Fondements de la métaphysique des mœurs (trad. Barni)/Troisième section/a


Le concept de la liberté est la clef qui donne l’explication de l’autonomie de la volonté.


La volonté est ta causalité des êtres vivants, en tant qu’ils sont raisonnables, et la liberté serait la propriété qu’aurait cette causalité d’agir indépendamment de toute cause déterminante étrangère ; de même que la nécessité physique *[1] est la propriété qu’a la causalité de tous les êtres privés de raison d’être déterminée à l’action par l’influence de causes étrangères.

Cette définition de la liberté est négative, et par conséquent, elle ne nous en fait pas saisir l’essence, mais elle conduit aussi à un concept positif, et partant plus riche et plus fécond. Comme le concept d’une causalité implique celui de lois, d’après lesquelles quelque chose que nous nommons effet doit être produit par quelque chose que nous nommons cause, la liberté ne doit pas être exempte de toute loi, quoique ses lois ne soient pas celles de la nature ; au contraire elle doit être une causalité agissant d’après des lois immuables, mais d’une espèce particulière ; autrement une volonté libre serait une absurdité. La nécessité physique était une hétéronomie des causes efficientes ; car tout effet n’était possible que d’après cette loi, que quelque autre chose déterminât la cause efficiente à la causalité ; que peut donc être la liberté de la volonté, sinon une autonomie, c’est-à-dire une propriété qu’a la volonté d’être à elle-même une loi ? Mais cette proposition : la volonté est à elle-même sa propre loi dans toutes les actions, ne désigne autre chose que ce principe : n’agis jamais d’après d’autres maximes que d’après celles qui peuvent être érigées en lois universelles. Or c’est précisément la formule de l’impératif catégorique et le principe de la moralité. Donc une volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont une seule et même chose.

Si donc on suppose la liberté de la volonté, il suffit d’en analyser le concept pour en dériver la moralité avec son principe. Cependant ce principe est toujours une proposition synthétique, qu’on peut exprimer ainsi : une volonté absolument bonne est celle dont la maxime peut toujours s’ériger, sans se détruire, en loi universelle ; car je ne puis trouver par l’analyse du concept d’une volonté absolument bonne la qualité que j’attribue ici à sa maxime. Des propositions synthétiques, comme celle-ci, ne sont possibles qu’à la condition que deux connaissances soient liées entre elles par leur union avec une troisième où elles se rencontrent toutes les deux. Or le concept positif de la liberté fournit ce troisième terme, qui ne peut être ici, comme pour les causes physiques, la nature du monde sensible (dans le concept de laquelle se rencontrent le concept d’une chose considérée comme cause et celui d’une autre chose liée à la première comme effet). Mais quel est ce troisième terme auquel nous renvoie la liberté, et dont nous avons une idée a priori, nous ne pouvons le montrer encore, ni faire comprendre comment le concept de la liberté se déduit de la raison pure pratique, et en même temps aussi comment est possible un impératif catégorique : nous avons encore besoin pour cela de quelque préparation.


Notes de Kant modifier

  1. * Naturnothwendigkeit


Notes du traducteur modifier