Feuilleton du Journal des débats du 7 décembre 1820
Cette chronique sera exclusivement consacrée à la musique. Les opéras anciens et nouveaux y seront (uniquement sous le rapport musical) examinés, analysés avec soin, et d’après les principes de la bonne école.
Je ne me bornerai pas aux compositions théâtrales, je parlerai aussi des messes, des motets, des oratorios, des symphonies publiées ou exécutées dans les églises et les concerts. La musique de chambre fixera mon attention, et je m’empresserai de signaler une bonne romance quand elle nous paroîtra au milieu du déluge de rapsodies dont les petits faiseurs nous inondent.
Je ferai connoîtra les nouvelles découvertes et les perfectionnemens apportés dans l’enseignement de l’art et la facture des instrumens, ainsi que les succès obtenus sur les théâtres des départemens, toutes les fois qu’ils donneront des preuves de leur existence, en représentant quelque nouveauté théâtrale non encore jouée dans Paris.
L’art s’agrandit dans les parties dont presque toutes présentent un égal intérêt. Les amateurs de musique deviennent plus nombreux, plus éclairés. On commence à secouer le joug de la routine, et à sentir les véritables beautés. Les brillant succès, le triomphe éclatant de Don Juan en est une preuve irrécusable.
J’ai pensé que les lecteurs aimeroient à trouver dans ce Journal des détails sur un art plein de charme, et dont les feuilles périodiques ont, jusqu’à ce jour, parlé d’une manière trop vague ou trop fugitive.
Honneur à la Mode ! Je commence par Rossini
Un petit nombre d’amateurs s’étoient rendus à la seconde représentation de Torvaldo e Dorliska, quelques uns pour entendre de nouveau cet opéra de Rossini, d’autres pour assister à ses obsèques. En effet, je ne pense pas que cette composition reparoisse une troisième fois, quoiqu’elle ne soit point indigne de son auteur. Si l’on admire le Barbier de Séville, on ne doit pas mépriser Torvaldo, car la plupart des mélodies et des effets d’orchestres sont les mêmes dans les deux opéras. Une introduction brillante et pleine de verve, un beau trio, un duo remarquable par la diversité des images qu’il présente tour à tour, un morceau d’ensemble bien dessiné auroient suffi pour assurer le succès de Torvaldo, si ces morceaux de musiques avoient été liés à une action intéressante ;
mais ce nouvel opéra est peut-être le plus absurde et le plus ennuyeux que l’Italie nous ait envoyé. C’est une mauvaise parodie de notre Lodoïska. Pellegrini déguisé en tyran, est une caricature fort déplaisante ; et dans les morceaux passionnés dont l’exécution lui est confiée, on n’a pas retrouver la vigueur d’expression qu’il déploie dans le rôle d’Uberto
La musique de Torvaldo fourmille de réminiscences et même d’emprunts que le musicien a fait à ses autres ouvrages. L’introduction est calquée en partie sur celle du Barbier de Séville : elle renferme même le principal motif du premier duo de cet opéra. Un solo de cour du grand air chanté par Pellegrini donne note pour note le trait de clarinette du premier air de Figaro dans le Barbier ; la seule différence est dans le mouvement. Le morceau d’ensemble de la cloche rappelle un peu trop de le quatuor du Turc en Italie. Beaucoup de prolixité dans la conduite des motifs, point de couleur locale, des répétitions fastidieuses aux cadences finales, des effets de pizzicato plus bizarres que dramatiques, des modulations dures, des morceaux d’ensemble mal coupés pour la scène, tels sont les défauts les plus essentiels de ce nouvel œuvre de Rossini. Il resteroit de quoi faire un bon opéra, si l’on pouvoit élaguer tout ce qui est foible, rajuster un peu le poëme, et confier certains rôles à d’autres chanteur capables de les rendre. Celui de Dorliska est au dessus de la portée de Mlle Naldi ; Pellegrini est déplacé dans celui du tyran, et Naldi ne nous donne que les ruines d’une voix basse qui ne se fait entendre que par intervalles. Garcia a chanté avec âme le rôle de Torvaldo. La chaleur qu’il y a mise contrastoit avec la froideur glaciale des autres acteurs.