Factum du procez pendant en la cour


FACTVM,
DV PROCEZ
PENDANT EN LA COVR,
AVQVEL LES P. P……..
de l’Ordre des Mendians, pre-
tendent vnir à leur maiſon,
vn Prieuré de l’Ordre
de Saint Benoiſt.




À PARIS,
M. DC. XLIX.

FACTVM,

Du procez pendant en la Cour, auquel les P. P. de l’Ordre des mendians, pretendent vnir à leur maiſon, vn Prieuré de l’Ordre de Saint Benoiſt.



QVel funeſte deſtin porte toute la terre
D’vn caprice ſi chaud au tracas de la guerre,
Que ceux meſme qui font profeßion de paix
Mettent chez eux le trouble außi bien qu’au Palais,
Qui s’eſtans abdiques du ſoucy des richeſſes,
S’y replongent encor par d’indignes baſſeſſes,
Et recourans apres ce qu’ils ont mepriſé
Font croire que leur zele eſt foible ou deguiſé.
Ie n’eſtaleray point icy les procedures,
Qu’ils fomentent entre eux auec tant de murmures
Nous faiſans voir qu’ils ont außi different but,
Comme ils ſont differens dedans leur inſtitut,
Ie laiſſe à demeſler aux Peres P…..
Comme ils ſont obligez de porter leur capuce,
S’ils doiuent l’auoir rond, ou bien pyramidal,
S’ils cheminent à pieds, ou montent à cheual,
Si la regle eſt chez eux bien ou mal exploitée,
S’ils portent barbe razes ou de haute futaye,

Du quantieſme ordre ils ſont, & s’il eſt reformé,
Si leur habit eſt gris, où s’il eſt enfumé,
S’ils ſont chauffés ou non (leurs differentes modes
Les faiſants parmy nous paſſer pour antipodes)
Ie ne prens point de part à tous ces differens,
Qu’ils pourront terminer auec leurs adherans.
Le ſujet de ma pleinte eſt plus iuſte & ſolide,
Et deſia mon bon droit ſe fait voir ſi liquide
Que malgré leur adreſſe & leur deguiſement
Ie n’en peux eſperer qu’vn bon euenement,
Et la piece qu’ils font à l’egard de l’Egliſe,
Trouble tous les Autels dreſſés à la franchiſe,
Ces azyles ſacrés choquent leurs paßions
Et ne peuuent borner leurs vſurpations,
Bien qu’ils ne ſoient garnis que de corde & ſandalles,
Ils font ſur nos moiſſons de puiſſantes caballes,
Et dans l’infraction de leurs vœux, l’on connoit
Comme eſt par eux traitté l’ordre de Saint Benoiſt
Qui ne peut conſentir que dedans la bezace
Ces riches Prieurez puiſſent trouuer de place,
Mais affin que l’a Cour ſçache leur procedé,
Et comme vn Cardinal finement obſedé,
Par ſon authorité qui leur ſeruoit de plege,
En les inueſtißant commit vn ſacrilege,
Faiſant du bien d’Egliſe vn commerce honteux,
Dont encor qu’il preuit l’euenement d’outeux,
Ioignant malgré les loix la force à l’artifice,
Il crût les maintenir contre toute iuſtice,

D’vn pouuoir violent pratiquant des ſucces,
C’eſt ce qui donne lieu meßieurs à ce proces,
Dont s’il plaiſt à la Cour d’examiner la ſuitte,
Sans doute i’obtiendray les fins de ma pourſuitte,
Et ſans auoir egard à tant de nullitez,
Elle reſcindera ces iniques traittez,
L’abus eſt ſi palpable & la cauſe facile,
Que chacun void ou tend ma requeſte ciuile,
Les deffendeurs außi par vn adueu ſecret,
Ne dißimulent point leur crainte pour l’Arrest,
Lequel eſtant rendu ſur fait non veritable,
Ils aduouent aſſez qu’il n’eſt pas ſouſtenable,
Heureux ſi le pouuoir qui les a reueſtu
Reſtoit apres la mort en ſa force & vertu,
Affin qu’vn Prieuré par des tours de chicane
Pût compenſer le prix d’vne rente profane,
L’on ſe ſouuient aſſez que iuſqu’aux elemens,
Tout le monde a fleſchy ſous ſes commandemens,
Que de luy reſiſter, c’eſtoit commettre vn crime,
Qui n’eſtoit expié par aucune victime :
Lors pour ne ſouffrir plus ſes traits iniurieux ;
Aſtrée de rechef prit ſon vol vers les cieux,
Reſſentant viuement les efforts ſans exemple,
Faits ſur l’authorité des recteurs de ſon Temple ;
Mais puis que tous nos maux ſemblent enſeuelis,
Et que par vous meſſieurs refleuriſſent les lys,
Que deſia vos Arreſts, ou pluſtot vos Oracles
Pour le bien de la France eſtalent des miracles,

Puis que voſtre Sageſſe auecque fermeté
Eſtablit ſon repos & voſtre authorité,
Trouuez bon que ma muſe auecque confiance
Vienne ſolliciter icy voſtre audience ;
Pour faire remarquer dedans vn ſeul procez,
Ce qu’on pût inuenter d’art, de force, & d’excez,
Et iuſqu’où s’eſtendit l’inuincible puiſſance
D’vn Miniſtre d’Eſtat qui fut ſans dependance,
Et comme par la force & la captiuité,
Fut reduit Saint Louys, qui l’auoit intenté,
A ſouffrir ſans delay qu’vn Arreſt colluſoire
Par des termes precis parût contradictoire,
Mon inſtance fait voir quel fut cet attentat,
Dont i’expoſe en vn mot le merite & l’eſtat.
Par contract ſolemnel en l’an ſix cens & trente
Le Sieur Louys Huraut constituë vne rente,
De mille francs par an, qu’il affecte à touſiours
Sur les plus clairs deniers du Comté de Limours,
Pour dotter ſur les lieux vn petit Monaſtere
De mendians qu’il crût d’vne obſeruance auſtere,
Et qui fort ſatisfaits dans le commencement
Se ſont tous contenus dans le temperament,
Et ſçachans adiuſter leur adreſſe à la queſte
Penſerent auoir fait aſſez bonne conqueſte,
Mais comme auec le temps s’accroiſt leur appetit
Ce qui les contentoit leur deuient trop petit
Ils s’estiment gréues, & dans ceſte souffrance
Diſent qu’on a pour eux par trop d’indifference

Qu’ils ſe trouuent reduits à moins de reuenu
Qu’il n’en faut au Conuent pour eſtre entretenu,
Et que tout le public qui connoit leur merite
Sans y contribuer n’en peut demeurer quitte
Mais par ceſte ſoupleſſe aucun n’eſtant ſurpris
Ils ont dans ce rencontre eueillé leurs eſprits,
Et comme par faueur des bonnes deſtinées
Ce Comté fut acquis depuis quelques années
Par le feu Cardinal & duc de R…..
Vous ſçaurez ce qu’ont fait ces ſeruiteurs de Dieu.
Ils ont preſuppoſé que malgré la fortune
L’opulence à chacun peut devenir commune,
Qu’il n’eſt beſoin que d’art affin de l’acquerir,
Qu’il importe de prendre & non de bien courir,
Quoy que dedans l’Egliſe on garde quelque forme
Dont la tranſgreßion eſt aux autres enorme,
Ils ſont exempts en tout auſſi bien qu’en ce point,
Et tiennent que ces loix ne les concernent point.
L’authorité du Prince & les decrets des iuges
Declarent hautement deſerteurs & transfuges
Ceux qui quittent leurs rangs & ſans commiſſion
Dans le camp ennemy vont faire irruption.
Mais ceux-cy peuuent tout, ce que la loy prohibe
Entre dedans le ſacq à guiſe d’vne bribe,
Et comme à leur pouuoir on croit le Ciel ſoubmis,
Deſſus la terre außi tout leur ſemble permis,
ils ſcauent comme il faut donner la tablature
Pour ne craindre iamais interdit ny cenſure,

De fait ce Cardinal, ô ſiecle ! ô temps ! ô mœurs !
Leur donne vn Prieuré vaincu de leurs clameurs,
Mais que diſie leur donne, vn trafic ridicule
Que l’on ſçait s’eſtre fait ſans honte & ſans ſcrupule
Dont ſans reſtituer ne s’obtient le pardon
Doit paſſer pour eſchange & non pas pour vn don,
Ou pour trancher le mot franc & ſans calomnie
C’eſt vn pur ſacrilege & pure ſimonie.
Et puis debitez nous tous vos cas reſeruez,
Sequeſtrés vos eſleus d’auec les reprouués,
Marqués dedans le Ciel les principales places
Pour ceux de qui les biens leur ont acquis vos graces,
Quant à vos ennemis par vn decret ſubtil
Faites les en bannir d’vn eternel exil,
Telle eſt de ces meſſieurs l’ordinaire pratique,
Que i’eſtime bien moins Chreſtienne que Cinique.
Apres donc s’eſtre ainſi ſouplement traueſtis
Ils ſont enfin pourueus du Prieuré D.
Mais comme en peu de temps eſclatte ceſte affaire
Dont l’abus a paru tout conſtant & vulgaire,
Rageau dit Saint Louys ſur l’aduis qu’il en ût
Enuoye en Cour de Rome & prend vn deuolut
Expoſe tout le fait & remontre au Saint Siege
Qu’à ſa credulité ces gens tendent vn piege,
Que ſans auoir égard qu’à leurs ſeuls intereſts
Ils choquent les Canons & tous les Saints Decrets,
Que contre la maxime & ſtatuts des Conciles
Ils l’ont circonuenu par des raiſons ſubtiles,

Que les précautions & les expediens
Qu’ont pris dans ce traitté ces Peres mendians
Ne paſſeront iamais pour iuſtes & plauſibles,
Ces tiltres & leurs vœux eſtans incompatibles,
Tel qu’eſt ce Prieuré, qu’il peut par conſequent
Luy donner comme eſtant impetrable & vaquant,
L’effet ſuit auſſi-toſt cette iuſte requeſte,
Il prend poſſeſſion, au combat il s’apreste
Et comme au Parlement preſide l’equité
Il y fait euoquer le procez intenté,
Il preſſe ces fuyarts, il forme ſa complainte
Mais leurs foibles raiſons s’eſtouffans dans la crainte
Ainſi que des nochers ſans voile & ſans fanal
Comme à leur tramontane ils vont au Cardinal.
Iugez quelle pratique icy fut exercée
Par ceſte authorité qui ſe croit offencée,
cét infortuné trouuerroit-il abry
Contre cét homme altier, ſi fortement aigry,
Où peut il ſe cacher que d’vn carreau de foudre
Cette puiſſante main ne le reduiſe en poudre,
Que ſert de reſister, le pauure Saint Louys
Va voir tous ſes deſſeins bien-toſt euanouys.
On iette vn deuolut de fait ſur ſa perſonne
On parle de Baſtille & de la tour de None,
L’on ne luy promet rien que chaiſnes & que fers
S’il refuſe ſigner les deux actes offerts.
Le premier eſt celuy qui porte la remiſe
Qu’il fait du Prieuré pour ceſte trouppe griſe,

Par l’autre il ſe depart de tout ſon intereſt
Auec ample pouuoir d’en paſſer vn Arreſt,
On execute enſuitte & ſans qu’il ſe defende
On veut que le batu paye encore l’amande
Quoy que rien de ſa part n’euſt eſté conteſté
Et qu’on eut deub paſſer l’Arreſt par apointé,
Il eſt pourtant dreſſé comme icy dans l’instance
Il ne s’eſtoit obmis aucune circonſtance,
Pretendans qu’ils feront par ce deguiſement
Croire qu’on a iugé contradictoirement.
Mais enfin que voit-on dans toute leur conduite
Violence à l’abord & fourbe dans la ſuitte,
Et par tout la rigueur d’vn pouuoir abſolu
Qui fait executer ce qu’il a reſolu,
La force eſtant au rang des vertus Cardinales
Dont ie peux apporter des preuues literales,
Et i’ay pieces en mains qui font voir quels reſſors
Iouent ces mendians pour enrichir leur corps.
Mais briſons ces diſcours, ſuffit que ces bons Peres
S’en retournent en paix dedans leurs Monaſteres
Et ne s’emparent plus par moyens clandeſtins
Des tiltres deſtinez pour les Benedictins,
Crainte que Saint Benoiſt ne traitte à coups de Croces,
Ceux qui retomberont dans ces crimes atroces,
A qu’auſſi par la Cour ils ne ſoient condamnez,
Pour les frais du Procez d’eſtre diſciplinez.


FIN.