Festus grammaticus, De la signification des mots/Tome 1
Professeur d’histoire en l’Université, etc.
IMPRIMERIE PANCKOUCKE,
rue des Poitevins, 14.
NOTICE
SUR POMPEIUS FESTUS.
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Il n’existe malheureusement qu’un seul manuscrit (et encore est-il extraordinairement mutilé) des livres de Festus sur la Signification des mots. Il fut apporté d’Illyrie au XVIe siècle, selon l’opinion générale. Pomponius Létus en eut quelques feuillets ; le reste tomba entre les mains de Manilius Rallus. Ces savants confièrent ce manuscrit à Ange Politien, qui le mit en ordre et le copia. De là, il passa en la possession d’Alde Manuce. Les extraits de Festus, recueillis par Politien et par Victorius, seraient assurément d’un grand prix, si le manuscrit de Manilius Rallus eût été perdu sans retour. Mais Antoine Augustin, d’abord évêque de Lérida, puis archevêque de Tarragone, le fit imprimer (en 1559) ; Orsini en donna ensuite (1581) une sorte de fac-simile, où sont représentées les pages mêmes du manuscrit, avec ses mutilations et ses lacunes ; enfin, chose beaucoup plus importante, le manuscrit lui-même existe encore aujourd’hui dans la bibliothèque Farnèse (maintenant à Naples). Une nouvelle copie en fut faite par le savant allemand Louis Arndts, et elle a été, d’un grand secours à Charles-Ottfried Müller pour l’édition qu’il a donnée de notre auteur.
Dans le catalogue des manuscrits latins de la bibliothèque de Naples, dû au savant bibliothécaire M. Cataldus Janelli, ce manuscrit est coté p. 2, no 3, avec l’indication de l’armoire et du rayon où il se trouve, note 4, A.3. Voici les termes dans lesquels Cataldus Janelli s’exprime : « On peut admettre que ce manuscrit date du XIe ou du XIIe siècle. Il contient une partie de l’ouvrage de Sextus Pompeius Festus sur la Signification des mots.... C’est le manuscrit si célèbre de la bibliothèque Farnèse, que Fulvio Orsini fit copier et imprimer à Rome en 1581, et, autant que nous avons pu en juger jusqu’à présent, avec une grande exactitude et une grande habileté. » Assurément cet éloge est en somme mérité ; cependant nous devons y apporter quelques restrictions. Arndts a remarqué que le manuscrit se compose de 41 feuillets de parchemin du grand format, écrits des deux côtés et sur deux colonnes, et qu’en tout il y a 164 colonnes. Plus de la moitié des colonnes qui touchaient la marge extérieure du manuscrit a été brûlée, et l’on voit encore des traces évidentes du feu sur la plupart des feuillets. Cependant, pour quelques feuillets, la partie ainsi brûlée a été coupée ensuite avec un couteau, et la colonne extérieure du feuillet 19 a été complétement retranchée. Dans cet état, il était impossible que la marge brûlée ne fût facilement détériorée par l’usage ; aussi M. Arndts pense-t-il que du temps d’Orsini, il s’était encore conservé çà et là un assez grand nombre de lettres qui ont disparu dans la suite. Il reconnaît cependant qu’Orsini a pu quelquefois pécher par négligence, en plaçant dans l’imprimé plus de lettres qu’il n’en avait vu dans le manuscrit. Ajoutons que les huit premiers feuillets sont souvent presque illisibles, tant l’écriture s’y trouve altérée ; et, de plus, le parchemin est çà et là percé de petits trous ou de petites fissures, ce qui a détruit plusieurs lettres qui ne manquaient pas encore du temps d’Orsini.
À partir du neuvième feuillet, l’écriture est assez nette et assez claire ; mais elle offre beaucoup d’abréviations, et des vices d’orthographe et de ponctuation. L’on n’y voit de majuscules qu’au commencement de chaque article, et souvent ce commencement est indiqué tout de travers par le copiste. Les pages comptent 33, 34 et quelquefois 35 lignes. L’écriture n’est point partout la même, mais elle se ressemble assez, et quelquefois elle est inégalement espacée. En général, ce manuscrit est presque exempt d’interpolations ; mais on y trouve des traces de corrections faites par un reviseur peu habile.
On pourra donc se servir de ce manuscrit de manière à en tirer la connaissance la plus exacte de chaque détail transmis par Festus, et, de plus, de tout l’ouvrage qu’il a laissé. Et la marche à suivre pour arriver à ce résultat est fort simple. Il s’agit de calculer combien de feuillets du manuscrit de Festus ont pu se perdre, d’après l’ensemble des parties de l’abrégé fait par Paul Diacre, dont rien ne répond à ce qui nous reste de Festus, et ce calcul a été fait par Ch.-Ottf. Müller avec toute l’exactitude possible. Il y a, de plus, fait entrer les fragments conservés par Pomponius Létus, et qui ne se trouvaient point dans le manuscrit de la bibliothèque Farnèse. Remarquons toutefois, avec ce critique, que l’original de ces fragments n’est pas connu, et que les savants n’en ont vu que des copies. Petit-être cet original est-il égaré dans quelque dépôt littéraire de Rome. Du reste, nous avons cru devoir suivre dans notre texte la disposition adoptée par Ch.-Ottf. Müller ; seulement, il nous a semblé inutile de reproduire la distribution des pages donnée par Orsini, ce qui, d’ailleurs, eût été fort gênant par rapport au format de notre Collection.
Voilà tout ce que nous avons à dire du manuscrit de Festus apporté d’Illyrie, dont le fragment de la bibliothèque Farnèse, et ceux de Pomponius Létus, ont fait évidemment partie. On peut admettre qu’il existe une connexion étroite entre ce manuscrit et celui qui a servi à Paul Diacre pour la rédaction de son Abrégé ; on peut admettre que le manuscrit de la bibliothèque Farnèse a été copié sur celui dont Paul Diacre avait fait usage. Telle est la cause des fautes de copie que Paul Diacre a reproduites, fautes qu’il est permis de ne reprocher ni à Festus ni aux anciens copistes, mais à ceux qui ont écrit le modèle du manuscrit de la bibliothèque Farnèse. Remarquons encore que, pour éviter les fautes les plus graves, Paul Diacre a mieux aimé passer des parties essentielles de certains articles, que d’avouer son ignorance.
Quant aux manuscrits de l’Abrégé de Paul Diacre qui nous ont été conservés, on peut les diviser en deux classes : la première comprend ceux qui reproduisent le texte même de cet auteur, plus défiguré déjà par les fautes propres aux copistes, mais n’offrant aucune correction, parce qu’ils ont été copiés par des moines plus ignorants encore que l’auteur ; la seconde classe comprend les manuscrits où le texte est corrigé ou interpolé, parce qu’ils ont été écrits par des individus qui avaient des prétentions à la critique, et qui étaient, ou du moins se croyaient moins ignorants que Paul Diacre. À la première classe, qu’il faut préférer, se rapportent les manuscrits de Munich et de Wolfenbüttel (Lindemann regarde celui-ci comme le second) ; combinés l’un avec l’autre, ils reproduisent Paul Diacre au point que l’on doit rarement suspecter leur sincérité ; celui de Munich est, du reste, évidemment le plus exact. Les manuscrits de la seconde classe, qui ont été consultés avec confiance par quelques savants, sont ceux de Leipzig et de Berlin.
Le manuscrit de Munich, qui a jadis appartenu à l’église Saint Emmeram de Ratisbonne, est en parchemin, de format petit in-4o : on le fait remonter au commencement du XIe siècle. Il a été collationné par A. G. Cramer, célèbre jurisconsulte, qui en a transmis à Lindemann une copie avec des variantes.
Le manuscrit de Wolfenbüttel, également sur parchemin in-4o, est rapporté au Xe siècle et même à une époque antérieure. Il avait appartenu à Louis Carrion, et a pour titre : Excerpta ex libris Pompei Festi de Significationibus verborum. Lindemann l’a pris pour base de son édition, au point que, sur la seule autorité de cette copie, il a introduit beaucoup de choses dans le texte, surtout pour l’ordre des mots, sorte d’innovation dont, suivant Müller, l’écrivain est trop prodigue.
Le même critique s’est servi d’un second manuscrit de Wolfenbüttel, sur papier et du xve siècle, qui n’a pour ainsi dire, rien de bon en lui-même, mais qui, en revanche, se distingue par des fautes qui lui appartiennent en propre.
Le manuscrit de Berlin, sur vélin in-8o, est, dit-on, du xiiie siècle et a été examiné par Lindemann lui-même et comparé par Niebuhr avec l’exemplaire vénitien de Paul. Lindemann s’est servi des observations de Niebuhr. Si l’âge donné à cette copie est exact, elle appartient, il est vrai, au moyen âge ; mais, comparée avec celles de Munich et de Wolfenbüttel, elle est moderne et correcte : il ressort, en effet, de toutes ses pages, que le copiste s’est du moins attaché à n’écrire que des mots qui présentassent un sens. On peut conjecturer d’après quelques passages, (évidemment interpolés) qu’elle a été faite par un auteur qui avait lu Aulu-Gelle.
Le manuscrit de Leipzig n’est autre que celui de Varron : il est sur papier du plus grand format et d’une époque très moderne. Que, selon l’opinion de Lindemann, il ait été copié sur un manuscrit bon et ancien, c’est ce que Ch.-Ottf. Müller ne nie pas absolument ; mais il n’hésite pas à affirmer qu’il a subi la critique d’un savant de l’époque où la philologie renaquit en Europe. De là vient qu’il s’accorde assez souvent avec les corrections placées par Antoine-Augustin en marge de son édition.
Outre ces cinq manuscrits, dont Lindemann s’est servi avec talent pour son édition, beaucoup d’autres sont conservés dans les bibliothèques de Suisse, de France, d’Angleterre et d’Italie. Nous ne parierons pas de ceux dont Gaspard Barth fait un si magnifique éloge.
Nous arrivons maintenant à l’examen d’une question fort grave. Quelle a été, anciennement, la forme de l’ouvrage de Verrius ? par quels procédés Festus a-t-il fait un nouvel ouvrage d’après Verrius ? par quels procédés Paul Diacre a-t-il fait un nouvel ouvrage d’après Festus ?
M. Verrius Flaccus se distingua tellement sous le règne d’Auguste par son talent oratoire, que ce prince lui confia l’instruction de ses petits-fils, Caïus et Lucius, lui permettant de s’établir avec toute son école au Palatium, à condition, toutefois, qu’il n’augmenterait plus le nombre de ses élèves. C’est ce que nous apprend Suétone (de Illustr. gramm., c. XVII). Cette circonstance eut probablement lieu à l’époque où C. et L. César étaient âgés de sept à dix ans, c’est-à-dire vers l’an de Rome 744, avant J.-C. 10. Auguste, d’ailleurs, faisait tant de cas de Verrius, qu’il opposait son éloquence correcte et tout à fait latine à la parole obscure et presque barbare d’Annius Cimber ; si, du reste, Ernesti et d’autres critiques ont eu raison de substituer le nom de Verrius à celui de Veranius Flaccus, dans Suétone (Oct. Aug., ch. lxxxvi).
Il mourut, selon Suétone (de Illustr. gramm., c. xiv), dans un âge avancé, sous le règne de Tibère. On lui éleva une statue à Préneste, au haut du forum en face de l’hémicycle, où il avait exposé en public des fastes mis en ordre par lui et habilement gravés sur le marbre ; c’est ce qu’on lit dans la plupart des manuscrits. Ce qui est certain, c’est qu’en 1770 cet hémicycle de Préneste fut déblayé, et que, non loin de là, on trouva une partie des tables de marbre, que François Foggini rétablit et publia avec un soin remarquable, et celles de ces tables qui subsistent encore contiennent les mois de janvier, mars, avril, décembre, avec l’indication des jours fastes, des jours néfastes, des jours dont on ne célébrait que la moitié, de tous les sacrifices public : et particuliers à la famille d’Auguste ; de plus, l’explication des motifs pour lesquels chaque jour est célébré. Ces fastes, comme on peut l’admettre d’après des documents certains, furent dressés ou reçurent du moins des additions au commencement du règne de Tibère.
Verrius avait composé plusieurs livres des Choses dignes de mémoire ; Aulu-Gelle (Nuits attiques, liv. iv, ch. 5) cite d’abord l’histoire des aruspices d’Étrurie, punis pour mauvais conseil. De nombreux indices nous autorisent à croire que Pline l’Ancien s’est servi de ces livres pour la rédaction de son Histoire naturelle. Dans ce qui nous reste de son ouvrage sur la Signification des mots, Verrius se montre très instruit des antiquités étrusques : on a donc raison de le croire le même que ce Flaccus, auteur d’un traité sur l’Étrurie, et dont on a tiré un petit nombre de passages, mais écrits avec beaucoup de science, des interprètes de Virgile édités par Angelo Mai. Quelques critiques pensent que Verrius a écrit encore sur les choses saintes. Toutefois, les citations éparses en divers auteurs et sur lesquelles ils appuient cette dernière opinion, pourraient bien être tirées de l’ouvrage sur la Signification des mots, comme le fait voir l’abrégé rédigé par Festus, et qui est rempli de discussions sur les choses saintes.
Les passages de Verrius cités par les grammairiens et relatifs à la forme et à la signification des mots, semblent tirés en majeure partie du livre qui porte ce titre. Toutefois, tous n’ont pas dû en être extraits, parce que cet auteur avait composé plusieurs autres ouvrages. Selon le témoignage de Suétone (de Illustr. gramm., c. xix), Scribonius Aphrodisius réfuta le livre de Verrius sur l’Orthographe, et à sa réfutation il mêla d’amères critiques sur les goûts et les mœurs de cet écrivain.
D’autres articles de Verrius concernent les genres des noms, et sous ce rapport Arnobe (Adversus gentiles, lib. i, c. 59) lui recourait une grande autorité. On ne sait pas dans quel ouvrage de notre auteur se trouvaient surtout ces articles ; car, ce qui nous reste de son traité de la Signification des mots, ne contient que peu d’exemples de cette nature, et ces exemples sont tirés de l’ancienne langue latine. Ailleurs ce sont des distinctions de synonymes, ce qui se rencontre aussi quelquefois dans les fragments de Festus. Ailleurs encore sont expliquées les étymologies de certains mots, et les indications de cette nature sont les plus fréquentes dans les extraits que nous avons traduits. Quelques-unes de ces étymologies sont curieuses par cela même qu’elles sont absurdes ; d’autres offrent de l’intérêt par leur comparaison avec des étymologies analogues données par divers auteurs, tels que Aulu-Gelle, Servius, Isidore, etc.. Parmi les citations de Verrius données par plusieurs écrivains, il en est un certain nombre qui évidemment ne se trouvaient pas dans son traité de la Signification des mots. Mais quel est celui de ses ouvrages perdus auquel il faudrait les rapporter ? c’est ce qu’il est insignifiant de rechercher. Remarquons, toutefois, que beaucoup d’entre elles ont dû appartenir à un ouvrage de Verrius cité par Aulu-Gelle, mais que nous n’avons plus, et qui traitait des obscurités que l’on trouve dans Caton. Festus a probablement tiré plus d’un article de ce livre.
Revenons maintenant à la forme du traité capital de Verrius, à celui qui avait pour titre de la Signification des mots, et qui a fourni les Abrégés de Festus et de Paul Diacre. On remarque à la seule, inspection de ces deux abrégés dans l’état où ils nous sont parvenus ;
1o. Que l’auteur a suivi l’ordre des lettres de l’alphabet ; toutefois les mots placés sous chaque lettre sont rangés sous deux classes : dans l’une l’auteur tient compte, outre la première lettre du mot, quelquefois de la seconde, souvent de la troisième ou d’un plus grand nombre ; dans la seconde classe, il ne tient absolument compte que de la première lettre, mais rapproche les uns des autres des articles consacrés à des mots qui, pour le sens, ont entre eux quelque affinité.
2o. Que très souvent le même mot se trouve et dans la première et dans la seconde classe, de sorte qu’il reçoit une double explication, d’où il résulte que l’auteur émet quelquefois des opinions diverses et contradictoires sur le même sujet. Si maintenant on examine isolément chacune de ces deux classes, on observe que dans la première nul mot ne fait l’objet de deux articles : dans la seconde, au contraire, deux ou plusieurs articles sont assez souvent consacrés à un même mot, mais en général lorsque ce mot a diverses acceptions.
3o. Que dans la seconde classe on trouve dans presque toutes les lettres des gloses sur Caton, et celles-ci se succèdent souvent immédiatement les unes aux autres ; il est donc évident qu’elles sont tirées de l’ouvrage sur les points obscurs que l’on rencontre dans Caton. Cette même classe présente des gloses sur Plaute, et des notices sur le droit augural placées dans un ordre déterminé.
4o. Que dans la première classe, pour certaines lettres, on a mis de préférence certaines gloses en tête, soit parce qu’elles s’appliquent à des mots de bon augure, soit parce qu’elles touchent à des choses d’une grande importance.
Quant aux extraits que Pompeius Festus a faits des livres de Verrius sur la Signification des mots, on peut admettre comme certain qu’il y a ajouté beaucoup d’articles, dont quelques-uns sont tirés des autres ouvrages de Verrius sur les Choses obscures de Caton, sur les Mots employés par Plaute, sur le Droit sacré et le droit augural, sur la Grammaire, mais sans apporter pour toutes les lettres le même soin dans son choix. Dans les articles de la seconde classe, il est souvent fait mention d’écrivains qui ne sont pas cités dans les articles de la première classe : tels sont Antistius Labéon et Veranius. Antistius, contemporain de Verrius, ne composa probablement ses livres du Droit pontifical qu’à une époque où déjà Verrius avait terminé son traité de la Signification des mots, vraisemblablement vers les années de Rome 730 et 735.
Il résulte de certaines indications éparses dans l’Abrégé de Festus, que le nombre des livres de Verrius était beaucoup plus considérable que celui dont se compose celui de Festus. Celui-ci a certainement (et du reste il l’annonce lui-même) omis beaucoup de choses données par son prédécesseur. Pour plusieurs articles obscurs sur lesquels il était en désaccord avec Verrius, il dit les avoir examinés dans les livres qu’il a intitulés des Mots anciens, avec des exemples. Malheureusement ces livres sont perdus.
Les extraits tirés de Verrius par Festus ont été, comme lui-même nous l’apprend, rédigés par lui en un nombre de livres moins considérable que n’avait été celui des livres de Verrius.
Si Festus a mutilé son modèle, il a été cruellement puni de cette faute par Paul Diacre. Nous n’avons pas à nous occuper beaucoup de ce personnage. Ce qui est certain, c’est qu’il tenait un rang assez élevé dans l’Église, car, dans sa lettre au roi Charles, il prend le titre de pontife ; il est également certain qu’il fut contemporain de Charlemagne. Dans son Abrégé il prétend non seulement avoir omis des choses tout à fait inutiles, mais encore avoir éclairci par son propre travail des choses entièrement obscures. Mais cette assertion ne doit pas être prise au sérieux ; car il se montre incapable de se tirer des difficultés, au point de copier aveuglément presque toutes les fautes des copistes, ou de passer des mots difficiles pour donner maladroitement le change sur son ignorance. Dans les articles qu’il a daigné admettre, il a presque toujours resserré le style de Festus ; il a ajouté fort peu de choses, une fois entre autres une citation de l’apôtre saint Paul, et en général il s’est contenté, pour mettre les opinions de l’ancien grammairien en rapport avec son propre siècle, de changer le présent en imparfait, d’écrire par exemple dicebant pour dicunt. Il ne paraît pas qu’il ait jamais ajouté d’articles entiers. Quant aux explications données dans ses livres et qui ne se trouvent pas dans Festus, il paraît qu’elles y ont été introduite d’ailleurs.
Il nous reste à parler des éditions de Festus et de Paul Diacre. On considère comme l’édition princeps de Paul Diacre, celle qui a été faite sur le manuscrit de Wolfenbüttel, et qui est intitulée Sext. Pompeius Festus de Verborum significatione. Mediol., 3 non. aug., 1471. Une édition plus récente, faite évidemment sur celle de Milan, porte à la fin : Festi Pompei liber peroptime emendatus expletus est : ac impensa Iohannis de Colonia nec non Johannis Manthen de Gherrezen qui una fideliter degunt impressioni deditus anno a natali christiano 1474., die 24 decembri. Plusieurs imprimeurs ont de même reproduit, vers la fin du XVe siècle, l’édition de Milan. Souvent on a réuni Paul Diacre dans un même volume avec Nonius Marcellus et Varron, comme cela se voit dans l’édition donnée à Parme en 1480, le 3 des ides de décembre.
Un certain Conagus tenta un travail nouveau : ayant connu, outre l’ouvrage de Paul Diacre, le fragment de Festus et les extraits de Pomponius Létus, il donna le premier, à l’aide de ces ressources, une apparence à peu près régulière à ce corps informe. Son édition, imprimée à Milan, en 1510, par maître Léonard Pachel, comprend Nonius, Festus avec Paul Diacre, et Varron ; mais l’éditeur, dont le nom est placé en tête de tout le volume, J.-H. Pius, n’a donné que Nonius ; Pompeius Festus est dû à Conagus, qui avait, à ce qu’il semble, été un élève de Pius.
Cette édition de Conagus ou de Pius a été reproduite par les éditeurs qui donnèrent à Paris, en 1511 et 1516, ces trois grammairiens réunis. Alde Manuce l’a fait entrer dans la Perotti Cornucopia (Venise, 1513, in-fo). Le même imprimeur et d’autres imprimeurs d’au delà les Alpes l’ont ensuite donnée à plusieurs reprises au public. C’est à tort qu’Antoine Augustin dit qu’Alde Manuce s’était efforcé d’amalgamer ce qui nous reste de Festus avec l’Abrégé de Paul Diacre, et d’en faire un seul et même corps.
Quant aux services qu’Antoine Augustin a rendus à ce trésor de science grammaticale, il les fait connaître lui-même en ces termes : Nos hoc amplius facimus, quod illi neglexerunt ; ut lectores admoneremus, quæ Festi, quæque Pauli essent. Omnia quoque fragmenta Festi describi curavimus, ne quid desiderari posset. In quibus interpretandis quam operam posuerimus, ex his, quæ in Commentariis adscripsimus, judicare lector possit. Cette édition, publiée pour la première fois à Venise, en 1519, chez Charles Sigonius, se distingue par de belles et nombreuses qualités, qu’on a souvent méconnues à dessein ou par ignorance. Antoine Augustin s’est du reste servi, outre les ressources dont avaient pu disposer ses prédécesseurs, d’une copie et de notes, ouvrage d’un anonyme acquis par Maffeï et par lui communiqué au savant Espagnol.
C’est sur l’édition de ce dernier que s’appuie tout le travail de Scaliger sur Festus ; travail du plus haut intérêt, publié en 1565, et réimprimé plusieurs fois avec des additions très notables.
Nous avons dit précédemment tout ce qu’il est utile de savoir sur l’édition de Fulvio Orsini (Rome, 1581, in-8o). Les fragments de Verrius, ce qui reste de Festus, l’Abrégé de Paul Diacre, ont été insérés par Godefroy dans ses Auctores linguæ Latinæ, 1602, in-4o, et réimprimés dans l’édition de Dacier, ad usum Delphini (Paris, 1681, et Amsterdam, 1699). La philologie ne s’est de nouveau occupée de Festus qu’en 1832, date de l’édition in-4o donnée à Leipzig par M. Lindemann, dans le deuxième volume de sa Collection des grammairiens latins. Une nouvelle édition d’Orsini (Paris, 1838, in-16) est due à M. Egger, qui a reproduit fidèlement le texte et la pagination d’Orsini, et qui a joint à son Festus de bons index et une collection de fragments de Verrius Flaccus, plus complète et plus exacte que ce qui se trouve dans les travaux de ses devanciers.
Enfin, en 1839, Ch.-Ottf. Müller a donné à Leipzig, en un volume in-4o oblong, une nouvelle édition de notre auteur sous ce titre : Sexti Pompei Festi de Verborum significatione quæ supersunt, cum Pauli Epitome. Nous l’avons suivie dans notre travail, autant qu’ont pu le permettre la différence de format et la nécessité de mettre la traduction en regard du texte.
Dans cette Notice, nous n’avons rien dit de Festus lui-même. Sa vie est inconnue. On croit que ce grammairien vivait vers la fin du iiie siècle ou vers le commencement du ive. Tous les savants s’accordent à regarder ce qui nous reste de son traité comme un fragment de la plus haute importance pour la connaissance de la langue latine, même dans l’état de mutilation où il nous est parvenu.
Nous ne parlerons pas de notre traduction. Malgré nos efforts, elle n’est point parfaite assurément ; mais le public nous saura gré, sans doute, de n’avoir point reculé devant cette tâche, et d’avoir le premier essayé de reproduire dans une langue moderne ce précieux monument de la philologie romaine. Quant aux notes, nous en avons été sobre, et ne nous sommes attaché qu’il les placer aux endroits où elles étaient indispensables. Nous ne nous flattons pas d’avoir levé tous les doutes, aplani toutes les difficultés, dissipé toutes les ténèbres ; mais nous nous estimerons heureux si notre travail est jugé utile, s’il provoque de nouvelles recherches, s’il inspire à quelque érudit le désir de mieux faire.
Nous devons, en terminant cette Notice, témoigner toute notre reconnaissance à un homme aussi modeste que laborieux et savant, à M. Chenu, qui a bien voulu nous prêter son concours pour la correction de nos épreuves. Mais là ne se sont point bornés ses soins, les observations qu’il nous a faites bien souvent au sujet de passages difficiles, et les excellentes indications qu’il nous a données avec une rare bienveillance, ont toujours été mises par nous à profit.
- Paris, mars 1846.
DE SIGNIFICATIONE VERBORUM 1.
EPISTOLA PAULI PONTIFICIS
AD CAROLUM REGEM.
POMPEIUS FESTUS
DE LA SIGNIFICATION DES MOTS.
LETTRE DE PAUL, PONTIFE
AU ROI CHARLES.
Au seigneur roi Charles, par la faveur de la munificence divine, très-brillant par la sagesse et la puissance, et le plus éminent des rois, Paul, le plus humble de ses serviteurs.
Désirant ajouter quelque chose à vos bibliothèques, mais ayant trop peu de talent par moi-même, j’ai dû nécessairement faire un emprunt à autrui. Sextus Pompeius, profondément instruit dans les études romaines, et dévoilant les origines tant des locutions obscures que de certaines causes, a étendu son ouvrage jusqu’à vingt forts volumes. J’ai laissé de côté tout ce qui, dans cette prolixité, était superflu et peu nécessaire, et éclaircissant à fond, avec le style qui m’est propre, certains points obscurs, conservant d’autres choses dans la forme sous laquelle elles étaient présentées, j’ai offert à Votre Grandeur cet abrégé pour le lire. Dans le cours de ce travail, si toutefois vous ne dédaignez pas d’y jeter les yeux, vous trouverez bien des choses établies d’une manière assez secundum artem, quædam juxta etymologiam non inconvenienter posita invenietis, et præcipue civitatis vestræ Romuleæ, viarum, portarum, montium, locorum tribuumque vocabula diserta reperietis ; ritus præterea gentilium et consuetudines, varias dictiones quoque poetis et historiographis familiares, quas in suis opusculis frequentius posuere. Quod exiguitatis meæ munusculum si sagax et subtilissimum vestrum ingenium non usquequaque repulerit, tenuitatem meam vita comite ad potiora excitabit. Vale.
LIVRE PREMIER.
AUGUSTUS locus sanctus ab avium gestu, id est quia ab avibus significatus est, sic dictus ; sive ab avium gustatu 2, quia aves pastæ id ratum fecerunt 3. AUGUR ab avibus gerendoque dictus 4, quia per eum avium gestus edicitur ; sive ab avium garritu, unde et augurium. AUSPICIUM ab ave spicienda. Nam quod nos cum præpositione dicimus aspicio, apud veteres sine præpositione spicio 5 dicebatur. AFFECTARE est pronum animum ad faciendum habere. ARMILLUM vas vinarium in sacris dictum, quod armo, id est humero, deportetur. ÆRARII TRIBUNI a tribuendo ære sunt appellati. |
AUGUSTUS, nom donné à un lieu saint, des mouvements des oiseaux, parce qu’il a été désigné par les oiseaux ; soit du repos des oiseaux, parce que les oiseaux l’ont révélé après s’y être nourris. AUGUR vient d’avis[1] et gerere[2], parce que l’augure interprète les mouvements des oiseaux ; ou bien d’avis[1] et garritus[3], d’où vient aussi augurium. AUSPICIUM, d’avis[1] et spicere[4] ; car le mot aspicio, que nous employons aujourd’hui avec la préposition, se disait chez les anciens spicio, sans la préposition. AFFECTARE, c’est avoir l’ âme disposée à faire une chose. ARMILLUM, vase destiné à contenir du vin dans les sacrifices ; on lui donne ce nom, parce qu’il se porte sur l’épaule[5]. |