Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Simonide préservé par les Dieux

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XIV

SIMONIDE[1] PRÉSERVÉ PAR LES DIEUX

On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
Les dieux, sa maîtresse et son roi.
Malherbe le disait : j’y souscris, quant à moi :
Ce sont maximes toujours bonnes.
La louange chatouille et gagne les esprits :
Les faveurs d’une belle en sont souvent le prix.
Voyons comme les dieux l’ont quelquefois payée.

Simonide avait entrepris
L’éloge d’un athlète ; et, la chose essayée,

Il trouva son sujet plein de récits tout nus.
Les parents de l’athlète étaient gens inconnus ;
Son père, un bon bourgeois ; lui, sans autre mérite :
Matière infertile et petite.
Le poëte d’abord parla de son héros.
Après en avoir dit ce qu’il en pouvait dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos
De Castor et Pollux ; ne manque pas d’écrire
Que leur exemple était aux lutteurs glorieux,
Élève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s’étaient signalés davantage :
Enfin l’éloge de ces dieux
Faisait les deux tiers de l’ouvrage.
L’athlète avait promis d’en payer un talent :
Mais, quand il le vit, le galant
N’en donna que le tiers, et dit fort franchement
Que Castor et Pollux acquittassent le reste.
Faites-vous contenter par ce couple céleste.
Je vous veux traiter cependant :
Venez souper chez moi ; nous ferons bonne vie :
Les conviés sont gens choisis,
Mes parents, mes meilleurs amis ;
Soyez donc de la compagnie.
Simonide promit. Peut-être qu’il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.
Il vient : l’on festine, l’on mange.
Chacun étant en belle humeur,
Un domestique accourt l’avertir qu’à la porte
Deux hommes demandaient à le voir promptement.
Il sort de table ; et la cohorte
N’en perd pas un seul coup de dent.
Ces deux hommes étaient les gémeaux de l’éloge,

Tous deux lui rendent grâces ; et, pour prix de ses vers,
Ils l’avertissent qu’il déloge,
Et que cette maison va tomber à l’envers.
La prédiction en fut vraie.
Un pilier manque ; et le plafond,
Ne trouvant plus rien qui l’étaie,
Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N’en fait pas moins aux échansons.
Ce ne fut pas le pis : car, pour rendre complète
La vengeance due au poëte,
Une poutre cassa les jambes à l’athlète,
Et renvoya les conviés
Pour la plupart estropiés.
La renommée eut soin de publier l’affaire :
Chacun cria : Miracle ! On doubla le salaire
Que méritaient les vers d’un homme aimé des dieux.
Il n’était fils de bonne mère
Qui, les payant à qui mieux mieux,
Pour ses ancêtres n’en fît faire.

Je reviens à mon texte : et dis premièrement
Qu’on ne saurait manquer de louer largement
Les dieux et leurs pareils ; de plus, que Melpomène
Souvent, sans déroger, trafique de sa peine ;
Enfin qu’on doit tenir notre art en quelque prix.
Les grands se font honneur dès lors qu’ils nous font grâce :
Jadis l’Olympe et le Parnasse
Étaient frères et bons amis.

  1. Poète grec qui vivait au sixième siècle avant J.-C.