui n’est nullement déplacé, si l’on prend la roue pour le char, car alors le Prophète nous représenterait Dieu assis sur son char, et se précipitant sur les Égyptiens avec tant de fougue qu’il sortirait des roues de ce char divin, comme autant de tonnerres propres à les épouvanter. Cependant, comme dans ce lieu le nom גַּלְגַּל marche de pair avec תֵּנֵל et avec הָאָרֶץ, il paraît qu’il signifie plutôt l’orbe céleste, l’atmosphère, ou le cercle et la totalité des choses créées, que Saint Jacques lui-même (iii, 6) nomme τὸν τροχὸν τῆς γενέσεως, et il n’y a pas de doute que la véritable signification de ce nom hébreu ne soit orbe, car il dérive du verbe גָּלַל, qui veut dire circumvolvit. Cette explication peut acquérir un nouveau degré d’évidence par la phrase qui précède immédiatement : קול נָתְנוּ שְׁחָקִים les nuées ont fait retentir la voix, et qui explique à merveille l’autre : la voix de ton tonnerre dans le galgal, dont elle est le pendant. Et comme cette épiphanie n’est d’ailleurs qu’une imitation de celle que David nous présente, avec des couleurs très-pittoresques, dans le psaume xviii, il est simple que son auteur a voulu dire par les paroles קול רַעַמְךָ בַּנַּלְנַל la voix de ton tonnerre dans le galgal, précisément la même chose que David par la phrase (ib. 14) : וַיַרְעֵם בַּשָׁמַיִם יְהוָה et l’Éternel tonna dans les cieux, de sorte que les deux mots גַּלְגַּל et שָׁמַיִם sont, dans ces deux passages, parfaitement synonymes.

Il n’est pas sans intérêt d’observer que le nom גַּלְגַּל et le mot πόλος, considérés dans les fastes de la science des astres, sont tellement analogues entre eux, que, de même que le premier a dû signifier en Chaldée, ainsi que nous venons de le prouver, une sphère céleste et l’instrument astronomique qui la représente, de même le second a constamment indiqué l’une et l’autre chose dans la bouche des sages de la Grèce. En effet, Boccace nous rapporte, sur la foi de Pronapide, que Pôlus a été le sixième fils du Demagorgon[17], c’est-à-dire une masse ou globe de boue, tiré de l’eau, qui finit par s’envoler d’entre les mains de celui qui le formait, embrassa toutes les choses créées, et embellit sa surface des étincelles qui s’échappaient de dessous le marteau de son père[18]. Tout le monde sait en outre que Platon, Aristote, Clément d’Alexandrie, Aristophane, Euripide et Virgile ont pris souvent le pôle pour le ciel ou pour les espaces de l’atmosphère, et que cela a porté Suidas à faire la remarque judicieuse que les anciens se sont servis de ce nom dans un sens bien plus étendu que les modernes : πόλον γὰρ οἱ παλαίοι οὐχ ὡς οἱ νεώτεροι σημεῖον τι, καὶ πέρας ἄξονος, ἀλλὰ τὸ περιέχον ἅπαν (ἐκάλουν). D’un autre côté, Weidler nous cite, dans son histoire de l’astronomie, ce vers d’un ancien poète :

Οὐρανίη πόλον εὗρε καὶ οὐρανίων χόρον ἄστρων.

vers qui contient, selon lui, l’invention du globe céleste. Ovide et Claudien confondent le pôle avec le planétaire d’Archimède ; Ammien Marcellin substitue ce même nom à la sphère ; Aristophane et Pollux appellent pôle un hémisphère armé d’un gnomon. Enfin, Saumaise nous assure que, dans une épigramme de l’Anthologie, on attribue cette même dénomination à un planisphère.

Or, l’astrolabe sphérique ou planétaire qu’Ézéchiel a trouvé en Chaldée, met, à mon avis, hors de toute contestation que les Chaldéens ont dû faire du verbe גָּלַל le mot astronomique גַּלְגַַּל avant que les Grecs aient formé le nom πόλος de πολέω[19], et que par conséquent Hérodote a eu raison de soutenir que, les premiers, ils ont donné aux Helléniens πόλον la sphère, ϰαὶ γνώμονα et l’hémisphère à gnomon[20].

Je passe maintenant à prouver qu’Ézéchiel s’est servi d’une sphère chaldéenne, pour représenter le ciel des étoiles fixes.

Autant de fois que le Prophète parle des roues (הָאוֹפַנִּים) et des animaux (הַחַיוֹת), il change le genre des pronoms suffixes qui sont relatifs aux unes et aux autres, de sorte que les pronoms qui se rapportent aux premières sont du genre des derniers, et vice versa. Je pense que, comme une telle irrégularité n’a lieu que dans cette partie de ses visions, elle ne doit pas être attribuée à la permutation du sujet ou objet logique avec le sujet ou objet grammatical, qui sert à expliquer beaucoup d’anomalies semblables dans les idiomes de l’orient. Elle dérive plutôt de ce que le poète sacré fait des roues et des animaux un seul tout indivisible, je dirais presque un seul et même corps. « De cherubis et rotis mixtim loquitur propheta, dit Rosenmüller (X, 11 et 12), quia erant unum quid ». Cela va jusqu’à un tel point que l’auteur de la version syriaque a été forcé de donner aux roues la chair, le dos, les mains et les ailes des chérubins : ܘܟܽܠܶܗ ܒܶܣܪܗܶܒܝܢ ܘܚܰܨܝܰܗܸܵܝܢ ܘܐܝܼܵܕܰܝܗܶܝܢ ܘܓܶܦܰܝܗܸܵܝܢ ܕܓܻܓܸܵܠܐ ܀. Ézéchiel envisage donc les chérubins comme les moteurs d’une roue ou d’une sphère céleste, et les suppose composés de la même matière que cette roue ou sphère, ainsi que l’ont cru les anciens, selon le témoignage d’Aristote[21] et de Plutarque[22].

Mais les cercles de cette roue ne constituaient pas seulement un seul ensemble avec les quatre chérubins qui y présidaient ; ils étaient aussi animés et mis en mouvement par le même esprit que les chérubins, idée sur laquelle le Prophète revient à plusieurs reprises, comme s’il craignait qu’elle pût nous échapper (i, 20, 21 ; X, 17 ) : כִּי רוַּח הַחַיָה בָּאוֹפַנִּים car l’esprit de l’animal (des animaux) était dans les roues. Ézéchiel n’avait pas besoin d’emprunter des Chaldéens le dogme de l’âme du monde, car Moïse l’avait déjà consacré dans la première page de sa Cosmogonie, comme l’a très-bien fait remarquer le D. Rosenmüller (Gen. I, 2). Platon dans son Timée, Pline dans son histoire naturelle, Macrobe, Aratus et Manilius nous font sentir que ce dogme a constitué une des maximes fondamentales de la philosophie de toute l’antiquité.

Je me contenterai de citer à ce propos les beaux vers de Virgile, parce qu’ils cadrent à merveille avec la roue d’Ézéchiel, en tant qu’elle était le symbole d’une sphère céleste et l’image du monde :

Spiritus intus alit, totamque infusa per artus
Mens agitat molem et magno se corpore miscet
[23].

Enfin cette roue symbolique a aussi la même voix que les chérubins qui la conduisaient. Le Prophète nous le dit expressément (iii, 12, 13 ) en ces termes : וַהִִּשָׂאֵנִי רוַּח וָָאֶשְׁמַע אַחֲרַי קוֹל רַעַַשׁ גַדוֹל בַּרוּךְ כְּבוד יְהוָה מִכְּזקוֹמוֹ ׃ וְקוֹל כַּנְפֵי החַיּוֹת מַשִׁיקוֹת אִשָה אֶל אֲֲהוֹתָה וְְקוֹל הָאוֹפַנִִּים לְעֻמָּתָָםְ וקוֹל רַעַַשׁ גָָדוֹל, et l’esprit m’éleva, et j’ouïs après moi la voix d’un grand bruit (qui chantait) : Bénie soit de son lieu la gloire de l’Éternel ; et la voix des ailes des animaux qui s’entretouchaient les unes les autres, et la voix des roues avec eux, et la voix d’un grand bruit[24].

Job et le Psalmiste avaient donné, avant Ézéchiel, la voix aux cieux et aux astres, et l’harmonie des sphères est un sujet dont se sont beaucoup occupés les anciens philosophes, ainsi que nous l’attestent Aristote, Cicéron, Pline et Macrobe.

Mais je ne fais que passer légèrement sur des points de doctrine qui ont été si souvent discutés par les autres. Je m’arrêterai un peu plus long-temps à rendre compte de la signification symbolique des yeux dont Ézéchiel a rempli les quatre cercles de sa sphère et les quatre chérubins qui y étaient attachés. Toute leur chair, dit-il, et leur dos, et leurs mains, et leurs ailes, et les roues étaient pleines d’yeux à l’entour, sur leurs quatre côtés (X, 12, voy. I, 18) וְכָל בְּשָׂרָם וְגַבֵּהֶם וִידֵהֶם וְכַנְפֵיהֶם וְהָאוֹפַנִים מְלֵאִים עֵינַיִם סָבִיב לְאַרְבַעְתָם אופַנֵיהֶם ׃[25].

Ézéchiel avait besoin de changer les étoiles en yeux afin de reprocher, par ce symbole, à ses coreligionaires l’énormité du crime dont ils se rendaient coupables en révoquant en doute la providence de Dieu, et en répétant, pour s’encourager l’un l’autre à marcher sur le chemin de l’iniquité, l’Éternel a abandonné la terre, l’Éternel ne voit rien (VIII, 12, IX, 10). Comme Moïse, Job, Isaïe, et tous les autres prophètes avaient accoutumé les Juifs à prendre l’œil pour le symbole de la providence divine, Ézéchiel, en substituant les yeux aux étoiles, leur disait, par le langage expressif de l’allégorie : Dieu voit du haut des deux sur la terre, par autant d’yeux qu’il y a d’étoiles dans le firmament. Ce but secret du Prophète a été senti presque par tous les imitateurs et interprètes de sa vision, de sorte que le rabbin Apuda[26], saint Jérôme et l’auteur de l’Apocalypse[27], ont été forcés d’admettre qu’Ézéchiel a fait allusion aux étoiles de la voûte céleste, en se servant des yeux.

Voyons donc en peu de mots comment ce poète divinement inspiré a pu puiser une image aussi sublime dans l’antiquité sacrée et profane, où tous les phénomènes de la lumière des astres ont été représentés par les yeux[28].

Les yeux du crocodile sont, selon Job (xli, 9), comme les paupières de l’aube du jour ועֵינָיו כְּעַפְעַפֵי שַׁחַר, ce qui est parfaitement analogue à ce que pratiquaient les Égyptiens pour signifier le lever du soleil.

Nous savons en effet qu’ils peignaient les yeux d’un crocodile, et qu’ils représentaient un crocodile la tête renversée, pour indiquer le coucher du même astre[29]. Pausanias nous rapporte[30] que, sur le coffre de Cypselus, une femme tenait deux enfans dans ses mains, savoir un enfant blanc endormi dans la droite : παῖδα λευϰὸν ϰαθεύδοντα τῇ δεξιᾷ χειρὶ et de la gauche un autre noir, qui paraissait vouloir s’endormir : τῇ δὲ ἑτέρᾳ μέλανα ἔχει παῖδα ϰαθεύδοντι ἐοιϰότα. Il ajoute que ces enfans avaient tous les deux les pieds contournés : ἀμφοτέρους διεστραμμένους τοὺς πόδας.

Pausanias a vu dans cette femme, la nuit, et dans les deux enfans, le symbole du sommeil et de la mort, sans réfléchir que, par cette explication, il ne rendait raison, ni de leur couleur, ni de leur position, et que, comme ce coffre avait été l’instrument de la conservation de Cypsélus[31], il devait être embelli par le symbole de la vie plutôt que par celui de la mort. Malgré son autorité et celle de plusieurs autres interprètes, il me paraît que la femme en question était là pour figurer le jour naturel[32] qui a deux enfans, savoir le lever et le coucher du soleil, ou les deux crépuscules. Ainsi, l’enfant blanc, placé à droite, et qui avait les yeux fermés, était le symbole du lever du soleil qui, par sa lumière, cache les étoiles et ferme les yeux de la nuit ; et l’enfant noir, placé à gauche et clignant les yeux, était le symbole du coucher du soleil, qui, faisant succéder les ténèbres à la lumière, montre à découvert les étoiles et ouvre petit à petit les yeux de la nuit. Dans ce même but, les Égyptiens peignaient un paon ayant la queue ramassée ou déployée, selon qu’ils voulaient signifier le commencement ou la fin du jour, prenant les yeux du plumage de cet animal pour le symbole des étoiles[33]. Les deux enfans avaient enfin les pieds contournés comme un serpent, pour indiquer la carrière annuelle du soleil, selon l’observation que Macrobe a tirée de la doctrine des mêmes Égyptiens : draconis effigies flexuosum iter sideris monstrat. Je conclus de toutes ces circonstances que les images symboliques du coffre de Cypselus ont été une imitation d’un monument égyptien, faite par un artiste qui n’en comprenait pas le sens. Mais je reviens à mon sujet.

Sophocle a donné au soleil l’épithète de paupière du jour,

                                               χρυσέας
Ἁμέρας βλέφαρον[34].

et Eschyle a appelé la lune l’ornement des astres et l’œil de la nuit,

Πρέσβιστον ἄστρων, νυκτὶς ὀφθαλμὸς[35].

Le Dante a réuni ensemble les idées des deux poètes grecs, là où il nous dit :

Certo non si scotea si forte Delo,
Pria che Latona in iei facesse il nido,
A parturir li due occhi del cielo
[36].

Le prophète Zacharie (iii, 9) nous présente aussi toutes les planètes sous l’image de sept yeux, ouverts sur la pierre fondamentale du temple עַל אֶבֶן אַחַת שִבְעָה עֵינַיִם ; et saint Jean, imitateur de ce prophète, substitue à ces sept yeux sept étoiles, et les sept génies qui présidaient aux sept planètes[37].

Enfin, le Viasa mani aux dix mille prunelles, des Indiens, le Mithra aux dix mille yeux des Persans, et l’Argus aux cent yeux des Grecs et des Latins, sont visiblement des symboles de la voûte étoilée qui se montre dans tout son éclat pendant une belle nuit[38].

(La suite à un prochain numéro.)

  1. En comparant Isaïe avec Zacharie, et Jérémie avec Daniel, on peut acquérir la pleine conviction de l'extrême influence que les lieux et les temps de la seconde captivité ont exercée sur l’esprit des prophètes de l’Ancien Testament.
  2. Voyez Plin. vii, 57.
  3. Les prophètes et les poètes de tout âge se sont plus à chanter les mouvemens des corps célestes et les machines astronomiques qui les représentent.
  4. La forme du temple de Jérusalem et tout ce qu’il contenait, représentaient, selon Philon, Joseph et Clément d’Alexandrie, la structure du monde ; et le tribunal céleste, composé de trois membres, siégeait sur le propitiatoire, selon le Talmud : car les Juifs ont eu jadis des notions très-précises sur la Trinité, ainsi que je compte le prouver dans une autre circonstance.
  5. Ézéchiel, dit Rosenmüller, appelle aspect d’un bœuf פְנֵי שׁוֹר (i, 10), ce qu’il nomme plus loin aspect d’un Kerub פְנֵי הַכְּרוּב (x, 14). Ajoutez à cela la force de la racine כָרַב qui a signifié dans l’origine labourer la terre : ce que nous disons ici du bœuf chez les Égyptiens, est aussi arrivé au bouc chez les Grecs, qui en ont fait le dieu Pan, ou le génie de l’univers. Voy. Herod. ii, 46, iii, 28. — Herder, Vom Geiste der Ebræischen Poesie, &c.
  6. Ce but secret du législateur des Juifs n’a pas échappé à la pénétration de Tacite, et contient une solution fort simple de la difficulté qu’on rencontre, en observant que Moïse a défendu sévèrement de faire des images, et en a placé tout le premier dans la partie la plus sacrée de son temple.
  7. Hagiga, xiii, 2.
  8. Le langage sacré et symbolique de tous les peuples de l’antiquité a été emprunté, en grande partie, aux phénomènes de la nature. C’est cependant un faux système que celui de supposer qu’il n’y a rien de réel sous ces enveloppes, car l’allégorie cache, mais ne détruit pas l’histoire. Ce langage étant inaltérable aussi longtemps qu’il a été sacré, ne s’est pas plié, pour ainsi dire, aux formes des faits, comme le langage historique ; il a plutôt contraint les faits à prendre ses formes. C’est pourquoi on a de la peine a distinguer du soleil tant et tant de héros, de chefs de tribus, et de conducteurs de colonies. Leurs contemporains leur ont appliqué, dans l’apothéose, le même langage que la reconnaissance des nations avait puisé dans les bienfaits de cet astre. Le langage sacré du soleil a produit les mêmes effets que ses rayons, c’est-à-dire, qu’il a ébloui les yeux des hommes en rendant douteuse l’existence des choses, parcequil l’a souvent environnée de trop d’éclat.
  9. Homère, Virgile et Mahomet nous parlent des vents comme d’autant de génies, et les artistes nous ont laissé beaucoup de monumens analogues à ces idées poétiques. Voyez le Monde primitif de Court de Gebelin, tom. IV, du Calendrier.
  10. Voyez Champollion, Précis du Syst. hiérogl. pag. 277. Les anciens se sont représenté le monde comme un vaste édifice, dont le ciel était le toit et la terre la base. Les colonnes qui le soutenaient étaient tantôt les plus hautes montagnes, tantôt les héros les plus célèbres de l’antiquité, tels qu’Atlas, Hercule, etc.
  11. Paradise lost, liv. vi.
  12. « Ce galgal, dit le Prophète (x, 6), était placé au milieu des quatre chérubins, et un homme pouvait y entrer et s’arrêter auprès d’un ophan » וַיְהיִ בְּצַוֹתוֹ אֶת הָאִיש לְבֻשׁ הַבַּדִים לֵאמֹר קַח אֵשׁ מִבֵּינוֹת לַגַלְגַל מִבֵּינוֹת לַכְּרֻבִים וַיָבֹא וַיַעֲמֹד אֵצֶל הָאוֹפָן . Cela rend incontestable que l’antithèse que nous mettons ici entre le galgal et l’ophan, existe réellement entre le tout et la partie.
  13. Voyez Dupuis, Abrégé de l’origine de tous les cultes, c. 12.
  14. Rosch haschana, 24 b. Le Talmud fait ici allusion aux sphères planétaires et à la sphère étoilée, comme on peut le déduire de ce qui précède, aussi bien que de ce qui suit dans le même passage. Clément d’Alexandrie nous dit (Strom. liv. v) que les adorateurs des astres se faisaient des images de la sphère étoilée. Voyez Volney, Ruines, c. 22.
  15. Pesahim, F. 14.
  16. La version arabe est encore plus précise à ce sujet طَوْتُ رَعْدكَ ىِ اٗلْغَلَـكِ fragor tonitrui tui in sphæra. Voyez en outre le dictionnaire talmudique intitulé Aruc ערוך, à l’article גלגל.
  17. Genealogia degli Dei, I. I.
  18. Il est à remarquer que le mot arabe كَوْكَبَ signifie scintillavit ferrum, et que le mot hébreu et chaldéen כוכָב veut dire étoile.
  19. En suivant la même analogie, les astronomes du moyen âge ont créé le nom barbare torquetum du verbe torqueo.
  20. L. ii, 109. De même les philosophes chaldéens ont du employer le mot ophan, roue ou cercle dans un sens astronomique, avant les poètes et les sages de la Grèce. Voyez l’Hymne à Mars attribué à Homère, vs. 8. C’est donc d’Homère et d’Ézéchiel que le Dante a pu tirer le celesti ruote de son Voyage mystique. Je dois avertir mes lecteurs que j’ai donné un petit extrait de mon explication du char d’Ézéchiel, dans un article imprimé en Italie en 1824.
  21. Metaphys. l. xiv, c. 8.
  22. De orac. defectu.
  23. Æneid. vi, 727 et 728.
  24. Le Dante fait chanter de même aux moteurs et habitans de chaque roue céleste, des hymnes de louanges à la gloire de Dieu. Voyez en outre le Koran, sur xvii, 46 ; xxxix, 75 ; xl, 7.
  25. Si on traduisait par roues le mot ophanim qui est répété ici deux fois, ce verset ne présenterait aucun sens. Il est donc évident que la première fois il doit être rendu par cercles, comme le fait la Vulgate. D’un autre côté si on le traduisait la première fois par cercles, et la seconde par roues, au lieu d’une seule sphère, nous en aurions quatre dans la vision d’Ézéchiel, ce qui augmenterait encore la probabilité de notre hypothèse. Mais comme on ne saurait révoquer en doute l’unité de la roue prophétique dont nous avons parlé jusqu’ici, il suit de là, nécessairement, qui ! faut aussi dans ce verset traduire le mot ophanim par roues ou cercles la première fois, et la seconde par côtés ou faces, d’autant plus que la phrase לְאַרְבַעְתָם אופַנֵיהֶם ne contient ici qu’une version ou, pour mieux dire, une répétition de l’autre analogue (i, 15), לְאַרְבַּעַת פָנָיו à ses quatre faces.
  26. More nevokim, p. iii, 2.
  27. iv, 8. Voyez George Rosemnüller.
  28. L’auteur de l’Ecclésiaste a même employé la lumière du soleil, de la lune et des étoiles, pour figurer celle des yeux (xii, 2). Voyez la Paraphrase chaldéenne et le Talmud, traité Schabbath, 151 b.
  29. Horapol. l. i, 68.
  30. In Eliacis, l. v, 18.
  31. Ib. 17.
  32. Les artistes grecs ont dû représenter le jour sous l’image d’une femme, ayant égard au genre du nom ἡμέρα, de même qu’il y a eu un temps où les artistes chrétiens se sont servis du même symbole pour représenter le Saint-Esprit, car le nom רוּחַ esprit, est le plus ordinairement féminin en hébreu.
  33. Pierii Hierogl. liv. xxiv, 4 et 5.
  34. Antig. 103.
  35. Sept. ant. Theb. 375.
  36. Purg. 130-32.
  37. Apocal. i, 4, 13 ; ii, i, iv, 5 ; v, 6, etc. Les sept planètes sont les ministres du roi du ciel, et les ministres des rois de la terre sont nommés leurs yeux, selon Hérodote.
  38. Argus est cælum, dit Macrobe (Saturn. l. 1, c. 19), stellarum luce distinctum, quibus inesse quædam species cælestium videtur oculorum. Et lorsque Ovide le métamorphose en paon (Métamorph. l. i, vs. 625, etc.), il rend ce symbole astronomique aux Égyptiens dont les Grecs et les Latins l’avaient emprunté. Le Tasse qui a dit : Vorria celarla a’ tanti occhi del cielo, a traduit à la lettre ces paroles de Pline : Inde tot stellarum collucentium illi oculi. On