Fables originales/Livre I/Fable 06

Edouard Dentu (p. 13-14).

FABLE VI.

Le Barbier turc


La plupart de nos maux ont pour causes nos fautes.
Ce dicton familier, connu des Argonautes,
Date des temps anciens. Adam le murmura
Quand le remords au cœur sur la terre il erra.
En effet, admettez qu’intacte soit la pomme ;
Du Paradis perdu Dieu n’eût point chassé l’homme ;
Moïse plus crédule entrait dans Chanaan,
Pline moins curieux esquivait le volcan.
Je pourrais vous citer cent nouveaux traits d’histoire
À l’appui du dicton (j’ai si bonne mémoire)
Je m’abstiens ; soyons bref ; le meilleur suffira,
Et c’est un barbier turc qui me le fournira.

Habile en son métier, avec verve caustique
Le Figaro Kassim opérait la pratique :
Frottez savon, jouez rasoir,
Allez contempler au miroir
Vos teints fleuris, vos bouches roses
Comme œillets, pivoines et roses.
Les clients enchantés quelque argent déboursaient,
Et de l’opérateur les poches s’emplissaient.
À bien l’entretenir le talent nous oblige.
Ceci mis en oubli, le barbier se néglige ;

Il balafre la joue, écorche le menton,
Haut-fait qui lui valut force coups de bâton.
Il se plaint au cadi que ses compatriotes
Viennent de lui briser au moins quatre ou cinq côtes.
Le cadi répartit : si tu les rasais mieux,
Tu n’aurais, fils d’Allah, pas à te plaindre d’eux.
Mon verdict est rendu : j’acquitte la pratique ;
Je te condamne aux frais ; rentre dans ta boutique !