Imprimerie de John Lovell (p. 9-11).

II.

L’ÂNE ET LE RENARD EN SOCIÉTÉ AVEC LE LION.


Sire lion, un jour voulant se délasser,
S’avisa de s’associer
Un animal connu par ses longues oreilles
Et le fourbe renard. Sociétés pareilles
Certes se voient très rarement ;
Mais n’importe, admettons la chose
Et racontons l’événement
Sur lequel ma fable repose.
Un daim par ce lion bientôt fut abattu.
— « Voyons dit-il à l’âne, en souriant sous cape,
« Partage-nous, mon cher, ce cadavre étendu.
« Le gazon verdoyant nous servira de nappe.
« Soyons leste, je meurs de faim. »
— Maître baudet flatté de cette préférence
Débite de son mieux la carcasse du daim
Et la partage avec autant de conscience
Qu’un passé-maître purgandin,
Fabriquant avec art ses pilules affreuses,
Y mêle chichement des poudres vénéneuses
Que d’un ton doctoral il donne au patient
Pour prolonger son existence
Ou… le tuer plus savamment
Et promptement.

— « Coquin ! dit le lion, le poil droit, l’œil sanglant,
« Je châtirai ton impudence.
« Quoi !… tu me donnerais la plus petite part
« À moi lion ?… Meurs, traître !… Allons, maître renard
« Montrez-moi votre savoir-faire. »
— « Sire, répond renard saluant jusqu’à terre,
Le partage qu’a fait
« Cet imbécile de baudet,
« Ce pelé, ce galeux d’une crasse ignorance,
« En usages de cours, certes, serait parfait,
« — Au moins d’après ma conscience —
« S’il vous eut présenté tout le daim à la fois,
« Sans s’être gardé même un seul poil de la prise.
« Je m’appuie en ceci sur l’esprit de nos lois
« Déclarant que le bénéfice
« De petite ou grosse entreprise
« En premier lieu revient aux rois.
« Ainsi, par conséquent, c’était à vous le choix.
« Que dis-je, sur le daim seul vous aviez des droits,
« Et j’avoue humblement que, suivant la justice,
« Vous fîtes sagement d’étrangler ce butor.
« Ce partage insolent méritait bien la mort. »
— « Mon ami, je vous félicite, »
Reprit sire lion, en lui donnant soudain
Une grosse moitié du daim ;
« J’admire tellement votre rare mérite
« Que dès aujourd’hui de ma cour
« Je vous fais premier dignitaire.
« Vos arrêts seront sans retour.

« D’avance, j’y souscris ; jamais jusqu’à ce jour
« Personne mieux que vous n’a su me satisfaire.
« Vous vous entendez en affaire. »

Quand nous vivons parmi des gens
Aussi stupides que puissants,
Nous devons savoir nous conduire
D’après leurs goûts et leurs penchants…
Aliboron ayant fait montre de bon sens
Périt. Maître renard par sa fourbe se tire
Sain et sauf du danger : — Et ce même lion
Qui l’aurait étranglé tout comme le grison
S’il eut été moins plein de ruse, —
Pour récompenser son astuce,
Lui donne la plus grosse part
Et fait un autre roi de ce madré renard.