Fleurs de rêve/Texte entier

)
Boehme et Anderer.

ISIS COPIA





FLEURS de RÊVE



À la grande âme triste et douce
de
LAMARTINE.



HOMMAGE
D’UN JEUNE CŒUR QUI L’AIME.



AU LECTEUR


Ce volume est bien petit, sa valeur est encore moindre. Mais tout être ici-bas a ses palpitations, toute âme a ses élans et chacun de nous s’exprime comme il peut.

Les fleurettes sauvages croissent à l’ombre des grands chênes séculaires ; le rossignol égrène, dans l’air calme du matin, l’harmonieux crescendo de son joyeux soprano, et le moineau vulgaire chante lui aussi, à sa manière ; et, pendant que le fleuve enfle la plaintive voix de ses grandes eaux mélancoliques, les naïves petites sources murmurent, avec une simplicité charmante, leur touchante romance monotone…

Qu’importe leur peu de valeur si nos écrits sont sincères ? Nous souffrons et jouissons tour à tour, mais nous soupirons toujours, et les soupirs qui soulèvent le sein de l’humanité se ressemblent souvent, seule la manière de les rythmer diffère…

Vous qui me lisez, n’essayez pas d’analyser ou de critiquer. Souriez plutôt. Le sourire indulgent est une des plus belles fleurs de l’âme, et ce sourire que j’implore, donnez-le moi !


Isis Copia.


Caire, 1er Mars 1911.


« … Mais toi, lyre mélodieuse,
Surnageant sur les flots amers,
Des cygnes la troupe envieuse
Suivra ta trace harmonieuse
Sur l’abîme roulant des mers. »

Lamartine



LES OISEAUX DU NIL



Sur les ondes du Nil
Riantes, azurées,
Ils traînent, sans péril,
Un vol d’ailes dorées.

Chères têtes d’oiseaux,
Petits êtres fantasques
Vous qui troublez les eaux
Aux environs des barques,

Apprenez-moi vos noms,
Amants de la lumière,
Et dites-moi, mignons,
Le nom de votre père.


Toi belle aile d’argent
Palpitante de vie,
Ton nom, petit enfant ?
— « Je me nomme Lilie,

Car près d’un beau Lilas
(Moisson printanière)
Dans le jardin là-bas
Me déposa ma mère. »

— « Lilie, eh bien ! Et toi
Garçon à patte fine,
À l’œil noir et vif ? » — « Moi ?
Tu veux mon nom ? devine !

Il est joli mon nom
Mais je l’eus en cachette :
Petit Père est Pinson
Et ma maman Fauvette. »

— « Et vous, mes deux petits,
Qui vous grisez de brise ? »
« Nous sommes deux amis,
Notre histoire est comprise. » —


« Et toi mon bel ami
À l’enivrant sourire ? » —
« L’on me nomme “Mimi”
Aux heures de délire ;

Et l’on aime mon œil
Qu’un point du ciel azure,
Et ma voix . . . . . accueil
. . . . . . . . . pure,

Le printemps m’a donné
À Mai qui m’a vu naître,
Puis j’étais ordonné,
Maintenant, je suis prêtre.

Or, mon nom est. . . .
Et mes ailes légères
M’emportent du Couvent
Aux terres étrangères ;

J’aime à revoir ce Nil
Riant, chaste azuré
Et j’y baigne mon cil,
Mon cœur, mon front doré. »


. . . . . . . . . . .

Ô mon âme assoupie
D’images nourris-toi…
Douce mélancolie,
Reviens planer sur moi !



FRAGMENT


« Ainsi ce nom me parle, il me parle et je le baise Longuement, et alors… ».
(…)




Ô mes rêves dorés !

Ô mes rêves dorés ! Ô mes folles chimères
Où courez-vous ainsi jalouses et légères ?
Pourquoi m’entraînez-vous dans ces hautes régions
Où l’amour est la vie, où vivent les passions,
Où caresse mon cœur le souffle pur des anges,
Où séjournent d’Eros les célestes phalanges
Où tout cœur brisé porte une palme, en martyr,
Où l’on aime si doux sans plaindre, sans souffrir… ?
Au loin je vois des eaux, des sources frémissantes
Dont les sanglots mourants, en cascades tremblantes
Passant dans les jardins envahis de fraîcheur
Où se balance l’ombre et palpite la fleur ;

J’entends de longs accords unis sous le feuillage,
Oh ! que d’expression dans ce divin langage !
Oh ! l’ivresse céleste en ces tendres accents !

Mais, je reviens à moi et ne plus rien entends ;
Un nom luit devant moi, mes doigts tiennent la plume ;
Zéphyre passe sur ma lèvre qu’il parfume :
Fiévreuse, endolorie, en un troublant frisson,
Elle murmure “Eros” et se colle à ce nom…



UN DÉPART



I


Entre le double azur de la mer et des cieux
Pas un cri, pas un son qui se fassent entendre,
Rien ne semble passer ou monter ou descendre
Dans l’espace silencieux,

Rien, que ces être bleus qui s’échappent des vagues
Pour danser des rondeaux invisibles dans l’air,
Puis, s’unissant aux flots, mèlent à leur concert
Leurs plaintes lasses et si vagues

Tout, tout songe là-bas dans l’espace sans fin :
Le flot longe le flot, l’onde voit naître l’onde,
Et la brise absorbe en l’écume vagabonde
Son front rêveur…

II


Soudain, un soupir immense
Souffle aux bords de l’horizon,
Sur mer un géant s’avance
Redoutable comme un lion.
Tout s’élance à son approche,
Tout se bouscule, tout fuit,
L’onde à sa semblable nuit
Et le flot au flot s’accroche.


III


Sur le pont du navire un vieillard regardait
Dans l’horizon lointain une vue effacé
Mais qui dans son esprit semblait encor tracée
Et le navire s’éloignait…


IV


Que regardes-tu donc dans ces lointains timides
Dont les azurs blanchis n’existent presque plus ?…
Je le devine, oh, oui ! ces regards résolus
S’attachent sur les Pyramides !

La gloire et la grandeur ornent leur front altier :
Les plus brillants héros abordèrent naguère
L’Égypte éblouissante où se livrait la guerre :
Le fer étranger à leur pied


Se brisa, car toujours leur forme audacieuse
S’élevait menaçant les hommes des combats ;
Elle s’élève encor dans ces lointains là-bas
Écrasante autant qu’orgueilleuse.

Homme, tu rêves heureux
D’y voir flâner l’Angleterre,
C’est tes soins laborieux
Qui gagnèrent cette terre.
Et tu pars, tu pars, héros,
Car l’œuvre est toute bâtie,
Mais ta tête appesantie
Baisse sous de lourds fardeaux.


V


Ô vieillard, ô son fils, l’Angleterre t’appelle
Des plus tendres prénoms, en te tendant les bras ;
Va rejoindre ta mère, ô son enfant fidèle,
Va la rejoindre là-bas !

De fleurs et de drapeaux elle a couvert sa rive,
Et sur son front pensif se fixent les regards ;
Vieillard aux blancs cheveux, héros du jour arrive !
L’on croisera sur toi des étendards…




SOUPIRS D’AUTOMNE



I

Syrie, sur les bords du Nil,
Où soupire la poésie,
Mon cœur sent un cruel exil
Loin de ta secrète magie…
Et je songe à tes doux printemps,
À ces heures pleines de charmes
Qui ne connurent point de larmes
Mais qui n’ont pas duré longtemps.

Et, dans ma mémoire confuse,
Je revois de ton beau Liban
Le tableau si cher à la Muse
Et son azur chaste et charmant ;
Les Cèdres dont les hautes cimes
Se balançant frôlent le ciel
Du bout de leur bec vert de miel
Comme y voulant tracer des rimes…


Liban je rêve à tes étés,
À tes jardins peuplés de roses,
Aux appels de cœur, entêtés,
Murmurés par tes fleurs écloses ;
À ces besoins naïfs d’enfant,
D’amour, d’abandon, d’espérance,
De candeur et d’insouciance,
De rencontrer le bien souvent.

II

J’étais en pension, je n’avais pas quinze ans,
L’aspect seul d’un cours d’eau m’emportait dans les nues,
Mon âme frémissait… Et depuis deux printemps,
Grisant frisson, tu continues !

III

Ainsi que le soleil la pluie a ses attraits,
Bien plus que le bonheur la peine a des délices :
Les tremblements les plus doux et les plus secrets
Nous proviennent du sacrifice !

IV

Autant que le printemps fleuri
Automne si rêveur, je t’aime !
J’aime ton zéphir attendri,
Tes soirs et tes tristesses même…
J’aime ouïr les derniers accents
D’une antique lyre brisée,
Vague écho, noire mélopée
Qui n’a plus que des sons mourants…



DÉDAIN



Triomphez, ô mes ennemis !
Mon âme la voilà meurtrie…
De vos propos jadis émis
Reprenez la longue série ;
Jouissez de me voir souffrir
Pendant que le bonheur vous gâte
De sa grasse et mœlleuse patte…
Vos espoirs viennent de fleurir.

Jouissez de mon impuissance,
Par des succès, à vous griser ;
Mais sachez que mon grand silence
Ne veut dire que mépriser.
Un bonheur cueilli sur la route
Ne m’inspire que du dégoût,
Et si votre œuvre tient debout
La base m’en laisse du doute.


À votre vulgaire bonheur
Je préfère mes nobles peines,
Aux lâches cris de votre cœur
Mes courtes prières sereines.
Il ne saurait me contenter
Ce sort que vous trouvez suave ;
Le mien je le veux bel et grave,
D’autre ne me saurait flatter.


Peines, chagrins, envolez-vous
Pendant que le vieil an expire ;
Venez, doux plaisirs, rêves doux,
C’est le nouvel an qui respire.



À LA LUNE



Au fond de ton palais fait d’azur et d’éther,
Ô Lune languissante en ta pâle insomnie,
À quoi donc rêves-tu, contemplatrice amie
Dont le large regard tombe mystique et clair ?

Quel est-il, dis-le moi, cet inlassable rêve
Qui sur ton front brillant jette un reflet blafard,
Ce rêve qui te fait songer la nuit bien tard,
Qui toujours recommence et ne jamais s’achève ?

Brille sans te lasser, bel Astre de la nuit,
Brille pour consoler mes longues insomnies !
J’aime tes clairs rayons et la brise qui fuit
Et les pleurs langoureux des tristes harmonies…



À PAULINE



Mais que deviens-tu donc douce amie aux yeux noirs ?
Pourquoi ce long, trop long, cet écrasant silence ?
Tant de jours sans couleur et tant de tristes soirs
Ont-ils de ton cher cœur effacé ma présence ?
Tu m’aimais, disais-tu, peux-tu ne plus m’aimer ?
De ta voix je conserve encor le doux murmure,
Souvent ton souvenir revient me ranimer,
Je trouve un peu de toi dans toute la nature ;
Ma mignonne, comment pourrais-tu m’oublier ?
Ingrate ! tu devrais m’aimer, m’adorer même,
Et dans mon souvenir jour et nuit te noyer.
Car je n’oublie pas notre amitié… Je t’aime !
Mais pourquoi te tracer ce mot capricieux,
Viens et je le dirai tout bas à tes beaux yeux…



SUPERSTITION


Araignée du soir
Espoir…


Je ne t’assomme point, araignée du soir,
Non, tu ne mourras pas, je te laisse la vie.
Et puisqu’œil pour œil et que dent pour dent, ma mie,
Demande à Dieu pour moi la vie de l’espoir.

Je n’aime pas ton monde au gris squelette frêle
Se cramponnant à l’aube à l’ombre des rideaux ;
Je le hais. On le dit porteur d’affreux cadeaux :
Et l’heure de la crainte est heure solennelle.

Car nous les ignorons, nous, les secrets destins
De l’homme et de la vie, et notre âme alarmée
Recherche les signaux de ceux qui l’ont aimée
Jadis et fouille les replis des lendemains.


Et quand nous te voyons, fleur de silence et d’ombre,
Immobile, le soir, rêver sur nos blancs murs,
Nos pauvres cœurs souffrants trop mous pour être mûrs
Sentent frémir l’espoir dans leur être en décombre…

Mais dis-le moi, petite, à quoi peux-tu rêver ?
Est-ce que tu te sens un esprit raisonnable,
Ou bien entrevois-tu quelqu’ astre connaissable
Du bout de tes noirs yeux que tu ne peux lever ?

Dans ton squelette affreux sans couleur et sans forme
Y a-t-il donc un cœur qui souffre, un cœur qui bat ?
Éprouves-tu l’amour, ne l’éprouves-tu pas ?
Quel est cet élément dont ton rêve se forme ?

Ah ! rêve sur nos murs, araignée du soir,
Car tu ne mourras pas, je te laisse la vie ;
Mais puisqu’œil pour œil et que dent pour dent, ma mie,
Demande à Dieu pour moi la vie de l’espoir !



ELLE POÈTE ?



I


« Mais comment donc, elle poète ?
Elle arrangea ces vers charmants
À la délicieuse épithète,
Aux échos qui s’en vont mourants ;
Ces vers de poésie pure,
D’élan si doux, d’esprit si clair,
De sons brillant comme l’éclair,
D’un style à la noble tournure ?

« Elle est syrienne, dit-on,
Et puisqu’elle n’est pas française,
Où put-elle puiser ce ton
Où l’âme s’épanche et s’apaise ?
… Mais elle a dû les emprunter
Ces rimes vastes et sonores
Qui, comme de jeunes aurores,
Viennent sous sa plume éclater.


« Aurait-elle de Lamartine
Imité les divins appas,
Ou bien ouï la voix câline
Qui dans son cœur parlait tout bas ?
Ses chants sont enduits de tristesse,
D’amour touchant, d’amour sans fiel ;
Elle poète, Ô puissant ciel !
D’où lui vient donc cette sagesse ?

« Et puis cette onduleuse rime
Où nagent sentiments exquis
Qui frôlent le beau, le sublime,
Cela donc, où l’a-t-elle acquis ?
Puisque nous aimons mieux le croire,
Croyons qu’elle a dû consulter,
Et sans jamais nous arrêter
Disons : « Elle vole la gloire ».


II


Monsieur. . . . . parle ainsi,
Vraiment, il me semble un brave homme
Un autre gentleman aussi,
Avec lui répète qu’en somme
La copie est faite assez bien
D’un livre du grand Lamartine,
Que la calligraphie est fine :
Mais l’écriture là n’est rien.


III


Oh ! les doux tremblements sous l’impulsion secrète
Combien rares sont ceux qui peuvent les sentir !
Or, frissonner, pleurer, plaindre, aimer et souffrir
Sont les qualités du poète.

Et plein de ses trésors divins
Son cœur qui contient tout le monde
Sait esquisser les yeux éteints.
De quelqu’ âme superbe et blonde.
Son œil à tout vent prendre part,
Sa lèvre veut baiser la rose,
Sa main toucher à toute chose,
Porter le sabre ou l’étendard.

Sans flatter la rime subtile
Il la veut toujours asservir :
Autant que son penser, agile,
Il la trace avec un soupir ;
Il écrit ses rêves rebelles,
Tout ce qu’il voit, tout ce qu’il sent,
Et répand ses larmes souvent
Sur les feuilles blanches si belles.


Qu’a-t-il besoin des vains flatteurs ?
Sa joie est toute personnelle :
Qu’on veuille approuver mes labeurs
Ou qu’on dise : ce n’est pas d’elle,
J’élancerai les ailes d’or
De ma Muse jeune et timide :
Dans le sein de l’azur limpide
Je fixerai son doux essort.

Quand d’autres Muses lui sourient
Elle partage leur frisson,
Les notes de son luth varient
Devant le si vaste horizon :
Tantôt c’est le printemps qui passe
Grondant son hymne triomphal,
Tantôt c’est un chant automnal
Traînant d’échos que rien ne lasse…



APRÈS LE TRAVAIL



Après avoir pendant deux heures travaillé
À ces traductions grecques très difficiles,
Après avoir longtemps sur ces livres veillé
Mes yeux vont s’endormir reposés et tranquilles.

Pourtant la nuit est belle, à rêver elle invite,
Et son Astre fécond prolonge ses rayons
Dans l’azur assombri, sur le Nil qui palpite
Sur la feuille assoupie au bord des verts gazons.

Un vent léger et doux caresse le visage
Et jette au fond de l’âme un frisson de baiser,
Frôle la fleur câline émue à son passage
Et, paresseux, s’en va sur l’herbe s’apaiser.


Ombre immense, ô parfums de brise et toi, Zéphyre,
Avant de m’effleurer qui avez-vous pressé ?
Et toi, Lune d’amour, avant de me sourire
Quel sommeil ton aspect suave a-t-il bercé ?

Mais non, ne rêvons pas ; allons, à la prière !
Dérobons-nous à tout : à la lune, à la nuit ;
Et disons l’oraison humble, ardente, sincère
Au Dieu de l’Univers et de l’astre qui luit !

Et quand le dieu Sommeil chargera mes paupières
Des bienfaits qu’il répand la nuit sur les mortels,
Dans le rêve mon cœur retrouve ses chimères :
Étude, Amour, Beaux-Arts, beaux yeux, tendres appels.



À MON COUSIN


(Sur une image en fleurs)


Lentement, penche-toi sur cette ombre câline
Qui d’un bouquet muet remonte vers tes yeux
Si beaux ; tout comme un astre égaré dans les cieux
Aux bords de l’horizon s’incline.

Penche ! et tu sentiras que la voix d’une sœur
— Voix discrète et pourtant vibrante de tendresse —
Doucement t’enveloppe, ainsi qu’une caresse,
De vœux sincères de bonheur.



QUI CONDUIT LA LUNE ?


(Traduit du grec moderne)


L’ENFANT


Ma petite Maman, dans sa course lointaine,
Qui donc conduit ce grand, ce clair astre d’argent
Qui, blanchissant la nuit la rend belle et sereine ;
Qui donc ? dis-le moi, ma maman !

Derrière la montagne, oh ! vraiment chose étrange !
Vois, lentement il monte à l’horizon
Et s’avance, comme une grosse orange,
Au sein de l’azur calme en un très doux frisson !

Point d’arrêt ; donc, il connaît bien sa route :
Oh ! qu’il glisse léger dans cet immense champ !
Où s’en va-t-il ainsi ? il connaît bien, sans doute,
Son chemin, n’est-ce pas, ma petite maman ?


Tu ne me laisses pas, toi, marcher solitaire ;
Ta main soutient ma main et partout me conduit :
A-t-il aussi cet astre, ainsi que moi, sa mère
Qui le mène là haut dans l’air — sa mère à lui ?


LA MÈRE


Mon petit, tu es jeune, oh oui ! bien jeune encore
Mais quand tu grandiras et de corps et d’esprit
Tu comprendras comment cette lune que dore
L’éclat pris au soleil échange avec l’aurore
Sa place dans la sphère — Aime Dieu, mon chéri !



SÉRÉNADE DU FOU


Sur l’air de la Sérénade Espagnole :
« Il est tard, ta porte est close. »


Réveille-toi, belle endormie,
Écoute ma chanson du soir ;
Point de lune, ô ma douce amie,
Montre-toi, nul ne te peut voir.

Sous ta fenêtre ma guitare
Soupire de tristes accords,
Un refrain nostalgique et rare,
Et mon cœur frémit de transports !

Oui là, dans l’ombre et le silence
Écoute un chant funèbre et doux…
Tu ne veux point de ma présence ? ?
Ciel ! pourquoi ce soudain courroux ?


Oh ! par tes lourdes mèches blondes,
Tes prunelles qui font mourir
(Ma douce !) où scintillent des mondes
D’amour ! par tes yeux, mon plaisir !

Par ta lèvre, je te conjure !
Ta lèvre toute volupté,
Et par ta voix sonore et pure,
Réponds : n’ai-je pas bien chanté  ?

Alors pourquoi cette colère
Et cette disparition ?
Serais-tu gâtée, ô ma chère,
Ou ne serait-ce qu’un frisson ?

Mimi, reviens à ta fenêtre
Et tiens-toi sous les rideaux blancs ;
Par tes grâces, daigne apparaître
Et m’inspirer de doux accents !

L’ombre est si noire et tu m’écoutes,
Blonde, mais quoi ! m’aimerais-tu ?
Arrache de mon sein ces doutes :
Belle, parle ! je me suis tu.

. . . . . . . . . . . . . . . . .


Plus que jamais mélancolique,
Guitare, reprends ta chanson
Dans cette ombre noire et tragique
Qui remplit ce vaste horizon.

Souffre, gémis, pleure, guitare !
La belle ne veut point aimer,
Et ton refrain suave et rare
Ne la saura jamais charmer…



IMMORTELLES



Que pouvez-vous bien dire à cette heure tardive
D’un sombre soir d’hiver peuplé de mes soupirs ?
Que pouvez-vous bien dire, ô chastes souvenirs
D’une âme amoureuse et plaintive ?

Tout doucement mes doigts caressent tour à tour
Le velours parfumé de vos pâles corolles
Et le ruban soyeux, aux sensations molles
Qui ceint votre trop frêle entour…

… Puis, pauvres vieilles fleurs, ma lèvre vous attire
Pour surprendre en votre âme un peu d’âme vibrer :
L’amour d’un jeune cœur qu’un jour a dû sevrer
N’a que le parfum qu’il respire !…



UN MATIN



Oh, que le ciel est doux dans son azur qui brille !
Au loin le minaret dresse son bout pointu ;
Le soleil vivifiant sur nos têtes scintille,
Et toi, mon pauvre cœur, pourquoi soupires-tu ?

Que ne t’épanches-tu plein d’amour et de vie…
Déjà ton front est lourd, ta lyre sans accents ;
Sont-ce là les transports de l’âge qu’on envie,
Sont-ce là les attraits, l’ivresse de tes chants… ?


Ainsi qu’un chaud soleil chasse un impur nuage
Au bord de l’horizon, débarrassant l’azur,
Écarte loin de toi, loin de ton si bel âge
Le doute, le chagrin, le désespoir obscur.

Jouis de ton printemps, mon cœur, cueille ses roses,
Bois à flots son azur, respire sa fraîcheur,
Laisse s’ouvrir en toi les fleurs encore closes,
Ah, sois de ton âge et chante, ô mon jeune cœur !



CAPRICIEUSE



Grandiose, imposant dans la voûte profonde,
Le soleil saluait d’un coutumier adieu
Le fleuve, les palmiers, les sables de ce lieu
Et cheminait vers l’autre monde.

Alors tout l’horizon laisse monter un cri,
Le firmament se teint de lilas et de rose
(Frémissantes couleurs où l’azur doux repose),
Et le zéphir souffle attendri.

Le Caire était caché sous une vague brume,
Les arbres tournoyant sur les bords bruns du Nil
L’ombre tombait partout, sans trouver de péril,
Et couvrait la plaine et l’écume.


Ô Pyramides ! c’est alors
Que, levant ma tête pensive,
J’entends errer sur vos flancs forts
L’écho de quelque voix plaintive ;
Mais quoi ! serait-ce en votre sein
Qu’un orphelin pleure sa mère ?
Est-ce un hymne, est-ce une prière,
Est-ce un gémissement divin ?

Mais déjà revient le silence
Autour du grand monument noir.
Un temps — Mon cœur frémit, s’élance,
Plane avec la brise du soir…
Soudain les sons se font entendre,
Ô dieux ! mais d’où viennent-ils donc ?
Une douce harmonie y fond…
Est-ce de la voix d’Alexandre

Un écho ? de Napoléon
Est-ce le sabre qui miroite ?
Est-ce ta statue, ô Memnon,
Qui tombe en une vapeur moite ?
Est-ce le soupir d’un soldat
Défunt ? un cheval qui se cabre ?
Est-ce le craquement d’un marbre
Qui depuis des siècles gît là ?


Répondez, Monuments ! Pyramides altières,
Des siècles révolus ô souvenir muet !
Sont-ce des chants d’amour, des commandes guerrières
Que vos entrailles jettent net ?

Non, sur vos côtes délabrées
Ce n’est plus l’Aigle Impérial
Qui marque vos terres sacrées
Des pas de son fougueux cheval ;
Oh ! baissez vos armes françaises
Vos drapeaux sont à peine vus…
Et Mohamed Ali n’est plus,
Toutes choses sont anglaises.


. . . . . . . . . . . . . . . . .


. . . . . . . . . . . . . . . . .


. . . . . . . . . . . . . . . . .


Ces longs échos flottants et chatouillant mon âme
Comme un souffle de brise, une haleine d’azur,
Un baiser maternel, un regard triste et pur,
L’éclair d’une subtile flamme,


Un doigt câlin d’enfant qui caresse mon front,
Un gazouillis d’oiseau, d’un fleuve le murmure,
Un sourire amical, un cri de la nature
Ou du soleil un rayon blond,

C’était la fanfare lointaine
Qui jouait Dieu sauve le Roi
C’était la vibration certaine
Des cœurs vaillants et pleins de foi ;
De tes moelleux flots nostalgiques
Harmonie, ô nectar divin,
Je laisse couler dans mon sein
Les tiédeurs mélancoliques…

Muses, Beautés, Beaux-Arts aimés,
Océans, rivières, verdures,
Azur immense, astres dorés
Qui du ciel êtes la parure
À vous, à vous mes jeunes ans,
À vous ma jeune intelligence,
Mon amour et ma confiance,
À vous mes rêves bleus et blancs !


Mais trêve de transports. À bientôt, Pyramides,
Et vous, Liban, Beyrouth, cher Antoura, salut !
Ma Syrie, salut ! dès que je l’aurai pu
J’irai revoir tes horizons limpides.



AU MOUKATTAM



Baigne ton feston géant
Au sein des eaux vaporeuses,
Un sillon là-bas flottant
Saigne des lueurs songeuses ;
L’Astre monte lentement
Et de sa clarté t’inonde,
L’Astre-Roi du double Monde
Se promène au firmament.

Une poussière dorée
Folâtre sur tes flancs nus,
Comme une main adorée
Frôlant des cheveux connus…
Et sur ta cime aplatie
Un ciel rose, éblouissant,
De son satin ravissant
Suspend la chaude partie.


Ah, si pareil aux oiseaux,
Je pouvais raser ta crête
De mon aile. . . . .
. . . . . . . . .
Si je pouvais, à cheval,
Là sur ta côte lointaine
Capricieuse et hautaine
Errer, oubliant mon mal.



ACTE DE FOI



Mon Dieu, je crois en Toi car j’ai besoin de croire
Fortifie ma foi ;
Éloigne de mon cœur l’inquiétude noire,
Mon Dieu, je crois en Toi !

À tout ce qui n’est pas Toi je ferme mon âme
Et la nuit et le jour
Dans mon cœur brûlera l’unique ardente flamme
De ton sublime Amour.



À LA MUSE



Imitant la voix
Du flot qui soupire,
Soupire, ô ma lyre !
Aimable, transpire,
Sur la ligne en croix !
Ingénue avide
Au bel œil limpide,
Rêveur, vague, humide,
Timide,
Languide,
Sommeillant parfois ;

Ah, remue tes si fins doigts
Avec les dentelles de l’onde !
Ô ma Muse jeune et féconde,
Retouche ta corde profonde,
Et chante une seconde fois,
Douce Vierge que j’entrevois !



AUTOMNE



L’automne a rougi le feuillage
Avec son langoureux baiser,
Sa brise molle a son langage
Et sa tristesse d’apaiser.

Le ciel pleure sur la campagne
Et l’oiseau songe au bord de l’eau,
L’herbe frémit sur la montagne
D’un long frémissement de flot.

Saison des plaques mortuaires
Et des rubans de fleurs mouillés ;
Et des longs cyprès funéraires,
Et de cœurs de regret souillés !


Ô saison de l’Inoubliable,
Des genoux frôlant les tombeaux,
Des doigts tâtonnant l’Impalpable
Et des espoirs tout en lambeaux…!

… Saison de plainte monotone
Et de rire à jamais fini…
De sanglot profond qui chantonne
Sur les bribes de l’Infini…

Ton âme en parcelles frisonne
Sur les souvenirs alarmés…
Tu n’es en somme Automne ! Automne !
Que la Saison des Yeux Fermés…



À MADEMOISELLE C.



Vos yeux sont si beaux, chère belle,
Que leur regard est torturant ;
Votre nom je l’aime et l’épelle
Votre nom de flot murmurant.

Je suis brune et vous êtes blonde,
Ce contraste est délicieux,
Un peu des profondeurs de l’onde
Se mêle à l’azuré des cieux.

Car je suis la nuit, vous le jour,
Un jour rose et bleu qui scintille ;
Moi, le lac ; vous, l’astre qui brille ;
Vous, le rêve et moi… moi l’amour.



À L’AQUARIUM



Ah ! qu’ils murmurent doux ces flots mélancoliques,
Pauvres flots inconnus glissant sur le rocher !…
Secouant lentement leurs harpes poétiques
Ils s’amusent à fuir, tourner, se rapprocher,
Se heurter mollement en baisers nostalgiques…

Au dehors de la grotte où se perdent mes pas
Le vaniteux Printemps parsème ses appas :
Partout l’on sent son âme et sur tout son sourire
Imprime un songe aimant, un semblant de délire ;
De longs accords dans l’air prolongent leur frisson
Et s’en vont, frémissants, mourir sur le gazon ;
À des appels brûlants des vibrations répondent,
Les choses en s’aimant se mêlent, se confondent ;
L’azur brille plus pur, plus proche et plus serein
Et la terre amoureuse expose dans son sein

Les tons les plus changeants, les plus chaudes nuances,
De ses eaux et ses fleurs les belles transparences,
Ses arbres, ses trésors, ses produits enchanteurs ;
Les rayons du soleil parlent tout bas aux fleurs.
… Des arômes de thym, de citron et rose…
Le zéphir voyageur nonchalamment dépose
Ses baisers tout chargés d’ardeur et de parfum
Sur les jeunes bourgeons des plantes ; un à un
Il fouille les longs cils du gazon qui s’incline
Sous le frôlement de sa caresse câline ;
Tout vit dans le transport et danse en folâtrant,
Tout semble dans son être avoir un cœur vibrant ;
Mai coquet, jeune et bel entre’ouvre sa paupière
Et des fleuves d’amour rejaillissent sur terre ;
Oui, tout chante dehors un tendre et gai refrain
Mais au dedans le flot, pauvre exilé, se plaint…

Ah ! qu’ils murmurent doux ces flots mélancoliques,
Pauvres flots inconnus glissant sur le rocher !…
Secouant lentement leurs harpes poétiques
Ils s’amusent à fuir, tourner, se rapprocher,
Se heurter mollement en baisers nostalgiques…

… Et rêveuse près d’eux, près de ces pauvres flots,
Je voyais dans leur sein s’étouffer leurs sanglots ;
Mais d’où venez-vous donc, flots amis, leur disais-je,
Flots amis qui baignez ces trop lestes poissons ?

N’est-il pas trop petit votre cours qui s’abrège ?
Ne préférez-vous pas courir les gazons,
Courir capricieux, emportant vos mystères
Par vos départs lointains, vos élancements vifs,
Dans l’espace infini des vaporeuses sphères ?
Oui, et quelle est la main qui vous retient captifs ?
Ô flots, flots qui pleurez ! vos plaintives romances
Qu’un destin secret rythme en sonores cadences
Traversent mon ouïe et tombent dans mon cœur ;
Toute note, tout son de votre triste chœur
Y trouve un écho frère… et l’entente féconde
Naît d’une sympathie avenante et profonde
De notes, en mineur, se rencontrant parfois :
Et deux notes alors composent une voix.
Or, vos plaintes coulant au fond de mon intime
Y retouchent la corde au seul frisson sublime ;
Et sous cette caresse et ce doux frôlement
Je sens frémir mon cœur d’un ivre tremblement ;
Dans mon âme s’ouvrant mon âme de poète,
Ma main de mes pensers se fait l’humble interprète ;
Mais je ne sais, ne puis dire ce que je sens…

Ô larme de douleur, tu montes et descends !
Ne reste pas à ma prunelle suspendue,
Tombe, goutte adoré en mon fondue !
Tombe et mêle ta perle aux perles de ses flots !
Tombe dans cette grotte où meurent les échos !

Mais les flots sont gardés, abrités par le verre,
Ô perle de mon cœur, tu t’écoules sur terre !…
Nul ne prendra jamais le soin de t’essuyer ;
Aquarium, non, non ! je ne puis l’oublier ;
Adieu ! Je laisse en toi de mon âme fidèle
Une larme, un soupir, chaudes, nobles parcelles ;
Au moins, toi, garde-les secrètes en ce lieu…
Adieu, trop tristes flots ! Aquarium, adieu !

Répandez le frisson de vos notes plaintives,
Ranimez vos accords, ô flots, et que vos chœurs
Gémissent sur l’azur de vos cités natives ;
Et par le cœur humez ses lointaines douceurs ;
Puis, quand vous vous sentez à l’étroit sur nos rives
Baignez tous nos rochers des perles de vos pleurs !



BALANCE-TOI !



Balance-toi, petite plante,
Ta feuille est tendre et verdoyante,
L’air est suave de fraîcheur ;
Balance-toi ! l’heure est passée
Où par le soleil oppressée
Tu pâlissais sous sa chaleur.

Balance-toi ! le crépuscule
Déjà sur les balcons ondule
Ses fantômes mystérieux ;
Et sur la nature assoupie
Coule cette paix alanguie
Qui ne peut venir que des cieux.


Oh ! les douceurs de l’heure brune !
De deviner au ciel la lune
Quand l’azur est encor serein !
Oh ! la brise qui vous caresse !
Oh ! la chère ombre qui vous presse
Contre son chaste et moelleux sein !

Oh ! les mille voix soupirent
Lorsque les longs stratus expirent
Quand le jour finit de mourir !
Oh ! l’or des paupières lointaines
Des étoiles qui dans les plaines
D’azur commencent à s’ouvrir !

Oh ! les rêves du crépuscule
Quand l’ombre de la nuit circule
Que les oiseaux ne chantent plus !
Ô tendresse ! quand la pensée
En rythmes divins cadencée
Murmure de ces mots voulus…

Quand le toit des maisons s’efface,
Que l’œil, inquiet, perd la trace
Du Moukattam dans le lointain ;
Quand a l’entour tout, calmé, rêve,
Du cœur un cantique s’élève
Au Dieu du soir et du matin :


Salut, honneur, amour, louange
À Toi qui fis et l’homme et l’ange,
À Toi qui suspendis le ciel ;
Qui dans le temps et dans l’espace
Au jour, la nuit, marquas leur place,
Salut à Toi, Père Éternel !

Plante, balance-toi, palpite,
Balance-toi, danse, petite !
L’air est suave de fraîcheur ;
Balance-toi ! l’heure est passée
Où par le soleil oppressée
Tu pâlissais sous sa chaleur…



UNE PETITE HISTOIRE



Ce n’est pas le récit du navire novice
Qui n’avait de sa vie encore navigué ;
À la lire on y trouve un… un presque délice,
C’est un délassement pour l’esprit fatigué.
Aussi n’est-elle ni longue, ni languissante,
N’a rien d’impénétrable ou de mystérieux ;
Elle est très, très courte et, peut-être, intéressante !
Prêtez-moi pour l’entendre un intérêt sérieux.


Avis :

Mon histoire est un peu géographique.

J’étais en pension.
J’étais en pension. La ville nostalgique
Que baigne l’Océan vous tous la connaissez ;
Ses sables sont toujours par les flots caressés…

Et c’est Beyrouth… Beyrouth la porte de Syrie,
Dont l’azur est riant et la rive fleurie.

Et c’était l’examen qu’on dit semestriel.
Notre examinateur, un excellent mortel,
Avait mis de côté tout intérêt de science
Et n’agissait qu’avec une extrême indulgence ;
Devant lui l’élève à l’autre se succédait,
Écoutait tous ses mots, pensait, y répondait.

Arrivait le beau tour d’une enfant. Fort à l’aise
En face d’un dessin de la terre Française,
Elle attendait un geste, un mot, une question.
« Où sont les Alpes ? » dit-il d’un aimable ton.
Le doigt fier, esquissant un fort immense geste,
D’une voix qui voudrait être toute céleste
Elle répondit . . . . . . . . . . . .
« Les Alpes sont dans la mer Méditerranée ! »



SPECTRE



Chopin a murmuré son cœur
Dans ses valses lentes et tristes,
Et sur les gammes pessimistes
Il a déversé sa douleur.

Aux accents doux et nostalgiques
De sa Marche, ami du cercueil,
J’ai vu frissonner un linceul
Sous les bouquets mélancoliques.

C’était un rêve, un pâle rêve
Non exempt de suavité,
Où, dans ton sépulcre habité
J’ai vu ta forme qui se lève…


À tâtons, tes doigts desséchés
(Tes doigts fins jadis, doigts de femme,
Remplis de vie et de douce âme…)
Ont caressé les nœuds cherchés…

Et tu croyais toucher la corde
De ton adorable instrument,
Mais tu tombas éperdûment
Après ton pitoyable exorde…

Fantôme, à ton cercueil ! couche-toi, couche-toi !
Abrite ton squelette, ô fantôme, il fait froid !
Rêve les yeux fermés dans leur cave hideuse,
Songe à tes jours passés, à ta nuit ténébreuse ;
La terre n’a plus de lieu pour te recevoir,
Et l’œil humain, craintif, ne veut plus t’entrevoir.
Ta place n’est donc pas dans nos riantes villes,
Ni dans les verts bosquets où, toi, tu te faufiles :
Tes os n’ont plus leur chair, ton œil n’a plus de larmes,
Ton âme plus d’élans, ton esprit plus d’alarmes ;
Or, il faut tout cela pour se compter vivant,
Il faut rire et pleurer, craindre la nuit, le vent.
La lumière est trop claire à tes yeux tout pleins d’ombre ;
Retourne à ta tombe, à ton séjour vide et sombre,
Et quelque indifférent que tu sois, crains le froid
Et la lumière humaine où je vis loin de toi !

Couche-toi ! le sommeil est bon pour les squelettes,
Leur passage a fané les petites fleurettes…
Dors, douce ombre de paix, et ne cherche à venir…
La vie a pour les morts un coin de souvenir…

Le spectre a murmuré sa plainte
Dans les gémissements du vent,
Voilà pourquoi, la nuit, souvent
L’on tremble d’horreur et de crainte…



LE PRINTEMPS S’ENDORT



Tu t’assoupis, Printemps, dans un tendre sommeil ;
Sur ta lèvre entr’ ouverte un sourire vermeil
Se meurt en sa dernière extase ;
Et ta belle paupière alanguit lentement
De ses cils languissants le dernier battement
Et tu t’endors… l’été t’écrase !

Bientôt de ton départ sera sonné l’adieu
Et ton âme en partant retrouvera son Dieu
Aux hautes sphères azurées ;
Nous ne goûterons plus tes exquises fraîcheurs,
Plus d’azur amoureux, plus de câlines fleurs,
Plus de romances murmurées…


Doucement par la brise ou son amant zéphir
En rythme harmonieux qu’on ne peut définir,
Et qui vous troublent la pensée,
Comme si dans le cœur vibrait un chant d’amour,
Ou qu’on sentait frémir, vers le déclin du jour,
Une aile invisible élancée…

Tu partiras bientôt, sans plaintes, sans regrets,
Indifférent aux pleurs comme aux soupirs secrets
Que ton azur a vu répandre.
Oh ! ne pars pas si tôt, caresse encor nos fronts !
Qui sait, Ami Printemps, si nous nous reverrons
Et si Dieu ne va pas me prendre ?

Toi parti s’en iront aussi nos rêves blancs
Qui s’esquissent en l’air timides et tremblants
En leur forme fine et gazeuse ;
Ah ! reste nous, Printemps, reste, vis dans nos cœurs,
Vis avec tes parfums, tes rêves et tes fleurs
Et ta brise silencieuse !



REMEMBER ME !



Votre long doux regard sur la plage odorante
Sonde-t-il quelquefois la vague murmurante
Qui lentement vient expirer ?
Remarquez-vous son pas, sa marche vagabonde ?
Entendez-vous la voix discrète, au sein de l’onde,
Monter, parler et soupirer ?

Qui parle là ? c’est moi ! Ce que je dis ? mystère !
Ne pouvant plus user des moyens de la terre
Mon âme voltige là-bas ;
Et caressant les flots de ma virginale aile,
J’étreins longtemps la vague et lui dis qu’elle est belle,
Et je m’absorbe dans ses bras.


Et ma voix imitant les sons plaintifs de l’onde
Sur les sables dorés flotte douce et profonde
Avec des échos frémissants…
Amie, écoutez bien, puis laissez un sourire
À l’eau qui tour à tout chante, parle, soupire
En ses mystérieux accents.

Ne me dérobez pas longtemps la forme blanche
Qui, passant par ici, parfois relève et penche
Son front tout inondé d’orgueil…
Ah ! revenez bientôt revoir la capitale !
Il faut bien que pendant la saison estivale
Vous abordiez encore son seuil.

Ô Mer, Azur lointain, riante Alexandrie !
En la voyant rêver en son âme attendrie
Rappelez-lui très doucement !
Alors qu’en murmurant, instable et vagabonde,
La vague parlant tout bas à la plage blonde
Viendra la baiser mollement…



GOOD-BYE


Cairo, farewell !
I love thee well !


C’est l’été ; nous partons pour la rose Syrie
Bercés sur les flots bleus ;
Que l’hélice se presse et que l’azur nous rie
Des lointains fabuleux !

Nos cœurs sont tout heureux d’espérances promises
Et gonflés de plaisir,
Devant nos yeux pensifs des visions exquises
Passent, fleurs de loisir.

Mon Caire est déjà loin, pays multicolore,
Comme un rêve passé ;
J’emporte son amour, comme une douce aurore,
Dans mon cœur délaissé.


Le train, un tourbillon qui trébuche et qui danse
Sur le bien-aimé sol,
Qui se disperse vague en la lumière dense
Et se perd comme un vol !

Je ne garde de toi, changeante Alexandrie,
Que l’odeur du départ :
Celle des paquebots amassés en série,
Des marins étendards,

Des barques, du goudron, d’amer et de coquilles
Et de large salé ;
Mais toi, Guide Nocturne, ô son Phare, tu brilles
Dans mon rêve étoilé !

Partons, partons toujours, les voiles déployées,
Nous sommes attendus !
L’homme est partout chez lui : aux terres éloignées,
Aux coins les plus perdus.

Mon cœur ne songera qu’à ses kiefs uniques,
Oh ! les jours de repos
Où l’on ignorera les crimes politiques,
Les dires des journaux,


Les sentences de mort… oh ! les horreurs humaines !
Pensant au meurtrier
Je sens mon cœur tordu de spasmes et de haines,
D’horreur et de pitié !

N’est-ce pas leur destin (mystère pour tout homme
De toute éternité)
De mourir tous deux, l’un innocent, l’autre comme
Sa fin piteuse était… ?

Hélas ! la vie est courte, à quoi bon la bataille,
Le crime et la prison ?
Le temps est abrégé pour jeter la semaille
Et faucher la moisson !

Hommes, le savez-vous, le savez-vous que naître
Est mourir à moitié,
Et que chaque naissance apporte un pâle spectre
Vers le gouffre plié… ?

Aimez, faites le bien, utilisez votre âme
Au service du Beau ;
Votre vie en sera la sainte et douce flamme
Éclairant le tombeau.


… Partons, oublions tout, vivons dans le vertige
Et dans l’illusion…
Flots, exercez sur moi votre aimable prestige,
Portez-moi vers Sion !

Flots, reconnaissez-moi ! c’est votre jeune amante
Qui penche sur vos fronts
Son front mat, rêveur où la Chimère dormante
A placé ses rayons…

Flots, reconnaissez-moi ! je baise vos épaules,
(Attouchement moelleux !)
Qui portent mes rêves, pleureurs comme les saules,
Vers les horizons bleus !

Un pleur intérieur qui jamais ne s’achève
Glisse sur mon émoi,
« Une aile de jeunesse et d’amour me soulève »
Et me porte vers Toi !



ABORD



À travers les forêts de sapins, à travers
Les guirlandes en fleurs, les rochers, les grands chênes,
Je suis venue à toi, doux village qui traînes
Ton manteau velouté aux environs tout verts.

Tu le traînes partout ton manteau de verdure ;
Il a de longs sillons de soleil souriant,
Il a de larges plis profonds et ondoyant
Dans l’obscure vallée où des échos murmurent…

Sous ses bords élargis s’abritent les rondeurs
Des alentours craintifs, de timides collines
Ne cessent de frôler à sa douceur câline
Leurs flancs tout pleins de lui, tout pailletés de fleurs !



NOTHING MORE!



Salut, séjour d’été, verdoyantes hauteurs,
Montagne sillonnée en routes blanchissantes !
L’air s’y promène sain et les douces senteurs
Du thym et des pins verts y sont rafraîchissantes.

À droite c’est Sannin majestueux et blanc
Et pur comme la neige à sa cime amassée ;
Des pas de promeneurs parfois blessent son flanc
Et leurs voix sonnent faux sur sa côte lassée…


Des montagnes, des montagnes aux alentours ;
Un immense ondoiement de bleuâtres collines
Et de verdure aux tons changeants de clair velours
Glissent jusqu’à la mer, géantes serpentines.

Que me réservez-vous, été, séjour d’été ?
J’ai l’esprit indécis, j’ai l’âme vacillante ;
Et mon cœur fatigué d’avoir longtemps été
Sevré, ne veut plus que la mort inconsciente !



EN FORÊT



La douce rosée
En molle fusée
Inonde mes yeux ;
La brise module
Et sa plainte ondule
Dans le fond des cieux.

Son frisson caresse
La branche qui tresse
À mes pieds ses nœuds ;
La feuille frissonne
Et l’oiseau chantonne
En rythmant ses vœux.


Quelque chose glisse
Sous l’herbe que plisse
Un grand galon vert.
Des voix amoureuses
Pleurent, langoureuses,
D’avoir trop souffert…

La plage lointaine
Sourit, incertaine,
Parmi ses vapeurs ;
Et mon âme souffre,
Comme dans un gouffre,
Et pleure des cœurs !



TÉLÉPATHIE



Vous, d’habitude si câline
Enfant vers qui s’en va mon cœur,
Votre lèvre fraîche s’incline
Tordue en un pli de douleur ;
À vous voir si pâle et lointaine,
Les yeux fixés sur la fontaine
Pour tromper les indifférents,
Je sens que le soir vous apporte
Un souvenir de feuille morte
Parmi les échos murmurants…


Votre bel œil de velours sombre
Rempli de lueurs d’infini
Qu’estompe un peu de rêve et d’ombre
Et de chagrin en vain banni ;
Votre œil noir où des éclairs brillent,
Où vos sentiments s’éparpillent
Poursuivant leur cher idéal
Se pose avec des langueurs molles
De jeunes mourantes corolles,
Sur cette plaine de cristal…

L’Océan est calme et tranquille,
Loin de ressembler à ton cœur :
Le premier est ingrat, hostile ;
Ton cœur qui se nourrit d’un pleur
Appelle toujours la souffrance
Et hume de la souvenance
Le parfum persistant, charmeur ;
Et dans ta pauvre âme enfantine,
Ô chaste et rêveuse Faustine,
Le souvenir vivra, berceur…



ENNUI



Lasse du pâle ennui, j’erre sur la montagne ;
Et les heures s’en vont sans dessein, sans pourquoi ;
L’esprit vide et le cœur très lourd ; et la campagne,
Les bois, le lac, les fleurs me taisent leur émoi.

Tout se tait au dehors, tout se tait dans mon être.
Et pour tromper l’ennui je me lève… en chantant
Des romances d’amour, quand je sens, sur ma lèvre,
Passer un rire amer, peut-être insignifiant…



CRÉPUSCULE



Très lentement mon pas rêveur
Marque le sol de vos allées ;
Et je marche, étreignant mon cœur,
Sous vos branches échevelées ;
S’enlaçant amoureusement,
Dans les festons de leur feuillage
À moi sourit comme une image
D’ami lointain tendre et charmant.

… Et c’est le soir… et le silence
Avec ses échos assoupis
Coule dans mon âme en partance
Vers un ciel de rêves amis.
Ah ! c’est l’heure crépusculaire
Qui faisait frissonner Rousseau,
Où songeait aux morts Edgar Poe,
L’heure où méditait Baudelaire…


Sous le linceul du flot lointain
Disparaît l’ardente prunelle
Du soleil, si gaie au matin,
Mais à cette heure bien plus belle !
Et la prunelle de la nuit
Se lève haut sur la montagne,
Éclairant la vaste campagne ;
C’est la douce lune qui luit !

Et mon cœur si jeune se serre
Sous la splendeur de ce beau soir…
L’ombre lui pèse et le mystère
Du monde lui semble trop noir…
Et des larmes, sans juste cause,
Larmes d’une incomprise peur,
Larmes d’enfant sans frère ou sœur,
Glissent sur ma paupière close…



ADIEU



Adieu, montagnes libanaises !
Je vais bien loin
De vos festons mauves et fraises
De clair satin.

L’Égypte où j’habite m’appelle,
Timbre profond ;
Et déjà vogue ma nacelle,
Rythme fécond !

Ô mer, murmure tes berceuses
Car j’ai bien mal !
Plaignez-vous, vagues langoureuses
Du sol natal !


Ah ! ne t’éloigne pas si vite,
Liban chéri !
Ce soir d’adieu mon cœur s’agite
Tout attendri…

Tes nuits ont mis dans ma prunelle
La sombre nuit
Et dans mon âme une parcelle
D’éclair qui luit ;

Les dentelles de tes cascades
Ont fait mon cœur
Tissé de fleurs, de sérénades,
D’amour berceur ;

Aux caprices de ta nature
J’ai pris les miens,
De tes bois où l’Esprit murmure ;
Mes entretiens ;

Et mon âme est parfois sauvage
Comme un oiseau
Qui rêve lors de son passage
Au bord de l’eau.


Et parfois je me sens si douce,
Douce à pleurer,
Rien qu’à toucher la tendre mousse,
Où l’effleurer…

Ce soir je te vois, c’est un rêve
Et qui finit !
Tu disparais, au chagrin trêve
Adieu, mon nid !!

Je t’aime, ô Liban, je t’adore !
Liban, adieu !
Dans ce mot mon cœur s’évapore…

Adieu ! Adieu !



LAISSEZ-MOI !



Laissez-moi, laissez-moi dans ce charmant asile ;
Laissez-moi vivre ainsi, vivre seule et tranquille
Loin du bruit des cités ;
Laissez à mes regardes ces visions chéries,
Laissez à mes pensées des molles rêveries
Les sommeils enchantés !

Laissez-moi quelques jours ; car je ne veux entendre
Que le souffle léger, harmonieux et tendre
Qui parle sur ces monts ;
Éloignez, pour un temps, de moi les voix humaines
Qu’enflent la jalousie et les haines mondaines :
Ici nous nous aimons !


Oh, oui ! nous nous aimons : ces arbres solitaires,
Ces ruines de jadis, ces restes séculaires
Et ce triste rocher ;
Tout m’aime dans ces lieux, tout m’attire et m’enchante
Les feuilles je les sens palpiter, l’oiseau chante
À me voir approcher !



LACRYMOSA



J’ai caressé ma lyre avec mes mains lassées
Et j’ai gravi la côte où j’ai souvent marché,
Et j’ai baisé les fleurs des branches enlacées,
Et j’ai suivi mon rêve, allant au but cherché.

Le cœur battant à coups précipités, dans l’ombre ;
Un seul désir dans l’âme, une larme à mon cil,
Voyant le ciel trop noir et la cité trop sombre,
Je t’ai suivi, mon rêve angoissant et subtil !

… Suivre son élan, aller quand le sort vous appelle,
Au crépuscule tendre errer seul et pensif,
Et regarder le ciel quand le chagrin rebelle
A meurtri le cœur pur qui sanglote, passif…


… Le ciel est noir, mais quelque chose,
Un point à reflets chatouillants,
Un semblant de prunelle rose,
Un astre aux feux doux, ondoyants…
Ainsi que l’étoile, naguère,
Bethléem aux Mages montrant,
L’astre qui me guide m’attend
À la porte du cimetière.

Enfant depuis longtemps parti,
Ô frère devenu bel ange,
Pardonne à ma voix, mon petit,
Ma triste voix qui te dérange !
Que ta forme, sans s’attarder,
Reprenne la robe éphémère
De son enfance et de sa terre
Et vienne un peu me regarder !

Te souvient-il de notre enfance ?
Toi vieux de quelques mois, Mimi ;
Moi, fière de mon importance,
J’avais bien deux ans et demi ;
Nous dormions souvent côte à côte
Amusés de nos entretiens
Composés de rire et de riens,
À voir une mouche qui saute ;


Parfois nous nous battions bien fort,
Et tu mordais ma main osée
Qui touchait ta ceinture d’or
Sur ton cher berceau déposée ;
Et moi je mordais à mon tour
Ton doigt, ta main, ton bras, ta joue,
Et tu te sentais bien, avoue !
Essoufflé de ma rude cour.

Alors, conciliant comme un homme,
Ton bras s’étendait, appelant ;
Et tu saisissais mon corps, comme
Une mère apaise un enfant ;
Tu suçais ma lèvre sévère,
Et moi sur le bout de ton nez
Je posais mes doigts consternés
D’avoir ainsi blessé mon frère.

Puis vint un bout jour de printemps
Mais son rayon semblait livide,
Et depuis déjà bien longtemps
Je pleurais sur le berceau vide
Quand, craintive, j’ai vu s’ouvrir
Un étrange écrin blanc et rose
Où l’on a couché quelque chose…
Et les échos semblaient gémir !


Depuis ont passé des années ;
J’ai grandi, souffert, embelli,
Et de mes amours raffinées
Le plus chez dort enseveli !
Souvent le doux appel de frère
A brûlé ma lèvre et mon cœur…
Ah ! trop cruelle est la douleur
Qui remplit nos jours sur la terre !

Ô mon frère, ô mon frère mort,
Rien ne frissonne dans ta cendre !
Ne sens-tu rien de doux et fort
Sur tout ce qui fut toi descendre… ?
Car ta sœur vient pour te chanter
De nos berceuses orientales,
Nocturnes lentes, automnales…
Ne pourrais-tu les répéter… ?

Les morts oublient-ils les romances
Qu’ils ont appris à bégayer,
Et leurs compagnons de souffrances,
Et tous leurs efforts d’essayer… ?
Et de leur langue maternelle
Oublient-ils les si chers accents,
Et les visions d’attraits puissants
Du pays, des campagnes belles… ?


Ah ! dans mes bras, forme d’amour
Qui doucement sur moi te penches,
Viens ! reçois et donne en retour
Le baiser d’un cœur qui s’épanche !
Il est las, aigri, chagriné
De voir le[sic] vie un long mensonge ;
Frère, viens le baiser en songe !

… Des pleurs sur mon front incliné…



ESPOIR !



Allons, je suis venue un moment sous le saule
Près de la source tendre où sommeille le soir ;
Les rameaux inclinés caressent mon épaule,
Le flot baise mon pied en murmurant : Espoir !

Espoir ! mot que le cœur sans cesse nous répète ;
Espoir ! fleur imprimée à nos fronts de vingt ans ;
Hymne d’amour sacré, parfum de violette,
Idéal gracieux que nous cherchons longtemps !

Espoir ! tu es la vie et toute la nature ;
Sans toi rien ne pourrait alléger notre ennui ;
Toi rêve du présent et toi chanson future ;
Espoir qui montres Dieu pour nous tourner vers Lui !



CORNES DE HETTIN



Voisines du Thabor ! sept cents ans de silence
Pèsent sur vos sommets, ô Cornes de Hettin !
Mais il me semble ouïr, dans leur vague impuissance,
Les échos murmurer le nom de Saladin !

Jésus et Saladin, deux noms d’antique gloire,
Tout dans ces lieux déserts parle de vos exploits ;
Saladin et Jésus, le sabre et le ciboire,
La haine et le pardon, le Croissant et la Croix !

Ces régions, aujourd’hui d’apparence si calme,
Ont jadis retenti de sauvages clameurs,
Clameurs de guerre et de massacres et d’alarme,
Réveillant les échos dans les lointains dormeurs.


C’est là, haletante, alarmée,
Suivant le pas hâtif de Guy de Lusignan,
Que l’héroïque et folle armée
Tomba dans le cercle sanglant !

Saladin les reçut, épuisés, sous sa tente,
Sa magnifique tente aux glands chamarrés d’or ;
Puis, ayant étanché leur soif brûlante,
Ils moururent, les yeux fixés sur le Thabor !

Ils ont bu les braves soldats de France !
Cela consolera leurs mères désolées ;
Mais une âme parmi ces âmes isolées
Portera dans son cœur une éternelle lance !

Qu’as-tu donc fait, Renaud, Renaud de Châtillon,
Pour qu’au moment de boire, à tes lèvres la coupe,
Saladin t’ait tranché le souffle, avant ta troupe,
Sans te permettre de goûter à l’eau d’Hermon ?

Le sol couvert de fleurs aux couleurs printanières
Fut arrosé du sang des beaux guerriers Français,
Et ce pur sang coula jusqu’aux heures dernières
Du jour, liquide ardent, généreux à l’excès !


Et moi, rêvant un soir, je viens rêver d’histoire
Et célébrer tout bas la gloire des héros ;
À leur chère et douce mémoire
Sincères et tristes bravos !

Silence, un funèbre silence
Règne en ces horizons limités de flots bleus ;
Ce fut pourtant là-bas, sur ces bords fabuleux,
Que s’éveilla la chrétienne conscience.

Dans cet espace large un immense tapis
De velours ondoyant en changeante verdure
Est jeté par la main mère de la nature
Jusques aux lointains assoupis…

Et moi, sur ce tapis de doux vert séculaire,
Le cœur tout palpitant d’un spasme indéfini,
Je tombe à deux genoux et baise ce suaire
Qui couvre cet autre Calvaire,
Suaire tout de fleurs garni…



LE LAC


I.

Tout le déroulement des collines bleuâtres
Et le glissement sec des élévations,
Et les riches moissons des herbages folâtres
Et les terrains penchés en ondulations ;

Tout le panorama magique et grandiose,
Les restes éloquents des temps qui ne sont plus,
Et ce profond silence où plane et se repose
L’éternel Souvenir des grands jours révolus ;

Tout s’en va vers l’abîme imprégné de mystère,
Tout s’en va vers la paix des lointains recueillis,
Tout semble fictions souriant à la terre,
Fuyant rythmiquement vers un plus doux pays…


Depuis longtemps déjà, dès ma plus tendre enfance,
Mes rêves te voyaient méditatif et tel,
Avec ton calme aspect d’amour et de souffrance,
D’amour et de pardon et d’espoir immortel.

Et mon cœur de ce soir te contemple et t’aborde,
Et comme la nature il glisse vers tes bords,
Lac de Génésareth ! et la vibrante corde
De la lyre a frémi sous les tristes accords…



II.

Combien de fois j’ai désiré
Sur le mirage de ton onde
Pencher de mon cœur ulcéré
L’âtre où la vie surabonde ;
Et blottir sur tes sables fins
Mon jeune front plein de nocturnes,
Et tirer des sols taciturnes
À son contact, des chants divins !

Ô pâle lac de Tibériade !
Œil immense, sur l’horizon
Ouvrant ta prunelle blafarde
Pleine de résignation !
À peine quelques blanches voiles
Sillonnent ton large azuré
Au balancement modéré,
Comme de lointaines étoiles…


Mais je ne trouve pas l’esquif
Portant qui dont la voix est celle
Où frissonnait un air plaintif,
Pénétrant comme une étincelles ;
La voix qui prêchait, enseignait,
S’élevait forte et menaçante,
Puis retombait, conciliante,
… Elle encourageait, elle aimait…

Où sont les foules empressées
D’ouïr les étranges accents,
Et les mères, en vain chassées,
Qui faisaient bénir leurs enfants ?
Où sont les apôtres soumis ?…
Finit le passé mémorable !…
Un écho très doux sur le sable
Est tout l’encor de ce jadis !



III.

Vous tous qui m’écoutez, ô mes foules aimées,
Bénissez vos ennuis, vos chagrins douloureux,
Bercez les espoirs en vos âmes affamées
Et songez qu’il est dit : « Malheur aux bienheureux ! »

Je vous donne ma paix, ma paix vous est donnée,
Prenez-la : pardonnez, aimez qui vous trahit,
Secourez la misère, ouvrez la maisonnée,
Nourrissez l’affamé, recevez le banni !


JÉSUS de NAZARETH



IV.

Ô Christ ! ta parole suave
Apaise les plus cruels maux,
Mon cœur est moins triste et plus grave
Lorsqu’il se répète tes mots ;
Mais l’âme jeune est torturée
Et se dit toujours : y a-t-il ?
Et son raffinement subtil
La rend faible et décolorée.

Il faut bien ton regard divin
Pour rassurer le cœur moderne,
Il faut ta main de médecin
Pour panser la blessure interne ;
… Il faut, quand tout se tait, le soir,
Porter ses rêves en parcelles,
Ses troubles, ses doutes rebelles,
Et venir près du lac s’asseoir !



V.

Ayant au fond des yeux tout le vingtième siècle,
Je regarde ces flots et leur cours emporté ;
Dans les iris croisés formant un large cercle
Sombra toute l’antiquité !

Que de soleils levants ont doré ces montagnes
Depuis que Bet-Saïda s’effondra tout à coup !
Et qu’y a-t-il encor dans ces vastes campagnes,
Qu’y a-t-il encore debout ?

Capharnaüm là-bas, au pied d’une colline !
Ruines au bord du lac comme dans un album !
L’eau près d’elle a perdu sa couleur cristalline,
La brûlante Capharnaüm !


Ah ! que de fruits mûris sur ces branches penchées !
Que de fumée au fond de ce dehors rieur !
Et ces rocs désolés, ces pierres détachées
Leur attouchement brûle et triste est leur noirceur !

C’est le sol désolé, c’est la ville maudite,
Tout en elle ressent la défaite et la mort…
Et l’on entend, la nuit, la voix du vieux prophète
Gémir et pleurer près du bord…



VI.

Il faut bien que l’hymne s’achève
Et qu’on déserte le festin ;
Au ciel l’étoile du matin
Se lève !

Parmi les parfums somnolents
Où la nuit a mis son haleine
Pleurent les chants de la fontaine,
Troublants…

Tous les champs de la Galilée
Dorment, oubliant le passé
Que la souvenance a tracé,
Ailée…


Pourquoi donc retourner nos fronts
Vers le lac où plus rien ne brille ?
L’avenir devant nous scintille,
Tout blond !

Plus de places aux jérémiades
Dans nos blanches âmes d’enfant ;
Le lac est sombre ; allons-nous-en !
Il faut chanter des sérénades…



LA VIE HUMAINE



La vie de l’homme sur la terre
n’est qu’un combat perpétuel…
… La vie est un passage…
Nous mourons tous les jours !


Notre vie est ainsi faite que nous laissons un peu de nous-même aux ronces du sentier, et cela à chaque instant.

Nous paraissons marcher en aveugles sur cette terre, et, ce qui est pire, au lieu d’être guidés par nos semblables, nous en sommes les antagonistes obligés.

Voulons-nous détacher de sa tige une rose diamantée d’un pleur de la nuit ? les épines nous déchirent la main ; … cueillir sur le gazon moussu une violette qui feint de se cacher ? un serpent siffle, s’enroule, se délace, s’élance et pique ; … couper un lilas éclos et frais ? un œil nous guette ; baiser un lys blanc ? une main pesante arrête notre épaule.

L’homme qui ne vit ne vit pas pour lui, mais pour son semblable. Et que peut-il faire, en effet, s’il a contre lui les forces coalisées de tous les hommes ? c’est à peine s’il peut en passant cueillir un pétale de fleur, récolter la pensée du fruit de sa peine !

Quand nous trouvons un instant de bonheur, avec quelle rapidité ne nous échappe-t-il pas ? En vain voudrions-nous nous arrêter ; mais nous sommes semblables à un torrent, et l’onde qui suit pousse devant elle l’onde qui précède. Son eau roule sur des roches rugueuses, tombe en cascades frémissantes ; il voudrait quitter ces bas-fonds inhospitaliers, mais il ne le peut pas : il y reste le temps que lui a départi le destin. Il côtoie de beaux rivages, de frais jardins dont le silence est rompu seulement par le murmure mystérieux d’une charmille ; en vain veut-il ralentir sa course, il ne le peut pas, le destin en a décidé de la sorte.

Quelquefois une main rêveuse lui jette un myosotis ; il n’essaie même pas de connaître cette main ; mais, cette fleur frêle, il s’efforce inutilement de s’unir à elle, de la faire sienne, de l’engloutir…

Peut-être reçoit-il un bouquet fané, il ne peut pas le rejeter, il n’en a pas le temps.

S’il traverse un lac aux rives bordées d’arbres feuillers, il espère s’y reposer un instant, mais il ne s’arrête que pour y prendre un nouvel élan ; il bondit dans une gorge resserrée, s’y blesse, y blesse une plante verte et délicate, s’élance dans une vallée qu’il féconde de sa fraîcheur, se calme à mesure que la plaine qui le borde devient plus large, se clarifie à mesure qu’il s’éloigne de la montagne, et ne vient expirer dans le grand océan bleu que lorsque son eau est parfaitement limpide.

L’eau du torrent aspire à la beauté azurée des mers comme le cœur de l’homme à l’Idéal… le torrent à l’immensité profonde, comme l’homme, au bonheur.



NAZARETH



Nazareth ! je te regretterai.

Lorsque ma vie écoulera ses jours sur la terre lointaine d’Égypte, ou dans les forêts libanaises et que je songerai, Nazareth, à la beauté azurée de ton ciel, à la gaze tullée de ton firmament étoilé, à ces douces soirées où mon regard se perdait dans l’infini et s’efforçait de faire passer en mon âme l’azur céleste ; à ces causeries pendant lesquelles une perle d’ébène cherchait à se mirer dans mes yeux et une main fine offrait à la mienne les dons de l’hôte ; lorsque je songerai à tous ceux que j’aimais, à tous ceux que j’aimais et qui s’enivraient de ton air, à ceux qui étaient loin de moi, malgré la distance ; et qui pensaient à moi, malgré tout ; lorsque je songerai à son regard qui voulait fuir le mien et qui ne le pouvait pas, à son sourire mignon qu’elle s’efforçait de voiler, à cette promenade à deux qui me rendait muette, parce que j’étais près d’elle ; à ces petits riens qui voulaient me faire penser à elle ; lorsque je songerai à cette participation au même sacrement qui unit encore plus la vie intime de nos deux âmes à cet instant où, agenouillées côte à côte, ses doigts caressants vinrent toucher mes doigts émus, Nazareth ! Nazareth ! je ne t’oublierai point ; je revivrai ces instants délicieux qui furent vécus à l’ombre de tes maisons silencieuses ; je maintiendrai intacte dans ma jeune âme la mémoire de mes émotions ; et, lorsque ma pensée se reportera sur toi, elle t’éteindra doucement, et mon âme revivra sa vie.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tu fus, douce ville des fleurs, l’occasion de beaux moments dans mon existence, et de toutes les villes de la Palestine, tu fus celle qui m’enserra le plus fortement le cœur.

Je pars, hélas ! loin des flocons nuageux de tes astres de nuit, et je ne verrai plus les doux appartements qui me virent sourire, ni les fleurs rouges de leurs lèvres, ni les regards profonds de leurs yeux noirs, ni ses beaux cheveux de sombre ébène, ni son sourire d’amie profondément aimante.

C’est fini ; mais j’emporte dans mon cœur le souvenir de tous ces riens qui furent pour moi des mondes.



TRISTESSE



Mon âme est triste aujourd’hui, d’une tristesse sombre qui me fait mal. Pourquoi ?… Les feuilles qui tombent de l’arbre savent-elles pourquoi le vent les fait balancer dans leur chute ? Et elles tombent, les petites, les pauvres petites feuilles, par monceaux ; elles, qui se sentaient esclaves sur l’arbre qui leur avait donné la vie, elles qui voulaient connaître la liberté, elles l’ont enfin, leur liberté.

Oh ! comme elles sont contentes ces feuilles vieilles, jaunies, ridées, ratatinées, plissées comme la peau des vieilles, vieilles bonnes femmes ! Comme elles dansent ! Elles vont en faut, en bas, par côté, se retournant sur elles-mêmes, profitant de la plus légère brise pour s’éloigner un peu de la terre, comme si l’instinct les avertissait, les pauvrettes, du sort qui les attend sur cette terre, cette terre maudite et triste. Elles veulent rester en l’air, mais libres, et elles se croient joyeuses parce qu’elles sont moins éloignées du ciel.

Je vous vis naître, chères feuilles,… vous étiez petites… et d’un vert si tendre !

Combien, dites-moi, de douces paroles n’avez-vous pas ouïes et de chastes embrassements, entrevus ? Les murmures que vous échangiez l’une à l’autre, et les baisers que vous vous donniez, alors que le zéphir venait vous caresser, ne vous suffisaient pas ? Ô petites jalouses, vous avez vu le plaisir au-dessous de vous, et vous l’avez désiré. Vous avez cru que le bonheur se trouvait sur terre. Oh ! non, le bonheur n’existe pas chez nous, car l’homme ne peut que formuler ses désirs, il ne les réalise pas.

Naïves petites feuilles qui fîtes l’impossible pour n’être plus esclaves, vous n’aurez même pas la liberté et le plaisir d’être foulées aux pieds de qui vous aimez, il est si doux d’être humilié par l’âme qu’on aime ! Vous roulerez dans la poussière, dans la boue, et vous pourrirez là !

Et je suis triste, petites feuilles, en vous voyant danser et tomber… triste d’une tristesse qui me fait souffrir !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ô Dieu, pourquoi as-tu mis dans les yeux de l’homme des larmes qui ne tarissent pas ?

Pourquoi… ?

Quel plaisir éprouves-tu à te venger ? Tu es grand ; nous sommes faibles, tu es fort, nous sommes impuissants ; nous sommes méchants, et tu es bon ; pardonner eût été plus digne de ta grandeur ; anéantir, plus conforme à ta puissance. Tu n’as fait ni l’un ni l’autre, et je souffre.

Mon âme est triste aujourd’hui, d’une tristesse sombre. Je songe aux feuilles qui tombent, aux vivants qui rient, aux morts qui ne sont plus.


2 Novembre.



DOUTE



Amie aux grands yeux doux mon âme vous appelle !
Le vent souffle ce soir, capricieux et lourd ;
Le vent souffle, et sa voix gémissante et rebelle
Réveille dans mon cœur l’écho plaintif et sourd…
Amis aux grands yeux doux, mon âme vous appelle !

Je rêve tristement, assise entre mes fleurs.
L’aile de l’ouragan fouette ma fenêtre,
Le ciel pleure… ah ! ces pleurs, ces lamentables pleurs
Qu’ils font mal aux pensers, aux profondeurs de l’être !
… Je rêve tristement, assise entre mes fleurs.


Vous souvient-il d’un jour, le premier de l’année,
Où le divin sourire illumina vos yeux,
Où mon âme en votre âme adora son aînée,
Où votre cœur m’aima, doux et silencieux… ?
Vous souvient-il d’un jour, le premier de l’année ?

Un mois s’est écoulé, nous touchons à sa fin…
Deux fois, pendant deux soirs, je vous revis encore ;
Maintenant que la joie est à son lendemain
J’entends encor l’écho de votre voix sonore.
… Un mois s’est écoulé, nous touchons à sa fin…

Et ce soir est un soir d’acier pluvieux et sombre,
ET mon âme est si triste, une angoisse m’étreint,
Mon cœur tout attendri d’un vilain doute s’ombre :
Si votre cœur n’était que menteur, fourbe et vain… ?
… Et ce soir est un soir d’acier pluvieux et sombre…



ANTOURA



Souvenirs d’autrefois, faut-il vous évoquer
Maintenant que mon cœur n’est ni joyeux ni triste ?
Noms amis de jadis, faut-il vous invoquer
Avec le doux attrait qui dans votre âme existe ?

Il fut un temps, amis, où vous m’étiez tout, tout !
Il fut un jour sombre où tu pleuras, jeune fille !
Il fut une heure où j’ai vu les saules debout
Pencher leurs cheveux verts sur l’eau qui dort et brille ;

Un temps où moi joyeuse où moi câline, enfant,
J’ai laissé mes cheveux flotter comme la brise,
Et trempé mes pieds nus dans le flot murmurant
Causant, riant très haut et sur un roc assise ;


Un temps quand, écolière, aux jours de grand congé,
J’ai voulu m’éloigner des autres jeunes filles,
Et sur les sables fins j’ai dormi, j’ai songé
À vos mystères flots, atomes et coquilles !

Temps rose, mauve, roux comme les papillons,
Temps qui pleurait, riait, souvenances jolies,
Verdure des matins et des soirs, doux sillons,
Rêve qui sur mon cœur blotti tu te replies !

Antoura ! c’est bien toi le souvenir aimé,
Toi le temps de jadis, fleurettes immortelles,
Toi la verdure tendre et le bois parfumé,
Toi le rire charmant et les heures trop belles…

… Tes nuits, tes nuits surtout m’ont éveillé le cœur,
Antoura, village humble et nid inoubliable ;
Tes soirs furent mon bien, l’obscurité ma sœur,
Fière et profonde sœur de mon âme insondable…






PAGES INTIMES


MYOSOTIS



L’amitié sème la vie de fleurs…



INTRODUCTION


À Miss Sidonie Ripperger
Souvenir affectueux


C’est à vous, chère amie, que je dédie cette partie de mes « Pages intimes », intitulée « Myosotis » : la justice et l’affection m’en font un devoir… et quel devoir doux à remplir !

Au moment où je perdais Pauline, à qui j’avais offert « Fleur d’amitié » en dédicace, une autre amie s’est présentée autrement fidèle qu’elle : cette amie c’est vous, chère Sidonie ; et vos lettres si pleines de douceur, d’abandon, d’affection, ont plus d’une fois, apporté le rayon de soleil à mon âme glacée par la solitude.

Savez-vous ce qu’est le manque de vraie et sincère amitié pour le cœur qui a besoin de s’épancher ? Je souhaite que non, et je voudrais que vous ne le sussiez jamais.

Cependant, dans la nuit sombre et froide dans laquelle mon âme se débattait angoissée, vous êtes apparue, comme l’aube au matin, avec la lumière et la chaleur, et je me suis laissé captiver par vos qualités si attrayantes de l’intelligence et du cœur, comme l’alouette se laisse tirer au-dessus d’un miroir lumineux.

Soyez pour moi, amie, ce que Pauline n’a pas été, et ayez l’assurance de n’avoir pas à obliger une ingrate : encore que si le destin continue à nous éloigner l’une de l’autre, je vous porterai dans mon cœur comme je suis et resterai dans le vôtre.


I. C.






Dernier matin au Caire, pour cet été. L’heure est claire, calme, lumineuse, presqu’immobile. Assise sur mon cher petit balcon, mon cahier sur les genoux, mon fountain-pen à la main, je regarde les « spécialistes » arroser d’eau la rue silencieuse que je ne verrai pas demain, ni après-demain, ni pendant les trois ou quatre mois suivants. Les oiseaux se réveillent et saluent l’aurore de leur gazouillement de jeunesse enivrée ; ils voltigent çà et là sur le toit. Un d’eux passe près de ma tête, si près que son aile capricieuse semble frôler mes cheveux. Je voudrais l’attraper et lui demander ce qu’il chante et pourquoi il chante, peut-être me répondrait-il… mais il le ferait en moineau, et cela me décourage.

… L’atmosphère très claire s’embrume de l’haleine sombre des cheminées de Boulac, et, au même instant, l’air se peuple de sons très doux ; ce sont les joyeux carillons des cloches catholiques, cloches franciscaines, cloches africaines dont les suaves vibrations montent vers l’azur puis redescendent sur terre rappelant, appelant, apaisant, consolant…

Nous partons pour la Syrie. Allons, partons ! Depuis déjà plusieurs jours, voire même plusieurs semaines, je suis impatiente de partir. J’ai la nostalgie de l’onde et des montagnes et mon cœur ne tient plus en place. Parfois, il me semble qu’il quitte ma poitrine et me devance vers le large amer, s’abîmant dans les flots tièdes et nonchalants… comme ces mondes, lointains que nous voyons glisser sur les vagues éthérées de la nuit…

Qu’importe la nuit et qu’importe mon cœur ? l’un et l’autre sont profonds, immenses, incompréhensibles et pleins de feux… il s’agit de partir.

Je voudrais seulement pouvoir emmener avec moi mon petit canari dont les douces chansons me réveillaient chaque matin, mais faire voyager une cage avec soi, cela sent trop la petite fille, ce que d’ailleurs je ne suis pas, ni ne voudrais être : quand on songe à publier certains passages de ses écrits on est indiscutablement très grande…






Beyrouth. Arrivée ce matin.

Bateau : russe, mal cloué, immense, vieux, asthmatique.

Capitaine : gros, petit, teint brun, yeux bleus, air bête, parole fréquente.

Piano : désaccordé, rouillé, nasillard… plein d’eau.

Compagnons de voyage : insignifiants.

Mal de mer.

Toutes les excellentes raisons pour garder la cabine et le lit.

Halte d’une longue journée de 18 heures à Jaffa. Mer à peine ridée et superbe. J’ai revu la côte verte et gracieuse, et, remontant quelques années dans mes souvenirs, j’ai retrouvé la petite enfant que j’étais, voyageant sur mer pour la première fois, et éprouvant une de ces exquises sensations que jamais l’on n’oublie. Que de crépuscules et que de soirées passées sur la terrasse de Casa-Nuova à contempler cette même immensité ! Que de crépuscules, que de soirées, que de rêves !

Depuis, je suis devenue une jeune fille, j’ai appris à savoir lire et à savoir penser : j’ai connu de nouvelles langues et des âmes nouvelles, j’ai vu des horizons différents, plus larges et plus beaux, et je croyais la petite fille d’autrefois morte en moi. Mais voilà que devant cette mer je la retrouve vivante et vibrante, avec ses yeux émerveillés et son cœur enthousiasmé.

Ainsi sommes-nous. Quand nous passons d’un endroit à un autre notre personne change aussi. Les montagnes qui nous entourent, les arbres qui nous couvrent de leur ombre amie, l’eau qui chante à nos pieds, le gazouillement des oiseaux, tout a son influence spéciale sur notre âme. Ce n’est pas dans les profondeurs de notre être que nous puisons l’origine de nos rêves, mais dans ce que nous voyons, entendons et respirons. Malgré notre volonté, notre mémoire reproduit ce que lui retransmettent les sens, et dans la nuit de l’imagination, des lambeaux d’images s’unissent et le rêve se forme.

Le lendemain nous abordons Haïfa. L’heure est très matinale et nous distinguons à peine les clochers qui fendent la brume… L’aube arrive, et la ligne harmonieuse de l’enchaînement des montagnes du Carmel se dresse délicieuse sous le ciel tendre et la jeune clarté. Au pied du Mont Carmel la ville de Haïfa dort encore ; l’ombre et la paix emplissent ses rues tortueuses… seule l’onde infatigable gémit sur ses bords, continuant nonchalamment sa romance sans fin…

À Beyrouth, le coup d’œil est féerique. Sous les brouillards argentés du matin se dessinent les montagnes dont il suffit de prononcer le nom pour sentir s’éveiller en soi une émotion poignante : c’est le Liban.

Des bandes de pourpre se déroulent sur la tête des collines, alors que les profondeurs des vallées sont encore plongées dans l’ombre ; puis l’ardent soleil, fier de son magnifique manteau d’or, envahit tout et donne aux blocs de granit, aux massifs de verdure, aux édifices jaunis par le temps des couleurs éblouissantes, adoucies çà et là par des reflets câlins d’émeraude et de saphir ; la mer, l’atmosphère et l’air sont comme noyés dans un océan de lumière, il faut la plume magique de Lamartine pour exprimer toute cette beauté avec des mots : seule elle en est digne et capable.

Broumana. Des montagnes, des bois de pins odorants, des maisons immaculées coiffées de tuiles rouges et perdues parmi les arbres verts, et, là-bas très loin, la mer balançant ses flots moelleux… voilà le charmant tableau qui environne notre habitation estivale d’un mois.

Il est près de six heures du soir et le soleil a disparu derrière l’horizon, enveloppé des velours monotones des flots, et le crépuscule vient lentement, lentement… il baigne les collines et les pins ; il apporte à mon âme une augmentation de tristesse et me fait songer à la vie et à la mort…

Ô soleil, où t’en vas-tu ?

Dans ta capricieuse tournée à travers les mondes sans fin, où t’en vas-tu suivant le même chemin, allant toujours, toujours, toujours ?

Indifférent, infatigable, inlassable, tu vois chaque jour pleurer et sourire, mourir et naître, et tu continues à traîner ta chevelure resplendissante envoyant les mêmes rayons aux vivants comme aux morts. Plein de vie, l’homme te contemple aujourd’hui, demain il dormira dans le sein de sa mère la terre et ta lumière ira caresser les herbes funéraires qui frémissent sur son tombeau…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C’est l’obscurité, c’est la nuit ; une nuit sombre, sans lune… et l’obscurité se fait dans mon âme…

Petite promenade solitaire et triste sur la route verte et mélancolique de Baabdat. Assise auprès de ma mère sous un couple de fiers pins, je regardais rêveusement la forêt de jeunes arbres, la forêt qui s’emplissait de mystère et qui murmurait à mes pieds ; la mer lointaine sommeillant dans ses voiles de bleu tendre ; les bords de l’horizon sillonnés de longs nuages de feu, et le soleil, ainsi qu’un gros ballon enflammé, s’abîmant dans les flots… toujours le même panorama.

Tous les soirs je vois ce même coucher de soleil ; tous les soirs j’interroge les nuages lointains qui me semblent des grottes féeriques, ou des châteaux brillamment éclairés suspendus dans l’air tendre du crépuscule mourant…

Je lève les yeux au ciel pendant que mes lèvres murmurent un requiem, et, que vois-je ?

Des étoiles naissantes dans le firmament pâle, Vénus brillant au bord de l’horizon près de sa jeune sœur, oh, si jeune et si belle, la lune !

Oui, la lune que j’adore et qui manque tant à ces soirées libanaises ; la lune, messagère des affections et rendez-vous des aspirations ; la lune, consolatrice des malheureux qui veille avec eux, songe avec eux, écoute leurs plaintes en silence et les caresse de son large regard de lumière…

Oh ! la douce journée que celle d’aujourd’hui ! Ce charme triste de l’atmosphère ! cette brume suave qui cache le soleil et donne aux arbres cette chère couleur de vert très tendre…

… Et les montagnes, grandes et petites, rêvent… Elles semblent rêver…

Les montagnes, toutes les montagnes à l’air majestueux et imposant rêvent des azurs lointains, des fonds mystérieux des flots et des secrets étranges d’outre tombe…

Toutes les montagnes semblent rêver à des choses profondes et inexplicables…

Pascal m’ennuie, c’était un neurasthénique, il n’a pour sa gloire que son discours sur les passions de l’amour.

Vous me reprochez mon français et vous l’appelez douteux ? vous avez tort de le faire. Qu’importe si mes phrases sont plus ou moins à la Bossuet ?

Quand l’âme est belle le fourreau est négligeable.

Si ma pensée est intéressante, que m’importent les expressions creuses ?

Inutile d’essayer de me corriger ; je suis incorrigible et le monde ne verra mes idées que dans un livre imprimé, très imprimé même.

J’ai dit.

Dans une seule et même personne il y a souvent un mélange de bêtise et d’intelligence qui vous étonne.

Vous dites avoir souffert à cause de moi ? Je suis en même temps désolée et heureuse que vous souffriez à cause de moi. C’est dans la souffrance, mon aimée amie, que l’âme trouve sa plus intime volupté, c’est certain, et c’est quelquefois dur à comprendre ; cependant, c’est la vérité : souffrir pour quelqu’un qu’on aime et aimer malgré tout ce quelqu’un n’est-ce pas le comble de l’amour ? Vous êtes une belle âme, et je suis sûre que vous me comprenez, et c’est pour moi un plaisir indicible de sentir que vous, ma chérie, compreniez mes sentiments, car le commun estime que c’est une folie ; or folie pour folie, je préfère la mienne qui comprend et aime ce que je fais à celle des ignares qui n’ont pas ce sens intime de la psychologie de l’amour et qui, parce qu’il sont aveugles, croient que tout le monde leur ressemble. Oh ! non, je ne suis pas de ces âmes pusillanimes et faibles qui acceptent tout sans combattre : la vie se trouve dans la lutte pour atteindre un idéal ; on est frappé quelquefois, on est blessé, on saigne, on peut mourir des blessures, mais au moins on a la conviction d’avoir lutté, d’avoir exercé les facultés les plus nobles de la nature humaine, les facultés de l’intelligence et de la volonté. Cette multitude d’âmes qui acceptent tout sans s’en rendre compte et qui préfèrent à l’honneur de la lutte le plaisir du repos ; cette multitude dont l’intelligence et la volonté sont les esclaves, les véritables esclaves des idées d’autrui ; cette multitude qui n’a aucun idéal, ne peut pas comprendre les âmes qui ont un idéal et qui combattent pour le conquérir ou le défendre.

Ma conscience m’approuve-t-elle ? Me rapproché-je de l’idéal en combattant ? Ma volonté se développe-t-elle dans la lutte ? Suis-je convaincue de l’honorabilité de la bonté de mon acte ? Si la réponse est affirmative je suis dans la bonne voie, quoi que puisse dire et penser la multitude. Et la multitude qui aime le repos du caractère ne comprend pas et ne peut pas comprendre la lutte ; c’est impossible. Et lorsque une âme souffre pour une autre âme qu’elle aime, c’est une lutte, une belle lutte, dont le héros est en quelque sorte un génie, puisqu’il vise à un idéal et qu’il l’atteint.

La société a le talent du mensonge. Elle le met dans toutes ses paroles et dans toutes ses actions ; il faut savoir très bien mentir pour pouvoir arriver aux hauts degrés de l’échelle sociale : ce n’est pas gai.

Pensez-vous que mon affection changerait si je vous disais : « J’aime, le soir, à contempler le ciel bleu, à regarder les étoiles brillantes, à jouir de la faucille d’or de la lune qui tranche les étoiles si brillantes et si blanches que nous voyons filer dans l’immense champ d’azur au-dessus de nos petites têtes, j’aime cette profondeur du ciel grand qui accuse ma faiblesse, mais je préfère tes yeux, ô Sidonie, tes yeux si profonds, car ils sont l’ouverture d’une âme grande, noble et élevée.

J’aime à entendre gazouiller les oiseaux près de leurs nids, j’aime leurs mélodies, leurs chants d’amour dans les feuilles vertes, mais ta voix, ô Sidonie, est plus mélodieuse et céleste, elle me va plus vite et plus profondément dans le cœur.

J’aime les chauds rayons du soleil de printemps, les fleurs blanches, rouges, bleues, les mille petits cris de la nature, mais ton cœur, ô Sidonie, est plus chaud, plus ardent, car il enflamme le mien.

J’aime la bague de la mer qui déperle sur les rochers, la vague qui vient mourir en un vaste ruban blanc sur le sable blond ; j’aime le murmure du ruisseau qui se brise sur les pierres ; j’aime la brise fraîche de la mer qui souffle dans mes cheveux ; mais quand je suis avec toi, Sidonie, mon âme est plus calme, plus tranquille, plus reposée que ce voyageur fatigué qui s’étend sous les ombrages d’un bosquet et leur donne en échange de leur fraîcheur les fatigues de sa longue marche. »

Croyez-vous, ma chère amie, que mon affection pour vous changerait si je vous disais ce que je viens de vous dire ?

L’amitié se laisse deviner petit à petit et ne s’impose qu’à la longue. Remarquez la suite logique de ces sentiments de l’âme : respect, estime, affection, amitié. De tous les sentiments du cœur humain l’amitié en est le dernier, parce qu’il est le plus élevé, le plus difficile à atteindre et le dirai-je ? à maintenir. Il est doux, suave, consolant. Le respect et l’estime viennent de l’intelligence, l’affection vient du cœur, mais l’amitié provient de l’esprit et du cœur. C’est ce qui fait sa force et sa douceur, sa grandeur et sa délicatesse, et c’est justement à cause de ses qualités que l’amitié est rare ; elle est aussi difficile à cause de ses devoirs.

Savez-vous pourquoi vous êtes si attrayante ? C’est parce que vous êtes vous. La personnalité suppose une originalité, l’originalité bonne et rationnelle, j’entends.

Vous voyez les étoiles blanches mais vous ne songez pas qu’elles se perdent dans le secret des cieux. Le secret des cieux quel sera-t-il, et le connaissez-vous ?

L’avenir ne doit pas nous effrayer. Il faut se préparer à parer aux éventualités et à tout hasard de la vie. Si nous surmontons les difficultés, ce sera une récompense de toute une longue préparation ; si nous sommes vaincus nous aurons au moins la consolation d’avoir fait tout notre devoir et d’avoir toujours agi selon notre conscience. La vie nous aura vaincus, mais nous n’aurons donné aucune prise à un ennemi de beaucoup plus que fort que nous et qu’il y a de l’héroïsme à regarder en face sans trembler.

« Ce qui rend la vanité si insupportable c’est qu’elle blesse la nôtre. »

On me demande si La Rochefoucauld a raison.

Peut-être.

J’étais en train de lire et je me mis à rire ; mon canari a cessé de chanter pour me regarder avec un air de se dire : « Pourquoi donc ma grande amie rit-elle comme cela ? » Le pauvre petit — je l’ai déjà bien éduqué, mais pour l’instruction mâ fisch.

Je parle de mon canari, comme si tout le monde le connaissait. Donc, il faut que je le présente. Mon petit canari est d’un jaune doré avec des reflets d’argent et une longue queue blanches ; il a de mignonnes petites pattes roses, de gracieux petits yeux tout noirs, plus noirs que l’ébène et le jais, et un bec rose avec un point brun de beauté. Je l’appelle « Mimi ». Inutile de dire que je l’aime et le gâte. Il est très gentil et plus encore lutin. Je lui parle et il me répond… en canari.

Pauvre petit, quelquefois je le plains car il ne connaît pas la liberté ; mais il paraît très heureux !

Tant mieux !  !

Selon vous, les calendes grecques tombent le 19 Juillet, c’est bon à savoir ; y a-t-il beaucoup de calendes grecques dans le courant de l’année ?

Lorsque l’Aurore, vêtue de blancheur, de splendeur et d’éclat, montée sur son char de feu tiré par quatre chevaux rouges frémissant et crachant par leurs naseaux la rosée sur la terre, ouvrit ce matin les portes de l’azur, un tel bruit retentit dans l’Univers, une telle frayeur s’empara des mortels, qu’Orphée, dont les bras souples et embaumés m’avaient bercée pendant la nuit, me laissa choir.

Mon rêve était achevé !

Vous terminez votre lettre en vous plaignant d’être jeune fille, et non pas jeune homme. Vous avez bien un petit peu raison ; on a appelé les femmes « le beau sexe » et c’est faux ; les femmes forment le joli sexe, le beau sexe est réservé aux hommes. Cela vous étonne, mais c’est la vérité : beaucoup d’hommes sont beaux, tandis que peu de femmes sont belles et beaucoup sont jolies.

Vous grécisez le français.

Pourquoi ne dites-vous pas « sans y changer une virgule » au lieu de « sans y changer un iota » ?

Je comprends vos peines si vous vivez avec des personnes qui ne sont pas ce que vous aimez, je comprends votre dégoût, je comprends cette mélancolie qu’engendre une vie que vous ne désirez point. Je comprends que vous désirez la solitude qui est faite pour les âmes d’élite et les âmes qui ont la noblesse de l’intelligence ou celle du cœur.

Il paraît que quand on est jeune on ne peut pas juger la vie réelle ; l’imagination est frappée de certaines images qui paraissent lumineuses, elle en est comme éblouie, puis lorsque la raison reprend sa place principale, il y a une détente nécessaire qui fatigue.

On ne cesse de le répéter théoriquement ; prouvez donc que la jeunesse est stupide ou incapable.

En tout et toujours, il faut un idéal qui élève l’âme, idéal supérieur au commun mais cependant réalisable.

Shelley réduit en cendres après sa mort ; excepté son cœur conservé froid et intact.

Oh ! la triste et délicate idée !

Est qualifié de charmant celui qui est capable de charmer ; et de charmeur, celui dont le charme s’est déjà exercé.

Cela ne veut rien dire.

J’estime que la crainte ne sert qu’à faire de vils esclaves et que les personnes qui ont un caractère ont pu l’acquérir par un motif plus noble et plus élevé. Et comme je cherche avant tout à me former un caractère, je n’ai aucune accointance avec ce bas sentiment que les lâches adorent sous le nom de crainte.

Oh! mornings and evenings, how beautiful you were! Everyone of your hours brought me a new sensation, a new trouble, a new meaning of Religion, of Science and of Life. Great silent woods, I shall never forget your deep calm and how fresh and peaceful you were! But you have forgotten the child who climbed upon your trees, who dreamt and cried and played and laughed in your sweet depths. Who, very often in the night, went barefoot out on the terrace and sent you long silent kisses and wept bitterly for she was homesick for you!

Ah! I am the same, I love you still with my whole heart; I love the silver spring murmuring under your shadows and the birds singing among your branches ; I love the panorama I saw from my window in the study, when, at six o’clock in the morning, our eyelids still heavy with sleep, they brought us there to learn lessons and write compositions. I remember often having done nothing near the little beloved morning window but look at the mountains and at the distant sea soft, blue and divine; it was so distant that it seemed mingling with the sky and I could not help looking at both azures and write warm stupid poetry that teachers caught in order to tear into pieces, for I was not doing my task, they said.

Ô Nature, Nature! Thou art life for me and I am thine, heart and soul! I hate towns where manners are studied, words and looks conventional, smiles hypocritical, houses small and narrow; where the smoky air is but the breath of thousands of chimneys and thousands of persons.

Ah! that I could be a shepherd spending my days in jumping with my sheep and singing with the birds; and, in the evening when tired, I should lie under some tree and tune my shepherd’s pipe as David, when young, used to do in the romantic old fields of Beit-Sahour…

Above all, I love silence. Not the shy silence of ordinary mediocre natures, but that of beautiful high souls… The silence, expressive and eloquent, that widens the eyes and makes the deep mysteries of the heart peep out from these windows of the mind ; silence great and beautiful, that marks an important epoch in the inner life of the soul…

He who knows how to be silent knows everything…

“Eyes too expressive to be blue,
Too lovely to be grey.”

Je n’ai jamais dit que je préférais les yeux bleus, noirs ou verts. Pour moi le nom, comme la couleur des yeux, est joli ou laid selon le charme et le non-charme de la personne qui le porte. Le nom le plus ronflant, le plus brillant me laisse parfaitement froide lorsqu’il désigne une personne pour qui je n’éprouve que de l’indifférence ; et le nom le plus simple est pour moi le plus doux et fait vibrer en mon cœur mille sentiments divers lorsqu’il est porté par une personne amie.

Ô mon Dieu, quels sont les moyens d’arriver au bonheur ? Faut-il être méchant ? Faut-il être bon ?

Quel but avais-tu en installant le monde, en créant l’homme ? Tu savais bien que la vie ne serait qu’une suite ininterrompue de douleurs, une longue chaîne de plaintes, un immense océan de larmes ; et pourtant tu fis l’homme et le destinas au bonheur.

Où est-il ce bonheur si généreusement promis ?

Là-haut, dans ton beau ciel bleu, à travers les soleils innombrables et les mondes sans fin, fais-tu quelque chose de si vaste et de si mystérieux dont l’aliment est la douleur de ta créature ?

Je ne sais plus qui a dit que les enfants et les poètes qui ne sont que de grands enfants, sont toujours pessimistes.

?  ?  ?  ?  ?  ?

Amour et sacrifice sont les deux mouvements les plus beaux dont soit capable l’âme humaine : savoir aimer et savoir se sacrifier ne sont propres qu’aux âmes d’élite.

Le Catholicisme est basé sur l’amour et le sacrifice, et pour être vraiment et sincèrement catholique il faut être grand par la charité, grand par l’abnégation, grand par la foi.

Ton véritable ami est celui qui ne te passe rien, mais qui te pardonne tout.

Ton véritable ami est celui qui sait te frapper un grand coup quand cela est nécessaire, mais qui le fait en aimant.

Les vraies amitiés sont rares, on l’a déjà trop répété : peu de gens savent joindre la fermeté à la tendresse.

Je préfère un méchant intelligent à un bon sot.

Il est dix heures et demie du matin, et je suis seule dans la forêt depuis plus de deux heures. Seule avec Byron, le poète sauvage et délicieux que les Anglais classent au quatrième rang de leurs poètes, parce qu’il est trop bon rimeur, peut-être, et qui, après Shakespeare, mériterait d’être le premier.

N’en déplaise à ces Messieurs de l’Angleterre !

Pendant que je lisais, mon petit cahier reposait près de moi ; et maintenant que j’écris, Childe Harold est couché à mes pieds.

Savait-il, le malheureux Byron, pouvait-il savoir lorsqu’il écrivait ce triste et charmant poème, qu’une jeune fille Syrienne irait passer avec lui, avec ce qui reste de lui, de longues heures solitaires dans les douces forêts libanaises ? Comme je les trouve brûlants et doux ses vers, parcelles de son âme étrange ! Et je n’arrive pas à comprendre comment Lady Byron a pu le traiter si durement : quand on a pour mari un pareil homme il faut bien lui pardonner certaines extravagances. Un homme de génie n’est pas un homme comme tout le monde.

Pas une aile visible, mais d’innombrables voix gazouillent dans les branches ; on dirait que c’est la forêt toute entière qui chante.

Oh ! ces voix de cigales syriennes, voix d’été lumineux passé sur les sommets qui, vus de la mer, semblent perdus dans l’azur impalpable… Oh ! ces heures suaves qui s’écoulent oisives, rêveuses, nonchalantes, libres de toutes les entraves mondaines et les exigences sociales… Avec quelle impatience croissante je les attendais !

Quel bonheur de jouir de cet horizon éblouissant, des ondulations infinies des montagnes et des champs, de toute l’immensité bienheureuse de la mer lointaine, et de l’intensité caressante de cette lumière qui coule généreusement du sein du firmament remplissant la forêt de guirlandes d’ombre et de couleurs éclatantes, et déversant sur tout ce qui nous environne une voluptueuse béatitude !

Mais un grand nuage blanc voile le soleil et tout l’horizon s’emplit d’une douce et discrète mélancolie ; la brise fraîche fait trembler les feuilles en balançant les minces cimes des pins amis… Que j’aime la délicatesse de cette teinte qui n’a aucune couleur, aucun nom… c’est une langueur de nuit finissante, de crépuscule naissant ; c’est une âme pure qu’un triste souvenir endolorit, ce sont de beaux grands yeux que les larmes voilent…

Ah ! campagne, campagne ! sur chacun de tes rochers, sous chacun de tes arbres, dans les coins les plus reculés et les plus mystérieux de tes vallées je laisse des bribes de mon âme : soupirs, rêves, sourires, chansons, romances, espoirs, admiration, méditation… Il me semble quelquefois avoir distribué toutes les facultés de mon cœur, t’avoir tout donné de moi… mais plus je t’aime et plus je me sens grande et forte ; plus je déverse sur toi mes sentiments et mes extases et plus je sens mon cœur gonflé d’amour et d’enthousiasme ; je t’aime et t’aimerai éternellement. Jamais je ne serai guérie de toi… et j’en suis heureuse, ô campagne !

Aimez-vous la Grande Ourse ? Moi pas. Toute belle et toute « comfortable looking » qu’elle soit, j’éprouve toujours un certain plaisir à la voir s’en aller de dessus ma fenêtre ; question de nom, sans doute. Ma préférée c’est la belle Vénus, non seulement parce qu’elle est belle ou parce qu’elle a toujours été chantée par les poètes, toutes les étoiles ont été plus ou moins chantées ; mais parce qu’elle est aussi un peu mon étoile, m’a-t-on dit.

Je suis née avec une étincelle d’amour dans l’âme et des rayons de lumière dans les cheveux et je ne parle pas en métaphore, j’ai une mèche de cheveux blancs qui fait une tache très curieuse et très luisante au milieu de ma chevelure noire.

On me dit que cette mèche est un signe de bonne fortune, c’est un pacte fait avec le bonheur.

En somme, qu’est-ce que le bonheur et qu’est-ce que le malheur ? Le soleil ne peut pas briller éternellement sur une seule et même partie de notre planète, il faut bien qu’il continue son importante course à travers les astres pour qu’il puisse la recommencer ensuite et la recommencer toujours.

Rien n’est stable et éternel dans la création, rien que les éternelles transformations chimiques et atmosphériques et l’éternel écoulement des choses, Anatole France l’a déjà dit.

Le raisonnement qui se développe chez l’homme par l’étude et l’expérience correspond à cette faculté qui naît avec la femme et que celle-ci ne cherche point à développer : l’intuition.

Le raisonnement se trompe souvent dans ses calculs, quelque minutieux qu’ils soient ; l’instinct, au contraire, ne trompe jamais.

Chimène, qui l’eût dit ???

Âmes que la fortune abandonne, âmes altières que les revers ne peuvent briser, fronts orgueilleux que la pauvreté ne peut baisser, cœurs magnanimes que les douleurs accablent, honneur, honneur à vous !

La joie vous délaisse après vous avoir longtemps souri, les dangers vous assiègent de toutes parts, les angoisses vous déchirent, les larmes amères que vous versez dans la solitude brûlent vos yeux et votre cœur, mais vous n’en êtes que plus grands. Vous avez l’honneur de souffrir noblement, vous avez le bonheur ineffable de le comprendre.

Le bonheur de l’homme réside en l’homme lui-même : l’homme courageux et intelligent sait mettre des notes douces dans sa douleur, il sait donner à sa mince nourriture le goût des meilleurs repas, à son eau l’âme et la couleur du vin ; à son lit dur la sensation moelleuse et remplacer son désespoir par l’espérance amie.

Pauvres, pauvres, pauvres nobles âmes !

Je voudrais me trouver seule au bord de la mer, assise sur un de ces rochers qui sont les éternelles victimes des flots capricieux et là… rêver.

Cette immensité de la mer qui dépasse l’horizon riant, cette immensité libre, indépendante, aimée et détestée, douce et fougueuse, comme une âme endolorie se sent consolée en s’asseyant sur ses bords, blottissant ses dégoûts et ses ennuis contre les sables fins que les vagues étreignent fantasquement… oh ! les baisers des flots bleus, qu’ils sont moelleux, humides et frais !

Je regarde cette couronne de fleurs, suspendue à mon chevet depuis la dernière fête… ses roses étaient toutes fraîches et ses feuilles étaient si vertes et si tendres !

Aujourd’hui, les unes et les autres sont mortes. Les roses penchent tristement leurs corolles sans âme et sans parfum sur leurs tiges chancelantes…

Cela fait pitié à voir…

Oh ! qu’il est douloureux de devenir sec après avoir été tendre, vieux après avoir été jeune !

Et si un fil de fer n’enchaînait les pauvres fleurettes pour en former une couronne, elles tomberaient à terre une à une et pétale par pétale… on marcherait dessus sans se douter qu’on foule des roses… Que l’humiliation est triste après l’orgueil !

Oh ! monde, est-ce là le terme qui attend tes fleurs ? pourquoi cette fin lamentable ?

Pourquoi la haine, la douleur, la vieillesse, la mort existent-elles ? Pourquoi faut-il que nous nous disions toujours : un jour, et ce jour arrivera, je ne serai plus belle et jeune, un jour je mourrai, je mourrai !

Couronne suspendue à mon chevet, tu ressembles à ces couronnes funèbres attachées au cou des statues de douleur qui pleurent sur les tombes des trépassés !


(traduction)

THE TOMB :

Les ouvriers arrivent de Toscane, d’Angleterre, de Suisse… Sous ces arceaux qu’il s’endorme pour jamais sur ce dur oreiller de marbre… Son éperon ne percera plus son cheval… Elle conduit elle-même la main de son vieil athlète aveugle… Et quand le soir de la vie arrive, elle vient se coucher auprès de son époux, dans le monument de sa pensée… Les fanfares ne résonnent plus pour la chasse ; son époux, sur son cheval fougueux, ne poursuit plus le sanglier dans la forêt ; elle ne l’attend plus vainement, jusqu’à la nuit, à la fenêtre de sa tour…

Les voilà qui dorment leur sommeil de marbre… Qui pourrait revoir leurs visages plus blancs que l’albâtre des tombeaux ! quand leurs froides paupières se soulèvent, ils voient les arceaux sur leurs têtes, la lumière transfigurée des vitraux, la vierge et les saints immobiles à leur place… ils pensent en eux-mêmes : « Hush, ye will say, it is eternity; » « c’est ici l’éternité. »

Ils n’entendent pas l’orage… et malgré leur dur chevet, ils se prennent à rêver… et quand le vent fait gémir les portes, ils murmurent entre eux : « Qu’avez-vous, mon âme, pourquoi soupirer si haut ? »

… Et quand la nuit creuse le toit sur leur tête, ils se disent : « Entendez-vous aussi sur votre lit la pluie de l’Éternel Amour ? »

Aristote dit dans ses « Métaphysiques » : « La faute n’est imputable que si elle est voulue. » Ce qui revient à dire que l’intention fait la moralité de l’action.

Commencement de l’Automne. Dès l’aube, le vent s’est mis à souffler, nostalgique et plaintif, et la nature a pris son petit air d’enfant gâté, un petit air triste mais si cajoleur et si caressant qu’il en devient captivant…

C’est l’Automne…

Adieu, songes roses des balcons d’été ! adieu, Nature ardente aux tons de vert chaud et de rouge brûlant, de jaune hardi et de provocant violet ! tout s’attendrit, maintenant, tout s’adoucit… nous sommes en Automne !…

C’est la saison des yeux fermés, des cœurs blessés et des feuilles mortes ; c’est la saison des souvenirs mélancoliques et des anniversaires inoubliables ; c’est la saison où l’on traîne ses regrets dans les cimetières, où l’on se penche rêveusement vers la poussière pour humer le vaste cadavre du passé…

Quels sont ces gémissements dont se peuple l’air noir de la nuit !

C’est le vent qui gémit, c’est la forêt qui pleure, c’est le sanglot désespéré d’un cœur brisé…

Que le soir est mélancolique et la promenade charmante. J’ai laissé maman près de ces dames du Caire et de Beyrouth, et je m’en suis allée seule. Car, elles étaient assises sous le couple de pins, ma place favorite, d’où l’on voit toutes les montagnes et toute la mer…

Seule je me suis enfoncée dans la forêt pour n’être pas obligée de causer et pour me sentir seule, oui, toute seule…

J’aime tant la solitude qui nous met face à face avec nous-mêmes et nous permet de contempler et de méditer ; qui nous rapporte les souvenirs de jadis et nous laisse entrevoir les espoirs futurs…

… J’aime rêver seule sous le ciel calme et serein, j’aime compter les cailloux que mon pied foule et les fleurs sauvages que je rencontre au hasard des routes…

Douceur d’errer dans les bois à l’heure où le crépuscule envahit la vallée, d’entendre chuchoter les Naïades autour de la fontaine chantante, et de sentir glisser sur son âme comme un bruissement d’aile d’un esprit invisible…

Il faut une note triste dans toute pensée poétique : la vraie poésie comme le génie esthétique est essentiellement triste ; un poète qui n’a jamais senti la volupté très douce et très intime de la mélancolie est un non-poète rimeur, ou un poète qui boite artistiquement.

(See Edgar Allan Poe: The poetic principle).

Doucement, doucement, sur le sol brûlé par la chaleur de plusieurs jours suivis, tombent des gouttelettes d’eau, silencieuses et tristes ; la brise caresse nos fronts alourdis et les petites feuilles vertes renaissent sur nos arbres dépouillés…

… Les oiseaux ne chantent point, mais leur absence ne se fait pas trop sentir ; il fait frais, le ciel est doux, les nuages pleurent tendrement, et les petites feuilles vertes renaissent sur nos arbres dépouillés…

… Il est doux de contempler un ciel qui vient de pleurer… il a le charme d’un bel œil d’où coule une larme venant du plus profond du cœur.

D’ailleurs, qui sait si la pluie n’est pas la somme des larmes versées par les habitants des astres qui brillent dans notre firmament et peuplent nos nuits de doux feu… Qui sait, aussi, si les larmes pleurées sur notre planète, et elles sont nombreuses ! ne vont pas pleuvoir sur un autre astre ? On nous dit que la pluie n’est que l’eau de la mer pompée par les nuages, ce sont les savants qui prétendent l’existence de ces faits, et alors par le seul fait qu’un savant a dit ces choses nous en faisons des articles de foi… que les humains sont naïfs !

D’abord, qu’en savent-ils les savants ? N’est-ce pas eux qui ont commis le plus d’erreurs depuis qu’ils… se sont mis à exister ??

… Mais que je suis enfant de raisonner ainsi !

À quoi faut-il songer à pareille heure ? à des lointains roses, mauves, oranges, bleus d’un bleu très pâle ; à de très hautes montagnes tapissées de verdure et ceintes de bois murmurants ; à des sources argentines chantant tendrement, mollement sur les gazons frissonnants ; à des figures graves au regard méditatif, au front incliné, aux contours fermes et gracieux…

… Vues indécises, vagues, délicieuses, qui, comme l’éclair, traversez l’imagination, d’où venez-vous ?

… Il pleut lentement, doucement, comme une romance en sourdine…

Adieu ! les beaux jours d’été sont à leur terme, et ce soir, le dernier que je passe ici, je sens une inlassable mélodie plaintive traîner dans mon âme, et sur ce papier vierge je trace un dernier adieu triste… jusqu’aux larmes.

Finie la poésie des montagnes libanaises, je m’en vais loin de ces lieux si doux et si chèrement aimés !

Ah ! les silhouettes des montagnes lointaines, comme je serai triste lorsque la brume marine les voilera et que le nouvel horizon azuré de la mer les dérobera à mes yeux.

Je ne sais pourquoi il m’en coûte tant de m’éloigner du Liban. Certes, c’est mon pays ; la Nature y est délicieuse et les coups d’œil ravissants, mais si je regrette les arbres et les rochers de notre séjour d’été, je n’y regrette personne, car je n’y laisse aucune âme amie.

Tous ceux et toutes celles que j’y ai rencontrés ont laissé mon cœur très indifférent… Oui tous et toutes, à l’exception de la petite Marie, enfant de quatorze ans, dont les beaux yeux noirs m’ont quelquefois inspiré des sujets à méditation… tant pis pour Sidonie si elle est jalouse !

J’aimais aussi le petit Georges. Cet important personnage est microscopique : il a quatre ans ; encore une fois, tant pis pour Sidonie. J’aimais sa grosse tête aux lourdes boucles noires, ses malicieux yeux de jaie, sa lèvre rouge et tendre, sa lèvre qui boude et rit en même temps, et sa joue fraîche et si molle au baiser.

Oui, mais ce sont affections d’un jour qui ne prennent point racine dans le cœur ; on les quitte sans larmes, sans regret ; on les retrouve avec plaisir et sans joie aucune.

… Il m’est toujours pénible de m’éloigner d’un endroit où j’ai passé quelques jours, voire même quelques heures… par l’enthousiasme et la rêverie qu’il m’inspire, j’y laisse, malgré moi, des parcelles de mon âme et c’est, peut-être ce quelque chose de moi que je regrette si douloureusement et si délicieusement, et dont, longtemps après, je me souviens si religieusement…

Car, ayant le culte du souvenir, j’aime beaucoup vivre de l’âme et par l’âme…


— FIN —



Imp. Bœhme & Anderer, Le Caire.