Félicia/II/08
CHAPITRE VIII
Ô dévots ! que ce qui arriva de sinistre à M. Caffardot pour s’être ainsi laissé corrompre vous effraie et vous apprenne à résister courageusement aux pernicieuses impulsions de la chair. Le châtiment suit de près le crime. Les mortels privilégiés qui entretiennent une correspondance quotidienne avec le ciel en sont remarqués dans leurs moindres peccadilles, tandis que les pécheurs endurcis, méconnus à la cour céleste, se livrent sans trouble à leurs coupables excès. Mais aussi, gare le jour des vengeances ! c’est alors que ceux qui auront amassé sur leurs têtes des monceaux d’iniquités en verront avec effroi l’énorme liste offerte à leurs yeux par l’ange exterminateur : ceux, au contraire, qui auront été châtiés dès cette vie et que cela aura beaucoup aidés à se repentir trouveront pour eux la fatale balance en équilibre et monteront d’emblée au séjour de l’éternelle félicité. Heureux, trop heureux Caffardot, à qui la bonté divine ménagea des punitions aussitôt qu’il eut failli !
Je venais de m’éveiller, une pendule sonna cinq heures. Les amants fatigués dormaient à leur tour, j’en fus assurée par le bruit distinct de deux ronflements, dont le mâle surtout annonçait le plus profond sommeil. — Je ne vois pas, me dis-je alors, que ce M. Caffardot, qu’il s’agissait de mortifier, soit trop la dupe de cette aventure : il couche avec une très jolie fille, il se croit possesseur de l’objet dont son cœur est rempli ; s’il fait, selon ses idées, une grande perte pour l’autre vie, du moins il trouve la clef de ce qui fait l’unique bonheur de celle-ci ; où donc est sa disgrâce ? Mademoiselle Thérèse, l’objet est manqué. Le tempérament a trahi la colère, et Caffardot a tout l’avantage du stratagème que vous aviez imaginé contre lui. Je pouvais ne pas raisonner juste ; et l’on verra en temps et lieu que je me trompais ; je raisonnais, du moins, selon les apparences. Mais, ajoutais-je à mes réflexions, si Thérèse s’est oubliée, rien ne m’oblige, moi, qui ne goûte point M. Caffardot, à le laisser jouir paisiblement de son bonheur. Ménageons à cet idiot quelque sujet de se repentir de sa faiblesse… — Cependant j’avais beau chercher dans ma tête, je n’y trouvais rien qui répondît à la malignité de mon intention… Lui donner l’alarme d’être surpris ! Il en était quitte pour s’évader ; la fausse Éléonore, qui n’était point prévenue, pouvait me seconder mal. Je ne vis rien de mieux à faire que de détourner quelque pièce essentielle des vêtements du coupable. La culotte fut la première chose qui me tomba sous la main. Je m’en emparai, ayant préalablement ôté une bourse, une montre et des clefs que je remis dans les poches du justaucorps. J’attendis ensuite dans mon lit ce qui pourrait arriver de cette importante soustraction.
Mais les ronflements ne finissaient point ; je perdis enfin patience, et fus tirailler Thérèse, que j’appelai plusieurs fois tout bas Mlle Éléonore. Elle eut à son tour bientôt éveillé Caffardot, qui, supposant leur aventure découverte par la femme de chambre, se crut perdu, sortit du lit, rassembla maladroitement ses habits, chercha longtemps sa culotte, mais en vain, partit cependant, traînant avec assez de bruit les boucles de ses souliers sur le parquet, et ferma la porte qui se plaignit encore beaucoup. Le pauvre diable craignait apparemment que la duègne d’Éléonore ne se mit à ses trousses. Ce ne pouvait être qu’elle qu’il venait d’entendre parler ! Quel embarras ! que va-t-il arriver à sa chère Éléonore ? et comment ravoir sa culotte ?
Thérèse, de son côté, n’était pas sans inquiétude, elle m’avait manqué trop essentiellement pour ne pas s’attendre à quelque réprimande sévère et peut-être à recevoir son congé, mais heureusement pour elle, je manquai de dignité dans cette occasion. Glissant donc légèrement sur les reproches que méritait son audace et ne prenant pas même le temps d’écouter ses excuses, je passai déjà vite à la confidence de mon espièglerie. Elle venait déjà d’avoir un effet si plaisant que je ne pouvais contenir mon envie de rire, loin qu’il me restât la moindre humeur. Thérèse, rassurée, trouva le tour admirable ; nous n’osions cependant laisser éclater notre joie sur ce que Caffardot, qui n’avait pas ses culottes, resterait jusqu’à nouvel ordre dans le corridor. L’ingénieuse soubrette eut bientôt levé cet obstacle. Elle alla dire tout bas par la serrure à son bon ami, qui en effet y avait l’oreille collée, que la femme de chambre, qui s’était trouvée mal et n’avait appelé que pour demander du secours, ne se doutait probablement de rien, qu’au surplus la culotte, qui ne se trouvait point encore, ne pourrait lui être rendue par la porte, à cause du bruit qu’elle faisait au moindre mouvement ; mais que s’il voulait aller au jardin, on la lui jetterait par la fenêtre dès que la femme de chambre dormirait.
Ainsi débarrassées du témoin incommode, enchantées de le savoir cul nu dans le jardin, où la bise soufflait avec fureur, nous ne contraignîmes plus nos ris : puis nous tînmes conseil, résolues de bien employer, pour notre amusement et pour le tourment de Caffardot, l’insigne preuve que nous avions de son incontinence. Le résultat de nos délibérations fut que Thérèse qui connaissait parfaitement la maison, irait sans bruit suspendre la culotte à la porte de la chambre où couchait la véritable Éléonore. Tel fut notre bon plaisir. Thérèse s’habilla tout à fait, parce qu’il faisait très froid : puis s’enfonçant dans les ténèbres du corridor, elle alla bravement exécuter notre risible arrêt.