Faut-il… ?/Avant-Propos

Calmann-Lévy, éditeurs (p. i-iv).


AVANT PROPOS


L’apparition des premiers mutilés de la guerre, en décembre 1914, provoqua dans l’élément féminin de France une sorte de stupeur horrifiée, qui se transforma vite en un splendide élan d’amour. Un embusqué jaloux l’appela : le rut de la pitié. Comme il se traduisit d’exquise manière, les suppliciés de la Défense purent se croire des demi-dieux sortis de l’enfer de la gloire. Cela dura de longs mois.

Malheureusement les martyrs de la mitraille devinrent légion ; et partout, on vit se traîner de pauvres êtres diminués, lamentables ou défigurés. Par milliers, des aveugles fendirent les foules, la tête haute et les orbites obstinément tendues vers le soleil perdu ; mille et mille béquilles pilonèrent l’asphalte, mille et mille manches vides se replièrent sur des moignons ; mille et mille profils s’écrasèrent sous des cicatrices.

Mais les passants n’éprouvaient plus en les croisant ce pincement du cœur qui met deux larmes au bord des cils : elles seules pourtant, peuvent saluer comme il convient les malheurs sacrés qui nous frôlent encore.

Cet endurcissement du cœur sembla coïncider avec le dégonflement des escarcelles. Les courtisanes ouvrirent plus rarement leurs bras et leurs draps parfumés ; et, telle est la résignation des braves, qu’ils acceptèrent ce refroidissement général sans rancœur. Seulement, ils avaient butiné tant de fleurs d’amour qu’ils eurent la fringale d’un printemps plus durable.

Ils se tournèrent alors vers les jardins secrets du cœur des vierges, parce que, depuis le paradis terrestre, c’est toujours dans l’ignorance des femmes que l’homme trouve sa félicité. Ils y semèrent des mots, des regards, des sourires, et il germa des rougeurs, des pressions de mains et des serments très purs. D’ailleurs leur misère physique semblait attirer toute la jeunesse ; et quand les parents étaient sollicités de bénir des fiançailles qui les attristaient tout de même un peu, ils cédaient assez vite pour que fussent d’accord leur conscience et l’opinion.

Quelques lignes dans les journaux exaltaient la gloire et le mérite de ces unions. Puis le silence tombait sur le poème ou sur le drame de ces amours.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En janvier 1904 un invalide de l’Armée d’Aurelle de Paladines, qui avait conservé l’habitude – très à la mode sous le second empire – de noter ses impressions au jour le jour, ne put résister au désir de pénétrer les secrets du cœur de sa compagne. Il avait de tendres remords à son égard, et s’irritait du mystère souriant qui semblait évoluer autour de lui, sans ennui, comme sans plaisir. Il fit jouer le ressort caché d’un bonheur du jour, et y trouva la confession cherchée. Dès lors il s’enferma pour écrire ou pour méditer.


Je livre ce qui suit aux affligés qui doutent de l’avenir, et craignent d’être exclus de l’ordinaire tourbillon passionnel, qui réserve généralement aux hommes les chères surprises de l’amour partagé, incompris, volage, crampon, cérébral, ou sensuel.


O. D.