Fables de La Fontaine (éd. 1874)

NOTICE BIOGRAPHIQUE


La Fontaine (Jean de), le fabuliste par excellence, né à Château-Thierry le 8 juillet 1621, entra par désœuvrement, et peut-être sans y avoir songé, à l’âge de 19 ans, chez les Pères de l’Oratoire, qu’il quitta dix-huit mois après, pour se soustraire à l’assujettissement des règles d’une congrégation régulière.

À 22 ans, il ignorait encore ses talents pour la poésie. La belle ode de Malherbe sur l’assassinat de Henri IV, dont il entendit la lecture, les lui fit sentir, et à l’imitation du Corrége il s’écria : « Anch’io sit pittore ! Et moi aussi je suis peintre ! »

Un de ses parents, nommé Pintrel, homme instruit et de qui nous avons une traduction des Épîtres de Sénèque, ayant vu ses premiers essais, l’encouragea et lui fit lire les meilleurs auteurs, anciens et modernes, français et étrangers.

Il se nourrit de la lecture de Virgile, d’Horace, de Térence, dont il traduisit l’Eunuque, sa première production. Rabelais, Marot, d’Urfé, firent aussi ses délices : l’un par ses plaisanteries, le second par sa naïveté, l’autre par ses images champêtres.

L’esprit de simplicité, de candeur, de naïveté, qui lui plaisait tant dans ces écrivains, caractérisa bientôt ses ouvrages, et le caractérisait lui-même. Jamais auteur ne s’est mieux peint dans ses livres. Doux, ingénu, naturel, sincère, crédule, facile, timide, sans ambition, sans fiel, prenant tout en bonne part, il était, dit un homme d’esprit, aussi simple que les héros de ses fables. C’était un véritable enfant, mais un enfant sans malice. Il parlait peu, et parlait mal, à moins qu’il ne se trouvât avec des amis intimes, ou que la conversation ne roulât sur quelque sujet qui pût échauffer son génie.

La duchesse de Bouillon, l’une des nièces du cardinal Mazarin, exilée à Château-Thierry, avait connu la Fontaine et lui avait même, dit-on, fait faire ses premiers contes. Rappelée à Paris, elle y amena le poëte : la Fontaine avait un de ses parents auprès de Fouquet. La maison du surintendant lui fut ouverte, et il en obtint une pension pour laquelle il faisait à chaque quartier une quittance poétique. Après la disgrâce de son bienfaiteur, dont le poëte reconnaissant déplora les malheurs dans une élégie touchante et peut-être la meilleure que nous ayons en notre langue, et dans une ode moins connue adressée à Louis XIV, dont les vers sont moins beaux, mais plus hardis, il entra en qualité de gentilhomme ordinaire chez la princesse Henriette d’Angleterre.

La mort lui ayant enlevé cette princesse, il trouva de généreux protecteurs dans M. le Prince, dans le prince de Conti, le duc de Vendôme et le duc de Bourgogne ; et des protectrices dans la duchesse de Bouillon, de Mazarin, et dans l’ingénieuse madame de la Sablière, qui le retira chez elle, et prit soin de son existence.

En effet, son inertie et son imprévoyance étaient telles que, sans les soins qu’elle prit de lui, il se serait trouvé en proie à tous les besoins. Madame de la Sablière, lui rendit à cet égard les plus grands services en l’accueillant chez elle et en pourvoyant à tous ses besoins pendant vingt années : ce furent les plus heureuses de sa vie.

Elle venait de renvoyer à la fois tous ses domestiques. La reconnaissance et l’amitié de notre poëte pour cette aimable dame furent sans bornes, il l’a immortalisée dans ses chefs-d’œuvre.

On a remarqué que Louis XIV ne fit pas tomber ses bienfaits sur la Fontaine comme sur les autres génies qui illustrèrent son règne. Ce prince ne goûtait pas assez le genre dans lequel ce conteur charmant excella : il traitait les fables de la Fontaine à peu près comme les tableaux de Téniers.

La bienfaitrice du poëte enfant étant morte, il se rendait chez M. d’Hervart, son ami, qui le rencontra : « J’ai su, lui dit-il, le malheur qui vous est arrivé ; vous logiez chez madame de la Sablière ; elle n’est plus. Je vous prie de venir habiter ma maison. — J’y allais, répondit le poëte. » Cet abandon touchant de confiance est un digne hommage rendu à l’amitié généreuse.

Il mourut à Paris, le 15 avril 1695. Il faisait partie de l’Académie française depuis 1684.

Parmi les ouvrages immortels qui nous restent de cet homme inimitable, il faut placer au premier rang ses Fables que tout le monde connaît et a su apprécier. Quelle aisance ! quelle vivacité, quelle finesse à la fois et quelle naïveté ! car il réunissait ces deux qualités à un degré supérieur, et c’est ce mélange qui fait le prodige. C’est véritablement le poëte de la nature, surtout dans ses fables, on dirait qu’elles sont tombées de sa plume.

D.-A.