Imprimerie de John Lovell (p. 33-34).

XVI.

LE LOUP ET LE CHIEN.


Un loup plein d’appétit, — les loups ont toujours faim, —
Une fois rencontra des moutons en chemin.
Il en aurait croqué volontiers trois ou quatre
Mais Mouflard et son maître armé d’un lourd gourdin
Étaient assez forts pour le battre :
— « Que veux-tu ? lui dit le mâtin,
« Roules-tu par hasard quelque mauvais dessein ?… »
— « Pardonnez, cher ami, je me sentais malade
« Et je fais une promenade
« Pour me remettre un peu ; quant aux méchants projets
« Que vous me supposez, n’en soyez pas en peine ;
Les gens me disent très mauvais
« Mais je suis loin de l’être autant que je parais.
« Tenez le pour chose certaine :
« Veuillez en accepter ma parole d’honneur… »
— « De vous !… lui répondit le chien d’un air moqueur,
« De vous !… autant vaudrait la prendre d’un voleur !… »
— « Holà ! monsieur le chien, à mon nom pas de tache,
« Laissez-là ce ton persiffleur ;
« Me prenez-vous pour un bravache ?…
« Mes sentiments d’honneur sont aussi raffinés
« Que mes exploits sont renommés… »
Notre tartufe allait prolonger sa matière
Quand un petit agneau s’écartant de sa mère
Resta bêlant bien loin derrière le troupeau.

Messire loup court sus, saisit le pauvre hère
Qui se débat en vain et l’emporte au galop,
Et Mouflard de le suivre et de crier : « Ho ! Ho !…
« Arrêtez, assassin !… arrêtez, triple traître !…
« Les voilà donc ces nobles sentiments
« Que vous vous efforciez tant de faire paraître
« Pour cacher vos projets sanglants !… »

Les méchants d’aujourd’hui, tartufes émérites
Excellent à jouer les vertus qu’ils n’ont pas.
Rien ne coûte à ces hypocrites,
Et pour mener à fin leurs projets illicites
Ils seront tour à tour, chrétiens ou renégats.