Fleurs d’Orient/L’étoile aux cheveux d’or

Armand Colin (p. 79-104).


L’ÉTOILE AUX CHEVEUX D’OR




Sous le firmament, qui resplendit d’étoiles, la vieille cité de Madian s’étend massive et sombre tout endormie. Quelques hautes tours, de blanches coupoles, ébauchent de vagues rondeurs pâles ; un palais, aux murailles puissantes, domine la ville, et autour de lui tremble une musique.

Le musicien c’est le vent du nord, effleurant les harpes suspendues aux fenêtres ; les harpes dont les cordes frêles luisent, çà et là, prolongeant les rayons d’astres : l’on croit entendre les scintillements frémir.

La première veille s’écoule, les vivants sont comme morts dans le sommeil. Cependant le roi s’est levé, il a quitté son lit tiède, et lentement, de salle en salle et de terrasse en terrasse, il monte vers le sommet du palais.

Il doit franchir sept portes et gravir sept escaliers. À un mot mystérieux qu’il prononce, les battants s’écartent devant lui ; c’est d’abord une porte de plomb, puis une d’étain, la troisième est d’airain et résonne en se refermant ; une porte de fer s’ouvre ensuite, puis une porte de bronze, la sixième est d’argent et la septième d’or ; elle retombe, derrière le roi, avec une longue et claire vibration.

L’air vif fait palpiter sa robe de lin blanc, car il est sur une plate-forme vertigineuse qui le rapproche du ciel. Il se tourne vers le Nord et vers le Midi, vers l’Occident et vers l’Orient. Alors il voit de telles choses, parmi les astres, qu’un cri s’échappe de ses lèvres et traverse la nuit paisible. Tremblant d’émotion, il s’élance vers le rebord de pierre et, s’y appuyant des deux mains, darde ses regards vers l’infini.

Kévan[1], la lointaine planète, l’interprète des destinées, le grand révélateur des mystères du ciel, s’avance dans le signe des poissons vers la demeure d’Ormuz[2] qui brille d’un éclat inusité, tandis que passe, au-dessus d’eux, une merveilleuse étoile, qui traîne après elle comme une gerbe d’or ! À l’Orient la constellation de la Vierge surgit de l’horizon, le Lion la précède, le Bouvier la suit ! Au Zénith, dans le signe d’Alsartan[3], près de la nébuleuse Crèche, scintillent vivement les étoiles qu’on nomme les Ânes ; le Taureau monte vers le centre du ciel, et Nembrod[4] marche vers le Bélier, du côté de l’Occident.

Le roi regarde avidement, les prunelles dilatées ; et, sans cesser de contempler, il va frapper de son poing fermé le disque d’airain qui, par un seul coup, sonne l’instant précis des naissances illustres.

Mais le roi frappe et frappe encore, sans relâche, avec force. Le métal frissonne et gronde, le son gonfle, s’étend, c’est une houle, un océan de bruit, qui roule sur la ville, la submerge. Et, bientôt, de hautes clameurs lui répondent, des lumières s’agitent, des gardes, dont les armes luisent, paraissent sur les terrasses ; les ministres, les princes, les mages vénérables, rouvrent les portes mystérieuses, dédiées aux sept planètes, et se hâtent vers la plate-forme. Ils parlent confusément, et les questions s’entre-choquent.

— Sage Gathaspar, est-ce la fin du monde ?

— Quel présage terrible as-tu lu dans le livre des cieux ?

— L’ennemi menace-t-il nos frontières ?

— Ô Maître ! pourquoi jettes-tu l’épouvante dans nos cœurs ?

Mais Gathaspar lève les bras vers les astres.

— Voyez ! voyez ! s’écrie-t-il, un jour nouveau se lève en Occident. « Une étoile sort de Jacob, un sceptre s’élève d’Israël ! » Voyez ! Jamais, depuis le jour où naquit Moïse, Kévan ne s’est rencontré avec Ormuz, sous une étoile chevelue ; les tables célestes en font foi ! Mais l’étoile du mage illustre, qui vécut quarante ans dans notre patrie, n’était pas aussi splendide que celle-ci. Et qui donc peut surpasser Moïse ? Quel est l’être surnaturel qui vient d’entrer dans la vie ? qui donc, si ce n’est le Messie promis au monde, annoncé par les prophètes ; le sceptre devant lequel s’inclineront tous les sceptres, le roi des mages et des rois ? Zaphikiel, l’archange assis sur la planète Kévan, et celui dont le trône est Ormuz : Zadukiel, m’ont fait signe, tous deux, de partir sans tarder, pour saluer le divin enfant dans le pays où il est né. Allez ! faites préparer les offrandes les plus riches, et que je puisse me mettre en route avant que l’étoile ait disparu du ciel.

Et, selon les ordres du roi, la caravane s’est formée. Elle est partie avant l’aurore, brillante cohue de soldats, d’esclaves, et de chameaux chargés de présents. Maintenant elle chemine depuis plusieurs jours déjà. La veille, on s’est engagé dans de profondes gorges de montagnes, et l’étoile qui marque la direction à suivre s’est dérobée derrière les sommets ; pendant la nuit on s’est égaré et, depuis le lever du soleil, on cherche à sortir des âpres défilés.

Précédé seulement par quelques éclaireurs, le roi s’avance en tête, monté sur une chamelle blanche caparaçonnée d’azur et d’argent ; mais il s’est assoupi sous le tendelet de soie, et autour de lui l’on marche en silence.

Vers le milieu du jour, les voyageurs débouchent dans une vallée, et on atteint bientôt un carrefour auquel aboutissent plusieurs routes. Mais déjà la place est encombrée : des chevaux, des mulets, toute une foule richement vêtue, qui va et vient, regarde de côté et d’autre. Gathaspar descend de sa monture pour s’informer, et on lui montre une litière magnifique, dont les rideaux frangés d’or sont relevés. Un beau vieillard, la tête ornée d’une triple couronne, se penche au dehors ; il porte une tunique couleur de safran, un manteau noir constellé d’or.

Gathaspar salue, en appuyant la main sur son cœur ; mais le vieillard lui fait un signe mystérieux, et le roi, reconnaissant un mage comme lui, s’approche et le baise sur la bouche.

— Mon fils, dit le vieux mage, tu as vu comme moi Tzegel et Koracht, les planètes amies du jour, et l’étoile chevelue qui nous annonce un nouveau soleil, et, comme moi, tu vas le saluer ?

— N’es-tu pas Melkone, roi de Tharsis ?

— Aussi sûrement que tu es le roi d’Arabie, Gathaspar !

— Nous sommes égarés, n’est-ce pas ? l’étoile a disparu derrière ces hauts pics, et le ciel, couvert de nuées, ne nous permettra pas de la revoir ce soir.

Tandis qu’ils parlent ainsi, l’on voit s’avancer sur l’une des routes rayonnant du carrefour, un homme à cheval suivi d’un seul écuyer. Le nouveau venu a le visage merveilleusement noir, les traits fins et réguliers, la bouche de la couleur vermeille d’une fleur de grenadier. Il est enveloppé dans un manteau pourpre qui lui couvre la tête et est retenu au cou par une corde d’or.

Il chevauche avec une grâce juvénile et beaucoup de majesté. Sans mettre pied à terre, il salue les deux rois, quand il est à leur portée.

— Verbe, Lumière et Vie ! s’écrie-t-il, nous réalisons le ternaire fatidique, nous pouvons marcher, maintenant. Si vous ne m’attendiez pas, je vous cherchais, car je savais vous trouver.

— Qui donc es-tu, mage au visage nocturne ? demanda Melkone.

— Je suis le descendant du plus grand des mages, car mon aïeul est Ménilek, le fils incomparable que Bilkis, la reine de Saba, eut de Salomon, roi d’Israël.

— Salut Bithisarca, roi de Saba, notre maître à tous ! dit Gathaspar en s’inclinant, et le vieux Melkone appuie la main sur son cœur. Mais Bithisarca descend vivement de cheval pour leur donner l’accolade.

— Mes frères, dit-il, vous avez comme moi compris les signes célestes, un roi nous est né et nous allons vers lui ! Vous l’avez vu, le soleil même est son piédestal, nous lui devons donc les hommages dus au soleil, puisqu’il n’en est pas de plus solennels. Mais il faut renvoyer cette multitude et ces vaines richesses : les offrandes symboliques suffisent, à qui régnera par l’esprit.

— Sage Bithisarca, dit le roi de Tharsis, sais-tu la route que nous devons suivre ? car, tu le vois, nous sommes égarés.

— Je sais, comme vous, que c’est en Judée qu’il faut chercher ce roi, mais je n’ai pas pris le temps d’interroger l’oracle sur le lieu précis où nous le trouverons. Puisque nous sommes tout près de Jérusalem, allons consulter Hérode, le roi des Juifs, ses pontifes l’ont sans doute averti du prodige.

Vers la fin du jour les trois mages, suivis chacun d’un esclave portant un coffret, entraient à Jérusalem, par la porte de l’Eau.

Ils passèrent au pied du mont Moria, sur lequel le Temple avec ses marbres et ses ors, ses balustrades ouvragées, ses rampes majestueuses et son toit tout hérissé d’aiguilles, flamboyait merveilleusement sous le soleil oblique. Bithisarca, non sans émotion, fit remarquer à ses compagnons la formidable muraille qui soutient le massif du temple et est formée de blocs énormes, inégaux, taillés avec beaucoup d’art dans une pierre dure, encadré chacun d’une mince bande creuse et lisse, et posés en retrait les uns des autres, comme dans les constructions égyptiennes ; muraille indestructible, qui était celle-là même bâtie par son aïeul, le roi Salomon.

Dans la ville, les voyageurs virent des voies nouvelles, larges et dallées, des édifices dans le style grec, des théâtres et des cirques comme à Rome. La foule brillante et bavarde se promenait, s’arrêtait par groupes ou se pressait à la porte des écoles. Les femmes soulevaient leur voile, se retournaient pour voir plus longtemps les longs yeux veloutés de Gathaspar et le lumineux sourire de Bithisarca ; les jeunes hommes regardaient avec respect la longue barbe d’argent du vieux roi Melkone, et le saluaient au passage.

Les cavaliers continuèrent leur route et montèrent vers le splendide palais d’Hérode, dont les colonnades de marbre blanc, les terrasses, les jardins, les fontaines et les aqueducs couvraient presque une moitié de la montagne de Sion.

Le roi de Judée, qui copiait Rome, recevait chaque jour une foule de visiteurs, et, bien que l’heure des réceptions fût depuis longtemps passée, les soldats de garde, aux portes et dans les cours, n’osèrent pas s’opposer à l’entrée des trois mages, dont l’aspect majestueux et superbe annonçait des personnages de haute noblesse. De jeunes garçons, vêtus de robe couleur d’hyacinthe avec des bordures d’argent, et couronnés de fleurs, s’offrirent à les guider vers le roi et à le prévenir de leur arrivée. Les voyageurs abandonnèrent leurs chevaux, et suivirent les beaux enfants à travers les jardins, encore emplis de fleurs, en dépit de la saison.

Mais subitement les jeunes garçons s’arrêtèrent, comme pris d’épouvante, et firent signe aux mages de ne pas avancer.

On était en face d’une grotte artificielle en basalte et en porphyre, dont la porte de bronze dorée était ouverte à deux battants. Le soleil, qui avait fait une trouée dans les nuages et touchait le bord de l’horizon, emplissait la grotte de lumière, et rendait inutile la torche allumée que tenait un jeune homme appuyé au chambranle.

Hérode était là, tournant le dos à la porte, assis sur un escabeau. Devant lui, un sarcophage en or massif, avec un couvercle de cristal, était posé debout, s’appuyant au fond de la grotte peu profonde, et l’on voyait confusément, à travers le cristal, une femme qui semblait une statue d’ambre prise dans les glaçons.

— Elle est toute cristallisée, maintenant, disait Hérode, vois-tu ? elle est toute claire, toute transparente.

— Oui, toute transparente, répondait distraitement le jeune homme, qui regardait avec curiosité les mages et leurs conducteurs.

Mais ils s’éloignèrent vivement derrière un bosquet d’oliviers et, sans être interrogé, un des jeunes garçons expliqua ce qu’on venait de voir.

— C’est la reine Marianne, la première ; le roi l’a fait mourir, voilà bien longtemps ; mais il l’aime toujours, et l’a conservée dans du miel. La grotte était restée fermée, pourtant, depuis plusieurs années.

Quelques instants plus tard, Hérode rejoignait les rois mages dans une haute salle aux fines colonnettes tout incrustées de pierres rares et d’émaux.

Le roi de Judée touchait à ses soixante-dix ans ; il était d’une maigreur extrême, avec des chairs flétries, comme dégonflées et marbrées de rougeurs brûlantes ; une activité fébrile déréglait ses mouvements, et, quand il embrassa ses hôtes, il leur souffla au visage une haleine sépulcrale.

En entendant leurs questions au sujet de ce roi dont les cieux annonçaient la naissance, il pâlit, et avoua avec un tremblement de colère qu’il ne savait pas le premier mot de cet événement.

Alors il les entraîna à travers les galeries et les portiques, à pas pressés, entortillant autour de lui sa toge de pourpre, et geignant tout en marchant. D’un geste brusque, il ordonnait à des gardes et à des esclaves qu’ils rencontraient de les suivre, et une escorte se formait derrière eux.

Par instants, il marmottait d’une voix essoufflée des lambeaux de phrases.

— Toujours les mêmes ! s’occupant de niaiseries ! ou bien ils savent, et ne m’ont rien dit ; me croient-ils las de frapper ?

Et il avait un ricanement menaçant.

Ils atteignirent l’extrémité du Mont Sion, franchirent le vallon des Fromagers sur un pont très haut, et gagnèrent l’esplanade du Temple ; là, Hérode se retourna vers les mages, qu’il semblait avoir oubliés, et il leur dit, avec une emphase ironique :

— Nous allons surprendre le glorieux Sanhedrin dans la salle en Pierres Taillées !

Puis il leur montra une aigle romaine en or et merveilleusement ciselée, qu’il avait fait placer sur le grand portique du temple.

— Ces prêtres en meurent de rage, dit-il, mais nous verrons s’ils osent l’arracher de là.

La salle en Pierres Taillées était une dépendance du temple ; Hérode et ses hôtes y pénétrèrent par une porte réservée, et, comme le crépuscule tombait, on ne remarqua pas leur entrée.

Hillel, le Nassi doux et illustre, présidait l’assemblée, et, autour de lui, se groupaient plusieurs maîtres fameux : Schémaïa, Abtalion, Baba-ben-Bouta, Juda de Galilée, Ézéchias et son ami Jacob-bar-Acha ; Mathias-ben-Margaloth et Juda, fils de Sariphée, qui furent tous deux, peu de temps après, brûlés vifs, avec quarante de leurs disciples, pour avoir arraché et mis en pièces l’aigle d’or du Temple.

Un jeune étudiant posait, quand le roi entra, une question au Nassi.

— On enseigne, disait-il, qu’il y a six choses honteuses pour le savant. Quelles sont-elles, Maître ?

Et Hillel répondait :

— De sortir étant parfumé, de sortir seul la nuit, de porter des souliers raccommodés, de parler à une femme dans la rue, de s’attabler avec une compagnie d’ignorants, et d’entrer le dernier dans la salle d’étude.

— Pourquoi ne doit-il pas sortir étant parfumé ?

— Parce qu’il pourrait être pris pour un débauché.

Et Jacob-bar-Acha ajouta :

— Cette défense s’applique aux vêtements seuls et non pas au corps, que l’on parfume dans un but de propreté.

— Schammaï considère les cheveux comme un vêtement, fit remarquer Baba-ben-Bouta.

— Il est trop sévère, dit Hillel, on peut les considérer comme le corps.

— Mais pourquoi y a-t-il honte à sortir avec des souliers raccommodés ? s’il est pauvre…

— Ah çà ! laissons un peu les souliers rapiécés et toute cette parfumerie ! s’écria Hérode d’une voix qui fit tressauter de surprise tous les assistants. Je ne suis pas la dupe de vos naïfs discours ; dites donc plutôt ce que le ciel nous annonce, si vos sottes discussions vous ont permis de lever les yeux vers lui. Saviez-vous qu’il vient de naître en Judée un roi qui n’est pas mon fils ? le Messie, peut-être ! Est-ce vrai ? Le saviez-vous ?

— Nous le savions, et c’est véritable, dit Abtalion en se levant.

Alors Hérode entra dans une colère furieuse, se répandant en injures et en menaces. Mais Hillel, dont la merveilleuse patience était célèbre, répondit avec douceur :

— Nous craignions, Maître, te sachant souffrant, que la nouvelle n’aggravât ton mal.

— Ah ! vous me croyez malade ! s’écria le roi avec un redoublement de rage, vous espérez ma mort, vous la désirez, vous comptez vous réjouir quand elle sera venue, eh bien, c’est moi qui vous le dis, vous pleurerez des larmes de sang sur mon cercueil.

— Il est écrit, dit Hillel : « le mal que tu souhaites aux autres se retourne contre toi » ; nous ne désirons la mort de personne.

Les rois mages baissaient la tête, regrettant d’être venus à Jérusalem. Ils se remémoraient tous les crimes d’Hérode, et croyaient le voir trempé de sang dans sa toge pourpre, sous les dernières rougeurs du soir.

Mais le roi de Judée se calma soudain et se mit à rire :

— C’est la fièvre qui m’excite, voyez-vous, dit-il. Et où est-il né, ce roi des Juifs ? ajouta-t-il en s’adressant à Hillel.

— Nous l’ignorons, seigneur, le grand-prêtre le sait peut-être.

— Qu’on l’appelle.

Ioser, fils de Boéthos, était au temple ; on le fit venir en grande hâte, et il entra, la tiare en tête, tout resplendissant dans ses habits sacerdotaux, sous les lampes qu’on venait d’allumer.

Il ne connaissait rien de plus que ce qui était révélé par la conjonction de Baal et de Schabtaï dans le signe des Poissons, et par l’étoile chevelue annonçant un héros. Mais il pouvait, dans l’instant, interroger les Téraphims.

Alors on fit sortir de la salle les étudiants et tous ceux qui n’étaient pas prêtres ou docteurs ; et Ioser s’approcha de l’autel, où l’on posait la Tora.

Il prit les Téraphims, lames d’or sur lesquelles étaient gravées des figures kabbalistiques, en tira au sort un certain nombre ; puis, ayant retiré le Rational attaché sur sa poitrine, il l’entoura des Téraphims, disposés trois par trois, entre les deux onyx servant d’agrafes aux chaînettes du Rational : l’Urim et le Thumin, qui répondaient aux deux colonnes du temple : Jakin et Bohas.

Le grand-prêtre se pencha, les coudes sur l’autel, interrogeant du regard les pierreries et les signes magiques. Il resta longtemps absorbé, au milieu du silence profond ; enfin il se releva et s’écria avec enthousiasme :

— L’ange Souriel, prince de la face divine, m’a parlé : « C’est dans la ville royale de Bethlehem en Judée », m’a-t-il dit, et n’est-il pas écrit en effet par le prophète : « Et, toi Bethlehem, ville de Juda, tu n’es pas la moindre des principales villes de Juda, car c’est de toi que sortira le chef qui doit gouverner mon peuple d’Israël ? »

— C’est bien ! dit Hérode en dissimulant son irritation, nous irons à Bethlehem.

Puis, se ravisant au moment où il allait sortir :

— Je connais vos subtilités et votre façon de voiler le vrai sens des mots, dit-il ; jurez donc qu’il s’agit bien d’un enfant, et que vous n’entendez pas plutôt qu’un nouvel initié vient de naître à la science magique, comme vous avez coutume de dire.

— Non, il s’agit d’un enfant encore dans ses langes, affirma le grand-prêtre.

Herode sortit avec les mages de la salle en Pierres Taillées et leur dit, en cachant mal son agitation :

— Allez ! allez à Bethlehem ; informez-vous bien exactement de cet enfant, et, quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que moi-même j’aille aussi l’adorer.

En quittant le Sanhedrin, les étudiants avaient répandu la nouvelle par la ville, et quand les mages la traversèrent de nouveau, elle était emplie, malgré la nuit, d’une multitude houleuse et émue ; il y avait surtout une vieille prophétesse, nommée Anne, qui ne quittait jamais, d’ordinaire, le parvis du temple et qui, ce soir-là, parcourait les rues, tout échevelée, criant à perdre haleine :

— Réjouis-toi, Jérusalem ! Car le Messie attendu vient de naître à Bethlehem !

Le ciel se découvrit tout à fait quand les trois rois franchirent la porte occidentale de la ville, et l’étoile aux cheveux d’or leur apparut de nouveau. Ils la saluèrent par des acclamations joyeuses, et, mettant leurs chevaux au galop, ils marchèrent vers elle.

Des vallées et des coteaux, des vergers et des prairies, et enfin Bethlehem sur la hauteur, profilant dans l’azur foncé sa silhouette d’un noir de velours, piqué de lueurs !

Les mages s’arrêtèrent au pied de la colline, pour changer de vêtements, puis ils montèrent, et, sans avoir besoin de demander leur route, marchèrent vers une maison sur laquelle l’étoile était comme suspendue.

Bethlehem, l’antique petite ville, si glorieuse, qui avait vu naître David, ne dormait pas encore ; elle semblait déborder de monde. Des rires et des chants s’échappaient des maisons mi-closes, des traînées de lumière sortant des fenêtres éclairaient les rues.

Personne ne gardait la porte de cette maison bienheureuse, vers laquelle le ciel se penchait. Elle était bien humble et bien obscure, et cependant les rois mages en franchirent le seuil avec une profonde émotion.

Ils virent alors une étable éclairée confusément par une lampe accrochée aux poutres, et ils se souvinrent du ciel prophétique montrant la Crèche près de l’Âne et du Bœuf.

Marie, assise sur des gerbes, tenait debout sur ses genoux le radieux enfant à demi nu dans ses langes. La tendre chair du nouveau-né resplendissait comme une fleur lumineuse, et l’or pâle de ses cheveux lui faisait une auréole.

La mère contemplait son fils dans une muette extase, et ne remarqua pas l’entrée des mages, qui s’étaient arrêtés au seuil ; mais Joseph les vit et s’avança vers eux, les saluant, leur demandant ce qu’ils cherchaient.

— Nous avons enfin trouvé celui que nous cherchons depuis longtemps, dirent-ils, l’astre naissant à qui les étoiles font cortège ; et nous, les rois éphémères, nous venons rendre hommage au souverain dont le règne emplira les siècles !

Marie alors leva les yeux et, toute surprise, vit les trois rois dans leurs vêtements magiques.

Le vieillard avait revêtu une robe brune, couverte de caractères brodés en soie orangée ; à son cou était suspendue une large médaille de plomb, couverte de signes mystérieux. Le roi d’Arabie portait une robe d’écarlate, et, sur son front, se dressait une lame d’étain où l’on pouvait lire trois noms d’anges. Le vêtement du roi de Saba était de pourpre ; il avait une tiare brillante et, aux bras, des bracelets d’or : et cela signifiait le Soleil et les Planètes du jour.

Les trois mages vinrent s’agenouiller aux pieds de Marie, confuse et fière, devant l’enfant qui regardait de ses beaux yeux vagues, et essayait un sourire ; et pendant ce temps, Joseph, embarrassé, expliquait qu’il était venu à Bethlehem avec Marie, à cause du recensement ordonné par César, mais qu’il y avait tant de monde dans la ville, que les hôtelleries étaient pleines et qu’ils n’avaient trouvé de place nulle part.

Les rois ne l’entendaient pas ; émus et ravis, ils avaient ouvert leurs trésors ; ils faisaient ruisseler l’or sur le sol, ils allumaient des parfums : l’encens et la myrrhe, dont la fumée légère montait en flocons bleuâtres, et Marie, toute rêveuse, penchait la tête en se disant :

— Les bergers sont venus déjà, maintenant voici des rois !

Et, quand les rites furent accomplis, les rois mages se retirèrent et allèrent se reposer.

Ils se remirent en route, le lendemain, pour regagner leurs lointains royaumes d’Orient, en se gardant bien de repasser par Jérusalem ; car ils avaient deviné les sombres projets d’Hérode, et ne voulaient plus le revoir.


  1. Saturne.
  2. Jupiter.
  3. L’Écrevisse.
  4. Orion.