Festons et astragales/Le Danseur Bathylle

Festons et astragalesAlphonse Lemerre, éditeur (p. 59-61).
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Le Danseur Bathylle


 

La belle Métella, femme du vieux préteur,
Est pâle maintenant, et porte dans son cœur
Un mal secret qui la déchire ;
Par le bois d’orangers qui borde sa villa,
Elle marche au hasard, la belle Métella,
Comme une bacchante en délire.

Pour sonder jusqu’au fond l’avenir incertain,
Vingt fois l’urne d’albâtre où roule le destin
Sous ses doigts tremblants s’est vidée ;
Et vingt fois Métella, chez les magiciens,
A mêlé, dans la nuit, les sorts campaniens
Aux enchantements de Chaldée.



Elle aime, et ce n’est pas le chevalier romain,
Bien qu’il soit jeune et fier, et qu’il presse, en chemin,
Une cavale au frein sonore,
Qu’il ait sa place au cirque, auprès des sénateurs,
Que sa bague étincelle, et qu’au jour des honneurs,
D’olivier son front se décore.

Ce n’est pas le consul, au long manteau rayé,
Si beau qu’à son aspect, du peuple émerveillé
Tombe le murmure frivole,
Alors que précédé du licteur éclatant,
Avec sa robe blanche, il balaye, en montant,
Les blancs degrés du Capitule.

Ce n’est pas le tribun, l’homme au pouvoir hautain,
Qui d’un mot de sa bouche arrête le destin,
Ni l’édile aux dons magnifiques,
Ni le riche patron, de qui mille clients
Autour de la sportule humbles et suppliants
Sans cesse assiègent les portiques.

Si Métella soupire et n’a plus de sommeil,
Ce n’est point le soldat bruni par le soleil
Qui trouble sa nuit inquiète,
Ni le poète grec aux vers ingénieux,
Ni l’esclave gaulois, prince par ses aïeux,
Qui porte une urne sur sa tête.



L’image qui bondit sous ses yeux enflammés,
C’est le danseur Bathylle, aux cheveux parfumés,
Bathylle aux poses languissantes,
Bathylle qui s’envole, et qui glisse, et qui fuit,
Et fait battre le cœur des matrones, au bruit
De ses cymbales frémissantes.

Bathylle qu’aux Romains la Grèce, un jour, céda,
Si gracieux, alors qu’il danse la Léda,
Sous une tunique de femme.
Ou quand son corps mobile, en cercle se tordant,
Tourne comme une roue, et dans son vol ardent
De tout un peuple emporte l’âme.

Mais Bathylle est cruel, et ne se donne pas ;
Il veut un sang illustre et de nobles appas
Pour une faveur qu’il accorde ;
Et plus d’un sénateur aux antiques aïeux
Triomphant d’être père, élève sous ses yeux,
Quelque petit danseur de corde !