Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/Le Pâtre et le Lion
FABLE I.
Le Pâtre & le Lion.
II.
Le Lion & le Chaſſeur.
Les Fables ne ſont pas ce qu’elles ſemblent eſtre ;
Le plus ſimple animal nous y tient lieu de Maiſtre.
Une Morale nuë apporte de l’ennuy :
Le conte fait paſſer le precepte avec luy.
En ces ſortes de feinte il faut inſtruire & plaire ;
Et conter pour conter me ſemble peu d’affaire.
C’eſt par cette raiſon qu’égayant leur eſprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fuy l’ornement & le trop d’étenduë.
On ne voit point chez eux de parole perduë.
Phedre eſtoit ſi ſuccint, qu’aucuns l’en ont blâmé.
Eſope en moins de mots ſ’eſt encore exprimé.
Mais ſur tous certain[1] Grec rencherit & ſe pique
D’une élegance Laconique.
Il renferme toujours ſon conte en quatre Vers ;
Bien ou mal, je le laiſſe à juger aux Experts.
Voyons-le avec Eſope en un ſujet ſemblable.
L’un ameine un Chaſſeur, l’autre un Pâtre en ſa Fable.
J’ay ſuivi leur projet quant à l’évenement,
Y couſant en chemin quelque trait ſeulement.
Voicy comme, à peu prés Eſope le raconte.
Un Pâtre, à ſes Brebis trouvant quelque méconte,
Voulut à toute force attraper le Larron.
Il s’en va prés d’un antre, & tend à l’environ
Des laqs à prendre Loups, ſoupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,
Si tu fais, diſoit-il, ô Monarque des Dieux,
Que le droſle à ces laqs ſe prenne en ma preſence,
Et que je goûte ce plaiſir,
Parmi vingt Veaux je veux choiſir
Le plus gras, & t’en faire offrande.
À ces mots ſort de l’antre un Lion grand & fort.
Le Pâtre ſe tapit, & dit à demy mort,
Que l’homme ne ſçait guere, helas ! ce qu’il demande !
Pour trouver le Larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces laqs pris avant que je parte,
O Monarque des Dieux, je t’ay promis un Veau ;
Je te promets un Bœuf ſi tu fais qu’il ſ’écarte.
C’eſt ainſi que l’a dit le principal Auteur :
Paſſons à ſon imitateur.
Un Fanfaron, amateur de la chaſſe,
Venant de perdre un Chien de bonne race,
Qu’il ſoupçonnoit dans le corps d’un Lion,
Vid un Berger : Enſeigne-moy, de grace,
De mon voleur, luy dit-il, la maiſon,
Que de ce pas je me faſſe raiſon.
Le Berger dit : C’eſt vers cette montagne.
En luy payant de tribut un Mouton
Par chaque mois, j’erre dans la campagne
Comme il me plaist, & je ſuis en repos.
Dans le moment qu’ils tenoient ces propos,
Le Lion ſort, & vient d’un pas agile.
Le Fanfaron auſſi-toſt d’eſquiver :
O Jupiter ! montre-moy quelque azile,
S’écria-t-il, qui me puiſſe ſauver.
La vraye épreuve de courage
N’eſt que dans le danger que l’on touche du doigt.
Tel le cherchoit, dit-il, qui, changeant de langage,
S’enfuit auſſi-toſt qu’il le void.
- ↑ Gabrias