Imprimerie de John Lovell (p. 68-69).

XXXVIII.

LE GLAND ET LES CHAMPIGNONS.


 Par un seul souffle des autans,
 Un gland qui touchait les nuages
 Tomba du haut de ces parages
Parmi tous ses aïeux que pourrissait le temps.
Des humbles champignons poussaient au pied du chêne
 « Que faites-vous ici, manants ?…
« Leur dit le gland déchu, quel objet vous amène
« Dans ces lieux vénérés où dorment mes parents
 « Et ma longue suite d’ancêtres ?…
« Allez croître plus loin à l’ombre d’un charnier,
« Coquins !… et respectez la tombe de vos maîtres…
« Savez-vous qui je suis, moi ?… race de fumier !… »
 — « Très noble et très illustre sire,
« Lui répond aussitôt le plus vieux champignon
« Dans un discours rempli de modération,
 « Nous avons toujours ouï dire
« Que vos aïeux étaient des seigneurs très puissants,
« Renommés pour leur luxe et leur munificence,
« Comme eux nous vous croyons grands parmi les plus grands ;
« Aussi respectons-nous votre illustre naissance,
« Nous champignons de rien… je dirai cependant
 « Que nous possédons quelque chose
« Que vous n’eûtes jamais, mon seigneur, le talent !…
« Sans parfum, s’il vous plaît, que deviendrait la rose ?…

 « Il en est de même de nous
 « Et de vous.
« Nous avons les parfums, nous, fumier que nous sommes,
« Nous relevons les plats les plus fins, les plus beaux ;
« Vous autres, nobles glands ! méprisés par les hommes
« Servez de pâture aux pourceaux. »

Ils sont passés ces temps marqués d’ignominie,
Lorsque régnait partout la féodalité,
Et qu’un noble ignorant écrasait le génie
Du pauvre, eût-il été le roi de l’Harmonie.
Aujourd’hui nous n’avons plus qu’une royauté
Qui sans doute vaut bien tous les fleurons du monde,
 C’est la royauté du talent.
L’ère quatre vingt-neuf, en souvenirs féconde,
 Nous a mis tous au même rang.