Feuerbach - Qu'est-ce que la Religion ?/Préface du traducteur

Traduction par Hermann Ewerbeck.
Ladrange, Garnier frères (p. v-viii).


PRÉFACE
DU TRADUCTEUR.



L’ouvrage en deux sections que je viens offrir au public français, est un de ceux qui n’exercent pas précisément une impression rapide au moment de leur apparition, mais une influence lente, soutenue, profonde ; une influence qui va en augmentant avec la distance, et qui est indestructible.

Cet ouvrage est un pont jeté entre l’esprit critico-philosophique de la France et celui de l’Allemagne. Ce que l’Allemagne a publié depuis huit années, après de longues et pénibles recherches scientifiques et éclairée par l’enthousiasme sacré du véritable progrès, — cet ouvrage le met à la portée de la France. On a commis une faute qui aura des conséquences graves, une faute inconcevable à mes yeux, en ne faisant pas depuis longtemps, et avant moi, ce que j’entreprends ici : mais mieux vaut tard que jamais[1].

Cet ouvrage donne dans sa première section la traduction de tous les écrits principaux de M. Louis Feuerbach[2] ; dans sa seconde section il donne ceux de MM. Daumer, Lutzelberger, et Ghillanÿ. J’ai jugé à propos de donner à chacune un titre particulier, et d’ajouter dans mes notes des développemens dont le texte m’a paru quelquefois avoir besoin.

La tendance, le point de départ et le but de la philosophie critico-dialectique de l’Allemagne sont trop connus, en général, pour nécessiter ici une définition préalable. Les lecteurs français auront cependant à étudier et à examiner mon livre tout entier, avant de pouvoir en juger avec justesse.

À ceux qui, renfermés dans des systèmes antiprogressistes, s’étonneront sans doute de ces produits scientifiques de l’Allemagne, je me borne à rappeler un fait qu’ils ne doivent jamais perdre de vue : c’est que la conscience de la génération actuelle d’outre-Rhin se base sur deux colonnes fondamentales : l’une s’appelle Hegel, l’autre s’appelle Henri Heine.

De temps en temps les écrits de Henri Heine et de Hegel ont été mis à la portée de la France de juillet par des traductions et des extraits : la France d’alors ne s’en est que médiocrement occupée, enchaînée qu’elle était dans un pédantisme scolastique et pusillanime, dont l’Allemagne s’est débarrassée depuis vingt années.

Cet ouvrage sera exposé aux attaques les plus diverses : il aura donc le sort des illustres écrivains dont il retrace les idées invincibles. Il s’honorera même de ces attaques-là : pourvu qu’elles viennent d’un côté honorable.

Quant au style, qu’on me permette de dire un seul mot : dans cet ouvrage la pensée allemande et la parole française ont quelquefois dû lutter l’une contre l’autre, peut-être se sont-elles quelquefois blessées réciproquement.

Et maintenant, que la grande France reçoive ce gage d’intelligence et d’amour de sa sœur, la grande Allemagne.


Auguste-Hermann EWERBECK,
(né à Danzig).
Docteur en médecine et chirurgie, des Facultés de Berlin et d’Utrecht.


Paris, 6 mai 1850.


  1. Les Annales franco-allemandes, Paris, 1844, par MM. Karl Marx et Arnold Ruge, cessèrent malheureusement de paraître après deux livraisons mensuelles.
  2. Dans la Revue Indépendante, il y a plusieurs années, M. Adolphe de Ribbentrop publia un compte-rendu du livre l’Essence du Christianisme, par M. Louis Feuerbach.