Fortlage. — Psychologie fondée sur la spéculation et l’expérience

Fortlage : Beitrage sur Psychologie als Wissenschaft aus Speculation und Erfahrung. (Contribution à l’étude de la Psychologie, comme science fondée sur la spéculation et l’expérience) Leipzig. Brockhaus, 1875.

L’auteur est connu en Allemagne par diverses publications au nombre desquelles nous mentionnerons un Système de psychologie comme science empirique fondée sur l’observation du sens intime, qui a paru il y a une vingtaine d’années et dont le livre qui nous occupe est la suite et le complément. Fortlage se donne lui-même comme disciple de Jean Fichte et de Beneke. Ses deux maîtres représentent deux tendances très-opposées. L’idéalisme subjectif du premier est bien connu. Quant à Beneke, dont personne en France n’a parlé, à notre connaissance du moins, il représente un moment assez important dans l’histoire de la psychologie empirique en Allemagne : il a spécialement étudié les lois de l’association.

La tendance de Fichte (spéculation) et celle de Beneke (empirisme) se retrouvent en effet dans leur disciple, et de la juxtaposition de ces deux éléments résulte une psychologie à caractère mixte, qui ne dédaigne pas les faits, mais qui ne se débarrasse pas de la métaphysique.

Le nouvel ouvrage de Fortlage ne forme pas un tout systématique : c’est un recueil de monographies (au nombre de 36). Rien ne nous paraît mieux approprié à l’état actuel de la psychologie que ce genre de travaux ; malheureusement nous n’avons pas trouvé, dans la plupart de ces essais, ce que nous cherchions.

Pour en donner quelques exemples : Quoi de plus séduisant que ces titres ? « Du caractère de la psychologie nouvelle. » — « Du rapport de la psychologie avec la science naturelle. » Or, sur la première question, l’auteur ne nous donne guère qu’un exposé historique restreint à l’Allemagne seule. Il part de Jean Fichte, dont la Doctrine de la science est, dit-il, le point de départ de la psychologie nouvelle. C’est là une assertion surprenante. L’auteur lui-même en convient tout en essayant de la confirmer. Il traverse Schelling, Hegel, Schopenhauer, pour arriver à Herbart, Beneke et Lotze. Quant aux contemporains — aux vrais contemporains — il n’en dit rien. Il ne mentionne aucun des travaux faits hors d’Allemagne : l’école psychologique anglaise est tout entière passée sous silence. Mais sans parler des étrangers et sans sortir de l’Allemagne, il semble que l’auteur a justement oublié ceux qui pouvaient, parmi ses compatriotes, lui fournir les meilleurs types de la nouvelle psychologie. De plus, cet exposé historique ne permet pas de saisir le caractère fondamental de cette « neue Psychologie » dont il est si souvent question dans Wundt, Horwicz, Brentano, etc., et qui signifie une psychologie sans métaphysique.

Évidemment, la méthode éclectique de l’auteur qui veut à la fois des faits et de la spéculation en dehors des faits, l’a embarrassé. Et il en est de même pour son essai sur les rapports de la psychologie avec les sciences naturelles, dont il est impossible de tirer quelques vues nettes.

Au contraire dans les questions qui, par leur nature, peuvent échapper à cette méthode en partie double, M. Fortlage met à contribution les travaux scientifiques et en fait bon usage. Tels sont en particulier les essais sur les perceptions musicales. Nous signalerons aussi l’essai 12e, « Sur les formes psychiques fondamentales de l’animalité. » L’auteur les étudie chez l’homme et les diverses races humaines, chez les mammifères, les oiseaux, les amphibies et les poissons, puis chez les invertébrés.

Les dernières parties de l’ouvrage sont consacrées à des questions d’un ordre purement spéculatif : sur l’intuition à priori du temps et de l’espace, sur la définition de l’âme et du moi, sur l’immortalité, etc. Bref, suivant l’expression de Fortlage, c’est une psychologie spéculative d’après les principes de la Doctrine de la science. La conclusion ne contient rien de bien neuf. Elle consiste en considérations sur la nature de l’homme qui appartient à deux mondes, celui de la nécessité et celui de la liberté. Mais elle ne nous dit pas comment on peut, à juste titre, confondre deux choses aussi disparates que des questions de fait et d’expérience et des spéculations transcendantes sur l’essence et l’immortalité.

Actuellement, après ce qui a été fait en psychologie durant ces dernières années, il faut ou bien procéder scientifiquement, s’en tenir à l’étude des faits tout seuls, ce qui est déjà une lourde tâche — ou bien se faire résolument métaphysicien, c’est-à-dire n’emprunter à l’expérience que ce qui est conforme au système qu’on soutient et propre à lui donner un semblant d’appui. Entre la psychologie naturelle et la psychologie métaphysique, il faut choisir.

Th. Ribot.