Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Le Renard et la Cigogne

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Renard et la Cigogne.

XVIII

LE RENARD ET LA CIGOGNE

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts :
Le galant, pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n’en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
À quelque temps de là la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.
À l’heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse ;
Loua très-fort sa politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :

Bon appétit surtout ; renards n’en manquent point.
Il se réjouissait à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande.
On servit, pour l’embarrasser,
En un vase à long col et d’étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d’autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l’oreille.

Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :
Attendez-vous à la pareille.