Imprimerie de John Lovell (p. 15-16).

IV.

LA RÉPUBLIQUE DES CHIENS.


Un soir, extra muros, tous les chiens s’assemblèrent,
— Messieurs les chiens parfois s’assemblent comme nous —
« Hélas ! dit un barbet, combien nous sommes fous,
« Et que de chiens sensés avant moi déplorèrent
« Notre esprit d’égoïsme et de cupidité !
« Souvent, que trop souvent, pour simples bagatelles,
« Que dis-je !… pour un os gâté,
« L’on a vu parmi nous s’élever des querelles
« Et couler bien du sang. Changeons de vie, amis,
« Jurons de ne former plus qu’une république.
« Voulons-nous être forts ?… — Eh bien ! Soyons unis… »
— « Votre discours est sans réplique,
« C’est bien, très bien parlé, repartit un mâtin
« Président du conseil, et comme vous, j’opine
« Que les dissentions engendrent la ruine.
« Ainsi qu’on se donne la main. »
Voilà donc tous nos chiens se jurant alliance,
S’embrassant tour à tour les larmes dans les yeux
Et s’écriant entre eux :
Hourrah pour l’union ! gare à qui nous offense !…
Il était beau vraiment de voir pareil entrain.
Mais hélas ! qui l’eût dit, tous ces projets sublimes
Ne devaient pas avoir de lendemain,
Trois ou quatre chiens même en furent les victimes.

Une carcasse de cheval
Qui gisait sur leur route alluma la discorde.
Adieu, beaux serments de concorde !
Dogues, roquets, mâtins, en un combat fatal,
Se disputent les os pourris de l’animal.
Tandis que la canaille à grands cris se déchire,
Des loups errants, par le bruit attirés,
Accourent sur les lieux. Il va, je crois, sans dire
Qu’ils croquèrent ensemble et carcasse et blessés.

De tous les maux connus la discorde est le pire.