Fables de La Fontaine (éd. 1874)/La Perdrix et les Coqs

VIII

LA PERDRIX ET LES COQS

Parmi de certains coqs, incivils, peu galants,
Toujours en noise, et turbulents,
Une perdrix était nourrie.
Son sexe, et l’hospitalité,
De la part de ces coqs, peuple à l’amour porté,
Lui faisaient espérer beaucoup d’honnêteté :
Ils feraient les honneurs de la ménagerie.
Ce peuple, cependant, fort souvent en furie,
Pour la dame étrangère ayant peu de respect,
Lui donnait fort souvent d’horribles coups de bec.
D’abord elle en fut affligée ;
Mais sitôt qu’elle eut vu cette troupe enragée
S’entre-battre elle-même et se percer les flancs,
Elle se consola. Ce sont leurs mœurs, dit-elle ;
Ne les accusons point, plaignons plutôt ces gens :
Jupiter sur un seul modèle
N’a pas formée tous les esprits ;
Il est des naturels de coqs et de perdrix.
S’il dépendait de moi je passerais ma vie
En plus honnête compagnie.
Le maître de ces lieux en ordonne autrement ;
Il nous prend avec des tonnelles,
Nous loge avec des coqs, et nous coupe les ailes ;
C’est de l’homme qu’il faut se plaindre seulement.