Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/Le Berger et son troupeau


Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinQuatrième partie : livres ix, x, xi (p. 75-77).

XIX.

Le Berger & ſon troupeau.




QUoy ? toûjours il me manquera
Quelqu’un de ce peuple imbecille !
Toûjours le Loup m’en gobera !
J’auray beau les compter : ils eſtoient plus de mille,

Et m’ont laiſſé ravir noſtre pauvre Robin ;
Robin mouton qui par la ville
Me ſuivoit pour un peu de pain,
Et qui m’auroit ſuivy juſques au bout du monde.
Helas ! de ma muſette il entendoit le ſon :
Il me ſentoit venir de cent pas à la ronde.
Ah le pauvre Robin mouton !
Quand Guillot eut finy cette oraiſon funebre
Et rendu de Robin la memoire celebre,
Il harangua tout le troupeau,
Les chefs, la multitude, & juſqu’au moindre agneau,
Les conjurant de tenir ferme :
Cela ſeul ſuffiroit pour écarter les Loups.
Foy de peuple d’honneur ils luy promirent tous,
De ne bouger non plus qu’un terme.

Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton,
Qui nous a pris Robin mouton.
Chacun en répond ſur ſa teſte.
Guillot les crut & leur fit feſte.
Cependant devant qu’il fuſt nuit,
Il arriva nouvel encombre,
Un Loup parut, tout le troupeau s’enfuit.
Ce n’eſtoit pas un Loup, ce n’en eſtoit que l’ombre.
Haranguez de méchans ſoldats,
Ils promettront de faire rage ;
Mais au moindre danger adieu tout leur courage :
Voſtre exemple & vos cris ne les retiendront pas.