Fleurs de rêve/Elle poète ?

)
Boehme et Anderer (p. 29-32).



ELLE POÈTE ?



I


« Mais comment donc, elle poète ?
Elle arrangea ces vers charmants
À la délicieuse épithète,
Aux échos qui s’en vont mourants ;
Ces vers de poésie pure,
D’élan si doux, d’esprit si clair,
De sons brillant comme l’éclair,
D’un style à la noble tournure ?

« Elle est syrienne, dit-on,
Et puisqu’elle n’est pas française,
Où put-elle puiser ce ton
Où l’âme s’épanche et s’apaise ?
… Mais elle a dû les emprunter
Ces rimes vastes et sonores
Qui, comme de jeunes aurores,
Viennent sous sa plume éclater.


« Aurait-elle de Lamartine
Imité les divins appas,
Ou bien ouï la voix câline
Qui dans son cœur parlait tout bas ?
Ses chants sont enduits de tristesse,
D’amour touchant, d’amour sans fiel ;
Elle poète, Ô puissant ciel !
D’où lui vient donc cette sagesse ?

« Et puis cette onduleuse rime
Où nagent sentiments exquis
Qui frôlent le beau, le sublime,
Cela donc, où l’a-t-elle acquis ?
Puisque nous aimons mieux le croire,
Croyons qu’elle a dû consulter,
Et sans jamais nous arrêter
Disons : « Elle vole la gloire ».


II


Monsieur. . . . . parle ainsi,
Vraiment, il me semble un brave homme
Un autre gentleman aussi,
Avec lui répète qu’en somme
La copie est faite assez bien
D’un livre du grand Lamartine,
Que la calligraphie est fine :
Mais l’écriture là n’est rien.


III


Oh ! les doux tremblements sous l’impulsion secrète
Combien rares sont ceux qui peuvent les sentir !
Or, frissonner, pleurer, plaindre, aimer et souffrir
Sont les qualités du poète.

Et plein de ses trésors divins
Son cœur qui contient tout le monde
Sait esquisser les yeux éteints.
De quelqu’ âme superbe et blonde.
Son œil à tout vent prendre part,
Sa lèvre veut baiser la rose,
Sa main toucher à toute chose,
Porter le sabre ou l’étendard.

Sans flatter la rime subtile
Il la veut toujours asservir :
Autant que son penser, agile,
Il la trace avec un soupir ;
Il écrit ses rêves rebelles,
Tout ce qu’il voit, tout ce qu’il sent,
Et répand ses larmes souvent
Sur les feuilles blanches si belles.


Qu’a-t-il besoin des vains flatteurs ?
Sa joie est toute personnelle :
Qu’on veuille approuver mes labeurs
Ou qu’on dise : ce n’est pas d’elle,
J’élancerai les ailes d’or
De ma Muse jeune et timide :
Dans le sein de l’azur limpide
Je fixerai son doux essort.

Quand d’autres Muses lui sourient
Elle partage leur frisson,
Les notes de son luth varient
Devant le si vaste horizon :
Tantôt c’est le printemps qui passe
Grondant son hymne triomphal,
Tantôt c’est un chant automnal
Traînant d’échos que rien ne lasse…