Fables originales/Livre IV/Fable 18

Edouard Dentu (p. 109-110).

FABLE XVIII.

Le Ministre des Finances.


Un prince riche avait mangé son bien.
De son argent il ne lui restait rien.
Se procurer le couvert et le vivre,
Il le fallait absolument pour vivre.
Ah bah ! dit-il, si je n’ai pas d’état
Je servirai modestement l’État.
Et le voilà martelant à la porte
Du cabinet de la Sublime-Porte,
Où sa Hautesse, Edil-Bey, le sultan,
Réunissait les pachas au Divan.
Il tombait bien. Sur l’article finance
Le Grand-Visir critiquait la gérance
D’Abul-Hamid, le ministre actuel,
Par le Divan accusé de recel.
L’impôt perçu, la caisse est plus que vide.
Il a tout pris le Turcoman avide.
Condamnons-le pour nous venger du tort,
Au fer du pal… puis, remplaçons le mort.
À ce moment le prince se présente,
Les assurant que l’emprunt et la rente,
Entre ses mains monteront jusqu’au ciel,
Ni plus ni moins que la tour de Babel.
On l’écoutait. Mais confier sa bourse
À ce gaillard demeuré sans ressource,

C’était hardi. Le sultan hésitait,
Et du regard les pachas consultait.
Hardi, pourquoi ? continuait le prince,
Allez à Rome, à Vienne, à Port-au-Prince,
Vous y verrez nommer dispensateurs
Des fonds publics… tous les dissipateurs.
Il ne mentait. Il était véridique
Comme un tribun de la jeune Amérique.
Mais son discours, approuvé du chrétien,
Fut vertement blâmé par le payen.
Proverbe turc dit en langue barbare :
L’enfant prodigue et le vieillard avare,
L’un agrippant, l’autre gaspillant l’or,
Mettront à sec la caisse et le trésor.