Le Passe-Tempsannée 20, n° 21 (extrait, Fleur du cloître) (p. 2-4).

FLEUR DU CLOITRE


stances mystiques à une jeune novice

Ecce dilecta mea !… manibus date lilia plenis !…
cantique des cantiques.
« Voici ma bien aimée !… au loin, sur les chemins,
« Devant elle effeuillez les lis à pleines mains !… »

Le dernier bruit du jour expire
Au tintement de l'Angelus ;
À l’ombre des rameaux touffus,
L’oiseau dans son nid se retire.
Tout se calme, l’on n’entend plus
Murmurer que l’onde et les feuilles…
Et c’est l’heure où tu te recueilles,
Ô chaste épouse de Jésus !

Tu te recueilles, car c’est l’heure
De la prière et de l’amour,
Et de l’extase intérieure
Après tes saints labeurs du jour ;
C’est l’heure où ton époux, qui t’aime,
Chaque soir vient te visiter… —
En silence, et pour l’écouter,
Ton cœur se replie en lui-même.

Moment de joie et de bonheur !… —
Il vient ; — tu le sens : — il se penche
Pour baiser ta couronne blanche
Faite des lys de ta pudeur…
Son souffle féconde ton âme,
Et des anges harmonieux
Chantent tout bas l’épithalame
De cet hymen mystérieux :

« Salut à l’épouse sans tache
« Pure comme le diamant,
« Qui, pour plaire au céleste amant,
« À l’ombre des autels se cache !
« Salut ! — La palme des déserts
« S’arrondit en dais sur sa couche !
« Salut ! — L’haleine de sa bouche
« S’exhale en parfum dans les airs !… »


Et l’époux dit : — « Rose fermée
Aux regards indiscrets, c’est moi !
Fleur au doux calice ouvre toi :
Ne crains rien, ô ma bien aimée !…
Cette heure divine est à nous,
Et plus que toi je la désire…
Laisse, laisse que je respire
Tous ses parfums… — j’en suis jaloux !… »

Et, pour répondre à sa tendresse,
Ton cœur, ton cœur s’épanche à flots,
Et ta lèvre n’a pas de mots
Qui puisse dire ton ivresse !…
Ton âme n’est plus qu’un soupir,
Et, dans ce moment ineffable,
Tu mourrais du poids qui t’accable,
Si le bonheur faisait mourir !

Oh ! que cette heure de délice
Te fait goûter avec ardeur
Les voluptés du sacrifice
De ta vie offerte au Seigneur !
Ô toi victime volontaire,
Qui de Jésus suivant la voix,
Choisis ses sentiers sur la terre,
Toi, qui pour couche as pris sa croix !…

Dans ta solitude profonde,
Doux nid par la paix habité,
Dis, songes-tu parfois au monde,
Au sein de ta félicité !
Colombe des saintes montagnes,
Quand vers le ciel tu prends l’essor,
Te souvient-il de tes compagnes
Qui dans nos bois restent encor ?…


S’il t’en souvient, bénis et pleure !
Bénis ton sort, pleure le leur :
Sans cesse aux genoux du Seigneur,
Ta part, Marie, est la meilleure ! [1]
Ce monde où leur âme se perd
Et flotte à chaque vent qui change,
Que peut-il donner en échange
Au cœur insensé qui le sert ?…

Des biens, des plaisirs et des fêtes ?
— Beaux fruits tout dorés au dehors,
Mais pleins d’amertumes secrètes
Et qui ne laissent que remords… —
L’amour ? — Ô blanche tourterelle !
On dit que l’amour, c’est le ciel :
Celui de Dieu seul est fidèle.
Et tu t’enivres de son miel !

Ah ! reste, reste au cloître austère
Où, dans la chaste obscurité,
La fleur de ta virginité
S’épanouit avec mystère……
À l’ombre de ces murs pieux,
Vierge, goûte tes saintes joies,
Et, pour regarder dans nos voies,
Ne détournes jamais les yeux.

Tandis que la terre bourdonne
Sous tes pieds avec tous ses bruits,
Nourris-toi des célestes fruits
Dans le calme qui t’environne :
Douce vestale du saint lieu,
Avec les fleurs de ta prière,
Laisse tomber ta vie entière,
Comme les grains de ton rosaire,
Jour par jour dans le sein de Dieu !

Gabriel Monavon
  1. Optimam partem elegit sibi Maria, quœ non auferetur ab ea.
    Évang.