Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Les deux Mulets

Pour les autres éditions de ce texte, voir Les Deux Mulets.

IV

LES DEUX MULETS

Deux mulets cheminaient, l’un d’avoine chargé,
L’autre portant l’argent de la gabelle[1].
Celui-ci, glorieux d’une charge si belle,
N’eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchait d’un pas relevé
Et faisait sonner sa sonnette ;
Quand l’ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l’argent,
Sur le mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein, et l’arrête.
Le mulet, en se défendant,
Se sent percer de coups ; il gémit, il soupire.
Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on m’avait promis ?
Ce mulet qui me suit du danger se retire,
Et moi j’y tombe et je péris !

Ami, lui dit son camarade,
Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut emploi :
Si tu n’avais servi qu’un meunier comme moi,
Tu ne serais pas si malade.

  1. Nom donné anciennement à un impôt prélevé sur le sel.