Fables originales/Livre I/Fable 04

Edouard Dentu (p. 10-11).

FABLE IV.

Le Village


Un village breton, un calme Landerneau,
Soupirait que Paris était « le beau du beau ! »
La capitale avait de brillants réverbères
Qui l’éclairaient le soir à cent mille lumières.
Lui rural, pour tout bien, possédait sol pierreux,
Raboteux,
Force ornières,
Fondrières,
Sentiers embourbant les bourgeois,
Étang perfide aux villageois.

Mais imitant Paris, avec de fortes sommes
Il jetterait à bas ses anciens toits de chaumes,
Aurait bitume, macadam,
Théâtre, gaz, prés Catalan,
Un Luxembourg, un arc, le Louvre,
Que de Notre-Dame on découvre.
Sitôt pensé, parut l’édit :
Le voilà grand de tout petit.
Contemplez ses hôtels, ses palais, ses usines,
Ses boulevards des Capucines !
Cependant, moins joyeux, il se plaint du fracas
Qui trouble son sommeil et ses quatre repas.
Les chars d’or lui rompent la tête,
Les voleurs attristent la fête,
Notez pour comble d’embarras
Qu’à vider les bourses, les poches,
Le centime additionnel
D’un prodigué continuel
Lui vaut des cris et des reproches.
Village serait enchanté,
Contre palais, contre lumières,
S’il pouvait ravoir ses chaumières,
Sa paix et sa tranquillité.

Mais quand à la grandeur, à la vaine opulence,
On a sacrifié la douceur du silence,
Que les vieux bois sont abattus,
Houlette et fuseaux disparus,
Le bon temps d’autrefois, hélas ! ne revient plus !…