Éditions Édouard Garand (p. 2).

AVANT-PROPOS


Les races les plus diverses se sont rencontrées dans l’ardente mêlée de la guerre : de même que mille blocs cyclopéens de fer et d’acier, destinés à se transformer en armes par une nouvelle trempe, ont été alors centralisés des quatre coins du monde, ainsi des fragments du genre humain, séparés jadis, ont été dans ce creuset douloureux, et y ont subi une fusion dont les ethnologistes les plus pénétrants ne sauraient prévoir la résultante finale. Considérons, par exemple, le rapprochement qui s’accentue d’un jour à l’autre entre la France d’Europe et la France d’Amérique, ou, si l’on préfère, entre la France tout court et le Canada : à défaut de prévisions hasardeuses sur les destinées des autres peuples répandus dans l’univers, il est permis d’étudier et d’enregistrer cette conséquence immédiate du grand cataclysme.

Le Canada avec ses perspectives pleines de majesté, exerce une attirance mystérieuse sur les esprits lassés des querelles européennes : ces espaces infinies du Nouveau-Monde, cette terre généreuse, capable de nourrir au bas mot cent millions d’habitants et peuplée seulement d’une dizaine de millions d’âmes, apparaît comme le pays de colonisation par excellence où la vieille Europe, la France surtout, peut envoyer au moins quelques-uns de ses meilleurs enfants. On y respire, par le corps et par l’âme un air de santé qui contraste avec l’atmosphère de là-bas, encore tout obscurcie de la fumée des batailles.

Le roman qu’on va lire est un essai de mise au point dont pourront prendre connaissance les lecteurs impartiaux, des deux côtés de l’Océan. L’auteur, qui se dérobe derrière un pseudonyme, est un observateur impartial, bien placé pour ces questions : mêlé de très près à la société des deux Frances, il a voulu faire œuvre de bonne foi, corriger des impressions qui nuisent aux bons rapports des deux peuples, et montrer l’âme commune qui vibre dans les deux groupes de la même famille, sous d’apparentes antithèses.

Ce roman n’est pas une invite pressante aux Français d’Europe de s’expatrier pour venir faire rapidement fortune sous d’autres cieux ; les colonies appartenant à la France, comme le fait remarquer M. Louis Arnould dans son livre « Nos Amis Canadiens », doivent être les premières à séduire les pionniers hardis de la vieille nation, et elles offrent un débouché magnifique à tous les citoyens français moins casaniers que la plupart de leurs frères. Mais, si quelques vertueuses familles établies sur les régions ingrates et progressivement déboisées de quelque départements montagneux de la vieille patrie, se sentent attirées vers l’autre rive de l’Océan, ce livre leur suggérera la mentalité qu’elles doivent se faire pour avoir des chances de succès : elles diront définitivement adieu au sol natal, comme les fondateurs du Canada, et elles viendront se mêler aux arrière-cousins qui ont conservé les meilleures traditions ancestrales. Ce roman n’a pas d’autre visée.

Le héros qui découvre la fleur lointaine est supposé investi d’une fonction qui n’existe pas encore dans la réalité : elle n’est qu’ébauchée dans les rouages administratifs des deux pays. Mais n’est-ce pas le privilège des œuvres d’imagination de devancer parfois les événements, de compléter ce qui est par ce qui devrait être ? La réalité est le point de départ de l’idéal.

En lisant ce livre, quelques savants pourront sourire de quelques théories scientifiques qui leur sembleront fantaisistes, en ce qui concerne les effets de la transplantation sur tout organisme vivant. Ce sont là des hypothèses qu’il s’agirait de contrôler par des expériences plus étendues et plus décisives, pour en induire une loi rigoureuse. Néanmoins, des faits précis que nous pourrions citer s’ajoutent à ceux du récit, forment un corps de doctrine, et sont capables d’amorcer des recherches ultérieures qui confirmeront ces premières indications.

Quoi qu’il en soit de ces incursions plus ou moins téméraires dans le champ de la science, imitées de Jules Verne auquel tant de découvertes ont donné tardivement raison, le rêve qui prend chair et vie dans ces pages a semblé assez beau à l’auteur pour être présenté à tout un public qu’il espère atteindre. Les mauvais romans pullulent ; s’il n’a pas de mérite artistique exceptionnel, ayant été écrit parmi d’autres travaux de tout ordre, celui-ci pourra néanmoins obtenir les suffrages des âmes honnêtes et fortifiera en elles l’amour du bien. Ce sera sa meilleure justification.

MONTRÉAL, 25 août 1925.