Fables originales/Livre III/Fable 04

Edouard Dentu (p. 61-62).

FABLE IV.

Nos illustres Aïeux


Un Gascon endetté, dont la bourse était vide,
Auquel le boulanger refusait tout crédit,
S’assit à son bureau, prit la plume d’Ovide
Pour offrir au public un ouvrage inédit.
Il sut le composer des vertus de ses pères,
Des hautes qualités de ses vieilles grand’mères,
Moniques et Bayards, morts, à canoniser,
Que l’Église en son sein devrait introniser.
L’ouvrage terminé, l’or de la couverture
Des ancêtres pieux encadra la figure ;
On blasonna les coins, les noms, le d e de,
La dédicace au duc par l’auteur son neveu.
Un pasteur approuva le récit authentique
Du chrétien descendant d’une race héroïque ;
Et l’exemplaire en vente à Paris comme à Tours,
Fut lu, fut dévoré dans les nobles faubourgs.
Là l’on s’en amusa. Marquises-douairières
Ayant intimement connu certains des pères,
Riaient de tout leur cœur au souvenir du temps.
Où comtes et barons en cadets inconstants
Aimaient jolis minois, enlevaient les duchesses,
Buvaient, juraient, sabraient, faisaient mille prouesses
D’incorrigibles fous ; mais les voici des saints ;
Nos fils vont les prier en joignant les deux mains.

C’est ainsi cependant que l’on écrit l’histoire,
Que la vérité sort du fond de l’écritoire
Ses malins yeux baissés, le sourire bénin,
Travestie en sagesse, en nonne, en capucin.

Corbleu ! méfions-nous des proses si ferventes
Qu’écrivent les parents pour se faire des rentes.