Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/L’Avare qui a perdu son trésor

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XX.

L’Avare qui a perdu ſon treſor.




L’uſage ſeulement fait la poſſeſſion.
Je demande à ces gens, de qui la paſſion
Eſt d’entaſſer toûjours, mettre ſomme ſur ſomme,

Quel avantage ils ont que n’ait pas un autre homme ?
Diogene là-bas eſt auſſi riche qu’eux ;
Et l’Avare icy haut, comme luy vit en gueux.
L’homme au treſor caché qu’Eſope nous propoſe,
Servira d’exemple à la choſe.
Ce malheureux attendoit
Pour joüir de ſon bien une ſeconde vie ;
Ne poſſedoit pas l’or, mais l’or le poſſedoit.
Il avoit dans la terre une ſomme enfoüie ;
Son cœur avec ; n’ayant autre déduit
Que d’y ruminer jour & nuit,
Et rendre ſa chevance à luy-meſme ſacrée.

Qu’il allaſt ou qu’il vinſt, qu’il buſt ou qu’il mangeaſt,
On l’euſt pris de bien court à moins qu’il ne ſongeaſt
A l’endroit où giſoit cette ſomme enterrée.
Il y fit tant de tours qu’un Foſſoyeur le vid ;
Se douta du dépoſt, l’enleva ſans rien dire.
Noſtre Avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs ; il gémit, il ſoûpire,
Il ſe tourmente, il ſe déchire.
Un paſſant luy demande à quel ſujet ſes cris.
C’eſt mon treſor que l’on m’a pris.

Voſtre treſor ? où pris ? Tout joignant cette pierre.
Eh ſommes-nous en temps de guerre
Pour l’apporter ſi loin ? N’euſſiez-vous pas mieux fait
De le laiſſer chez vous en votre cabinet,
Que de le changer de demeure ?
Vous auriez pû ſans peine y puiſer à toute heure.
A toute heure ? bons Dieux ! ne tient-il qu’à cela ?
L’argent vient-il comme il s’en va ?
Je n’y touchois jamais. Dites-moy donc de grace,
Reprit l’autre, pourquoy vous vous affligez tant,

Puiſque vous ne touchiez jamais à cet argent :
Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant.