Imprimerie de John Lovell (p. 29-30).

XIII.

LE PORTRAIT PARLANT.


Un digne campagnard, bonhomme un peu coquet,
S’était fait peindre un jour, et tout fier de l’ouvrage
Fit assembler chez lui ses amis du village
Pour avoir leur avis à propos du portrait :
« Voyons, dit-il, parlez ; surtout point de contrainte…
« Sont-ce bien là mes traits ?… Croyez-vous que c’est moi ?… »
— « Bon Dieu ! dit alors l’un, la figure est mal peinte,
« Ce n’est pas plus vous que le roi.
« Votre peintre est un sot, un rapin misérable
« Qui jamais ne sut le dessin.
« Vous êtes blanc comme satin,
« Vous voilà plus noir que le diable… »
— « Mais voyez donc ces yeux, crie un autre, vraiment
« Ils sont tout de travers… Ce nez n’est pas le vôtre…
« Vous l’avez très petit, il l’a fait plus que grand ;
« Je crois qu’il vous prit pour un autre… »
Un troisième à son tour pensa d’autre façon
Et renchérit encor sur l’avis du deuxième,
Tant et si bien qu’au quatrième
Le digne campagnard avait l’air d’un ourson !…
Mécontent, désolé de leur décision,
Notre homme va frapper chez le peintre au plus vite
Et lui conte l’affaire, épargnant toutefois
Ce qui blessait trop son mérite.

« Quels sots !… dit ce dernier, ce sont des maladroits
« D’une crasse ignorance en dessin et peinture.
« Tenez, pour le prouver, à l’aide d’un couteau
« Ôtons pour un instant la tête du tableau
« Et placez y votre figure.
« Qui rira, nous verrons. » Ainsi dit, ainsi fait.
Voilà nos connaisseurs d’une espèce nouvelle
Réunis de nouveau vis-à-vis du portrait
Et dégoisant de même. — « Ah ! mes sots sans cervelle,
« S’écria le portrait s’animant tout-à-coup,
« Vous aviez critiqué tout au long la peinture,
« Je vous ai cru, j’étais bien fou,
« Car aujourd’hui, manants, vous blâmez la nature !… »

À quoi bon raisonner avec de sottes gens
Qui ne veulent voir ni comprendre.
Lorsqu’on ne peut s’en faire entendre,
Il vaut bien mieux pour soi garder ses arguments.