Frédérick Schiller - Biographie



Fredérich Schiller.


Biographie.


La Souabe est une des régions les plus poétiques de l’Allemagne. Contiguë à la Suisse par sa frontière méridionale, ses sites la reproduisent en miniature. Les torrents de ses vallées n’étourdissent point le laboureur. Dans la belle saison, leur courant diaphane voile à peine le sol ; ils gémissent doucement contre les roches anguleuses qui gênent leur marche, et leur voix mélancolique résonne à travers les forêts, comme le chant d’un orgue lointain. Les basses terres et pentes vineuses sont les seuls endroits que l’on cultive. Les hauteurs ont gardé leur physionomie originelle, et cette nature sauvage, formant contraste avec une nature moins rude, oppose les harmonies du désert aux grâces de la civilisation. Dans la plaine, des chaumières fumantes, des blés ondoyants, un villageois qui bêche et fredonne quelque antique ballade ; sur la montagne, le cri du lammergeier, et les pointes granitiques dressées au milieu des arbres, comme un pic au milieu des flots. Une tour presque détruite charge ordinairement leur cime. Par ses croisées béantes, on aperçoit vers le midi une longue chaîne de glaciers. Leur éternelle pâleur rehausse les noirs sommets qui les précèdent, et, comme l’idée de la mort dans les festins antiques, augmente le charme du tableau déployé devant vous. Plusieurs fois j’ai vu l’orage envelopper le Schwartzwald et redoubler la nuit de ses forêts. Le tonnerre planait sur elles, ainsi qu’un envoyé du Seigneur en courroux. Mais tandis que le vent remuait les pins et fouettait les nuages, les éblouissants pitons de la Suisse conservaient toute leur sérénité. À leur inaltérable magnificence on eût dit une rangée de blanches déesses attirées par cette lugubre fête.

C’est dans ce pays d’élite que devait naître Schiller. Assez fertile pour récompenser dignement le laboureur, il n’offre point à l’imagination des beautés décourageantes ; il ne fait point sentir à l’homme son néant et sa misère. La nature fléchit encore sous sa main opiniâtre ; il a conscience de sa grandeur et s’élance au-delà du monde étroit qui l’environne. Or, la noblesse distingue précisément l’ancienne poésie souabe entre toutes ses contemporaines. Quand les joies terrestres laissent dormir la guitare du minnesœnger, une fière dévotion leur succède. « On ne peut trop admirer, dit M. Rosenkranz, l’énergie avec laquelle ces chanteurs passionnés expliquent l’intime ressemblance de l’homme et de son créateur. Leur audacieuse contemplation franchit les espaces ; elle va chercher dans l’essence infinie les preuves de notre identité. » Nous verrons cet orgueil spéculatif enivrer aussi Schiller, et se faire continuellement jour à travers ses paroles. Son inspiration, il est vrai, ne porte plus la robe virginale des cloîtres ; mais elle n’a perdu ni sa chasteté, ni ses élans pleins de foi. Les intérêts quotidiens appellent toujours sur sa lèvre un sourire moqueur.

Jean-Frédérick-Christophe Schiller naquit le 10 novembre 1759, àMarbach, petite vjlle située près du Neckar, dans le duché de Wurtemberg. Son père, homme actif, loyal et résolu, avait servi comme chirurgien dans les Pays-Bas, puis en Bohème, durant la guerre de sept ans. Par la suite, il forma une pépinière à Louisbourg, où il se trouvait en quartier ; le duc l’apprit et lui confia un établissement du même genre dans un de ses châteaux, nommé la Solitude. S’étant rendu au camp pour les exercices d’automne, sa femme, enceinte alors, vint l’y trouver. Mais sa visite ne fut pas longue ; elle se sentit prise du mal d’enfant, et gagna aussitôt Marbach que sa famille habitait. Elle accoucha de notre auteur presque immédiatement après son arrivée.

Dès son jeune âge, Schiller montra un caractère noble et sérieux. Son père lisait habituellement les prières du matin et du soir devant la famille réunie. « Alors, disait plus tard sa sœur aînée, la pieuse attention du jeune Frederick eût ému le spectateur le plus indifférent. Ses yeux bleus levés au ciel, sa blonde chevelure entourant une douce physionomie, ses mains jointes avec ardeur lui donnaient le charme d’une créature angélique. Sa docilité, son amour naturel pour le bien et le beau lui gagnaient tous les cœurs. »

Il avait près de six ans lorsqu’on le mit à l’étude. C’était au village de Lorch, sous le pasteur Moser. Ses relations de chaque jour avec le bon curé lui donnèrent le goût de l’état ecclésiastique. Parfois il montait sur une chaise et improvisait un sermon. Dans ces circonstances, il fallait que toutes les personnes présentes se résignassent à l’écouter ; si l’on s’avisait de rire, il prenait la fuite et ne revenait plus.

Au bout de trois années, les parents de Schiller quittèrent Lorch pour Louisbourg, et leur fils y continua l’étude du latin et du grec. Il travaillait assidûment et comprenait sans difficulté. Ce fut là qu’il vil pour la première fois un théâtre. Le duc Charles assistait à la représenlation, et l’on s’était efforcé de la rendre brillante. Elle produisit sur Schiller une impression extrêmement vive. Des plans de tragédie occupèrent dès-lors son intelligence naissante. Il racontait lui-même que, jusqu’à l’âge de quatorze ans, il avait simulé des actions dramatiques avec de petits hommes en papier.

Cet âge était celui où on devait l’initier aux études théologiques. Il allait s’y adonner avec enthousiasme, lorsqu’une circonstance particulière dirigea ses efforts vers un autre but. Le duc venait d’établir une école militaire. Il y voulait surtout élever les enfants de ses officiers, et le jeune Schiller attira ses regards. Comme, en lui ouvrant les portes de son institut, il lui accordait une faveur signalée, on ne pouvait la rejeter sans imprudence. Au reste, on n’enseignait pas seulement dans ce collège l’art meurtrier des batailles:, des hommes d’élite y professaient le droit et la médecine. Aucun de ces travaux néanmoins ne plaisait à notre poète. Il avait depuis longtemps rêvé une existence de sacrifices. La guerre ne pouvait séduire son âme douce et compatissante; la chicane le rebutait et l’anatomie lui soulevait le cœur. Et pourtant, la vie active, celle où l’homme s’adresse directement à l’homme, l’attirail avec une puissance magnétique. 11 regardait comme bien inférieure la destinée de l’écrivain : il eût alors aimé voir la réalité face à face et non pas de loin, à travers la pensée. Admirant Plutarque et les héros antiques, ces grands souvenirs l’empêchaient de bien juger sa propre nature. Dans les Brigands, Charles Moor, personnification lyrique des sentiments qui l’agitaient, maudit le siècle babillard où son étoile l’a fait naître. Pour unique intermédiaire entre l’âme et le monde, il nous reste la parole , colombe infidèle qui ne porte pas toujours ses messages. L’état ecclésiastique, avec sa charité sublime, ses dévouements, son influence immédiate, lui eût permis de satisfaire ses goûts, de réaliser son idéal. Mais comment s’opposer aux vues du prince? Malgré sa soumission habituelle, le père du jeune homme déclara que son fils révélait un penchant bien net pour le sacerdoce. Charles-Eugène n’en tint pas compte; il fallut céder et Schiller préféra le droit aux autres sciences. Leduc lui promit de l’établir avantageusement lorsqu’il aurait fini ses études. Mais l’année suivante, il déclara ne pouvoir tenir sa promesse, si Schiller ne quittait le droit et ne s’adonnait à la médecine.

Nouvelle lutte, nouvelle douleur. Ce qu’il avait appris contre son gré lui devenait inutile. Le prince avait dit un mot, et cette unique parole changeait encore une fois le destin de son humble sujet. Schiller passa donc de la jurisprudence à la médecine ; il semble même avoir étudié l’art de guérir avec d’assez bonnes dispositions. Il écrivit deux essais qui légitiment cette hypothèse: l’un intitulé Philosophie de la physiologie, l’autre concernant les relations de l’esprit et du corps. Mais ces travaux n’absorbaient point toutes ses forces : il lisait les poètes latins et quelques auteurs récents , véritables crieurs de nuit qui annonçaient à l’Allemagne Une nouvelle aurore littéraire. Klopstock, Utz, Haller, Lessing, Gœthe, et de Gerstenberg composaient alors sa société intellectuelle. Luther et Shakespeare grossissaient la cohorte. Le style du réformateur perce continuellement dans ses premiers ouvrages. Comme il arrive d’ordinaire, son imagination s’enflammait au contact de ces âmes incandescentes. Un poème épique dont Moïse était le héros, une ode intitulée le Conquérant, quelques strophes lyriques sur le soir, lui révélèrent d’abord son pouvoir créateur. A ces ébauches succédèrent plusieurs tentatives dramatiques : L’Etudiant de Nassau, Cosme de Médicis, et enfin les Brigands. Il inséra dans la dernière œuvre un certain nombre de traits composés primitivement pour la seconde. Si l’on veut approfondir Schiller, il faut arrêter sa vue sur cette période décisive, et chercher sous l’influence de quelle étoile irritée, sous les yeux de quel génie vengeur il a pu lancer au monde sa première et sa plus terrible imprécation. Le toit qui l’abritait alors ne lui rappelaitnulle-ment le toit paternel. Les douces fées du jeune âge, les souvenirs du berceau fuyaient ces murs austères. Partout, la surveillance et la contrainte. Ce n’était pas assez d’avoir détourné sa vocation, il fallait encore renoncer au loisir, aux plus innocents caprices. Néanmoins, quelque sévère que fût la discipline, Schiller s’y soumit toujours avec résignation. Mais l’ineptie et l’arbitraire de ses supérieurs lui faisaient perdre patience. Une raillerie mordante, un brocard acéré devenaient alors entre ses mains des armes défensives, qui lui servaient à repousser leurs attaques illicites. Son caractère particulier augmentait d’ailleurs l’effet que ces causes générales eussent produit sur lui, quand même rien ne les eût secondées. Jamais Ame plus subjective, plus lyrique si l’on veut, n’habita passagèrement une enveloppe mortelle. L’univers physique l’intéressait à peine ; les abîmes cachés du monde intérieur lui offraient une immense région,où se déployait sa véritable existence.

Les idées empiriques, que les sens charriaient jusqu’à cet élysée mystérieux, s’y transformaient au gré de la magicienne qui leur ouvrait ses Etats. Elle ne les acceptait point toutes ni dans leur entier, mais les choisissait et les épurait. Le grand homme vivait en lui-même comme dans une citadelle. Ses actions et leurs motifs sortaient tout armés de son esprit, et assujettissaient la réalité. Comment, avec une pareille disposition, aurail-il habitué son intelligence à manœuvrer selon le règlement scolaire? Lorsque d’une salle d’étude on le faisait passer dans une autre, ses idées l’y suivaient, et les discours du professeur échouaient contre ce bataillon serré. Quelquefois les usages de la maison venaient troubler ses rêveries. Il abandonnait alors avec chagrin la fenêtre parée de touffes de lys, où il passait dans l’exaltation les plus doux moments qui soient comptés à l’homme. La manière furtive dont il écrivit les Brigands rendit encore plus odieuse cette gêne éternelle. Quand l’heure du couvre-feu retentissait dans les préaux abandonnés, il fallait que toutes les lumières disparussent. La nuit et le silence éveillaient pourtant l’imagination du poète captif, et il ne lui restait pas un moment durant le jour. Il feignait donc un malaise, et se transportait à l’infirmerie où 011 lui accordait une lampe. Cette pâle lueur lui permit d’évoquer les spectres menaçants, qui effrayèrent ensuite l’Allemagne. Est-il exlraordinaire que celle perpétuelle contrainte ail soulevé une tempête dans son âme irascible, et que l’orage se soit annoncé par un cri de fureur? Il conçut naturellement un amour sans bornes pour la liberté qu’on lui ravissait.

Mais la haine du joug social, le désir d’un affranchissement illimité, ne se démènent point seuls dans cet ouvrage lugubre. Il s’y joint un incroyable mépris des hommes, mépris du juriste qui vend la loi, de la femme qui vend son cœur, du prêtre qui vend son dieu. Ainsi, dès le premier acte, Charles Moor raille ses contemporains. Il leur jette au visage leur bassesse et leur infamie. « Ignobles drôles qui flattent un décrotteur s’il peut les proléger auprès de Son Excellence, el tournent en ridicule le pauvre diable qu’ils ne craignent point; adorent le riche pour un bon repas, el empoisonneraient un ami pour une guenille ; tombent en syncope, lorsqu’ils voient saigner un poulet, et battent des mains, si leur concurrent fait banqueroute. » Le tableau est un peu sombre; l’exagération y abonde. Néanmoins Schiller le croyait fidèle; lasociélé lui apparaissait sous ce jour livide. Comme beaucoup de grands écrivains, il dut à la misanthropie sa faiblesse en même temps que sa puissance. Les individus les plus nobles sont la proie sur laquelle fond ordinairement ce vautour. Ils sentent dans leur cœur toule la dignité de la nature humaine; le beau, le bon, le vrai ne sollicitent jamais inutilement leur enthousiasme. Une pensée généreuse, un dévoûment sublime les font tressaillir et les plongent dans la rêverie, comme une lointaine musique derrière des bois en fleurs. L’existence est pour eux un chant d’amour sous des voûtes pieuses. Mais plus l’idéal créé par leur imagination diffère du réel, plus celui-ci les dégoûte, quand ils l’aperçoivent. La bassesse, la trahison, la lâcheté qui couvrent le monde et le gouvernent leur soulèvent le cœur. Un douloureux étonnement, un inflexible dédain remplacent bientôt leur sympathie. Quelquefois le mal ne s’arrête point là. Le doute les envahit, les principes qu’ils jugeaient inébranlables commencent à chanceler dans leur âme ; l’expérience renverse les dieux de leur premier âge. lis nomment alors fantômes et chimères les éclatantes apparitions, qui les hantaient jadis. Fantômes et chimères! 0 pauvre jeune homme, que n’as-tu continué tes rêves! Ils étaient plus solides que le monde et plus certainsque la réalité. Us le parlaient de vertu, de force intellectuelle, de majestueuses destinées. Us savaient mieux que toutes les races présentes et futures quelle direction tu devais imprimer à ta vie. Et ces connaissances nouvelles dont lu t’affliges, ces révélations payées par tant de sanglots, ce sont elles qui te trompent, ce sonl elles qui défigurent l’univers. Leur essence n’est que blasphème cl que monsonge: blasphème contre l’ordre, contre le bien, contre la vérité; mensonge éternel contre l’éternelle grandeur de l’esprit humain.

Les auteurs misanlhropiques se divisent en trois classes. Les uns ont reçu de la nature un caraclère doux et triste; ils souffrent plutôt qu’ils ne s’indignent. La corruption et la folie passent devant ces juges, sans apercevoir de courrotix dans leurs yeux. Mais le blâme qu’ils n’ont point vu les guette silencieusement. Rien ne lui échappe. La douloureuse émotion de l’observateur rend son coupd’œil plus pénétrant, sa mémoire plus tenace. Quand il voudra peindre un vice, ses souvenirs accourront en foule, et le vicieux lui-même sera forcé d’applaudir. On devine que nous esquissons les traits du poète comique. Ces œuvres joyeuses, qui égaient si bien le spectateur, naissent effectivement dans une tête maladive. Swift, Holberg, Cervantes, Molière, Beaumarchais et leurs compétiteurs jetaient sur la vie un regard mélancolique. Ils pleuraient, eux que nul lecteur n’aborde sans rire, et leurs bouffonnes épigrammes sortaient d’une âme désolée. Alceste et Don Quichotte présentent à différents degrés la caricature de cette disposition morale. Tieck l’a burlesquement personnifiée dans le loup qui mange le petit chaperon rouge; enfin Wieland, sans démentir sa légèreté habituelle, promène Agathon au milieu de toutes les scènes qui peuvent ou ébranler la conviction d’un homme loyal ou lui faire prendre en horreur ses semblables.

D’autres misanthropes ne considèrent point avec une égale résignation la sottise et la perversité générales. Ils les prennent aux cheveux, ils leur demandent raison de leur existence; ils voudraient les anéantir, dussent-ils opérer l’humanité frémissante, et lui ouvrir les entrailles pour les en arracher. Or, comme leur impuissance les tient à la chaîne, comme ils sentent bientôt la folie de leur exigence poétique, ils s’enveloppent dans un morne désespoir. Ah ! si le Créateur permettait que l’océan déroulât ses vagues profondes sur l’abominable race qui se dit faite à son image! Le maître du genre est Byron; le Corsaire nous en offre le type idéal. George Sand, dans plusieurs endroits de ses écrits, et notamment dans les Lettres d’un, Voyageur, exhale une haine assez violente pour qu’on l’enrôle sous ce lugubre chef .

Reste une dernière catégorie. Elle embrasse les intelligences athlétiques, aux pieds desquelles rampent le chagrin et le scepticisme vaincus. La démoralisation qui étale ses nudités sous leurs yeux ne diminue pas leur foi aux principes moraux. Ils savent que le désordre n’invalide pas la règle. Sa nature même l’accuse; bien loin de réfuter la cou-science, il la suppose; la désobéissance n’aurait pas lieu sans le précepte. Or, le moyen le plus direct pour entraîner les hommes vers l’idéal qu’ils oublient, n’est-il pas de le faire admirer? Le poète comique agit négativement sur eux ; il leur montre que la raison et la vertu les préservent seules du ridicule. Mais ne vaut-il pas mieux les charmer par l’image du bien lui-même? C’est ce qu’exécutent Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, el le mâle génie dont nous racontons l’histoire. Une secrète amertume pénètre leurs ouvrages ; les nobles statues qui prennent sous leurs mains la grâce et la fierté accusent l’abjection, la mesquinerie de leur époque. Souvent même leur dépit se fraie un passage; il brise son enveloppe, et, comme un oiseau de nuit, déploie tout à coup ses ailes. Mais la satire directe n’est pas leur forme de prédilection. Ils lui substituent volontiers leurs tableaux magiques, renonçant aux attaques immédiates pour s’en tenir à la censure par contraste.

Quand Schiller produisit les Brigands, cette dernière méthode ne pouvait lui suffire. Une violente rage l’obsédait, et il peignit la société comme un lâche troupeau de misérables sans scrupules. La vigueur emphatique déployée dans ce drame est réellement prodigieuse. Nous n’admirons pas autant le Berfram de Malurin ; la pièce anglaise nous semble à peine digne de l’original.

Cependant les années qui fuyaient amenèrent le jour où le duc devait remplir ses engagements. 11 s’exécuta de bonne grâce, et, avec une générosité merveilleuse, assigna une place au grand homme futur. C’était un emploi de médecin dans un régiment de grenadiers. Sa solde parut assez forte pour lui permettre de s’équiper, de se nourrir et dese loger sans autre secours. On lui donnait effectivement, tous les mois, 52 fr. 25 c. Trois cent quatre-vingt-sept livres par année! il y a des valets de charrue qui ne gagnent pas autant !

Schiller avait alors atteint sa majorité; on était en!78t. Il désirait ardemment publier son drame; il l’avait enfanté dans la colère, et souhaitait le lâcher, ainsi qu’un lion, sur les coupables. On aurait dû baisser la tête devant le poétique Jonas; mais les vicieux n’aiment pas qu’on leur reproche leurs vices. On lui ferma donc la bouche, ou, si vous voulez, on ne l’imprima point. Il fut obligé d’emprunter, sous caution, la somme nécessaire: elle se montait à 150 gulden. Les frais d’une anthologie, ou recueil de ses morceaux lyriques, auxquels se joignaient ceux de quelques amis, augmentèrent bientôt la dette. C’était une année de ses gages, et les intérêts ne pouvaient manquer de grossir le chiffre. Comme il n’avait pour toute ressource que ses espérances, il attendit les événements et la décision du public.

Son drame eut un merveilleux succès. Pendant quelque temps, il servit d’exorde aux entretiens et remplaça les judicieuses remarques sur la pluie ou le soleil. On admirait, sans le vouloir, cette colossale apparition. La chanson des Brigands devint tellement populaire qu’elle n’a pas cessé de l’être depuis. Quelques étudiants de Fribourg, dans le duché de Bade, voulurent imiter Charles Moor et s’instituer exécuteurs de la justice suprême. On éventa le complot, et cette folle résolution demeura sans effet. Le directeur du théâtre de Manheim, baron de Dalberg, ne fut pas moins surpris que les autres. L’unanime enthousiasme excité par les Brigands lui attendrit le cœur ; il résolut de jouer la pièce. Mais comme elle ne lui semblait pas écrite pour la scène, il pria Schiller de la corriger. Celui-ci employa quelques mois à refondre son ouvrage, car les devoirs de sa charge le troublaient incessamment. On put néanmoins donner la première représentation vers le milieu de janvier 1782. La foule accourut de Spire, de Voiras, de Mayence, de Heidelberg, de Darmstadt et de Francfort: les uns à pied, les autres à cheval, un grand nombre en voiture. Ceux qui n’avaient point de loges prirent leurs places dès une heure. Le drame fut vivement applaudi, et Schiller, qui s’était esquivé de Stuttgart, put jouir de son triomphe. L’émotion lui parut trop douce pour qu’il n’essayât pas de la renouveler. Mais on remarqua cette seconde absence : le duc le mil aux arrêts pendant quinze jours, et lui défendit d’entretenir aucune relation avec les habitants des pays voisins. Cette douleur n’arriva pas seule. Un proverbe, qui dénonce les Grisons comme des filous par excellence, et que Spiegelberg mentionne fort à propos, excita des réclamations. Une noble famille du pays trouva le passage insultant; on défendit à Schiller de publier autre chose que des ouvrages de médecine. La cour jugeait d’ailleurs sa pièce dangereuse, et le prince lui déclara qu’il manquait de goût. Ces vexations l’irritèrent au dernier point. 11 avait fait alliance avec le professeur Adel, et le bibliothécaire Petersen, pour rédiger ensemble un journal intitulé : Répertoire littéraire du Wurtemberg. Il ne pouvait donc obéir d’aucune manière et il entreprit son second drame.

Mais sa situation devenait chaque jour plus difficile. Les comédiens, selon leurs anciennes habitudes et leur penchant naturel, avaient gardé pour eux toute la recette des Brigands. Ils savaient par tradition qu’un poêle doit mourir de faim. Le baron de Dalberg avait offert ses services à Schiller, et l’accablait d’éloges dans sa correspondance. II aimait cette sorte de prodigalité, qui ne l’appauvrissait pas. Le jeune homme crut donc pouvoir compter sur ses bonnes intentions elle pria d’écrire au duc pour l’engager à lever sa défense. Le baron lut la missive, trouva sans doute qu’elle était fort louchante, mais ne daigna point hasarder son crédit en faveur d’un pauvre diable. Schiller fut donc obligé de prendre une résolution extrême. 11 se regardait comme le plus malheureux des hommes, et sentait que l’acharnement de la souffrance anéantirait en lui les plus beaux germes poétiques, si même il ne détruisait sa santé peu robuste. La fuite, une prompte fuite, mettrait seule un terme à ses douleurs; il avait besoin de respirer librement l’air du ciel, de laisser derrière lui l’orageuse atmosphère qui l’enveloppait, le menaçait etl’étouffait. Loin de Stuttgart, assis à l’ombre des pins, les yeux flottant de vallées en vallées, il bénirait encore la nature; il éprouverait encore ces douces émotions qui charment le poète, lorsqu’un demi-jour rêveur descend sur son âme, et qu’une voix angélique s’entretient dans son cœur avec l’oiseau des haies, le narcisse des fontaines el le nuage lointain qui embrasse en pleurant la montagne. Avant tout, il écrirait à Charles Eugène, pour exiger qu’il le traitât d’une manière plus digne de l’un et de l’autre.

L’entreprise demanda du courage et de l’adresse. Jaloux de son pouvoir, le duc en châtiait sévèrement les contempteurs. C’était lui qui, pendant l’hiver de 1777, avait fait enlever Schubarl à Uhn; c’était par ses ordres qu’on l’avait conduit sur un traîneau jusqu’à Blaubeuren, et de là dans le château d’Asperg. Il l’y laissa languir dix années, loin de sa femme et de ses enfants, sans pitié, sans motif, sans excuse. Il supposait que sa victime cherchait à jouer en Allemagne le rôle d’un autre Voltaire; et son orgueil de principicule s’en était formalisé. Ne se donnant pasmèmela peine d examiner la valeur de ses soupçons, il avait trouvé plus facile et plus digne d’un juge infaillible comme lui, d’emprisonner sur-le-champ le malheureux auteur. Schiller avait à redouter un sort pareil, s’il courrouçait le prince un moment endormi dans sa tanière.

Il ne pouvait d’ailleurs s’occuper lui-même des préparatifs qu’exigeait son dessein ; le moindre effort tenté dans ce but aurait suffi pour le trahir. Un ami vint à son secours. Andréas Streicher, avec lequel il était lié depuis dix-huit mois, se chargea des soins nécessaires, et l’émigration fut irrévocablement décidée. La cour de Wurtemberg s’apprêtait justement à fêter le grand-duc de Russie, qui devint ensuite le czar Paul, et qu’on attendait avec son épouse. Le tumulte des réjouissances leur offrait une occasion propice. Chacun d’eux alla tristement embrasser sa mère, et le 17 du mois de septembre, à neuf heures du soir, les fugitifs se mirent en route. Une petite carriole, chargée de malles, de livres et d’instruments de musique, devait les transporter au-delà des frontières. Schiller était vêtu d’un habillement bourgeois qu’il tenait prêt pour ce jour. Leurs richesses ne les embarrassaient point. La bourse du poète contenait environ 50 francs, celle du musicien un peu plus de 60. Mais l’espérance et l’imagination grossissaient leur fortune au point de les éblouir. S’ils avaient été d’humeur guerrière, ils eussent. rêvé la conquête du monde. C’eût été, du reste, un songe moins contraire à leur bonheur; le sang qui fume sous le glaive honore plus vite et enrichit plus sûrement que les triomphes de la pensée. Ils se dirigèrent vers la porte la plus sombre qui d’ailleurs était gardée, non par un confident, mais par un ami de Schiller. Ce fut un bonheur pour eux qu’on n’eût point alors l’habitude d’exiger un passe-port à la sortie de la ville. Quelque fermeté qu’ils eussent, la voix de la sentinelle les remplit d’une émotion étrange : « Qui vive ? Arrêtez ! leur cria-t-elle; officier, sous les armes! » — « Comment vous appelez-vous? » leur demanda-t-on ensuite. Le musicien répondit qu’il se nommait le docteur Wolf, son ami le docteur Ritter, el qu’ils allaient à Esslingen. On prit note de leur déclaration, puis les battants s’ouvrirent pour leur laisser un libre passage. Jetant un coup d’œil à la dérobée dans le corps-de-garde sans lumière, ils franchirent l’enceinte avec un battement de cœur. Ils durent longer quelque temps les murailles de la ville: l’aspect seul du colosse ténébreux leur ôtait la parole. Ils n’osèrent point rompre le silence avant d’atteindre le chemin de Ludwigsburg; mais quand la première hauteur eut voilé leur enfer, les mots accoururent d’eux-mêmes sur leurs lèvres et l’entretien s’anima. Vers minuit, ils aperçurent le château de la Solitude complètement illuminé. L’air était si diaphane, le palais si radieux, que Schiller put désigner au musicien l’endroit où séjournait sa famille. Celle action éveilla leurs regrets, et, saisis d’une profonde douleur, chacun d’eux s’écria involontairement : « ô ma mère ! ô ma mère ! »

Voilà comment ils fuyaient, les nobles opprimés ; l’autocrate en miniature déployait un luxe royal et s’enivrait de louanges, pendant que ses victimes pleuraient dans le silence et l’horreur de la nuit. La pompe de ses fêtes semblait railler leur tristesse. C’est qu’il n’y a rien de joyeux comme la sottise; un coup d’archet la ravit, une fusée l’emporte au ciel.

A huit heures du matin, ils franchirent les limites du Wurtemberg, et s’abandonnèrent à de vifs transports, en lançant leur carriole sur le territoire du Palalinat. Ils arrivèrent le soir à Schwel-zingen, et le lendemain, vêtus de leurs meilleurs habils, entrèrent faslueusemenl dans les rues de Manheim.

Ils descendirent chez le régisseur du théâtre, appelé Weier. Son élonnemenl fut sans bornes; il ne pouvait se remettre de l’agitation que lui causait une si audacieuse entreprise. Il les invita néanmoins à dîner, et les amis se quittèrent pour chercher un logement. Le repas fini, Schiller écrivit au duc Eugène.

Il lui rappelait d’abord la contrainte dont il avait usé à son égard, puis le remerciait des nombreuses faveurs qu’il avait bien voulu lui accorder. Passant aux véritables questions, il lui démontrait l’impossibilité de se suffire avec la solde extrêmement petite qu’il avait reçue jusqu’alors. H le priait d’annuler sa défense, de lui permettre chaque année un voyage au-delà des frontières souabes. Enfin il lui demandait de s’engager, sur sa parole ducale, à ne lui infliger aucun châtiment pour son évasion.

Au bout de deux jours, Charles lui fit répondre que, « grâce à la présence de ses nobles hôtes, il serait fort miséricordieux ; mais qu’il se hâtât de rentrer dans le devoir. »

Une seconde lettre, où le jeune écrivain sollicitait une déclaration plus précise, fut suivie d’une réponse identique.

Il n’y avait plus moyen de se faire illusion, et Schiller ne pouvait plus rien attendre de son maître. Ainsi qu’un bel enfant sorti du verger paternel, la robe pleine de fruits et de fleurs, il devait laisser choir le long de sa route bien d’autres songes dorés, bien d’autres chimères aussi virginales que l’aubépine, aussi suaves que les dernières grappes de l’automne!

Du reste, il avait mis à profit le laps de temps écoulé entre les deux réponses de Charles. Un après-midi, tous les acteurs du grand théâtre, parmi lesquels on distinguait Iffland, se rassemblèrent pour écouler la lecture de Ficsco. Le musicien jouissait, par avance, du triomphe de son ami. Plein d’une vive émotion, il se figurait la surprise dont ils allaient être saisis, à la vue des beautés qu’il admirait lui-même ; au lieu de regarder Schiller, il avait donc les yeux fixés sur l’auditoire, dans l’attente d’un grand succès.

On écouta le premier acte en silence, et nulle marque d’approbation ne vintencourager l’auteur. Un membre de l’assemblée quitta la chambre à la fin; les autres dirent quelques mots de Lavagna, puis s’entretinrent des nouvelles du jour.

Le second acte ne produisit pas un meilleur effet. La dernière scène achevée, tous les artistes se levèrent, et l’un d’eux, nommé Franck, proposa d’aller au tir. Un quart-d’heure après, la salle était vide ; Ufland et le maître de la maison restaient seuls.

Andréas allait se plaindre au dernier d’un traitement aussi injuste, lorsque celui-ci l’attira dans iine chambre voisine.

Parlez avec franchise, lui dit-il, êles-vous sûr que Schiller a écrit lui-même les Brigands?

— La chose est certaine ; comment pouvez-vous en douter?

— Mais un autre n’en serait-il pas vraiment l’auteur, et ne les aurait-il pas donnés au public sous son nom? ou bien s’est-il fait aider?

— Je connais Schiller depuis environ deux ans, et je puis vous garantir qu’il a composé seul les Brigands, et qu’il les a seul changés pour le théâtre. Mais quel motif avez-vous de m’interroger ainsi?

— C’est que la nouvelle pièce est le plus pitoyable drame que je connaisse. Après avoir écrit le premier, Schiller n’aurait pu, en aucune façon, produire une œuvre aussi plate, aussi misérable. » Streicher demeura stupéfait. Avant de rentrer, son interlocuteur ajouta : « Si Schiller a vraiment composé les Brigands, il a épuisé ses forces dans cette unique création. Il ne peut désormais tomber de sa plume que de sottes, emphatiques et absurdes balivernes. »

La lecture fut donc interrompue, et les amis consternés gagnèrent leur humble séjour. Meier les avait priés de lui laisser le manuscrit; leurs espérances n’en étaient pas moins détruites, et ils gardèrent quelque temps un morne silence. Enfin l’orage éclata ; Schiller maudit les cabales, les jalousies, la stupidité des acteurs. « Puisqu’on ne veut pas de mes drames, s’écria-t-il, je monterai sur la scène, j’exécuterai ceux des autres, et personne ne déclamera mieux que moi. » sur l’allemagne.

Le lendemain Streicher courut chez le régisseur. « Vous avez raison, lui cria celui-ci dès qu’il l’aperçut, vous avez raison! La pièce est excellente et mieux coordonnée que les Brigands. Mais savez-vous ce qui nous l’a fait paraître si détestable ? Le mauvais accent de l’auteur et sa ridicule manière de déclamer. »

Streicher se garda bien de lui répéter cette dernière phrase.

Cependant le baron de Dalberg ne revenait point de Stuttgardt où l’avaient appelé les fêtes. Schiller, craignant d’être livré au duc parle gouvernement palatin, résolut de quitter Manheim pour Francfort, sauf à regagner la première ville dans quelques semaines.

Leurs fonds avaient tellement baissé qu’ils ne purent prendre la diligence. Ils n’avaient pas l’habitude de la marche, et la route leur sembla fort longue. Néanmoins, les voyages ont un si grand charme pour la jeunesse qu’elle oublie aisément la fatigue 5 on dirait qu’une voix lointaine l’appelle derrière l’horizon; les fleurs ont l’air de lui sourire, et le loriot niché dans les aulnes la salue gaîment de ses chansonnettes. Deux jours s’écoulèrent ainsi; le troisième ils éprouvèrent une grande lassitude. Schiller voulut prendre quelque repos dans une auberge ; les vociférations, les hurlements de joie que poussaient les buveurs ne le lui permirent point.

Ils sortirent donc; mais le protégé de Charles devenait de plus en plus faible, de plus en plus pâle. Sentant la nuit obscurcir ses yeux, il se coucha sous un arbuste et dormit à peu près deux heures. Que j’aurais voulu te voir durant ce triste sommeil, ô pauvre grand homme ! que j’aurais voulu m’asseoir à tes côtés, sur les racines d’un hêtre, et là, t’environnant d’amour, fléchir pour toi l’injuste courroux du sort! Hélas! l’univers était-il donc insensible, que toi, son charme et sa parure, tu fusses ainsi livré sans protection à toutes les douleurs. Ah! les vents auraient dû se (aire, le bois étouffer ses soupirs, les oiseaux leur plainte mélodieuse, et l’Allemagne attendre en silence le réveil de son plus beau génie. Mais tu n’obtins pas même l’attention qu’on donne aux âmes vulgaires; un passant troubla ton repos, ce repos bienfaisant qui te rendait la vie. Pas plus que les autres, tu ne pouvais échapper à ta destinée ; lu devais aussi lutter contre la nature et les hommes, car ils injurient sans relâche, ils attaquent sans pitié la grandeur morale, afin qu’elle prouve sa puissance par leur défaite et que les bien-aimés du ciel n’empruntent rien à la terre. Un peu soulagé de ses fatigues, Schiller continua son voyage, et ils atteignirent bientôt Francfort. Après avoir réglé le prix de leurs dépenses avec rhôle, pour savoir combien de temps durerait leur mince fortune, le poète écrivit au baron de Dalberg. Il lui dévoilait toute sa misère. « Je pourrais rougir d’un tel aveu, lui disait-il ; mais je sens qu’il ne m’humilie point. Il est assez pénible de voir se réaliser en moi cette affreuse malédiction, qui prive tout Souabe au cœur libre de l’air et de l’espace nécessaires à son développement. Dans huit jours, il ne me restera plus aucun moyen d’existence. Un second drame est à votre disposition, et vous connaissez maintenant mon infortune. Si vous vouliez donc m’avancer cent florins, vous me tireriez d’embarras. La Conjuration de Fiesque vous indemniserait et si elle ne rapportait pas assez (un drame de Schiller ne pas valoir 200 fr. !), je compléterais la somme avec les honoraires de la pièce suivante. »

Il n’est pas inutile de dire que le baron possédait de grandes richesses et qu’il passait pour un généreux Mécène.

La réponse arriva. Schiller la lui, et détournant les yeux, les fixa pensivement sur les eaux du Mein. Dalberg lui refusait la plus légère avance ; la pièce ne lui semblait pas appropriée au théâtre; il fallait d’abord la corriger; ensuite, il verrait.

Ce fut sans doute alors qu’eut lieu cette triste promenade décrite par sa belle-sœur. Pour dissiper son chagrin, il se mit à parcourir la ville; mais ses ennuis l’escortaient comme une garde d’honneur. Enfin, se trouvant sur un pont, il considéra l’abîme d’infortune dans lequel il était descendu, el ses mornes réflexions Faccablèrenl. Le Mein, éclairé par le soleil, se déroulait devant lui comme une rivière d’or fluide; les hauteurs loin-laines, immergées dans la lumière, semblaient rayonner d’elles-mêmes : on eût dit que la nature voulait le réjouir : inutile effort! II tourna la tête el reprit sa marche vagabonde. Hélas! la foule n’avait pas un coup d’œil pour lui. Au milieu des bois ou des pâturages la solitude a quelque chose d’attrayant. L’insensible univers communique avec l’homme par sa magnificence. L’oiseau qui traverse le ciel, l’arbre mort que le vent agile, la fontaine éplorée qui gémit sous les herbes lui parlent un langage consolateur. Dans les villes, elle impressionne bien autrement. Tout y rappelle le luxe, le bien-être, les jouissances partagées; la richesse qui passe vous fait sentir votre misère, l’indifférence votre isolement. Parmi ces hommes égoïstes quiconque n’a rien ne doit rien attendre, et l’ange gardien des malheureux, l’espoir, vous abandonne pour remonter au ciel.

Schiller éprouvait ces angoisses. A la fin pourtant le hasard l’amena devant la boutique d’un libraire qu’il connaissait. Absorbé par ses méditations chagrines, il entra sans rien dire el sans qu’on remarquât sa présence. Au bout de quelques minutes, un acheteur, ouvrant la porte, demanda les Brigands. Un dialogue s’engagea entre le libraire et la pratique; leurs discours apprirent à sir l’Allemagne.


leur silencieux auditeur qu’on avait de lui l’opinion la plus favorable. Cette découverte lui rendit un instant la gaîté; il eut conscience du génie qui devait l’entourer d’un éclat immortel, et sa gloire future illumina sa destinée présente.

Mais une vague consolation ne lui suffisait pas; il avait besoin de secours effectifs. Un poème assez considérable intitulé : le Démon de l’amour, se trouvait alors dans ses papiers. Les chagrins qui l’agitèrent plusieurs années lui firent perdre le manuscrit, et il ne nous en reste pas une ligne.

En ce moment, toutefois, il le possédait encore et, dans sa détresse, il l’offrit au libraire. Il demandait 25 florins (53 francs 15 centimes). On ne voulut pas lui en donner plus de dix-huit; il ne les aurait pas obtenus chez nous. Cette lésinerie accrut sa douleur, et il remporta son travail. Ils allaient donc se trouver sans argent et sans ressources, lorsque la mère de Streicher lui envoya 70 francs. Un poète ancien lui eût dressé des autels. Ils abandonnèrent sur l’heure une ville où tous les prix sont fort élevés, et se rendirent à Mayence. De là, ils gagnèrent en longeant les bords du Rhin le petit village d’Oggersheim, situé à une lieue environ de Manheim. Ils y dépenseraient moins, y seraient plus tranquilles et mieux soustraits aux recherches. L’auteur des Brigands aurait dû se mettre à corriger Ficsco dès son arrivée. Mais pendant son excursion il avait conçu le plan de l’Amour et l’Intrigue. Quelque rude nécessité qui l’aiguillonnât, il ne put refondre son ancienne pièce avant de s’être donné le plaisir d’esquisser la nouvelle. Leur logis se trouvait près d’une longue avenue de peupliers qu’agitait le moindre venl. C’était leur unique promenade. Combien de fois n’y rêvèrent-ils point sous le blême soleil de l’automne, pendant que les feuilles jaunies se détachaient des rameaux comme les espérances de leur cœur, et fuyaient devant la bise comme leurs songes devant les tristesses de l’expérience! Il leur semblait voir dans ces arbres mélancoliques une allée de pyramides funèbres.

Streicher savailque le poète ressentait vivement les effets de la musique, même la plus ordinaire. Lorsque le soir était venu, il se mettait donc à son clavier, dans la double nuit du ciel et de la chambre. La lune, aussi triste que leur âme, laissait tomber ses rayons par la fenêtre ouverte. Schiller, composant de tête, allait et venait durant de longues heures. Tantôt la déesse nocturne illuminait son visage, tantôt il disparaissait au milieu des ombres. Souvent il laissait échapper un vague murmure et des sons inspirés. Les joyeuses mélodies égayaient son affliction, les airs douloureux l’attendrissaient comme une voix de son cœur pleurant dans les ténèbres.

Après un mois de séjour à Oggersheim, la Conjuration de Fiesque n’était pas encore achevée.

Tous les artistes ont éprouvé de ces paresses et de ces dégoûts durant certains travaux. Leurs faibles ressources diminuaient cependant d’une manière inquiélante. Si Schiller ne terminait au plus vite, ils allaient se trouver dans un cruel embarras. Il y mit donc la dernière main, et vers le commencement de novembre, la pièce fut livrée au baron de Dalberg. Cette circonstance remplit l’auteur d’une joie bien naturelle : son drame devait le tirer de la misère. Un autre motif se joignait d’ailleurs à celui-là. Son créancier de Stultgardt le pressait d’acquitter sa dette et il espérait maintenant pouvoir bientôt solder le compte. Les intérêts avaient élevé le chiffre à 200 florins. Tant qu’il avait habité le Wurtemberg, il avait pu faire reculer le terme du payement ; sa famille le couvrait de sa garantie ; mais son évasion inquiéta le prêteur, et il réclamait la somme avec tant d’exigence que le répondant de Schiller, n’ayant pas les moyens de le satisfaire, pouvait être mis en prison d’un moment à l’autre. L’infortuné dramaturge appelait donc de tous ses vœux l’heure où il lui serait permis de tranquilliser ce digne homme.

Le baron avait promis d’envoyer sa réponse dans deux ou trois jours. Une semaine, puis une autre, puis un mois presque tout entier s’écoulèrent néanmoins, sans que l’on apprît sa décision. Enfin l’oracle daigna parler. « La nouvelle tragédie, malgré les changements, ne lui somblait point convenable. Il ne l’acceptait donc pas, et ne pouvait rien donner à l’auteur. »

Schiller contint sa rage; il ne laissa pas échapper un mot qui trahît son agitation. Mais il résolut de quitter la ville sur-le-champ. Sa montre était vendue ; depuis quinze jours, il vivait à crédit dans une auberge. Un seul espoir lui restait; le manuscrit de son drame lui vaudrait peut-être une légère somme. Il courut chez un libraire, en obtint un louis la feuille, paya l’hôte, fil de muels adieux à Streicher et partit pour la Saxe avec le désespoir au fond de l’àme.

C’est là que Mme de Wolzogen, la mère d’un de ses compagnons d’études, lui avait offert un asile dans un petit village nommé Bauerbach et situé près de Meinungen. II n’aurait pu choisir une plus agréable retraite. Un vieux château domine le bourg, des sapins l’environnent, et de hautes montagnes composent une seconde enceinte derrière ces ténébreuses forêts. La nature n’y témoigne à l’homme aucune pitié; mais une sauvage harmonie s’exhale pour ainsi dire de ses abîmes, et sa colossale grandeur ne laisse pas oublier la puissance infinie qu’elle révèle. Schiller s’y établit donc en 1782, à la fin du mois de décembre. Il arriva le soir, au moment où la nuit descendait sur la vallée. Une neige épaisse couvrait la terre; les fenêtres des maisons élincelaient parmi les arbres, comme des lanternes suspendues aux rameaux pour quelque fêle bizarre. Le calme et lindépen-dance réveillèrent en lui le démon poétique; les sourds vagissements de la bise semblaient dans leur obscur langage lui parler d’un monde inconnu. Toutefois, ce séjour même ne le mil pas à l’abri de la douleur. Le fils de Mmo de Wolzogen étant au service de Charles-Eugène, elle regretta d’abord l’hospitalité qu’elle lui avait offerte et qu’il venait lui demandera l’improviste. Elle craignait la colère du prince pour ses enfants. Mais tout s’arrangea bientôt et il vécut neuf mois paisible, jusqu’en septembre 1783 .

Le baron de Dalberg, qui sans doute lui enviait ces jours de repos, lui écrivit dans sa solitude. Il promettait de l’attacher d’une manière fixe au théâtre, et de lui donner 500 gulden ou C50 francs par année. Schiller quitta son asile, et vint, une seconde fois, se livrer à la merci d’un homme déloyal. C’était avec une joie insurmontable qu’il sa rapprochait de la scène. Les visites, les projets, les entretiens l’occupèrent d’abord exclusivement; plusieurs semaines s’enfuirent avant qu’il reprît ses, travaux. Il allait néanmoins les poursuivre, lorsqu’une fièvre intermittente paralysa son génie. Elle lui enleva d’abord les forces morales que nécessite la composition. Au bout de quelques jours seulement, il put se remettre à l’œuvre dans les intervalles de sa maladie. La lâche qu’il devait remplir ne lui offrait d’ailleurs aucun charme. Il s’agissait d’approprier au goût des acteurs la Conjuration de Fiesque et l’Amour et VIntrigue. Les objections dont on le tourmentait sans cesse portaient sur de misérables détails, et son âme rêveuse, attristée par ces fadaises, employait à gémir le temps qui eût suffi pour la correction. Mais ce n’était point assez; il devait encore répondre aux lettres de ses parents , que son malheur désolait, non pas comme un événement fâcheux, mais comme une sorte de honte. Enfin, durant le mois de janvier 1784, son second drame fut représenté sans obtenir de succès.

Heureusement VAmour et l’Intrigue, qu’on joua peu de temps après Fiesco, lui valut des applaudissements universels II en ressentit une grande joie, mais sa position ne fut pas améliorée. Il se trouvait quelquefois dans une telle gêne, malgré ses emprunts, qu’il doutait de pouvoir subsister le jour suivant. De plus, il luttait contre tous les ennuis du célibat et de la pauvreté. Sa blanchisseuse l’interrompait au milieu d’un monologue, le serviteur chargé de son ménage oubliait de venir. Le matin, lorsqu’il se disposait à rendre une visite, il apercevait sur ses habits un trou magnifique cl ne savait comment le déguiser. Sa chambre était parfois dans un tel désordre, que, selon Streicher, les objets les moins dignes des regards en occupaient le centre. Au milieu de ces embarras que tenaient compliquer les douleurs de la fièvre, Schiller hésita quelques mois entre divers sujets, avant de s’arrêter à Don Carlos. Le baron de Dal-herg regrettant déjà la solde promise et craignant. de ne point y gagner, lui fit conseiller par un tiers d’abandonner la littérature pour la médecine.

Vers cette époque, il fonda le journal nommé IfibThalie du Rhin. Le seul avantage qu’il en retira £ul de soulever contre lui tous les acteurs du théâtre, en portant sur eux des jugements sincères. Ce fut alors qu’il reçut de Leipsick un don loul-à-fait inattendu. Quatre admirateurs de son talent, Kœrner, Hueber et deux jolies femmes lui envoyèrent un paquet. Il y trouva des lettres, un de ses licder en musique, un riche portefeuille et les images de deux jolies femmes. On lui témoignait une sincère admiration et le désir de le connaître personnellement. Ce témoignage d’affection et d’estime ranima l’ardeur du poète. Au commencement de 1785, le duc de Weymar ayant fait une excursion, poussa jusqu’à Manheim. 11 reçut Schiller, l’entretint familièrement et lui donna..comme.preuve de sa bienveillance, le titre de conseiller. Cette unique dénomination lui allira plus de respect que toutes ses œuvres. Mais il avait besoin de quitter un sol avare, où on lui refusait le pain de chaque jour. Ses nouveaux amis l’appelaient en Saxe; il abandonna la cité maudite pour une moins impitoyable contrée. Sa ferme résolution était d’étudier le droit et de se procurer au moins une subsistance honnête. 11 passa la moitié de la nuit près de Streicher, lui .serra la main avec attendrissement, et, lorsque le jour dora les toits de Manheim, il fit à la ville de longs, de bien longs adieux, des adieux éternels !

Arrivé en Saxe, Schiller s’établit à Golis, village situé près de Leipsick. Une douce intimité lui rendit bientôt ses jeunes compagnons aussi chers que de vieux amis. Kœrner et Hueber, Minna et Dora l’écoulaient avec une bonne grâce qui le charmait et l’inspirait. Quand il fut ainsi entouré d’âmes bienveillantes, quand ses yeux ne découvrirent plus que des perspectives sereines et immo biles coteaux, il sentit la paix rentrer dans son cœur. II n’abjura point sa haine pour les idées basses, pour les actions viles, mais elles le choquèrent moins fréquemment et n’interrompirent que de loin en loin ses extases contemplatives. Dès lors son style change , ses plans gagnent en étendue, eli sagesse, en régularité. Il abandonne la prose et saisit la harpe des ménestrels ; la colère ne brise plus le rhylhme sur ses lèvres. Au lieu de tirer l’épée contre tout ce qui répugne à son idéal, il se tourne vers cet idéal lui-même et lui élève un temple dans chaque nouvelle production. Bref, il adopte sa seconde forme, il prend sa manière définitive. Don Carlos est le premier résultat de cette conversion.

Au bout de quelque temps la peliie troupe se rendit à Dresde, et Schiller alla s’y fixer avec eux. Dans cette ville si riche par ses objets d’art, sipit-toresquement assise au bord d’un grand fleuve, il termina Bon Carlos, entreprit le Visionnaire et composa les scènes inachevées du Misanthrope. Un amour illégitime affligea cette époque de sa vie. Mme Caroline de Wolzogen cherche à pallier ce fait : suivant elle, il fut victime d’une mère astucieuse, qui voulait employer son nom déjà célèbre à mettre sa fille en relief, pour lui attirer de plus riches prétendants. Mais l’objet véritable de sa passion était une de ses belles auditrices: un chant douloureux nous l’atteste. Il fallut qu’on lui prêtât main forte contre les émotions violentes auxquelles son courage succombait. Il finit par briser ces liens, et courut chercher le repos à Weimar. C’était en 1787. Gœthe songeait alors au milieu des ruines italiennes. Wieland fut le premier qui tendit les bras au pauvre naufragé: il lui ouvrit les colonnes du Mercure allemand. Un voyage. que Schiller fit quelques mois après, l’entraîna dans une nouvelle passion. Il renoua connaissance avec la famille Lengefeld, qui habitait Rudolstadt et lui avait jadis rendu visite à Manheim. Là il s’éprit de la gracieuse et intelligente Charlotte, dont la sœur aînée nous a transmis beaucoup de renseignements sur l’auteur de Guillaume Tell. Leur vie intérieure composait un charmant tableau. Les deux jeunes filles lisaient ardemment les poètes, et s’égaraient avec eux dans ce monde éblouissant que leur dérobaient les vertes montagnes de la Franconie. Gœthe et Rousseau étaient leurs dieux domestiques. Ainsi préparées aux sublimes élans de Schiller, on ne doit pas s’étonner que l’une d’elles ait répondu à son affection. Durant dix-huit mois, ils gardèrent chacun leur secret. Une heureuse circonstance mit enfin leur réserve en défaut, et le même aveu se rencontra sur leur bouche; ils jurèrent d’unir leur existence. Depuis le commencement de 1789, Schiller professait l’histoire à Iéna. Mais ses honoraires étaient incertains. Ils pouvaient augmenter ou diminuer selon le nombre de ses auditeurs. Pour songer au mariage, il attendit que le duc voulût bien lui accorder un traitement fixe. Cet obstacle n’ajourna pas’longtemps ses désirs; le 20 février 1790 ses espérances se réalisèrent. Mais l’ironique pouvoir, qui brouille les affaires humaines, compensa bientôt sa joie par une douleur. La même année, de violentes souffrances lui labourèrent la poitrine, et les médecins découvrirent tous les symptômes de la pulmonie. Les leçons d’histoire le fatiguaient horriblement; elles l’auraient tué sans un secours inattendu, qui vint l’en affranchir. Le prince héréditaire de Holstein-Augustenburg et le comte de Schimmelmann lui offrirent une pension de 1,000 thalers (5,750 fr.) à toucher pendant trois années. La lettre admirablement délicate, par laquelle ils le conjuraient d’accepter cette réparation que lui devait la fortune, leur gagna ce noble cœur. Il voulut aller passer dans leur voisinage les loisirs si nécessaires, dont leur libéralité lui assurait la jouissance. Mais le climat ne le lui permit point. Un voyage en Souabe améliora au contraire sa santé. Quand il fut de retour, il se lia plus intimement avec Gœthe. Ils se communiquèrent leurs idées théoriques et découvrirent qu’ils étaient arrivés au même but par des routes enlièrement différentes. Un système prouvait l’autre d’une manière nouvelle pour tous deux. Cette coïncidence fonda leur amitié ; elle les encouragea mutuellement et redoubla leur activité littéraire. L’exaltation de Schiller remuait le génie tranquille de Gœthe et celui-ci fixait les yeux de son compagnon sur la réalité, qu’il avait jusqu’alors vue très imparfaitement. Wallenstein, Marie-Stuart, la Fiancée de Messine, la Pucelle d’Orléans, Guillaume Tell, ses ballades, ses principaux ouvrages esthétiques furent écrits durant l’intervalle écoulé entre cette adoption fraternelle et sa mort. Elle arriva le 9 mai 1805. Le jour qu’il rendit le dernier soupir, Mme de Wolzogen lui demanda comment il se trouvait : « Toujours mieux, répondit-il, toujours plus calme. » Ensuite la parole lui manqua. Il fil ouvrir les rideaux et contempla le soleil couchant. Une douce joie brillait dans son regard ; il semblait envoyer ses adieux à cette merveilleuse nature, qui l’avait si fréquemment inspiré. Vers trois heures du matin, sa femme s’agenouilla près de son lit ; elle crut sentir qu’il lui serrait la main et vil sa figure se contracter. Il ferma ensuite les yeux et parut goûter le plus profond sommeil. En effet, il venait de s’endormir pour toujours.

Son convoi fut simple et solennel comme sa vie. Douze jeunes gens le portèrent à la lueur des flambeaux vers son dernier gîte. Celait par une belle nuit de mai. La lune, cachée derrière les nuages, éclairait doucement la procession funèbre. Sur la route, les vergers secouaient leur neige et leurs parfums. Jamais, raconte sa belle-sœur, je n’entendis les rossignols chauler aussi longuement et d’une voix aussi pleine. Lorsqu’on atteignit la fosse, les vapeurs se déchirèrent; l’astre nocturne apparut dans toute sa grâce mélancolique, et ses rayons illuminèrent le cercueil. On eût dit que la nature voulait rendre ses adieux au poète.

Schiller laissa quatre enfants. Sa petite maison a été vendue. Un propriétaire sans intelligence en a banni tous les souvenirs du grand homme. J’ai vu le lit sur lequel il expira: il gisait parmi des ustensiles rouillés, des boîtes difformes et des planches vermoulues. On négligeait un meuble sans apparence que ne distingue ni le bois, ni le travail: quelque jour cette relique touchante allumera le foyer de l’acquéreur. Ah ! petite maison aux persiennes vertes, combien tu m’as réjoui! combien tu m’as attristé !

Schiller était grand, svelte, d’une tournure quelque peu militaire. Il avait la figure couverte de taches et les cheveux roux, comme Sylla, Wallenstein et le duc de Guise. Son regard devenait brillant, quand il parlait. Dans les circonstances ordinaires il exprimait une douce mélancolie et semblait dirigé vers l’intérieur plutôt que vers le dehors. Son sourire était plein de grâce; ses mouvements, de noblesse; sa joie, de naïveté. Le buste de Dannecker le montre sous l’aspect héroïque; la gravure de Blanchard au point de vue élégiaque.