Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/Le Coq et le Renard
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XV.
Le Coq & le Renard.
ur la branche d’un arbre eſtoit en ſentinelle
Un vieux Coq adroit & matois.
Frere, dit un Renard adouciſſant ſa voix,
Nous ne ſommes plus en querelle :
Paix generale à cette fois.
Je viens te l’annoncer ; deſcends que je t’embraſſe.
Ne me retarde point de grace :
Je dois faire aujourd’huy vingt poſtes ſans manquer.
Les tiens & toy pouvez vaquer
Sans nulle crainte à vos affaires ;
Nous vous y ſervirons en freres.
Faites-en les feux dés ce ſoir.
Et cependant vien recevoir
Le baiſer d’amour fraternelle.
Ami, reprit le Coq, je ne pouvois jamais
Apprendre une plus douce & meilleure nouvelle,
Que celle
De cette paix.
Et ce m’eſt une double joye
De la tenir de toy. Je voy deux Levriers,
Qui, je m’aſſure, ſont couriers,
Que pour ce ſujet on envoye.
Ils vont viſte, & ſeront dans un moment à nous.
Je deſcends ; nous pourrons nous entrebaiſer tous.
Adieu, dit le Renard, ma traite eſt longue à faire.
Nous nous réjouïrons du ſuccés de l’affaire
Une autre fois. Le galand auſſi toſt
Tire ſes gregues, gagne au haut,
Mal-content de ſon ſtratagême ;
Et noſtre vieux Coq en ſoy-meſme
Se mit à rire de ſa peur :
Car c’eſt double plaiſir de tromper le trompeur.