Fors l’Honneur
Revue des Deux Mondes4e période, tome 126 (p. 519-546).
FORS L’HONNEUR


I

Un petit mitron blanc qui se carrait, sa manne en tête, devant la porte du quartier, ne se rangea pas assez vite, comme la jument de Louvreuil sortait. Elle était peureuse, et fit un violent écart. Son cavalier la ramena frémissante, mâchant le mors, en un pas de danse relevé.

Du coup, la jolie pâtissière de la rue Grande, Mme Quenette, surgit, avec son sourire de commande, ses yeux noirs et ses robes légères, dans l’esprit du capitaine : association d’idée fortuite, d’ailleurs, et qui le laissa parfaitement calme. Si, comme tous les officiers du 27e chasseurs à cheval, il trouvait Mme Quenette appétissante, sous la poudre de riz qui duvetait ses joues et faisait penser au sucre saupoudrant ses gâteaux, c’était en tout bien tout honneur, et pour ce plaisir désintéressé qu’inspire la vue d’un minois frais.

— Psst ! Louvreuil !

Du trottoir, un de ses camarades, le marquis d’Yèbles, le hélait, sanglé d’un complet clair et prêt à monter dans un boghey attelé d’un poney d’Irlande, que maintenait un groom en livrée et bottes à revers.

— Tu suivras le rallye, Olivier?

Louvreuil fit un signe affirmatif.

— Tu monteras ton anglaise?

Nouveau signe de tête. D’Yèbles se grattait l’oreille, perplexe. Ses yeux vifs, des yeux d’enfant drôles et fous, animaient ses traits fripés de viveur. — Je vais à la gare, chercher ma femme. Elle vient déjeuner avec moi, en garçon. Veux-tu en être?

Louvreuil esquissa un geste laconique :

— Regrets. Je suis retenu.

— Et, fit l’autre, tu ne veux toujours pas me la vendre, ta rosse ?

— Celle-ci? dit Louvreuil, qui entendait fort bien, et qui appuya sa main droite sur la croupe de l’alezane.

Le marquis haussa les épaules : la jument d’armes que montait Louvreuil appartenait à l’Etat, mais sa jument de dressage, Lady Keats, un pur sang admirable, était sa chose et valait, même au delà, les deux cents louis que d’Yèbles en offrait.

— Allons, à deux cent cinquante ?

— Non, dit Louvreuil. Bonjour. Présente mes respects à la marquise.

D’Yèbles, boudeur, lui tourna le dos, puis avec une rage de vieux gamin, sauta dans le boghey, d’où il se pencha pour lui montrer le poing. Louvreuil s’éloignait au trot. Les rues de Fontainebleau étaient vides, et les fers d’Annette claquaient sur les pavés.

En passant devant le château, il songea à celui de Versailles. Il regretta de n’avoir pas obtenu cette garnison, à son retour du Dahomey. Il réservait sa prédilection à cette ville, pour son parc magistral, l’exquis Trianon, les noirs hôtels, les avenues désertes, tout le charme funéraire et l’odeur du passé. Il aimait les meubles rares, les bibelots qu’on découvre chez les brocanteurs. S’il avait accepté Fontainebleau, c’est parce qu’avec ses villas entourées de jardins, son château et sa merveilleuse forêt, cette petite ville gardait un reste d’apparat royal, et le silence qui convient aux grands souvenirs.

Ce silence, à la vérité, était souvent coupé par les salves d’artillerie du champ de tir qui, en ce moment même, faisaient pointer les oreilles d’Annette. Mais Louvreuil habitué, n’entendait plus. Il rendit le salut à deux officiers de l’École d’application qui venaient de descendre de cheval, crottés jusqu’au haut des bottes.

Leur uniforme noir, la boue qui les maculait, et un coup de canon plus fort, qu’apporta une bouffée de vent, il n’en fallut pas plus pour lui évoquer un paysage tout autre. Il chevaucha en pleine expédition du Dahomey. Ce jour-là, on passait sur la rive droite de l’Ouémé, à hauteur de Gybédé. Il revoyait, à l’attaque du gué de Tohwé, dans le combat d’artillerie où seize pièces Krupp ennemies tonnaient, son ami, le lieutenant Laflaux, boueux et jaune de fièvre, qui se multipliait, courant d’une pièce à l’autre. jusqu’au moment où un éclat d’obus lui défonçait la poitrine, je soir, à l’ambulance où il s’éteignit, quelle expression inoubliable sur ce visage de terre, dans ces yeux démesurés, en l’eau fixe et glacée desquels sombrait une tristesse infinie!...

Pauvre petit lieutenant Laflaux! Pouah! Un tel souvenir lui remit en bouche toute l’amertume de la quinine dont il se saturait, en ce temps-là, et il crut sentir à son dos la moiteur des horribles suées. Etait-il donc là-bas, en proie à l’étouffante chaleur, aux fatigues, à la soif, au prurit affreux des insectes? Mais non, une allée de sable s’ouvrait à lui, hors la ville, à l’entrée de la forêt. Des verts exquis et jeunes, des feuillages de mai rafraîchissaient ses yeux. Justement une ondée légère tomba, et respirant d’aise, il regarda la poussière d’eau qui emperlait son dolman bleu de ciel, les raies de pluie qui s’irisaient, à travers le soleil. Il se ressaisit, reconnut ce coquet pays d’Ile-de-France, dans lequel il était revenu quelques mois auparavant blessé, capitaine et décoré. Il était bien lui-même, Olivier-Luc, vicomte de Louvreuil, dans la force et la santé de ses trente ans, riche de plus, et heureux... sans doute?

Heureux? Pauvre petit Laflaux!... Non, certainement, il ne vendrait pas Lady Keats !... Et il pensa au déjeuner auquel l’avait invité sa vieille amie, la générale Viot. Sportswoman enragée, elle assisterait certainement au rallye que les officiers du 27e offraient, à quatre heures, aux artilleurs et à des invités des environs. — Heureux? Ce mot, qu’il éludait, le poursuivait d’une interrogation tenace, et attendait une réponse. Mais il se méfia des souvenirs qu’éveillait cette idée : c’était sa vie entière qu’il lui eût fallu remuer. Il eut peur; et mordant soucieusement sa moustache, il prit le galop et piqua vers un mur, dont les pierres s’éboulaient, entre les arbres.

Il s’arrêta devant l’arceau écussonné d’un portail de pierre, entre la grille duquel on apercevait un coin de pelouse, une statue de Diane lépreuse, en marbre. Un pavillon de chasse Louis XV, au rose mangé de lierre, s’élevait derrière une rangée d’ifs, sous de très grands chênes, que reflétait une allée d’eau. Il habitait là, par goût des vieilles demeures, malgré l’humidité qu’exhalait ce coin de parc séculaire, où l’eau feuille-morte, la verdure d’un éclat foncé, se nimbaient d’une vapeur, au crépuscule.

L’ordonnance accourue lui tint la bride.

— On vient d’apporter cette lettre, mon capitaine.

C’était un petit Breton à la figure de papier mâché, aux yeux rouges. Il avait appris la veille la mort de sa promise, une fille de Plogastel. Tout le jour, il avait fait bonne contenance, étrillant, brossant et frottant avec rage. Mais la nuit venue, il avait été sangloter tout à son aise dans l’écurie, auprès des chevaux. Louvreuil, qui l’y avait trouvé, arrêta sur lui un regard de bonté, que l’autre esquiva gauchement.

La lettre, scellée d’un cachet de cire, portait, sous un tortil de baron, la devise : Tout droit! Louvreuil y lut ces mots, sabrés par la grande écriture violette de la générale :


Château de Thoir.

Mon cher enfant, ne venez pas déjeuner. Mme de Nesmes est arrivée cette nuit, à l’improviste. Elle se repose et en a grand besoin. Je ne sais si je pourrai aller au rallye. En tout cas, nous comptons absolument sur vous pour dîner. Excusez ce griffonnage.


GERMAINE VIOT.


Il resta immobile de surprise, relut la lettre. Elle le pénétrait de ce malaise, mêlé d’appréhension, qui accompagne un imprévu saisissant.

Comment, pourquoi Mme de Nesmes, qu’il savait à deux cents lieues de là, voyageant en Italie avec son mari, arrivait-elle seule et subitement, de nuit? Ce besoin de repos, cet on ne sait quoi qui sentait la fuite et le refuge, qu’est-ce que cela signifiait? Serait-elle malheureuse? Mais il la croyait toute au bonheur d’aimer et d’être aimée? Des doutes poignans l’agitèrent. Il était si loin de s’attendre à cette résurrection du passé, — de ce passé si douloureux pour lui qu’il s’interdisait stoïquement d’y penser !

Se pouvait-il vraiment que Mme de Nesmes fût ici, à trois quarts d’heure à peine de distance, couchée dans un des grands lits à quenouille d’une vieille chambre du château de Thoir? Il se représentait, attendri, sa douce figure sur l’oreiller, dans le flot pâle des cheveux, ouvrant au réveil ses yeux de violette, si suavement cernés d’ombre. Il s’imaginait la voir levée, haute et mince en une robe élégante, mais simple, telle qu’elle serait ce soir. Ce soir?... Quoi? Il la verrait, il lui parlerait! Des ondes de pensée vibrantes, comme des cercles d’eau frappée par une pierre, s’élargissaient dans son âme, à l’infini.

Son trouble était si grand, que, s’étant machinalement dirigé vers le pavillon, il se trouva, sans savoir comment, dans son cabinet de travail. Un meuble vénitien à damier, une glace arabe, une pendule Bohême, l’ensemble vieillot et rare des objets qui l’entouraient frappa sa vue, mais leur intimité s’était évanouie. Ils lui parurent nouveaux, étrangers. Les connaissait-il auparavant? De même, l’harmonie intérieure de son être était détruite. Il se cherchait en vain, dépossédé. La vision blanche de la jeune femme s’était fondue en lui; et son cœur en était plein, jusqu’à déborder.

Des possibilités étranges, des chances irréalisables, tout un romanesque refoulé par l’expérience des choses, jaillirent, en traits de feu, dans son cerveau. Il entrevit, une seconde, tel concours d’événemens qui lui permettrait d’émerger avec Elle, couple enlacé, dans la lumière, hors du noir souterrain où les retenaient captifs, et séparés, les méchans génies de la vie. Mais non, jamais elle ne pourrait être à lui. Le rêver seulement était absurde, il le savait bien! Pourquoi l’avait-il connue?

Il revécut le passé, sous le ciel d’outremer, à Blidah. Des milliers d’orangers répandaient dans la plaine leur souffle entêtant, si fort qu’il faisait défaillir les femmes, les soirs de sirocco, et qu’il grisait les pâtres, sur la montagne. Cette mer de verdure roulait en ses vagues une écume de fleurs; et il en sortait un charme ensorcelant, qui laissait au souvenir une indicible nostalgie. Il revit le mystérieux parc, invisible derrière des murs et défendu par des chiens, la maison mauresque close comme un tombeau, sans fenêtres ni jours que quelques judas grillés. Là vivait Mme de Nesmes.

Elle s’appelait alors Mme Osborne, du nom de son premier mari, le consul d’Angleterre, qu’on venait de remplacer, à la suite d’accès d’exaltation. Il la tenait recluse, en ce jardin qu’il vouait bizarrement au rose, si bien que l’on n’y voyait que bosquets de lauriers-roses, parterres de roses, œillets, chrysanthèmes et orchidées roses. Une autre de ses manies était sa meute de slouguis sauvages, et une centaine de volières juchées dans des arbres, où des tourterelles roucoulaient, en battant des ailes. Leur chant monotone se mariait tout le jour au gémissement triste des lévriers. Du dehors, il semblait que le jardin enchanté soupirât et se plaignît. Plus d’une fois, lorsque Louvreuil s’approchait à cheval des murs hérissés de verre et barbelés d’agaves épineux, cette lamentation d’une douceur et d’une mélancolie sans égale l’avait gagné aux larmes, et pénétré d’une langueur telle qu’il se sentait presque l’envie de mourir. Il faut convenir qu’il était fort malheureux, et sans espoir. Il adorait la jeune femme, depuis qu’elle lui était apparue, au palais d’Alger, sur la fin d’un bal, semblable à un grand lys, avec ses épaules blanches sortant d’un fourreau de soie vert tendre. Un point ancien brodait sur son corsage une toile d’araignée d’argent. Des diamans mouillaient ses oreilles et son cou de leurs gouttes de rosée. Elle l’avait surpris, de son éclat limpide, mais inquiété aussi, par son charme si frêle que, d’instinct, il éprouvait l’envie de la plaindre et le désir de la protéger. Il s’enquérait aussitôt d’elle : on la tenait pour irréprochable. Son mari, hercule roux et osseux dont des tics nerveux traversaient le visage, passait pour la faire souffrir, à force d’humeur noire et fantasque. Galant homme, au demeurant, et fort riche. Mme Viot était de leur intimité. Elle avait connu Mme Osborne jeune fille, et la voyait tous les jours, durant cet hiver qu’elle était venue passer à Alger, tandis que le général inspectait les trois provinces. Elle présentait Louvreuil à son amie. Il valsait avec elle, causait toute la soirée et se retirait sous le charme. Le lendemain, les jours suivans, il la revoyait, chaque fois plus épris. Il n’avait pas aimé jusqu’à ce jour, il était timide, silencieux, d’une pudeur mâle et sévère : sa passion n’en devait couver que plus ardente. Mme Viot, qui n’avait pas tardé à deviner son mal, essayait de le guérir en lui disant :

— N’espérez rien! Si Hélène n’aimait pas son mari, ce que j’ignore, elle serait du moins gardée par le respect qu’elle a d’elle-même. En admettant qu’elle ne fût pas heureuse avec cet homme, soyez sûr qu’elle lui resterait fidèle et ne consentirait jamais à une séparation. Mettons les choses au pis, s’il venait à mourir et qu’elle pût songer à se remarier, il n’y aurait qu’une personne qui eût gardé quelques chances, je ne dis pas quelques droits, sur son cœur. Ce n’est pas vous, mon pauvre Louvreuil!

Pressée, suppliée de dire ce qu’elle savait, elle ajoutait :

— Elle a été fiancée autrefois avec Henri de Nesmes, le fils du ministre de l’Empire. Ils étaient cousins, mais les parens se sont brouillés, et adieu le mariage! Pendant trois ans, elle n’a voulu entendre à aucun parti; puis, trompée par sa mère qui profita de quelques légèretés du jeune homme pour le calomnier cruellement, elle s’est résignée, sur les instances de son père vieux et mourant, à épouser M. Osborne. Depuis, M. de Nesmes a quitté l’Europe et voyage, sur son yacht, dans l’océan Pacifique; il hivernait l’an dernier à Tahiti. Elle ne prononce jamais son nom et, selon toute apparence, le tient pour mort. Mais le cas échéant, ce rival disparu n’en serait pas moins redoutable, fort qu’il apparaîtrait du passé, des chagrins soufferts, du prestige inoubliable du premier amour. Vous ne l’évincerez pas, ni personne. Ainsi, mon bon ami, tâchez de ne plus penser à elle. Vous n’y gagneriez rien, et elle ne peut qu’y perdre. D’abord, elle restera vertueuse, mais son mari est jaloux, et homme à la molester, brutalement même. Pesez cela!

Ces paroles l’accablaient, et il se sentait à la fois irrité et honteux. Il cessait ses visites, ne venait plus que rarement à Alger, se faisait même détacher à Laghouat, y restait six mois, en plein désert. De retour à Blidah, la première femme qu’il apercevait était Mme Osborne, trottant aux côtés de son mari, sur un syrien éclatant comme la neige. Il apprit qu’ils habitaient aux portes de la ville, l’ex-consul ayant acheté la propriété du fameux chef révolté Môkrani, qu’on tenait là en surveillance, avec ses femmes et ses serviteurs, et qui venait de mourir. Louvreuil fut repris, tout entier.

A l’idée qu’il pourrait l’entrevoir presque chaque jour, sa joie fut immense, et douloureuse comme ce qui est excessif. Une déception l’attendait, l’accueil glacial de M. Osborne barrant l’entrée de son home d’une main raide, qui, en se dégageant, repoussait d’une façon significative. Il n’invita point Louvreuil à dîner, après une ou deux visites lui ferma sa porte. Bien plus, il profitait d’un deuil survenu pour se soustraire à toute obligation mondaine; il ne paraissait plus en ville, ni sa femme. Louvreuil fut au désespoir. Que devenait-elle, ainsi emprisonnée? Comment parvenir jusqu’à elle? La générale Viot était rentrée en France; il la prévint, mais que pouvait-elle? Des mois s’écoulèrent, et des bruits singuliers filtraient à travers les murs de la propriété mystérieuse : le consul devenait chaque jour plus maniaque, il effrayait ceux qui l’approchaient, vivait des semaines reclus dans une chambre obscure, ne se nourrissant que d’herbes crues. Louvreuil, très inquiet, écrivait plusieurs fois à Mme Osborne, mettait son dévouement à ses pieds. Jamais une réponse ne lui en revint, et il ne savait s’il devait l’admirer ou la prendre en pitié ; certains jours il la détestait. Si encore il lui eût déclaré son amour, elle aurait pu garder un silence de mépris, mais jamais il n’avait cessé de se montrer le plus respectueux, le plus humble des amis déterminés à la servir. Il songea à prévenir les parens qu’elle pouvait avoir, car enfin, avec ce fou, ne courait-elle pas de grands dangers? Mais sa famille était éteinte, elle restait seule et sans appui. Son culte en redoubla, il fit des folies pour s’introduire auprès d’elle, n’y réussit pas. Il allait perdre la tête quand un malheur arriva. M. Osborne, dans un transport de fièvre chaude, se précipita nu, du haut de la maison, sur le faisceau de glaives et de scies d’un énorme buisson d’aloès ; il s’y lacéra et s’y déchiqueta si profondément qu’on eut le plus grand mal à l’en retirer. Son corps n’était qu’une plaie; il mourut trois heures après. Louvreuil parvint alors à voir Mme Osborne, à laquelle les dames de Blidah présentaient leurs condoléances. Il eut peine à la reconnaître, tant elle était changée.

En de telles circonstances, comment se déclarer? Une délicatesse le retint; d’ailleurs que d’empêchemens : rien que la difficulté de lui parler seul à seul ! Elle annonça son retour en France ; ce fut seulement la veille de ce départ, dans le petit salon blanc aux incrustations d’ébène et de nacre où elle recevait, qu’assis devant elle, sur un fauteuil si bas qu’il était presque à ses genoux, il trouva les mots graves et attendris par lesquels il lui livrait, éperdument, son cœur. Elle l’écoutait avec une sorte d’angoisse douce et souffrante, des yeux de grande pitié; mais elle n’eut pas l’embarras de répondre : une visite survint. Le lendemain, elle était partie.

Alors commencèrent des mois vraiment cruels : l’attente, l’espoir, le doute, mille craintes consumaient Louvreuil. Il n’avait plus de goût à rien. Il errait pendant des heures à cheval dans la campagne, et ne manquait jamais de passer devant la maison mauresque et le parc rose, où les tourterelles et les lévriers ne gémissaient plus. Blidah lui devint odieux. Il se sentit oppressé par la montagne qui écrase la petite ville. Les plâtras hideux des maisons, les pieds nus d’une populace crasseuse, l’odeur d’absinthe et de laine arabe qu’exhalent les rues, tout l’écœura. Il envoyait à Mme Viot des lettres suppliantes, si exaltées qu’elle le crut fou. Elle s’entremettait pour lui, cependant, mais sans confiance, car Henri de Nesmes était revenu à Paris, et Mme Osborne l’avait revu. S’étaient-ils expliqués, avaient-ils déploré le malentendu qui avait brisé leur jeunesse, songeaient-ils à le réparer en demandant à l’avenir le bonheur auquel ils avaient droit ? Mme Viot garda le secret des doutes ou des certitudes qu’elle put avoir, à ce sujet. Mais Louvreuil, dont l’impatience devenait torture, entra chez elle, un soir, en coup de vent. Il avait obtenu une permission, pris le bateau et le rapide. Il arrivait, affamé de savoir et pressentant un malheur. Elle ne put lui cacher la vérité : il eut un accès de fièvre alarmant, des transports de fureur et de jalousie, puis éclata en sanglots d’enfant. Mme Osborne, en apprenant ce désespoir, fut touchée; avec une noblesse qui devait l’honorer toute sa vie, et dont Louvreuil fut pénétré, elle se résolut à le voir et à lui parler : l’entretien eut lieu chez Mme Viot. Hélène Osborne s’y montra loyale et haute, elle confessa combien l’amour de Louvreuil la touchait. Elle n’y était nullement insensible, et peut-être qu’en d’autres circonstances... mais elle ne s’estimait pas libre. D’anciens engagemens, qui primaient tout, la liaient. M. de Nesmes n’ayant jamais cessé de l’aimer, et revendiquant les droits du passé, elle devait à leur honneur mutuel, elle se devait à elle-même de consentir à l’épouser. Pourtant, l’idée que Louvreuil resterait malheureux à cause d’elle, lui gâterait la vie. Aussi le pressait-elle de surmonter la violence de ses sentimens, d’être son ami, rien que son ami, et le meilleur qu’elle pût avoir. Il répondit à cette franchise par l’abnégation d’un soldat. Il la remercia, protestant qu’il formait des vœux pour son bonheur; il serait au-dessus de ses forces de la revoir mariée, mais il l’aimerait de loin sans avoir rien à se reprocher. Il prit respectueusement congé d’elle et partit pour le Sénégal. Au fond, il espérait l’oublier, ou mourir. Pendant deux ans, les fièvres l’épargnèrent, puis l’expédition du Dahomey s’ouvrit à propos. Mais voilà qu’il en revenait sauf, et que le souvenir de Mme de Nesmes engourdi, mais vivant, lui faisait toujours mal, comme une blessure non fermée.

Une petite secousse l’avait rouverte !


II

De nombreux équipages stationnaient autour de la Croix du Grand-Veneur. C’était un remuant assemblage d’officiers en uniformes clairs ou sombres, de dames en toilettes gaies, d’élégans portant une fleur à la boutonnière. La fanfare des artilleurs venait d’apparaître, sonnant une marche allègre. Des ondées légères alternaient avec des coups de soleil. Le comte de Coinchant, colonel du 27e chasseurs, évoluait au milieu des groupes; à son côté, sa fille, une frêle et nerveuse amazone, répondait aux saints; ils montaient des chevaux parfaitement mis. On regardait fort la jeune fille.

L’arrivée de Louvreuil, sur Lady Keats, fut remarquée. Il ne faisait qu’un avec elle, et la maniait avec une grâce souple et forte. Sans être beau, il frappait l’attention ; son teint pâle donnait un vif éclat à ses yeux noirs : son expression était habituellement grave, toute de bonté, un peu ironique parfois. En ce moment, il avait grand air, et plus d’un l’enviait, ne fût-ce que comme excellent écuyer. Il conduisait sa bête d’un fil; haute et svelte, courbant sa fine tête cavecée de more, elle s’avançait d’un pas bondissant et rythmé, la bouche blanche d’écume, sa robe en soie marron huilée d’or, aux épaules. Il salua des dames, serra la main de camarades. Ses regards cherchaient, impatiemment, Mme Viot. On l’avait vue galoper dans une allée. Il s’y porta d’un bond.

Elle ne tarda pas à lui apparaître, haut campée sur une jument mecklembourgeoise. Grande et robuste, elle avait les yeux beaux et francs, les cheveux gris, du duvet aux lèvres, ce qui lui constituait un charme viril et une dignité militaire.

— Bonjour, Louvreuil, fit-elle en s’arrêtant court, et elle le dévisageait avec une assurance affectueuse, où perçait un peu de malice. Vous voilà bien intrigué, n’est-ce pas?

Le geste qu’il ébaucha fut équivoque. Il ne voulait pas être ému, ni laisser paraître la curiosité qui l’agitait.

— Vous ne verrez pas notre amie au rallye, dit-elle. Elle n’a pas voulu y venir. Rassurez-vous cependant, elle n’est pas malade. La preuve, c’est que je suis ici. D’ailleurs, ma sœur lui tient compagnie. Hélène a un grand chagrin, pourquoi vous en faire mystère? Son mari... Quels yeux vous me faites ! Cela dure donc toujours, mon pauvre ami?

Il écrasa un taon, dont la piqûre au sang faisait courir des frissons sur la peau fine de Lady Keats, puis il regarda la générale et sourit, en silence. Elle reconnut ce sourire, familier à Louvreuil, sourire fier d’homme qui souffre et brave son mal.

— Allons, reprit-elle, je ne pourrai rien vous dire. Voilà qu’on vient! En deux mots, Hélène a surpris son mari en faute; rien de grave, j’en suis persuadée : une légèreté, un caprice ; n’importe ! c’est mal ! Pour une comtesse italienne, séduisante et dévergondée... Une lettre, ouverte par mégarde, a tout appris à la pauvre femme. Elle s’est affolée, est partie de Milan sans prévenir personne. Son mari, en rentrant au palais Ricci, aura constaté sa disparition. Quelle nuit il a dû passer ! Comme punition, c’est dur, quoique, avouez-le, bien mérité ! Heureusement, je lui ai télégraphié ce matin l’arrivée de sa femme chez moi. Elle ne voulait pas. Je ne doute pas qu’il n’accoure, demain ou après, humilié et repentant. Si elle m’en croit, elle pardonnera. On pardonne toujours !

Louvreuil contempla l’excellente femme. Mariée à un viveur bon enfant, mais terriblement égoïste, qui l’avait à moitié ruinée et trompée autant qu’il était possible, elle avait si souvent pardonné ! Il répondit, le sourcil froncé :

— Je souhaite qu’il en aille ainsi. Mais Mme de Nesmes a commis une grave imprudence.

Loin de partager l’espoir de la générale, il redoutait que le mari, de dépit, ne transformât en liaison durable ce qui aurait pu être, sans cela, un engoûment passager. Qui sait de quoi pouvait le rendre capable son amour-propre ulcéré par la fuite de sa femme? D’ailleurs, cette fuite laissait le champ libre à la séduction de l’Italienne. Plus il y pensait, plus Mme de Nesmes avait agi comme une enfant. Et cela l’étonnait, de sa part.

« Pourtant, se disait-il, elle connaît la vie ! » Mais la pitié l’emporta sur son mécontentement. Il en voulut à Mme Viot de l’avoir abandonnée à elle-même, cet après-midi. L’envie folle le mordit de se dérober au rallye, de courir au château, de la surprendre : il la gronderait, il lui dirait... — Impossible ! L’incorrection d’un tel acte, et son absence qui serait signalée ! Cependant un vieux monsieur à cheval, la rosette rouge au veston, les avait joints; il parut étonné et bredouilla :

— On va sonner le départ. Monsieur court, sans doute?

Louvreuil n’eut que le temps de saluer et de rejoindre le peloton des officiers. Son camarade Guéneuc, un long capitaine jaune et triste, lui vint botte à botte.

— Nous serons saucés, fit-il en regardant le ciel où couraient des nuées. — Il souffrait du foie et voyait tout au pire.

— Bah ! fit Louvreuil.

— Attention ! dit Guéneuc.

Une vive attente régnait. Des dames se dressaient en pied, dans leur voiture ; d’autres fermaient leurs ombrelles. Mlle de Coinchant, en tête des coureurs, retenait son cheval qui s’enlevait. La fanfare éclata, sonna le bien-aller. Deux officiers, qui avaient tracé le parcours, s’élancèrent sur un obstacle. Tout le reste suivit au galop, le long d’allées vertes que jalonnaient, de loin en loin, les petits papiers. Un carrefour éparpilla les cavaliers ; diverses voies jonchées de blanc s’ouvraient, dépistant le courre. Ceux qui tenaient la bonne piste crièrent : — Vol ce l’est ! — Les autres, rebroussant en hâte la mauvaise, crièrent : — Au retour ! — Et le rallye reprit son train ardent, sautant les fossés, les troncs d’arbres, glissant par bois et taillis, débouchant des avenues, plongeant aux ravins avec des arrêts subits, pendant lesquels les chevaux haletaient ; sur quoi l’on repartait, à la charge.

Louvreuil, un peu grisé, courait comme on vole en rêve. La pensée de Mme de Nesmes ne le quittait pas, mais tout ce qu’il rapportait à elle, craintes, préoccupations, espoir, était haché par le galop et fouetté par le vent ! Ah ! s’il avait pu l’emporter, couchée sur l’arçon, complices éperdus que poursuivait ce martèlement de fers sonores ! Hallucination magique et puérile ! Hop ! ils passeraient ce saut de loup ! Hop ! cette haie ! Des branches mouillées le cinglèrent au visage, des épines d’acacias l’égratignèrent : la sensation lui en fut acre et délicieuse. De grandes masses vertes fuyaient en sens inverse ; du regard, il emportait au vol le lacis d’un feuillage, le vert et or d’un sous-bois, l’écorce blanche d’un bouleau. Lady Keats l’enlevait d’un galop fluide, presque impalpable entre ses jambes, si excitée qu’il lui fallait la contenir, de force.

— Sales racines ! grogna derrière lui la voix de Guéneuc : bonnes pour se casser la…

Il employa un mot énergique, tandis que son cheval buttait, rudement relevé, sur les serpens de bois qui sillonnent le sable, autour des pins. Louvreuil entendit des acclamations, aperçut des spectateurs massés au passage du rallye, sous les tilleuls qui enclosent le Cabinet de Monseigneur. Des soldats venaient d’allumer une jonchée de paille, un cordon de feu que Mlle de Coinchant franchissait, intrépide. D’autres chevaux se dérobèrent. Lady Keats sauta très haut, saluée d’applaudissemens. Il la caressa ; mais comme il y prenait plaisir, il se représenta la tristesse de Mme de Nesmes, errant sous les grands arbres du parc de Thoir, le long des eaux dormantes. Que pensait-elle, en cet instant? Combien elle devait se sentir seule ! L’impuissance où il était à rien faire pour elle lui noya le cœur d’amertume. S’arrêtant au bas d’un talus, il mit pied à terre, pour rajuster la gourmette du mors qui s’était défaite. Des artilleurs au grand trot passèrent ; l’un d’eux lui cria quelque chose, ils disparurent. Il était en plein bois de pins, dans un jour sombre qui rendait blafards les os des rochers gris rongés de mousse. Le soleil venait de s’éclipser, un vent frais soufflait et glaçait son corps en moiteur. Un corbeau s’envola du sol jonché d’aiguilles roussâtres. Le silence pesait. Une tristesse infinie saisit son cœur. Elle venait de l’aspect des choses et du fond de lui-même. Il jugea la vie mauvaise, le monde mal fait ; l’inutilité de tout lui apparut.

« Les hommes sont vils! » murmura-t-il. Et il détesta M. de Nesmes, qu’il ne connaissait pas, après avoir haï cordialement M. Osborne ; mais aussitôt, il se prit en pitié : « Valait-il mieux, lui qui convoitait la femme d’autrui? » Son dégrisement fut tel, après cette ivresse de la course, que le dégoût de vivre lui monta aux lèvres. Mourir d’une balle, ou s’enferrer sur les baïonnettes : on ne souffre plus, au moins !... Mais Lady Keats effrayée s’ébroua, les naseaux frémissans, ses larges yeux noirs montrant le blanc. Louvreuil baissa les yeux : un lien vivant s’entortillait à sa jambe ; il reconnut une vipère rouge et la trancha, d’un coup de stick, sur le cuir de sa botte. Cela s’était passé en un éclair, il dégagea son pied de l’étreinte molle et grouillante, qui lui faisait horreur, et broya la tête du reptile. Après quoi, une chaleur courut le long de son dos, et il s’éloigna vivement. L’odeur des pins lui sembla suave, le péril disparu lui laissait une sensation singulière : il percevait la vie avec une intensité extrême. Remis en selle, il se lança sur les traces qui lui marquaient le chemin.

Lady Keats filait en flèche. Le sol de sable, amolli par les ondées, rendait son galop plus moelleux. Louvreuil, qu’un sûr instinct guidait, ne se fourvoya point. Des clameurs lointaines, apportées par le vent, le guidèrent vers la Mare aux Évées. Il força l’allure. Tout à coup des voix cornèrent à son oreille : — Vol ce l’est! Vol ce l’est! — et dans un hourvari de meute, toute la cavalcade déboucha.

Un rayon de soleil oblique éclairait les visages. Il distingua le jeune Colson’s, lieutenant à son escadron, qui, les yeux hors de la tête, aboyait d’une voix rauque et joyeuse : — Ouap! ouap ! — Le petit prince d’Eylau, frêle et blond, serré dans son dolman comme dans un corset, galopait en jockey, debout sur les étriers, penché sur la tête de son cheval qu’il feignait, par bouffonnerie, de fouailler à tour de bras.

D’un élan, Louvreuil mena la course. Des allées s’enchevêtrèrent : on était pris dans cette toile d’araignée qui entoure les Évées, et qui sillonne de chaussées fermes un dédale de canaux moisis. La Mare apparut, toute ronde, avec son eau triste et ses joncs, son pourtour seigneurial de grands arbres. Trois pistes s’offraient. Mlle de Coinchant, qu’un groupe escortait, tendit sa cravache en avant. Le reste du rallye prit à gauche. Seuls Louvreuil et Colson’s, qui aboyait toujours, empaumèrent la voie. Bientôt ils entendirent les cris désappointés d’Au retour! et des galops essoufflés derrière eux. Mais déjà Louvreuil avait aperçu l’obstacle final, un drap blanc tendu sur une corde, sous une guirlande de feuilles. Il pointa dessus et sauta. Des bravos l’accueillirent, des cris : il se trouvait au milieu des voitures et des spectateurs qui guettaient l’arrivée. La fanfare du 27e chasseurs sonnait l’hallali. Il reconnut des visages, on le félicitait, des mains se tendaient vers la sienne ; et sous un pavillon de toile où un lunch attendait, la jolie pâtissière. Mme Quenette, haussée sur la pointe des pieds, la main en abat-jour devant les yeux, le regardait en souriant.

Dès ce moment Louvreuil, dans la courte ivresse du succès, cessa de s’appartenir. Il devenait l’homme de la circonstance. Des soldats s’élançaient à la bride des chevaux, on avait mis pied à terre. Mlle de Coinchant, qu’on entourait fort, s’écria en le désignant :

— Mais je ne suis arrivée que troisième. Voici le vainqueur!

Elle s’approcha de Lady Keats et la caressa, tandis que le marquis d’Yèbles, qui contemplait l’alezane avec convoitise, montrait du doigt les taches blanches qui cerclaient ses pieds de bête fine et récitait flatteusement :

Balzanes trois,
Cheval de rois !

— Ah! dit Mlle de Coinchant, je ne connaissais pas ce dicton.

D’Yèbles continua :

Balzanes quatre,
Cheval pour se battre !

— Et quand il n’y en a que deux?

Il déclara :

Balzanes deux,
Cheval de gueux!

Ce qui fit rire. On interrompit Louvreuil, en train de saluer Mme d’Yèbles, pour le mener en triomphe vers la tente du lunch. La comtesse Meursol, qui distribuait les récompenses, lui remit un flot de rubans et se montra très aimable, ainsi que son mari. Sénateur, ancien ministre, accablé d’ans et d’honneurs, il ne négligeait aucune occasion de plaire ; sa main molle et grasse soupesait, sans la lâcher, celle du jeune homme. Un brouhaha discret s’élevait. Des bouchons de Champagne partirent : on toasta.

— Vous avez bien chaud! dit une voix maternelle, comme Louvreuil vidait d’un trait une coupe de tisane frappée. — Il se retourna vers Mme Viot, et la suivit hors de la tente. Elle paraissait pensive.

— Mon cher enfant, dit-elle, je suis une égoïste. Je m’amuse alors que notre amie... Cependant ma présence ici a un avantage : c’est qu’on ne soupçonne pas sa fuite et son arrivée chez moi. Je n’en ai soufflé mot. A quoi bon faire jaser? Tandis que, son mari présent, et il ne peut tarder...

— Souhaitons-le, dit Louvreuil sans conviction.

Inattendue, une valse de Strauss, sur des violons tziganes, éclata. La secousse fut électrique, et l’on resta saisi, devant l’apparition de grands diables basanés et crépus, en redingotes rouges, dont les archets possédés déchaînaient la fièvre et la torpeur, la folie amoureuse, le rire sanglotant. Cette sauterie improvisée était une galanterie de M. de Coinchant, qui avait fait venir en secret cette troupe alors fameuse, et dont Paris raffolait. Des mains s’unirent, des couples s’enlacèrent. A l’écart, des officiers étaient vivement leurs éperons. Les chevaux qu’on promenait fumans s’arrêtèrent, regardant étonnés. Le soleil se couchait, derrière la forêt mouillée; le ciel était d’orange clair, et l’air, pur et vif, embaumait.

Mme Viot et Louvreuil s’étaient regardés, fascinés, sous le charme des violons stridens et agiles. Elle rougit légèrement, sa jeunesse remontait dans son regard; lui se sentait grisé, tout d’un coup. Il écarta les bras, elle ramena sa jupe, et ils se mirent à valser. Ils tournèrent avec vigueur, un long moment, sans pouvoir s’expliquer, quand Mme Viot étourdie s’arrêta, pourquoi ils avaient cédé à cet irrésistible élan. Elle semblait confuse, mais satisfaite.

— Allez faire danser les jeunes femmes, dit-elle : moi, je rentre.

Elle fit un geste. Un domestique qui tenait en main deux chevaux s’avança.

— Je vais vous mettre en selle, dit Louvreuil. Il lui présenta ses mains en étrier, la souleva. Cette fois, elle pesait lourd.

— A tout à l’heure, dit-elle.

Elle prit le galop; le laquais la suivait à distance. Louvreuil alla prier d’un tour de valse la comtesse Meursol, puis il dansa avec Mlle de Coinchant. Dès qu’il put, il s’éclipsa, rentra sur Lady Keats à Fontainebleau. Il changea de vêtemens, fit atteler sa charrette anglaise, et, au trot léger d’une ponette, franchit les trois lieues qui conduisent, par la forêt, au château de Thoir.


III

Louvreuil le connaissait bien. Il aurait pu dessiner de mémoire le haut portail, la grande pelouse flanquée de pavillons en briques, le pont sur douve, la cour pavée, le corps de logis avec deux ailes, dont une seule, celle de droite, était inhabitée; il se serait, les yeux fermés, promené dans le parc, au long des allées de sable côtoyant des eaux engourdies. Pourquoi l’apparition du château, se découpant en teintes roses et passées sur le ciel vert du crépuscule, l’eût-elle surpris? Elle le frappa pourtant avec une intensité étrange. Rien n’avait changé, et tout lui semblait insolite et nouveau. L’angoisse obscure le pénétra, qu’on a d’entrer dans l’inconnu.

Le roulement faible de la charrette, conduite aux écuries, troublait seul le silence. Il était plus grand qu’à l’ordinaire, et Louvreuil s’étonna que la cour fût si vaste à traverser. Il dut s’arrêter dans l’antichambre. Son cœur battait trop fort. Un valet de chambre lui ouvrit la porte du salon. A peine entré, il aperçut Mme de Nesmes au fond, toute droite. Il la regarda fixement et marcha sur elle. Grande, pâle, les cheveux en broussaille d’or, belle d’un éclat de fièvre et les yeux surhumains, elle l’attirait si fort, et par l’aimant d’un charme si douloureux et si irrésistible, qu’il faillit l’étreindre et l’emporter, d’un coup de folie. Elle lut cela à son visage et eut peur. Mais déjà, incliné très bas, il lui prenait respectueusement la main et la lui baisait, avec une ferveur prolongée, qui la toucha. Ils se regardèrent alors en essayant de sourire, mais en vain, et il se fit en eux un silence trouble, dont il savoura la délicieuse amertume.

— Je suis heureuse de vous revoir, murmura-t-elle enfin.

Sa voix frêle et délicate dissipa la torpeur qui les gagnait. Louvreuil entrevit l’abîme qui le séparait de Mme de Nesmes ; elle lui apparut lointaine, inaccessible. Sa robe et les bagues qu’elle portait, ses cheveux tordus d’une certaine façon, un imperceptible changement dans tout l’air de sa personne, la montraient façonnée à une autre vie et marquée par la possession d’un maître. Il balbutia :

— Je mets à vos pieds, madame, le respectueux attachement d’un ami bien humble, mais tout fervent

Elle pencha la tête en disant très bas :

— Merci !

Un petit pli tirait ses lèvres; elle s’était assise, en portant la main sur ses yeux. Louvreuil fut bouleversé de voir qu’elle pleurait. Pareille à une morte, tant elle était blanche et rigide, les larmes claires coulaient lentement, sur ses joues. Il la croyait plus forte, l’ayant vue à l’épreuve, sachant de quelle résistance nerveuse elle était capable. Tant de faiblesse l’anéantit; lui qui avait vu massacrer des hommes ne pouvait souffrir qu’un enfant sanglotât. Sa volonté défaillit; il murmura, dans une grande pitié :

— Oh ! ne pleurez pas ! Si vous saviez quel mal cela me fait de vous voir pleurer !

Elle secoua faiblement la tête, ses larmes coulèrent plus fort entre ses doigts. Pour qu’elle s’abandonnât ainsi devant lui, sans résistance ni fierté, vaincue par la méchanceté de la vie, il fallait bien qu’elle eût le cœur brisé. Une telle pensée le jeta hors de lui-même, et comme une situation aussi extrême passait par-dessus les convenances, il ne put résister à son attendrissement, et saisissant les frêles mains mouillées qui s’obstinaient à cacher ce pauvre visage :

— Que puis-je faire pour que vous ne pleuriez pas ainsi? Je vous en prie, ayez du courage! Vous n’êtes entourée que d’amis...

Inutilité, impuissance des meilleures paroles! Du moins, il les disait avec cœur. Jamais il ne s’était senti plus près d’elle; il lui semblait tenir dans ses mains, au contact des mains de Mme de Nesmes, toute la douleur frémissante de la jeune femme. Quelques secondes auparavant, l’hypocrisie du monde les forçait à se taire, à présent il pouvait lui parler en ami; et ce miracle, les larmes l’avaient opéré : conventions, préjugés, leur flot sincère emportait tout!

— Mon Dieu! disait-il, est-ce ainsi que je devais vous retrouver? Que de vœux j’avais faits pour votre bonheur! De loin, je pensais : « Elle est heureuse ! » et cette conviction me consolait dans mon exil. Parfois même, je vous le reprochais, ce grand bonheur. N’être rien pour vous me désespérait. Je remâchais mes souvenirs comme une chose amère. Et il y avait des jours de combat où je me demandais : « A quoi bon vivre? » Alors, j’appelais les balles en éperonnant mon cheval. Je vous revois pourtant, et je douterais de cette étrange joie si je ne vous voyais pleurer... Brusquement il se tut. Le son de sa voix, bien que contenu, venait de l’effrayer. Quel droit avait-il à la consoler? Qui lui permettait de lui ressasser son amour, comme un homme indélicat? A l’idée qu’elle le subissait, il eut un affreux serrement de cœur, fut à mille lieues d’elle et du moment présent, crut voir un abîme s’ouvrir.

— Ne vous ai-je pas offensée? murmura-t-il. La passion rend égoïste. Je vous parle de mes peines et je ne devrais songer qu’aux vôtres.

— Oh! fit-elle, les miennes...

Il la contemplait ardemment. Craignant que quelqu’un entrât, il s’était éloigné.

— Vous qui êtes loyal, dit-elle, vous qui tenez la parole donnée...

Elle ne put achever, le désespoir la transfigura.

— Ah! fit Louvreuil, il faut être lâche, pour vous faire souffrir ainsi! Et je ne puis pas même vous défendre! ajouta-t-il en fermant les poings.

Elle lui jeta un regard indéfinissable. Tout à coup, dans le silence, tinta l’heure grêle d’une vieille pendule. Ils se regardaient troublés. Une toux discrète se fit entendre et la tenture se souleva. Mlle Hermine entra.

C’était la sœur de Mme Viot. Petite, les cheveux poudrés à blanc, la figure à la fois jeune et vieille, les yeux d’un bleu aigu, le sourire profond, elle avait le charme des êtres qui ont beaucoup souffert et qui compriment une vie intense. Elle annonça que sa sœur allait descendre : elle était en train de donner ses soins au général, qu’une violente attaque de goutte retenait au lit. Il ne pourrait dîner avec eux, ce dont il était si fâché qu’il s’était mis en fureur contre son mal ; les accès en redoublaient, et il fallait le gronder ensuite, comme un enfant. Une levrette frileuse avait suivi l’excellente dame, elle vint poser sa tête mince sur les genoux de Mme de Nesmes. Cette caresse la réveilla, et elle quitta le salon, afin de se rafraîchir les yeux et le visage. Le jour était tombé, une clarté glauque mourait aux vitres. On apportait les lampes.

Louvreuil dit :

— Je suis peiné de savoir le général aussi souffrant. Si j’avais pu le prévoir, je n’aurais pas accepté de venir dîner.

— Et pourquoi donc? demanda Mlle Hermine avec une pointe de malice affectueuse. Trois pauvres femmes, dont deux vieilles, vous font-elles peur? Il est vrai que nous ne serons pas très gaies, raison de plus pour que vous nous apportiez quelque réconfort.

— Ah! mademoiselle, le sentiment de mon impuissance me navre, dit Louvreuil à mi-voix. Que suis-je ici? Un étranger. Seuls, des cœurs de femme peuvent compatir avec assez de délicatesse à la douleur de celle qui est venue se réfugier auprès de vous.

Mlle Hermine hocha la tête en le regardant avec bonté :

— Ses nerfs sont bien ébranlés, cet affreux voyage l’a achevée. La conduite de M. de Nesmes a été inqualifiable; il n’en est pas moins fâcheux qu’elle se soit enfuie de la sorte, au lieu de tenir tête à l’orage. Ou je me trompe, ou son mari aura grand mal à se faire pardonner.

— Cependant, dit Louvreuil avec une tristesse un peu amère, il est peu de femmes aussi hautes et aussi généreuses qu’elle. Tout ce qu’elle a souffert du vivant de M. Osborne...

— Oui, dit la vieille demoiselle assez finement; mais là, elle pouvait se raidir, elle n’aimait pas cet homme. Songez au contraire à tout ce que lui apportait M. de Nesmes, le rachat du passé, le bonheur présent et à venir. Sa faute, dans ces conditions, est plus qu’une trahison, c’est une banqueroute.

— Que compte-t-elle faire?

Elle leva les yeux au plafond, puis elle dit :

— Notre situation est bien délicate, nous ne sommes rien à Mme Hélène, que des amies. Comment la protéger d’une manière efficace? Elle n’a plus de famille. Ma sœur, du reste, par un optimisme que je n’ose partager, conclut à l’indulgence et au pardon. Elle affirme que M. de Nesmes, repentant, va arriver d’un instant à l’autre.

Louvreuil fit un geste de réserve, l’air hautain. Ne devait-il pas se désintéresser de ces choses? Et il pensa : « C’est absurde : qu’est-ce que je fais ici? » Mais pouvait-il s’en aller? Les grands yeux désespérés de Mme de Nesmes le retinrent. Il voulait la revoir, sans espérer rien. Il demanda :

— Ne pourrai-je saluer le général?

— Oui, fit Mlle Hermine, il vous a demandé. Je pense qu’on peut monter chez lui en ce moment.

Elle le précéda dans les corridors, au long d’un escalier. La levrette les suivait en poussant des jappemens plaintifs. On distinguait, par de larges fenêtres, le parc, la belle symétrie des parterres : c’était, dans l’ombre, un décor confus et solennel. Les pas légers de Mlle Hermine et le frôlement de sa robe aux murs, faisaient un petit bruit de feuille morte. Louvreuil ressentait une appréhension de mystère, et une douleur sourde lui élançait, comme on en sent dans les rêves.

Une porte s’ouvrit sur un salon éclairé. Mlle Hermine s’était glissée par une seconde porte d’où filtrait un trait de lumière. Aussitôt le général Viot, de son lit, cria avec force : — Entrez, Louvreuil, mon ami!

Il était assis sur son séant, les bras et les mains emmaillotés de ouate, les jambes étendues, sous le drap, dans une gaine de ouate. Il avait ainsi l’apparence d’un poupon monstrueux, et il remuait des yeux féroces, la face pourpre et contractée, le nez à cheval sur une grosse moustache grise qu’il mâchonnait continuellement. Une odeur de laudanum traînait. Mme Viot sourit à Louvreuil, et le général maugréa :

— Pas moyen de vous serrer la main, ma femme va me faire manger à la becquée. Et on me gronde, avec cela!

Il était resté tard, la veille, sous les arbres, au bord des eaux vaseuses. Le château, entouré de douves, était plein de rhumatismes; Mlle Hermine en savait quelque chose.

— Asseyez-vous là, près de moi. Et le général contempla Louvreuil paternellement. Fâcheuse histoire, hein, mon enfant? La pauvre femme n’a pas de chance. Croyez-vous qu’elle n’aurait pas mieux fait de vous épouser?

Il détestait Henri de Nesmes, sans raison, ou à cause de sa partialité pour Louvreuil.

— Bien, bien, ajouta-t-il de sa voix forte, en répondant à un mouvement de sa femme, ce qui est fait est fait. Mektoub! C’est écrit! comme disent les Arabes. Cependant voilà une femme belle, bonne, de tout point charmante, qui use ses yeux à pleurer, parce qu’il a plu à ce monsieur de lui préférer je ne sais quelle drôlesse. Ah! si j’étais à sa place, je le recevrais d’une jolie façon!

Louvreuil baissa la tête ; il n’aurait pas voulu rencontrer le regard de Mme Viot, tant il lui semblait étrange et douloureusement plaisant que ce vieux soldat, qui avait plus besoin d’indulgence que personne, se montrât inexorable pour une faute qu’il avait tant de fois commise, allègrement. On grattait à la porte; une femme de chambre entra, présentant une dépêche. Mme Viot, à qui elle était adressée, l’ouvrit. Tous les regards, instinctivement, s’étaient portés sur elle. Laissant voir quelque émotion, elle dit :

— M. de Nesmes arrivera demain matin.

Elle relut la dépêche, et répéta :

— Demain matin, à sept heures.

Tant de célérité la surprenait, quoiqu’elle en fût bien aise. Il avait dû partir quelques heures après sa femme. Mais comment la savait-il à Thoir? Il n’avait pas même reçu la dépêche envoyée par Mme Viot. Hasard ou divination, elle regardait cet indice comme extrêmement heureux. Ne l’avait-elle pas prévu?

— Heureux? grommela le général, je n’en sais rien ! Qui a bu boira. Il la fera souffrir. Parlez-moi d’un bon divorce! Son geste lui arracha un gémissement, il en fut irrité et cria :

— Après tout, je m’en lave les mains!

Et entreprenant Louvreuil, qui n’était guère à la conversation, il parla du rallye, de chasses à l’autruche dans le Sahara, reprit de vieux souvenirs, qu’il avait contés cent fois. Le jeune homme approuvait de la tête, sans entendre. Il se disait :

« En ce moment, Mme de Nesmes tient en ses mains la dépêche de son mari. Est-ce la joie qu’elle éprouve? est-ce un redoublement d’angoisse? Se pourrait-il que cet homme, en un instant, lui fût devenu odieux? Mais non, elle pardonnera! »

Et plus il y pensait, moins il savait à quelle certitude se fixer. En vain essayait-il de se ressaisir, et d’arrêter un plan de conduite, la rapidité des événemens l’entraînait dans un tourbillon. Ce qu’il perçut nettement, c’est à quel point ces choses se passaient en dehors de lui; et il était partagé entre l’envie de se mêler au débat, âprement, et la conscience qu’il n’en devait être que le témoin impartial, et stoïque. Mais le moyen de raisonner, quand son cœur bouillonnait avec violence? Ainsi le mari arrivait, s’interposant une seconde fois entre Mme de Nesmes et lui ! Il le maudit, le voua à la mort : un accident, une rencontre de trains! — ou bien, il le tuait en duel. Un étouffement lui serra la gorge. Que faisait-il dans cette chambre? Pourquoi Mme Viot était-elle auprès de la jeune femme, et non lui? Toujours les conventions et leur despotique mensonge ! Comme elle avait pleuré, d’une façon humble et touchante ! Il en fut remué aux larmes, et, se rappelant la vipère qui avait voulu le mordre dans la forêt, et qu’il avait broyée, il vit là un présage fâcheux, sans s’expliquer pourquoi; sans nul doute, cela finirait tristement pour lui.

Un domestique apportant une petite table toute servie, et Mme Viot qui rentra, le délivrèrent du général. Il se leva par discrétion, et en effet le malade eût éprouvé quelque embarras, à prendre la becquée devant lui.

— Au salon, n’est-ce pas, mon bon Louvreuil, dit Mme Viot. Je ne vous ferai pas trop attendre.

Il sortit. Dans le corridor, le parc, vu des fenêtres, était noir. Une lueur de veilleuse éclairait l’escalier, et de nouveaux couloirs à portes closes. L’une d’elles s’ouvrit, silencieusement. Sur un fond de clarté pauvre, due à deux bougies qui brûlaient sur la cheminée de la chambre. Mme de Nesmes se détachait, avec un visage et un corps d’ombre. Ses yeux seuls brillaient extraordinairement. A la vue de Louvreuil, elle recula, et lui, mû par une force irrésistible, passa le seuil. Elle reculait toujours, il entra, fermant la porte derrière lui ; et ils se regardaient avec stupeur, pris de vertige. Un tremblement la saisit, elle joignit les mains pour l’écarter :

— Que faites-vous, voulez-vous me perdre? Ne restez pas ici!

Elle avait la voix altérée et l’air fou. Elle dit :

— Ah ! mon Dieu, vous savez bien... C’est trop souffrir! Ayez pitié!

Et à son extrême saisissement, elle se laissa aller sur lui, mais sans défaillir. Au contact de son corps tiède, de ses bras qu’elle lui nouait aux épaules, il comprit qu’elle se cramponnait comme quelqu’un qui se noie. A demi pâmée, elle montrait une face très pâle, la bouche entr’ouverte et les yeux clos. Il baisa ces paupières fermées, avec une ivresse torturante, tandis qu’elle se renversait, ployant son grand corps de liane. Les yeux obscurs palpitaient sous ses lèvres, et il aurait voulu mourir en ce moment.

La raison lui revint enfin, et il s’arracha d’elle. Tout un passé d’honneur, se dressant, lui barrait l’abîme où il avait failli rouler. Il repoussait, avec une sorte de terreur sacrée, l’homme nouveau qui venait d’agir en lui, et qu’il ne soupçonnait pas. Elle, meurtrie de sa caresse, le dévisageait avec cet égarement qu’on a, au sortir d’un songe, devant une réalité terrible.

On frappa à la porte, doucement, puis plus fort. Mme de Nesmes lui jeta un regard éperdu. Il courut aux flambeaux et les souffla, en disant tout bas :

— Allez, mais allez donc!

La porte s’ouvrit. Caché derrière les rideaux du lit, il reconnut la voix de Mlle Hermine, à laquelle Mme de Nesmes répondait, d’un ton qu’elle s’efforçait de rendre naturel :

— Je viens d’éteindre, je sortais.

Elles s’éloignèrent toutes deux, la porte refermée. Louvreuil, dans le noir, tâtonnait; il heurta un meuble et eut honte. Retenant son souffle, pareil à un voleur, il se glissa dehors, après un moment d’écoutes. Il eut soin de rentrer dans le salon par le jardin, en jetant une cigarette, allumée tout exprès. Il ne regarda pas Mme de Nesmes, de peur de trouver à son visage une expression d’adultère.


IV

Le dîner s’achevait sans bruit. La nappe étincelante paraissait triste, avec ses pyramides de fruits dédaignés, ses carafes presque pleines. Une corbeille de muguets exhalait un parfum doux à écœurer; on dut l’enlever, au milieu d’un silence.

Quand on passa au salon, Mlle Hermine disposa une table à jeu; elle faisait, chaque soir, des patiences jusqu’à neuf heures, Mme Viot et Mme de Nesmes se tenaient à l’autre bout de la pièce. On avait questionné Louvreuil sur sa campagne du Dahomey, sur sa blessure, une balle qui lui avait labouré la jambe. Il s’était efforcé de soutenir la conversation, mais parler de soi lui coûtait et sa contrainte était visible. Il s’approcha de la porte-fenêtre.

— Vous pouvez ouvrir, dit Mme Viot, qui ne respirait bien qu’au grand air.

Il ouvrit. Une odeur d’herbes, de fleurs et de feuilles embaumait la nuit, et il se répandait une fraîcheur d’eau dormante. La lune pâle, inondant le ciel, ruisselait sur les pelouses couleur de cendre: on distinguait des roses à leur clarté morte. Une avenue d’eau luisait, comme un long miroir.

— Si nous sortions ? proposa Mme Viot.

Ayant sonné, elle fit apporter à son amie une mante, ne prenant pour elle-même qu’une dentelle, autour du cou.

— Donnez votre bras à Mme de Nesmes, dit-elle, il y a dans le parc des marches où l’on peut tomber.

Mais ce fut son bras, à elle, que Mme de Nesmes saisit, avec une grâce aimante qui faisait excuser sa préférence. Louvreuil avait été frappé par l’accent de bonté de Mme Viot : voulait-elle lui donner une de ces pauvres petites compensations qui touchent un cœur délicat? Hélène à son bras, cette promenade dans l’ombre, n’était-ce pas la douceur d’un répit accordé à l’inexorable de la vie, qui allait les séparer tout à l’heure? Il y fut sensible, en dépit de l’irritation que lui causait la façon simplifiée et bourgeoise dont la générale tranchait la cruelle situation de son amie : pourquoi, en effet, escomptait-elle aussi délibérément la réconciliation des époux? Et si une telle douleur ne se pouvait guérir?

La certitude lui en vint presque, à contempler la démarche de la jeune femme. Elle s’appuyait sur le bras robuste qui la soutenait, à la fois souple et lente, pareille à une ombre lasse. Pourquoi n’avait-elle pas accepté son bras? Par pudeur? Était-ce donc la crainte de se livrer à lui en un tremblement involontaire, en un frôlement d’aveu, ou, toute au remords d’un instant de faiblesse, qu’elle détestait, voulait-elle oublier à jamais cet instant, et lui-même? Comment lire en cette âme bouleversée? Tout à l’heure, s’était-elle jetée de désespoir entre ses bras, telle une enfant perdue, qui réclame la pitié protectrice d’un ami, d’un frère? Plutôt, n’avait-elle pas été contrainte à cet irrépressible élan par l’amour secret qu’elle refoulait, qu’elle ignorait peut-être? L’amour!...

À ce mot, quelque chose de profond descendit en lui. La nuit, le parc trempé de lune, et cette femme qui le précédait sans bruit, tout lui parut prendre un sens nouveau, subtil et vaste. Il se sentit léger comme l’air, plein d’une force immense. Son désir le soulevait au-dessus de lui-même. Ah ! se fondre en elle, et donner sa vie!

« Suis-je fou? se demanda-t-il. Est-ce que je rêve? Mais non, c’est bien vrai que je l’ai tenue sous mes lèvres. Allons, c’est impossible! Quelle impasse! Je ne puis vouloir la déshonorer. Tant qu’elle est à un autre, elle ne peut être à moi. Si je voulais pourtant!... Non, par respect pour mon amour même, je dois m’éloigner. Plus tard... »

Et il se dit, avec le puéril espoir d’obéir à sa ponctualité militaire :

« Dans une demi-heure, je partirai. »

Mais les deux femmes s’étaient arrêtées devant un massif. Mme de Nesmes courba une longue tige où fleurissait une énorme rose pâle, elle la fit respirer à Mme Viot et, se retournant vers Louvreuil :

— Sentez! dit-elle.

Il baisa la fleur, qu’elle laissa aller, en évitant son regard. Tout en lui redevint trouble. Il se dit :

« Il est impossible que je parte ainsi, je lui parlerai, il le faut! »

Le tablier blanc d’une servante fit tache dans l’obscurité. On venait chercher Mme Viot, de la part de son mari. Sachant qu’on se couchait de très bonne heure au château, et prétextant le repos dont Mme de Nesmes avait besoin, Louvreuil demanda sa voiture. Mme Viot céda alors à un sentiment généreux, mais imprudent. Elle souhaita le bonsoir au jeune homme, et le laissa en tête à tête avec Mme de Nesmes, en disant :

— C’est l’heure où la crise du pauvre général redouble ; s’il me réclame, c’est qu’il souffre beaucoup. Au cas où je ne pourrais redescendre avant votre départ, adieu, mon cher.

Sans doute, elle avait pensé que l’entretien serait court, et elle avait voulu laisser à Louvreuil cette joie de rester seul, quelques instans, avec la femme qu’il adorait. Elle ne voulut même pas qu’ils vinssent la reconduire, et s’en fut, de son grand pas. Ils la suivirent de loin; Mme de Nesmes avait froid, ou peur, car un frisson lui descendit des épaules.

Louvreuil, inquiet, murmura, très vite :

— Oh ! ne rentrons pas encore, n’est-ce pas? La nuit est si belle ; il y en a eu peu d’aussi belles. Cela sent bon l’eau, les feuilles. Si peu de temps me reste, et j’ai tant de choses à vous dire!

Elle avait hâté le pas, dans une panique. Il balbutia, suppliant :

— Songez que, dans quelques minutes, je serai aussi loin de votre vie que si je ne vous avais jamais revue. Accordez-moi cet instant : après, je serai bien malheureux.

Elle ne put s’empêcher de ralentir le pas, une marche la fit trébucher, il la soutint vivement, et comme elle avait étouffé un petit cri, anxieux il demanda :

— Vous vous êtes fait mal ?

Elle répondit :

— Je me suis tordu un peu le pied.

Un banc de pierre brillait, il dit :

— Reposez-vous.

Et il la força doucement à s’asseoir. Elle tremblait. Il fit mine de se placer auprès d’elle, elle se leva pour lui échapper, il la retint :

— Que craignez-vous? Ne sentez-vous pas que vous ne devez pas avoir peur de moi ! Comme votre cœur bat ! Vous souffrez ! Que je voudrais !… Regardez-moi, je vous en supplie ; vos beaux yeux si doux, si bons… Pourquoi désespérer ? Ah ! quelle misère !

Une angoisse lui tordait le cœur, il craignit d’éclater en sanglots :

— J’aimais tant ma souffrance, mon exil, ma vie brisée, oui, j’en puis jurer, j’aimais tant ma peine, parce qu’elle m’apparaissait comme la rançon de votre bonheur ! J’y croyais amèrement, mais joyeusement, à ce bonheur, et s’il pouvait renaître, je l’appellerais de toute mon âme : Vous-même, ne le croyez-vous plus possible?

Il demandait cela en toute sincérité, en toute abnégation ; mais aussitôt, le soupçon lui vint que Mme de Nesmes aimait encore son mari, malgré l’outrage reçu. A l’idée qu’elle attendait convulsivement l’homme qui la suppliciait, ce qui se passa en lui fut inconcevable ; il fut pris de la rage de la torturer et de se torturer :

— C’est une étrange vérité, dit-il, qu’on peut être heureux dans l’extrême douleur. Souffrir injustement exalte le cœur, et quelle ivresse de pardonner en immolant son orgueil ! D’ailleurs, quand on aime encore, tout est facile ! Cet homme vous aime, puisqu’il vous a suivie immédiatement, et vous l’aimez encore. Vous l’aimez encore !

Elle dit non de la tête, mais il eut la cruauté d’affirmer :

— Si ! je le vois dans vos yeux, dans votre attitude, à tout votre être !

— Taisez-vous! — Et elle se débattait, mais il lui tenait les mains, ses mains chaudes et palpitantes.

— Oui, fit-il âprement, vous l’aimez! Souffririez-vous autant, si vous ne l’aimiez plus ? L’amour est un lien terrible ; quand on veut le rompre, les nœuds entrent dans la chair. Je le sais, moi qui n’ai pu vous oublier. Pourquoi avez-vous connu cet homme? Qu’il est heureux! Je l’enviais d’avoir à lui votre sourire, je le hais depuis qu’il vous a fait pleurer. Mais vous l’aimez ! Je n’ai plus qu’à disparaître, et pour toujours! — Ah! pourquoi l’avez-vous connu? répéta-t-il douloureusement.

— Cessez, par pitié, dit-elle avec épouvante. Pourquoi me dites-vous cela? Pourquoi me torturez-vous, vous, le seul auquel je ne puisse confier... Mais vous ne voyez donc pas que je n’aime pas mon mari, que sa poursuite me fait horreur, vous ne comprenez pas... Mais comment pourriez-vous comprendre?... J’ai donc bien su garder le secret de mon bonheur !

Elle prononça ce mot d’un ton d’ironie si cruelle qu’il fut bouleversé :

— Parlez, je ne comprends pas.

Et cependant il avait peur de comprendre ; il pressentait une prestigieuse délivrance, vague encore.

— Depuis longtemps M. de Nesmes n’est plus un ami pour moi, dit-elle d’une voix indistincte. Ce n’est pas sa faute, ni ses fautes, si complètes, si outrageantes qu’elles soient, qui nous séparent, c’est un complet malentendu d’âmes. J’ai cru épouser un autre homme, le fiancé que j’avais aimé autrefois n’est pas lui. Je me suis trompée, tout est dit.

Une honte l’oppressa, elle hésitait; Louvreuil n’osait, pris de pudeur, encourager cette douloureuse confession.

— Je ne m’abaisserai pas à des reproches, reprit-elle. Je suis seule coupable, et seule victime de mes illusions. Sans doute, elles étaient bien ridicules ! Mon premier mariage m’avait rendue si malheureuse; une seule amitié m’avait soutenue. (Louvreuil lui serra les doigts.) Un seul souvenir m’était resté cher. (Il relâcha l’étreinte, jaloux.) — Une fois libre, vous vous êtes offert noblement à moi, mais le fantôme de ma jeunesse m’attirait, je suis allée à lui. Pardonnez-moi le mal que je vous ai fait alors. J’expie chèrement mes croyances romanesques. Celui que j’ai aimé et envers qui je croyais réparer une injustice, ne m’a pas longtemps su gré de l’affection que je lui apportais. Oh ! pourquoi vous dire ces tristes choses? Des liaisons indignes, une dissipation et des folies misérables, m’ont bientôt montré, dans l’être qui m’était si précieux, le pire des étrangers. J’aurais pu pardonner à la fougue d’un tempérament violent, mais M. de Nesmes n’a pas cette excuse. Il est froid, sec, pauvre d’âme et, j’en ai peur, un peu vil.

— Cependant, objecta Louvreuil atterré, son arrivée si prompte...

— J’ai encore une partie de ma fortune, dit-elle dédaigneusement, et mon mari, qui s’est ruiné, craint un divorce qui le laisserait sans ressources. — Ah ! fit Louvreuil, c’est affreux ! Mais pouvez-vous hésiter?... La liberté s’offre à vous ; nos amis les Viot doivent tout apprendre, ils vous assisteront!

Elle répondit avec une tristesse résignée :

— Mon parti est pris, je ne divorcerai pas. Je ne veux pas que notre nom soit mêlé à des scandales et livré à la malveillance publique. Cependant, je suis lasse d’une pareille existence, et si M. de Nesmes y consent, j’estime qu’une séparation à l’amiable sera profitable à tous deux.

Mais Louvreuil s’écria :

— Vous n’y pensez pas ! Quoi ! vous resteriez dans sa dépendance, vous ne seriez ni mariée ni veuve! Tous vos actes seraient épiés, votre vie traînerait languissante et empoisonnée! Non, non, dans ces cas-là, on recourt au chirurgien. Le divorce! On ne vit pas avec un membre gangrené, on l’ampute ! Mon Dieu ! murmura-t-il, aurez-vous assez souffert?... Et cet homme qui arrive, qui s’impose, et auquel je n’ai pas le droit de barrer le passage ! Mais vous connaissez-vous bien vous-même ? La révolte passée, la dépression venue, vous pardonnerez peut-être de nouveau? Cette pensée m’affole! Jurez-moi que vous ne l’aimez plus !

Elle répliqua :

— Vous me croyez donc bien vile ? Je ne suis pas de celles dont l’amour survit à l’estime.

— Ah ! soupira-t-il, plût à Dieu que vous m’estimiez alors un peu !

Elle fondit en larmes en disant :

— Je vous aime, et vous le savez bien.

Il la prit dans ses bras et la couvrit de baisers ; la secousse avait été trop soudaine, lui aussi pleurait.

— Mon Dieu, balbutia-t-il, est-ce vivre? Mon cher bonheur, pour avoir entendu ce mot, je ne regrette plus rien. Mais est-ce vrai, bien vrai? Oh! je vous aime, je vous aime!

Elle répondait :

— Vous seul saurez... C’est mal à moi, mais j’étouffais, et d’ailleurs c’est à vous, à vous... Ne me méprisez pas, si je vous ai montré mes plaies.

Il lui fermait la bouche de baisers :

— Ne regrettez rien, mon âme, je bénis cette minute où votre pauvre cœur s’est épanché.

Alors ils ne se dirent plus rien, mais se tinrent enlacés en pleurant.

Leur réveil fut affreux.

Quelques secondes avaient-elles suffi pour les faire passer de l’extrême félicité au comble de la misère? Autour d’eux, c’était la même nuit douce, le silence des pelouses et des eaux, le ruissellement argenté de l’astre. Ils se tenaient sur le banc de pierre pâle, et leurs ombres n’en faisaient qu’une. Louvreuil, le premier, revint à lui ; il murmura :

— Ce cauchemar ne peut durer.

Instamment, employant la persuasion et la prière, s’irritant aussi, il la pressa de reconquérir sa liberté, grâce au divorce. Mais elle ne l’écoutait pas. Sa face dans ses mains, éperdue de honte, elle se faisait aveugle et sourde. Comment Louvreuil la jugeait-il, à présent? Quoi, c’était elle, jusque-là blanche et irréprochable, qui venait de s’avilir en lui avouant son amour? Elle haïssait sa faiblesse, et le sentiment de sa faute était si grand qu’elle se croyait impardonnable. Elle venait de se livrer à lui par un égarement de cœur aussi irrémissible, aussi irréparable qu’un abandon total. C’était l’adultère consenti, sinon consommé. Elle n’avait pas même défendu son visage, ses yeux, sa bouche ! Tombée si bas, en un instant ! Elle qui jugeait si sévèrement l’homme dont elle portait le nom ! Quoi, s’être rendue indigne, même de cet homme! Pourrait-elle le regarder en face? Elle sauta au parti le plus désespéré.

— Emmenez-moi, supplia-t-elle, partons d’ici. Tout m’est odieux, mais vous ne m’aimez déjà plus. Est-il possible que vous m’aimiez encore?

Elle parlait dans la fièvre; Louvreuil s’affola, tout s’obscurcit en lui : son honneur d’homme, son devoir d’officier; il ne vit que cette femme malade à emporter et à guérir.

— Eh bien, fuyons, dit-il. Écoutez! Je vais faire semblant de partir, vous vous retirerez dans votre chambre. Elle donne sur le parc. J’attacherai le cheval dans le bois, et j’éteindrai les lanternes de la voiture. Je reviendrai gratter tout doucement à vos vitres. Vous m’ouvrirez.

Il se vit escaladant la fenêtre, sautant dans la chambre, il se représenta les meubles, le lit dans l’ombre : le crime aurait lieu, aussi vrai qu’il s’appelait Louvreuil. Il recula, fou d’horreur et de pitié. Il n’en pouvait douter, elle était à lui, désemparée, sans défense. Peut-être résisterait-elle, mais vaincue d’avance, elle ne le maudirait sans doute même pas. Un scélérat, à sa place, n’hésiterait guère. Après, il pourrait fuir, comme un voleur. Seul, la laissant déshonorée? A deux, pour affronter la vengeance du mari? Dans ce cas, il quitterait l’armée, enfouirait leur bonheur honteux dans une province, ou à l’étranger. — Allons, c’était de la démence! Il se raidit, serrant les dents de toutes ses forces. Non, il ne faillirait pas!

Un noir silence était tombé. Mme de Nesmes devina-t-elle ce qu’il éprouvait, ou avait-elle déjà pris le grand parti, très noble et très digne, par lequel elle devait expier hautement l’abandon de cet instant ? Elle passa les mains sur son front et dit, avec une touchante douceur :

— Pardonnez-moi, je suis un peu folle ce soir. Il faut oublier ce que nous venons de dire. J’ai été la seule coupable. Partez, je vous en prie. Il est tard, et l’on va venir vous chercher.

Elle fut sur le point de lui dire adieu, et de lui signifier qu’ils ne se reverraient jamais plus ; mais le cœur lui manqua, soit qu’elle eût pitié de lui, soit qu’elle n’eût plus la force de résister à de nouvelles instances. Mais elle venait de se jurer à elle-même, en un de ces éclairs où la conscience s’illumine, qu’elle ne devait plus s’exposer à revoir Louvreuil en face. Et se levant :

— Adieu, fit-elle, mon bien… bien cher ami !

Elle lui tendit la main. À ce moment, des pas crièrent dans l’allée. Louvreuil s’inclina en disant très haut :

— Adieu, madame.

Un domestique vint annoncer que la voiture attendait. Louvreuil en silence le suivit, puis feignant d’avoir oublié quelque chose, il retourna en hâte vers le banc où Mme de Nesmes restait assise, toute droite, immobile et glacée. Elle ne parut pas surprise de le voir et sourit sans lui parler. Il lui baisa éperdument les mains et se sauva.


V.

Le surlendemain, Louvreuil apprit par Mme Viot que Mme de Nesmes était partie avec son mari, réconciliés, en apparence. La générale semblait soucieuse. Avait-elle compris, plus clairvoyante qu’elle n’en avait l’air, le sacrifice par lequel son amie immolait son orgueil, son avenir et sa plus pure tendresse ? Quelle expiation plus haute en effet, pour une faute restée platonique, que ce refus de divorcer, le pardon accordé à M. de Nesmes, et la reprise d’une vie qu’elle savait être un calvaire ?

Louvreuil ne parut pas extrêmement affecté. Seulement, il mit ordre à ses affaires et retourna au Soudan. Ses camarades le regrettèrent, surtout le marquis d’Yèbles, auquel il donna Lady Keats.

Le capitaine de Louvreuil s’est fait tuer, sous les ordres du colonel Bonnier, à l’échauffourée de Tombouctou. Deux mois après, une fièvre typhoïde a enlevé M. de Nesmes, et sa femme est devenue libre.


PAUL MARGUERITTE