Fables originales/Livre IV/Fable 13

Edouard Dentu (p. 103-104).

FABLE XIII.

Le Cheik.


Au sud des bois d’Alger, un renard fort habile,
Expert à dépister l’Arabe et le Kabile,
Prétendait succéder au chef de sa tribu,
De par le vrai savoir dont il se croit imbu.
N’a-t-il pas agrandi le terrier son domaine ?
Troué l’épais taillis, tracé méandre en plaine
Pour fuir l’adroit chasseur… Cherchez aux alentours
Un renard aigrefin, capable de ses tours…
Le fait est que, pas un n’a fortune si belle,
Son silo plein de coqs et d’épis en javelle.
Nul ne réclama donc, quand le cheik enterré
Il coiffa le turban qu’il avait désiré.
Mais quelle est la stupeur des émirs de sa race,
Quelle indignation saisit la populace,

De le voir mal régir les onéreux impôts
Et dévorer sans faim les lapins, les levrauts.
Ce n’est point là l’esprit qui se vantait de faire.
De chaque mendiant un grand propriétaire
Comme il l’est devenu, l’économe parfait
Qui triplait, quadruplait sa fortune à souhait.
Impossible d’admettre un pareil gaspillage,
De supporter longtemps un cheik aussi peu sage ;
La mésestime vient ; du pouvoir on l’abat,
Pour sauver de la ruine et le peuple et l’État.

Gérer avec succès les trésors des royaumes,
N’est commun ici-bas, même, parmi les hommes.
Tel qui sut amasser pour lui seul promptement,
Dissipe du voisin l’épargne lestement.
Le secret de cela peut s’ajouter aux vôtres ;
On ménage son bien plus que celui des autres.