Librairie d’Éducation A. Hatier (p. 7-18).


FLEURETTE



Au midi de la France, entre les Alpes et la mer, se trouve un charmant pays que nous nommons Comté de Nice, mais qui, au temps des fées, s’appelait royaume des fleurs.

Là, dans un magnifique palais de cristal entouré de superbes jardins, vivaient en sœurs toutes les plantes.

La fée aux Roses en était la reine, et la plus douce paix régnait dans ce royaume parfumé.

Les habitants de l’air, depuis le rossignol jusqu’au petit roitelet ; les habitants de la terre, depuis la cigale jusqu’au cricri, animaient et réjouissaient par leurs chants ce séjour délicieux.


Je vous la confie, mes sœurs…

Un jour, la fée aux Roses, sortant de son palais, trouva à l’entrée du jardin une toute petite fille qu’on y avait déposée. Elle la prit entre ses bras et la caressant doucement :

Charmante créature, dit-elle, je t’adopte, je t’élèverai, je serai ta marraine. » Aussitôt, elle la transporta dans le jardin et, allant trouver la fée Violette et la fée Oranger :

« Je vous la confie, mes sœurs, dit-elle, veillez sur elle. Comme reine, je m’absente souvent et ne puis me charger de ce soin ; remplacez-moi près d’elle et faites-en une fille accomplie. »

L’enfant, qu’on nomma Fleurette,


Les habitants l’avaient nommée Bienfaisante…

grandit au milieu des fleurs. Ses deux institutrices la douèrent de modestie et d’innocence ; le rossignol lui donna des leçons de chant, et toutes les plantes lui donnèrent la science de la nature.

Fleurette resta toujours frêle et élancée comme le lis dont elle avait dans la taille la flexible délicatesse, et dans les yeux le bleu azuré.

Près du domaine des fées se trouvait un village que Fleurette visitait souvent. Les habitants, dont elle était la bienfaitrice, la chérissaient et l’avaient surnommée Bienfaisante. En effet, partout où elle passait elle laissait le bien-être et la joie. Nul ne s’entendait mieux qu’elle à calmer les souffrances et toujours elle apportait la paix. Il est vrai que ses bonnes amies les fleurs l’y aidaient puissamment. C’était la fleur d’oranger qui lui donnait ces belles pommes d’or qui amusaient les enfants ; c’était le lin qui lui donnait le fil dont elle tissait les délicates étoffes qui embellissaient les jeunes filles ; c’était l’aconit qui lui donnait le suc qui calmait la fièvre ; le pavot qui lui donnait la liqueur qui engourdissait les souffrances et procurait le sommeil réparateur, et tant d’autres dont Fleurette connaissait mieux que moi les propriétés bienfaisantes.

Un jour, cette douce quiétude fut troublée. Un méchant génie, ennemi des fleurs, l’Ouragan, vint leur déclarer la guerre. Il déchaîna sur le royaume son armée dévastatrice dont l’Aquilon était le général et le Mistral le capitaine.

Les ravages de ces dévastateurs s’étendaient au loin. La mer en fut agitée et les villages d’alentour virent leurs récoltes dispersées, perdues par ces terribles ennemis. La stupeur et la désolation avaient remplacé la joie et la paix. Les oiseaux eux-mêmes avaient cessé leurs chants et les insectes s’étaient cachés dans les entrailles de la terre.

Dans cette extrémité, les fées tinrent conseil. Les supplications étaient inutiles ; il fallait employer la force et la ruse. Or, si les fleurs n’ont pas la force brutale, elles ont le charme vainqueur ; mais, si frêles, comment oser se présenter à cet horrible Ouragan dont elles étaient si effrayées ?

« Chargez-moi de ce soin, mes amies, dit Fleurette qui assistait à la délibération, j’ai un corps plus solide que le vôtre à opposer à ses coups, et il faudra bien qu’il m’entende.

— Il est sourd, dit la fée aux Roses, mais travaille de ton côté, moi, je travaillerai du mien ; je vais aller voir le génie des nuages, il est de nos amis et voudra peut-être nous aider.

— Et, dit la timide fée Héliotrope, s’il nous envoie la grêle, le remède sera pis que le mal.

— Ne craignez rien, mes sœurs, j’espère.

Aussitôt la fée aux Roses se transformant en parfum, se posa sur les ailes d’un papillon qui s’éleva vers les nues. Pendant ce temps, Fleurette était allée demander conseil à la fée Souci.

Cette fée était triste et sérieuse, mais elle savait donner un bon avis.

« Ma fille, dit-elle, il faudrait pouvoir conduire le génie Ouragan dans cette grotte creusée dans les rochers qui bordent la mer ; là, nous pourrions l’enchaîner facilement, et notre ennemi deviendrait impuissant et ne pourrait jamais plus nous nuire. »

Fleurette réfléchit et crut avoir trouvé un moyen ; elle avait pensé aux charmes de la musique et voulait s’en servir pour attendrir l’indomptable génie.

Elle partit courageusement et s’exposa bravement à la tempête ; mais sa faible voix ne pouvait dominer le tumulte et elle commençait à désespérer, lorsqu’il lui vint un auxiliaire.

Une nuée grise s’étendit au-dessus du royaume et laissa tomber une pluie fine qui, peu à peu, calma la violence des vents. Fleurette en profita aussitôt pour faire entendre ses chants les plus sonores, puis, voyant le génie prêter l’oreille, elle modula ses plus belles chansons et en vint progressivement aux plus douces mélodies.

Pendant ce temps, elle marchait toujours vers la caverne, et elle était poussée par l’Ouragan, grondant encore, tout doucement, charmé par cette voix ravissante.

Arrivée à la grotte, elle eut le courage d’y entrer malgré sa vaste profondeur et sa sombre solitude.

L’Ouragan suivait docilement, il étendit sur le sol ses membres colossaux.

Fleurette continua : son chant devint un murmure et, nouvel Orphée, elle endormit le monstre. Les fées des fleurs arrivèrent alors et l’enchaînèrent.

Depuis ce temps, la paisible contrée a été à l’abri de la tempête ; parfois l’Ouragan gronde sourdement, mais il ne peut sortir de sa prison.

Le calme reparut donc et les fées s’assemblèrent de nouveau.

« Fleurette, lui dit la reine, nous voulons te récompenser, et nous allons te donner une famille parmi les hommes. Un puissant roi nous aime et il te recevra à sa cour, tu deviendras une grande dame, les honneurs et les richesses t’entoureront. »

Fleurette pleura.

« Vous voulez donc me chasser, dit-elle ; que ferais-je loin de vous ? Qui vous connaît ne peut cesser de vous aimer ; comment voulez-vous que je vive, moi qui ne vous ai jamais quittées et que vous nommez votre fille ?

— Ne pleure plus, ma mignonne, dit la fée aux Roses, nous n’acceptions cette séparation que pour faire ton bonheur ; tout le monde gagnera donc à ce que tu nous restes. »

Fleurette est donc demeurée la sœur des fleurs et l’amie des petits enfants.