Le Passe-Temps du 05 novembre 1893 (p. 4-7).

FRAGILES FLEURS


À Carissima.

Vois ces fleurs aux senteurs aimées,
Ces fraîches fleurs dont le matin
Remplit de larmes embaumées
Les blanches urnes de satin…
Elles sont l’image légère
Le frêle emblème du bonheur :
La fleur, hélas ! est éphémère,
Et le bonheur est une fleur !…

De leur parure dépouillèe,
Penchant languissamment leur front,
Par le vent jaloux effeuillées,
Ce soir elles se faneront…
Chacune va rendre à la terre
Sa grâce pure et sa fraîcheur…
La fleur hélas ! est éphémère.
Et la beauté n’est qu’une fleur !…

C’est ainsi que de notre vie
S’évanouissent les beaux jours,
Que d’ombre et de deuil est suivie
L’heureuse saison des amours ;
C’est ainsi que la lie amère
Succède à la douce liqueur…
La fleur, hélas ! est éphémère,

Et notre joie est une fleur !

Hâtons-nous donc, aux vives ondes,
Chère âme, hâtons-nous de puiser,
Effeuillons sur nos têtes blondes
Rose nouvelle et frais baiser…
De notre saison printanière,
Goûtons la rapide douceur :
La fleur, hélas ! est éphémère,
Le printemps fait comme la fleur !…

Ce soir mourra la fleur éclose ;
Demain peut briser notre amour…
Aimons donc, puisqu’amour et rose
Ne vivent tous deux qu’un seul jour…
Aimons, tandis que sur la terre
Tout fleurit comme en notre cœur :
La fleur, hélas ! est éphémère,
Et la tendresse est une fleur !

Aimons tandis que la jeunesse
Nous couronnant de ses attraits,
Enivre nos cœurs d’allégresse
Et de grâce embellit nos traits ;
Tandis que notre joue est fière
De sa purpurine couleur :
La fleur, hèlàs ! est éphémère,

Et la jeunesse est une fleur !…

Trop tôt l’espérance infidèle,
Sourde à nos désirs empressés,
Va fuir, emportant sur son aile
Nos songes les plus caressés…
Mais tandis que douce et prospère,
Elle sourit à notre ardeur,
Aimons… La fleur est éphémère,
Et l’espérance est une fleur !…


Aimons, aimons, puisque sans cesse,
Impitoyable dans son cours,
Le temps ravit à notre ivresse
L’heure qu’il ajoute à nos jours…
Vidons la coupe passagère
Où rit l’enivrante liqueur :
La fleur, hélas ! est éphémère,
Et le plaisir est une fleur !…

Sachons puiser avec largesse
Aux trésors de la volupté…
Aimons, aimons !… C’est la sagesse :
Hors l’amour, tout est vanité !
Sans l’amour, la vie est amère ;
Épuisons du moins sa primeur :
La fleur hélas ! est éphémère,
Et le bonheur est une fleur !…


Gabriel Monavon.