Fables de Florian (1838)/4/Le Miroir de la vérité

LE MIROIR DE LA VÉRITÉ.

FABLE XVIII.

LE MIROIR DE LA VÉRITÉ.


D

ans le beau siècle d’or, quand les

premiers humains,
Au milieu d’une paix profonde,
ans le beau siècle d’or, quand lesCoulaient des jours purs et sereins,
La Vérité courait le monde
Avec son miroir dans les mains.
Chacun s’y regardait, et le miroir sincère
Retraçait à chacun son plus secret désir
Sans jamais le faire rougir :
Temps heureux, qui ne dura guère !
L’homme devint bientôt méchant et criminel.
La Vérité s’enfuit au ciel
En jetant de dépit son miroir sur la terre ;
Le pauvre miroir se cassa.

Ses débris, qu’au hasard la chute dispersa,
Furent perdus pour le vulgaire.
Plusieurs siècles après on en connut le prix ;
Et c’est depuis ce temps que l’on voit plus d’un sage
Chercher avec soin ces débris,
Les retrouver parfois ; mais ils sont si petits
Que personne n’en fait usage.
Hélas ! le sage le premier
Ne s’y voit jamais tout entier.