Extrait du procès Ravaillac/Édition Garnier


EXTRAIT

DU PROCÈS CRIMINEL FAIT À FRANÇOIS RAVAILLAC.

Interrogatoire du 19 mai 1610.

A dit qu’il n’a jamais reçu aucun outrage du roi, et que la cour a assez d’arguments suffisants par les interrogatoires et réponses au procès ; qu’il n’y a nulle apparence qu’il y ait été induit par argent, ou suscité par gens ambitieux du sceptre de France ; car si tant est qu’il eût été porté par argent ou autrement, il semble qu’il ne fût pas venu jusqu’à trois fois et à trois voyages exprès d’Angoulême à Paris, distants l’un de l’autre de cent lieues, pour donner conseil au roi de ranger à l’Église catholique et romaine ceux de la Religion prétendue réformée, gens du tout contraires à la volonté de Dieu et de son Église, parce que qui a volonté de tuer autrui par argent, dès qu’il se laisse malheureusement corrompre par avarice pour assassiner son prince, ne va pas l’avertir comme il a fait trois diverses fois, ainsi que le sieur de La Force a reconnu, depuis l’homicide commis par l’accusé, avoir été dans le Louvre, et prié instamment de le faire parler au roi, à quoi ledit sieur de La Force aurait répondu qu’il était un papault et un catholique à gros grains, lui demandant s’il connaissait M. d’Épernon ; et l’accusé lui répondit que oui, et qu’il était catholique à gros grains : et ayant dit au sieur de La Force qu’étant catholique, apostolique et romain, et voulant tel vivre et mourir, il le suppliait de vouloir le faire parler au roi, afin de déclarer à Sa Majesté l’intention où il était depuis si longtemps de le tuer, n’osant le déclarer à aucun autre, parce que l’ayant dit à Sa Majesté, il se serait désisté tout à fait de cette mauvaise volonté.

Enquis si dès lors qu’il fit ses voyages pour parler au roi et lui conseiller de faire la guerre à ceux de la Religion prétendue réformée, il avait projeté, au cas que Sa Majesté ne voulût accorder ce dont l’accusé la suppliait, de faire le malheureux acte qu’il a commis ;

A dit que non, et que s’il l’avait projeté, s’en était désisté, et avait cru qu’il était expédient de lui faire cette remontrance plutôt que de le tuer.

Remontré qu’il n’avait point changé sa mauvaise intention, parce que depuis le dernier voyage qu’il a fait à Angoulême le jour de Pâques, il n’a cherché les moyens de parler au roi. ce qui démontre assez qu’il était parti en cette résolution de faire ce qu’il a fait ;

A dit qu’il est véritable.

Enquis si le jour de Pâques et de son départ il fit la sainte communion ;

A dit que non, et l’avait faite le premier dimanche de carême ; mais néanmoins qu’il fit célébrer le sacrifice de la sainte messe en l’église Saint-Paul d’Angoulême, sa paroisse, comme se reconnaissant indigne d’approcher de ce très-saint et très-auguste sacrement, plein de mystère et d’incompréhensible vertu, parce qu’il se sentait encore vexé de cette tentation de tuer le roi, et en tel état ne voulait s’approcher du précieux corps de son Dieu.

Enquis s’il ne les a pas fait venir (les démons) dans la chambre où était couché ledit Dubois ;

A dit que non ; qu’il est bien vrai que lui accusé, étant couché dans un grenier au-dessus de la chambre dudit Dubois, dans lequel grenier étaient aussi couchées d’autres personnes, il entendit à l’heure de minuit ledit Dubois qui le priait de descendre dans sa chambre, s’exclamant avec grands cris : « Ravaillac, mon ami, descends en bas, je suis mort ; mon Dieu, ayez pitié de moi ! » Alors l’accusé voulut descendre ; mais il en fut empêché par ceux qui étaient avec lui, pour la crainte qu’ils avaient ; de sorte qu’il ne descendit point, et le lendemain il demanda audit Dubois qui l’avait mû de crier ainsi ; à quoi il lui fit réponse qu’il avait vu dans sa chambre un chien noir d’une excessive grosseur et fort effroyable, lequel s’était mis les deux pieds de devant sur son lit ; de quoi il avait eu telle peur qu’il en avait pensé mourir, et avait appelé l’accusé à son secours ; à quoi l’accusé fit réponse que, pour renverser ces horribles visions, il devait avoir recours à la célébration du Saint Sacrement de l’autel ; et furent à cet effet au couvent des cordeliers faire dire la messe, pour attirer la grâce de Dieu et le préserver des visions de Satan, ennemi commun des hommes.

Remontré qu’il y a apparence que c’était lui qui avait fait paraître ce chien ;

A dit que non, et de peur que nous n’ajoutions pas de foi à ses réponses, cette vérité serait attestée par ceux qui étaient dans la chambre où il était couché, qui l’empêchèrent de descendre, qui étaient l’hôtesse de la maison et une sienne cousine, qui le prièrent de n’y point aller à cause qu’elles avaient entendu un grand bruit dans la chambre.

Remontré qu’il n’a point eu volonté de changer son malheureux dessein, ne voulant recevoir la communion le jour de Pâques, parce que c’était le moyen de s’en divertir, duquel moyen n’ayant usé, et s’étant ainsi éloigné de la sainte communion, il a continué en sa mauvaise entreprise ;

A dit que ce qui l’empêcha de communier fut qu’il avait pris cette résolution le jour de Pâques de venir tuer le roi ; mais aurait ouï la sainte messe auparavant de partir, croyant que la communion réelle de sa mère était suffisante pour elle et pour lui.

Remontré que lui ayant cette mauvaise intention de commettre cet acte, il était en péché et en danger de damnation, ne pouvant participer à la grâce de Dieu et communion des fidèles chrétiens pendant qu’il avait cette mauvaise volonté, dont se devait départir pour être en la grâce de Dieu ;

A dit qu’il ne fait pas de difficulté de convenir qu’il n’ait été porté d’un propre mouvement et particulier, contraire à la volonté de Dieu, auteur de tout bien et vérité, contraire au diable, père du mensonge ; mais que maintenant, à la remontrance que lui faisons, il reconnaît qu’il n’a pu résister à cette tentation, étant hors du pouvoir des hommes de s’empêcher de mal ; et qu’à présent il a déclaré la vérité entière sans rien retenir et cacher ; il espérait que Dieu tout bénin et miséricordieux lui fera pardon et rémission de ses péchés, étant plus puissant pour dissoudre le péché, moyennant la confession et absolution sacerdotale, que les hommes pour l’offenser ; priant la sacrée Vierge, saint Pierre, saint Paul, saint François (en pleurant), saint Bernard, et toute la cour céleste de paradis, requiert être ses avocats envers sa sacrée majesté, afin qu’elle impose sa croix entre la mort et jugement de son âme et l’enfer. Par ainsi requiert et espère être participant des mérites de la passion de notre Sauveur Jésus-Christ, le suppliant bien humblement lui faire la grâce d’être associé aux mérites de tous les trésors qu’il a infus en la puissance apostolique, lorsqu’il a dit : Tu es Petrus, etc.



EXTRAIT

DU PROCÈS-VERBAL DE LA QUESTION.

Du 27 mai.

Arrêt de mort prononcé par le greffier, qui l’a prévenu (Fr. Ravaillac) que, pour révélation de ses complices, sera appliqué à la question ; et, le serment de lui pris, a été exhorté de prévenir le tourment, et s’en rédimer par la reconnaissance de la vérité, qui l’avait induit, persuadé et fortifié à ce méchant acte, à qui il en avait communiqué et conféré ;

A dit que, par la damnation de son âme, il n’y a eu homme, femme, ni autre que lui qui l’ait su. Appliqué à la question, a persisté, etc...



ÉTAT DES RECHERCHES HISTORIQUES.

(1877.)

Les recherches, plus approfondies depuis Voltaire, n’ont fait que confirmer son jugement. Qu’est-ce que Ravaillac ? D’où vient ce sombre personnage qui, d’un coup de couteau, osa mettre fin au règne le plus réparateur et le plus fécond peut-être qu’il y ait dans l’histoire moderne ? Car, il n’y a pas à le méconnaître, quoique Henri IV n’eût qu’ébauché son œuvre, la France, à sa mort, diffère complètement de ce qu’elle était à son avènement au trône. Un grand progrès s’était fait en quelques années dans l’esprit public. Le jour même du crime de Ravaillac, les deux anciens chefs de la Ligue, Mayenne et le jeune duc de Guise, pressèrent la reine de maintenir les édits de pacification. Le dimanche qui suivit, 16 mai 1610, le peuple des faubourgs, le redoutable peuple des Seize, protégea les calvinistes se rendant au prêche à Charenton. Dans la plupart des paroisses et églises de Paris, les curés et docteurs catholiques, dit L’Estoile, prêchèrent l’union et la concorde avec les réformés. Il en fut de même par toute la France. « Les catholiques, continue L’Estoile, dans les villes où ils se trouvaient les plus forts, prenaient les huguenots sous leur protection, comme aussi faisaient les huguenots dans les villes où ils se trouvaient les maîtres. Ils se juraient les uns aux autres une inviolable fidélité et se promettaient un mutuel secours. » Un apaisement sensible s’était opéré, que rendirent plus sensible alors l’impression immense de la perte commune et le sentiment d’un commun péril.

C’était l’idée de tolérance qui s’imposait à la nation. Mais le prince auquel était dû cet important résultat périssait martyr de cette idée. Les grandes nouveautés morales, brisant les anciens courants, heurtant les anciennes passions, tuent presque toujours ceux qui les représentent d’abord. Tout principe rénovateur qui s’introduit dans le monde paye comme une dette de sang.

Des profondeurs de la foule surgit un homme obscur qui proteste par le meurtre contre la tendance générale, contre le mouvement de l’opinion. Ou’est-ce que cet homme encore une fois ? A-t-il derrière lui de nombreux complices ? Est-il l’agent de machinations ténébreuses ? Ou bien son crime est-il tout spontané, tout personnel ? Observons-le attentivement. La réponse se fera d’elle-même.

Dans ces premières années du dix-septième siècle, vivait à Angoulême un pauvre hère, moitié procureur, moitié maître d’école, nommé François Ravaillac. Il était solliciteur de procès, c’est-à-dire à peu près ce qu’on appelle maintenant homme d’affaires ; mais il faisait peu de chose de ce métier. À défaut de procès à solliciter, il apprenait leurs prières à de petits enfants pauvres, dont les parents le payaient en objets de consommation, pain, vin, lard, etc. Né en 1578, ayant donc eu trente ans en 1608, il était grand, robuste, large des épaules. Roux de cheveux et de barbe, d’un roux foncé et noirâtre, il avait une physionomie sinistre. Un meurtre ayant été commis dans la ville, il en fut soupçonné, probablement à cause de cette inquiétante physionomie, et tenu en prison pendant un an, après quoi on l’acquitta. Il fut remis en prison pour dettes, puis relâché. Il menait une existence assez précaire et misérable ; il habitait avec sa mère, qui était séparée de son mari et qui allait à l’aumône. Il partageait les idées les plus exaltées qu’eussent laissées après elles les guerres de religion à peine apaisées.

Il s’était développé pendant la Ligue un certain mysticisme politique, inventé ou réchauffé par les théologiens espagnols afin de favoriser le gouvernement autocratique de Philippe II et ses prétentions à la monarchie universelle, et qui, importé en France, avait dénaturé le caractère national de ce grand mouvement populaire. C’est ce que les auteurs de la Satire Ménippée appellent « le faux catholicon d’Espagne ». Parmi ces doctrines se mêlaient de dangereuses discussions sur le régicide. Filles de l’Inquisition espagnole, répandues chez nous à la faveur des dissensions civiles qui agitèrent la dernière moitié du seizième siècle, prêchées au peuple au milieu des soulèvements de la Ligue, ces doctrines troublèrent beaucoup d’esprits, égarèrent des âmes crédules et sombres.

Quoique le pays, sous le règne de Henri IV, échappât de plus en plus à cette influence malsaine et antifrançaise, les fougueuses passions de la période antérieure persistaient dans une minorité intraitable. Toutes les fois que la politique royale se mettait en opposition plus ouverte avec l’ancien esprit de la Ligue, il y avait une recrudescence de ces déclamations dans lesquelles les guerres de religion prolongeaient leur retentissement. Elles entretenaient, dans une partie de la population, une irritation et des plaintes qui pouvaient faire illusion sur les sentiments que le monarque inspirait à la grande masse de la nation et qui éclatèrent à sa mort. Impuissantes à produire aucun mouvement sérieux, elles avaient un danger, c’était d’exalter des imaginations inflammables, d’enfiévrer des esprits maladifs. On en avait eu la preuve trop fréquente pendant ce règne. C’était ce vieux levain de fanatisme qui avait fomenté la plupart des tentatives faites contre la vie du roi. Il allait susciter Ravaillac.

Nul n’était plus disposé que le maître d’école d’Angoulême à tomber dans ces aberrations farouches. C’était un cerveau mal organisé, une imagination troublée, visionnaire. Il raconte, dans son interrogatoire, que, pendant qu’il était en prison pour dettes dans sa ville natale, il eut des visions. Voici en quoi elles consistaient : « Il avait senti le feu de soufre et d’encens, qui démontrait le purgatoire contre l’erreur des hérétiques. » Étant sorti de prison, raconte-t-il encore, un samedi après Noël, ayant de nuit fait sa méditation accoutumée, les mains jointes et les pieds croisés dans son lit, il avait senti sa face et sa bouche couvertes d’une chose qu’il ne put discerner, parce que c’était à l’heure de matines, c’est-à-dire de minuit. « Et, étant en cet état, il eut volonté de chanter les cantiques de David, commençant Dixit Dominus jusqu’à la fin du cantique, avec le Miserere et le De Profundis tout au long. Il lui sembla que, les chantant, il avait à sa bouche une trompette faisant pareil son qu’une trompette à la guerre. Le lendemain matin, s’étant levé et ayant fait sa méditation à genoux, recolligé en Dieu à la manière accoutumée, il s’assit sur une petite chaise devant le foyer ; et puis, s’étant passé un peigne par la tête, voyant que le jour n’était pas encore venu, il aperçut du feu en un tison, acheva de s’habiller, prit un morceau de sarment de vigne, lequel ayant allié avec le tison où était le feu, il mit les deux genoux en terre et se prit à souffler. Il vit incontinent, aux deux côtés de sa face, à droite et à gauche, à la lueur du feu qui sortait par le soufflement, des hosties semblables à celles dont l’on a accoutumé faire la communion aux catholiques en l’église de Dieu, et au-dessous de sa face, au droit de sa bouche, il vit par le côté un rond de la même grandeur que l’hostie que lève le prêtre à la célébration du service divin. » Grand signe de prédestination à des actes mémorables !

Voilà quelle était la force intellectuelle de l’instituteur angoumoisin. L’orgueil acheva d’exalter cette pauvre tête. Il crut avoir des révélations sur les desseins du Très-Haut, et il les écrivit. Quand il voulut se faire moine, entrer dans un couvent de feuillants, il communiqua ces prétendues révélations au prieur. On s’aperçut qu’il avait l’esprit dérangé, et on le renvoya.

Entre croire qu’on a des révélations sur les desseins du Très-Haut et croire qu’on est choisi pour les exécuter, il n’y a qu’un pas à franchir. C’est ainsi que l’idée de mettre à mort un roi qui tolérait et favorisait les hérétiques, au lieu de les exterminer, s’empara du maître d’école et prit bientôt en lui les caractères d’une idée fixe. Avec son instruction tout à fait élémentaire, il se mit à étudier la question de savoir s’il est permis de tuer un tyran ; il consulta les livres de théologie où cette question était traitée. Quand on l’interrogea après son crime, on le trouva au courant de toutes les distinctions et de toutes les subtilités scolastiques auxquelles cette question avait donné lieu, ignorant sur tout le reste.

Sa profession de solliciteur de procès l’avait appelé déjà à Paris. Au temps de Noël 1609, il se mit en route pour cette ville ; il voulait faire taxer ses dépens dans quelque affaire, mais son but était surtout d’avertir et de sommer le roi qu’il eût à soumettre et réduire ceux de la Religion prétendue réformée à l’Église romaine. Il fut quatorze jours à faire le voyage. Arrivé à Paris, il chercha pendant un mois tous les moyens d’avoir accès auprès du roi, annonçant qu’il avait eu des visions pour l’extermination de l’hérésie calviniste. Il s’adressa pour cela à un écuyer de la reine Marguerite, qui lui répondit sans façon qu’il n’avait pas la mine d’un saint personnage ni d’un homme de bien. Il s’adressa au secrétaire de Mme  d’Angoulême ; on lui répondit qu’elle était malade. Il se présenta chez le cardinal Duperron, où on le repoussa en lui disant qu’il ferait mieux de s’en retourner à sa maison. Partout sa physionomie égarée et peu rassurante le faisait tenir à l’écart. Il supplia, pressa, conjura La Force, capitaine des gardes, jusqu’à trois reprises, de l’introduire auprès de Sa Majesté ; La Force s’y refusa, l’appelant « papault[1] et catholique à gros grains[2]. » Il l’aurait arrêté s’il n’en avait été empêché par les ordres formels du roi, défendant aucune arrestation pour conspiration ou desseins suspects contre sa personne. Ravaillac était, pendant ce voyage, affublé d’une grande casaque verte qui le faisait remarquer de tout le monde. Ayant un jour rencontré Henri IV qui passait en carrosse près des Innocents, Ravaillac s’élança de la foule « comme un grand diable vert », suivant l’expression d’un témoin, et se précipita en criant : « Sire, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de la sacrée vierge Marie, que je parle à vous ! » Le grand prévôt, qui escortait la voiture, l’éloigna avec sa baguette.

Il était impossible qu’un tel homme fût discret, qu’il ne trahît pas les préoccupations auxquelles il était livré. On le voit, en effet, essayer des demi-confidences. Ainsi, à l’en croire, il se serait abouché avec un père jésuite, nommé d’Aubigny ; il lui montra un jour un petit couteau où il y avait un cœur et une croix, disant, en termes vagues, que le cœur du roi devait être porté à faire la guerre aux hérétiques. Il lui parla aussi de ses visions. Le P. d’Aubigny, raconte Ravaillac, lui fit réponse qu’il croyait que c’étaient plus imaginations que visions, qui procédaient d’avoir le cerveau troublé, comme son visage le démontrait, et lui conseilla de manger de bons potages, retourner en son pays, dire son chapelet et prier Dieu. Il est vrai que, confronté avec Ravaillac après le crime, le P. d’Aubigny déclara ne point le reconnaître et n’avoir conservé aucun souvenir du récit que faisait l’accusé. Celui-ci ne marqua aucune irritation de ce désaveu, fait en termes très-vifs, et persista dans son récit.

Il resta l’espace d’un mois environ à Paris : il y fut réduit à une profonde misère, jusque-là d’implorer une aumône d’un sou à l’issue d’une messe à laquelle il avait assisté dans l’église des Jésuites de la rue Saint-Antoine. Enfin la détresse où il se trouvait l’obligea de reprendre le chemin d’Angoulême à la fin de janvier 1610.

Pendant ce séjour, Ravaillac, quoique la tentation de tuer le roi le poursuivit depuis longtemps, n’avait encore, ainsi qu’il l’affirma ensuite, formé d’autre dessein que de sommer Henri IV, au nom de ses prétendues révélations, de faire la guerre aux huguenots, sans avoir arrêté ce qu’il ferait au cas où le souverain refuserait d’obtempérer à ses avis, qu’il considérait comme des ordres de la Providence. En partant de Paris pour revenir à Angoulême, après s’être convaincu de l’impuissance où il était de parler au roi, la pensée du meurtre avait pris beaucoup plus de consistance dans son esprit.

Il s’efforça cependant de chasser l’idée qui l’obsédait. Il se remit à donner des leçons aux petits enfants. Il se confessa, communia le premier jour de carême. Mais les fausses rumeurs venaient le poursuivre dans sa retraite. Le bruit courut parmi le peuple que les huguenots avaient comploté de massacrer tous les catholiques à la dernière fête de Noël, que le roi avait les preuves de ce complot, et qu’il se refusait à faire justice de ceux qui en étaient les auteurs. Ce bruit de représailles de la Saint-Barthélemy se renouvelait périodiquement, et était toujours accueilli avec la même crédulité. Il frappa vivement l’imagination enfiévrée du maître d’école. De plus, de vagues notions sur les projets de Henri IV circulaient dans les provinces : ces projets mal connus y étaient interprétés par la passion politique ou par l’inquiétude religieuse. On savait que le roi, se préparant à attaquer l’Autriche sur tous les points à la fois, dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, allait, en outre, diriger contre elle une expédition en Italie. Or dans l’Italie était le pape, qui, depuis quarante ans, avait été l’allié des Impériaux, qui occupaient l’Italie presque entière. De ce fait on concluait que le roi de France allait attaquer le pape, quoique le pape Paul V, fatigué des Impériaux, fût de moitié dans les projets de guerre et de conquête de Henri IV en Italie. « Se trouvant à la maison d’un nommé Béliart, dit Ravaillac dans son interrogatoire, ce Béliart dit avoir appris que l’ambassadeur du pape avait déclaré au roi que, s’il faisait la guerre, il l’excommunierait, et que Sa Majesté aurait fait réponse que ses prédécesseurs avaient mis les papes en leur trône et que, s’il l’excommuniait, il l’en déposséderait. »

Ces propos rendirent à Ravaillac toute sa résolution de tuer le roi, « parce que faire la guerre contre le pape, c’est la faire contre Dieu, d’autant que le pape est Dieu et Dieu est le pape ». Lorsque vint l’époque de la communion pascale, il se sentit indigne, sous l’empire de ces sanguinaires pensées, de s’approcher de la sainte table. Il fit toutefois célébrer une messe en l’église Saint-Paul d’Angoulême, sa paroisse ; sa mère y reçut le corps du Sauveur, mais lui s’abstint. Quand on l’interrogea ensuite sur les sentiments qui l’avaient dirigé en cette occasion, il dit « se ressouvenir que l’affection qu’il avait au saint sacrement de l’autel le lui avait fait faire, parce qu’il espérait que sa mère, allant recevoir son Dieu en ce sacrifice qu’il faisait célébrer, il serait participant de sa communion, la croyant, depuis qu’il est au monde, être portée d’une plus religieuse affection envers son Dieu que lui l’accusé ; c’est pourquoi il pria alors Dieu et s’en remit à elle de son devoir, n’osant pas s’accomplir lui-même. » En disant ces paroles, ajoute le greffier, il jeta pleurs et larmes abondantes.

Il partit d’Angoulême le jour de Pâques et vint se loger au faubourg Saint-Jacques ; puis, pour se rapprocher du Louvre, au faubourg Saint-Honoré, à l’enseigne des Trois-Pigeons. Étant entré à l’hôtellerie des Quinze-Vingts, qui était à côté, il fut refusé parce qu’il y avait trop d’hôtes ; mais sur la table il aperçut un couteau. Ce couteau, tranchant des deux côtés par la pointe, lui sembla propre à exécuter sa volonté ; il le prit. Il le garda quinze jours ou trois semaines en un sac en sa pochette. Ayant rompu, à force de le tourmenter, le manche de baleine qui y était, il en fit mettre un autre de corne de cerf par le frère de son hôte, qui était tourneur.

Il se livrait pourtant en lui-même un violent combat. Il ne pouvait se taire sur son horrible projet. Il proposait des doutes, en termes généraux, à des religieux qu’il abordait ; demandant si un homme ayant eu la tentation de tuer le roi, et s’en confessant au pénitencier ou à un prêtre ayant charge d’âmes, celui-ci serait tenu de le dénoncer à la justice. Il interrogeait aussi les soldats, leur demandant, au cas où le roi voudrait faire la guerre au

souverain pontife, s’ils lui obéiraient. Les soldats répondaient qu’ils y

étaient tenus, qu’ils feraient cette guerre-là aussi bien qu’une autre, et que si le roi avait tort, la responsabilité en retomberait sur lui. Tous ces propos expliquent suffisamment les avis qui parvinrent au roi, les bruits qui coururent la ville, auxquels on prêtait peu d’attention avant le crime, mais qui furent ensuite relevés avec soin et qui fortifièrent les soupçons de complot.

Il se désista encore de sa volonté, sortit de Paris, alla jusqu’à Étampes. Pendant qu’il cheminait à la hauteur du jardin de Chanteloup, une charrette marchait devant lui. Dans les angoisses auxquelles il était en proie, frappant la charrette de son couteau, il y rompit la pointe de la longueur d’un pouce. Au faubourg d’Étampes, il aperçut le calvaire, l’Ecce homo. Cette vue lui rendit sa résolution. Il entendit répéter de nouveau que le roi allait faire la guerre au pape et transférer le saint-siége à Paris. Il revint sur ses pas, refit sur une pierre la pointe de son couteau, rentra à Paris. Le couronnement de la reine Marie de Médicis allait avoir lieu à Saint-Denis. C’était une garantie, disait-on, qu’en cas d’accident survenant au roi, il n’éclaterait pas de troubles dans le royaume. Comme Ravaillac ne se proposait pas de troubler le royaume, mais prétendait au contraire le délivrer, il attendit que la reine eût été couronnée à Saint-Denis. Le lendemain, vendredi 14 mai, à quatre heures du soir, étant en embuscade dans le Louvre, entre les deux portes, il vit le roi sortir en carrosse, le suivit jusque devant les Innocents, et, au moment où le carrosse était forcé de s’arrêter ou du moins de marcher très-lentement à cause d’un embarras de voitures, il s’élança, passa son bras au-dessus de la roue et donna au roi deux coups de couteau dans le côté gauche.

On sait le deuil immense de la France, la terreur et la fureur du peuple. Tandis que Ravaillac assassinait Henri IV, parce que ce prince allait faire la guerre au pape, Paul V, apprenant cette mort, disait, les yeux pleins de larmes et la voix étouffée par les sanglots : « J’ai perdu mon bon fils aîné, prince grand, magnanime, sage et incomparable, vrai fils de l’Église et affectionné à ce saint-siége. »

On a dit que l’instruction fut écourtée, la condamnation brusquée. M. Poirson, dans le dernier volume de son Histoire du règne de Henri IV, fait bonne justice de ces assertions. Achille de Harlay présidait la commission, c’est dire qu’aucune corruption, ni aucune complaisance n’est admissible. On avait affaire à un assassin pris en flagrant délit et avouant son crime. Il n’y avait donc qu’à s’assurer s’il avait des complices. Sa prison, ses interrogatoires, ses tortures, durèrent treize jours. Le peuple exaspéré

réclamait la mort du meurtrier avec une impatience à laquelle il eût été dangereux de résister plus longtemps. Les juges et le greffier, tant pendant le cours de l’instruction qu’après le jugement, lui firent subir dix-sept interrogatoires, le pressant de déclarer les instigateurs ou les confidents de l’attentat. Le président de Harlay le menaça, s’il ne les nommait pas, de faire venir son père et sa mère, qui seraient déchirés sous ses yeux. L’assassin fut troublé par cette menace, mais persista à soutenir qu’il n’avait ni confident, ni complice. On lui fit subir deux fois la question, une première fois extra-légalement à l’hôtel de Retz, au moyen de vis de carabine serrées et avec une telle violence qu’il eut les os des pouces rompus ; une seconde fois à la fin de l’instruction et par l’ordre des juges. On lui mit les brodequins ; trois coins furent enfoncés successivement. Le patient poussa de grands cris, mais ne varia point dans ses déclarations ; il perdit la parole, s’évanouit, resta demi-mort. À chaque période de la torture, on interroge Ravaillac ; ses réponses sont consignées dans le procès-verbal qu’on a publié. Ravaillac répond constamment, au milieu des plus horribles douleurs, que jamais ni Français ni étranger ne lui a conseillé ni persuadé de commettre l’attentat que seul il a résolu et seul il a commis ; et que « s’il avait été induit à ce fait par quelqu’un de France ou de l’étranger, et qu’il fut tant abandonné

de Dieu que de vouloir mourir sans le déclarer, il ne croirait pas être sauvé ni qu’il y eût de paradis pour lui ».

Deux docteurs en Sorbonne, les plus doctes et les plus honnêtes qu’il y eut alors, les docteurs Filsac et Gamaches, ne le quittèrent pas dans l’intervalle de plusieurs heures qui sépara la torture du supplice. Ils lui firent signer et avouer tout haut sa confession, où il affirmait encore n’avoir agi que de son propre mouvement et par la suggestion de l’esprit du mal.

À trois heures de l’après-midi, on le fit sortir de prison, et avant même que d’en sortir il put juger de la rage excitée par son crime. Il ne croyait pas à la fureur du peuple. Quand il entendit donner des ordres pour l’empêcher d’être déchiré dans le trajet, il dit avec orgueil qu’on n’aurait garde de le toucher, persuadé qu’on lui savait gré, au contraire, d’avoir délivré le royaume d’un monarque contre lequel il avait entendu tant de plaintes. Il fut bientôt détrompé. Il faillit être étranglé d’abord par les prisonniers. Puis, dans la cour du Palais et sur tout le chemin qu’il parcourut, la foule fut contenue avec peine ; elle voulait le mettre en pièces, elle vomissait feux et flammes contre lui. La colère publique était montée à un degré inouï.

On le mena faire amende honorable à Notre-Dame, puis on le conduisit à la place de la Grève, où il souffrit les plus horribles supplices, qui ne pouvaient satisfaire encore la vengeance du peuple. Le feu fut mis à son bras ; sa main droite percée de part en part d’un couteau rougi au feu de soufre. Ensuite, on lui déchira la poitrine et le gras des jambes avec des tenailles rougies. On arrosa les plaies avec du plomb fondu, de la cire, du soufre, de l’huile et de la poix bouillantes. Il poussait des hurlements affreux. La multitude criait qu’on allait trop vite, qu’il fallait le faire languir. Lorsque le clergé voulut réciter les prières accoutumées, elle s’y opposa, criant qu’il ne fallait pas prier pour ce méchant et traître parricide.

Après avoir subi ces effroyables tortures, au moment d’être tiré à quatre chevaux, Ravaillac demanda l’absolution à son confesseur, l’un des docteurs de Sorbonne. Celui-ci la lui refusa, en disant que cela lui était défendu en crime de lèse-majesté au premier chef, s’il ne voulait révéler ses fauteurs et complices. Il répondit qu’il n’en avait point, ainsi qu’il avait souvent protesté et protestait encore derechef. Le prêtre ne voulant, pas passer outre : « Donnez-moi, dit le mourant, l’absolution, au moins à condition, au cas que ce que je dis soit vrai. — Je le veux, lui répondit le confesseur, mais à cette condition qu’au cas qu’il ne soit ainsi, votre âme, au sortir de cette vie que vous allez perdre, s’en va droit en enfer et au diable, ce que je vous dénonce de la part de Dieu comme certain et infaillible. — Je l’accepte et la reçois, dit-il, à cette condition. »

On fit tirer les chevaux par petites secousses pendant une demi-heure, et, dans les temps d’arrêt, le greffier l’admonesta encore à plusieurs reprises de dire la vérité. Le malheureux eut la force de répéter : « Il n’y a que moi qui l’ai fait ! » Un des chevaux étant trop fatigué pour continuer à tirer, un cavalier donna le sien. Au bout d’une grande heure d’écartèlement, Ravaillac fut enfin démembré, puis mis en pièces par la populace.

Soit que l’on considère les circonstances qui précédèrent l’attentat, soit que l’on considère celles qui le suivirent, il est évident que Ravaillac obéit à une impulsion personnelle et non à un mot d’ordre, qu’il agit pour son compte, sous l’empire de passions aveugles, et non pour le compte d’autrui. Ses fausses démarches, ses indiscrétions, ses incertitudes, eussent fait de cet homme l’agent de complot le plus invraisemblable. Rappelez-vous cet habit vert qui attire les yeux, ces visites à tous les personnages qui peuvent lui donner accès auprès du roi, ce dénûment qui le force une première fois à quitter Paris ; au moment où il commit son crime, il n’avait plus que trois quarts d’écu ; si l’occasion de l’exécuter ne s’était pas offerte, il eût été obligé, comme il l’a avoué, de repartir le lendemain pour Angoulême. Puis songez à ces dénégations persévérantes dans les tortures et en présence de la mort. La confession de ses angoisses et de ses hallucinations a, d’ailleurs, un caractère de vérité incontestable. Lorsqu’on examine ainsi le personnage de près, aucun doute n’est possible.

Ce n’est pourtant pas le sentiment qui a prévalu chez la plupart des historiens. Le goût des complications dramatiques entre pour beaucoup, assurément, dans l’opinion contraire. Mais ce qui l’a entretenue et fortifiée, c’est la tendance qui, au moment même de la catastrophe, fit naître et accrédita des bruits de complot. On se persuade malaisément qu’un événement qui a les plus graves conséquences politiques ait pour auteur un individu isolé et obscur, mû et poussé par de funèbres rêveries. On a peine à accepter le rôle du grain de sable dans les affaires de ce monde. Aussi, bien des rumeurs ne manquèrent pas de circuler à la mort de Henri IV, « dans l’horreur et l’indignation, comme dit Bossuet, qu’inspira un coup si soudain et si exécrable ». L’Estoile s’est fait, à son ordinaire, l’écho immédiat de ces rumeurs. Elles se renouvelèrent par la suite, et l’on chercha à leur donner plus de consistance. Sept mois après le supplice de Ravaillac, au mois de janvier 1611, Jacqueline de Voyer, dite la d’Escoman, épouse d’Isaac de la Varenne, femme faisant métier de la galanterie, adressa à la justice des dénonciations contre la marquise de Verneuil, Henriette d’Entragues. Elle fut traduite, non devant une commission, mais devant le parlement, devant la justice régulière du pays. Les chambres, assemblées et présidées par le vieil ami de Henri IV, Achille de Harlay, reçurent d’abord les dénonciations de la d’Escoman. Elle fut jugée ensuite par une chambre du parlement composée de dix-huit conseillers ; elle fut déclarée

calomniatrice, condamnée à la prison perpétuelle, et ceux qu’elle avait accusés furent déchargés et proclamés innocents (23 et 30 juillet 1611). L’accusation était, en effet, des moins vraisemblables. La marquise de

Verneuil n’avait aucun intérêt au crime et en avait un immense à l’empêcher. Même après son refroidissement pour elle, le roi lui demeurait attaché par le lien d’une ancienne affection, par le lien bien autrement fort de leurs enfants. Henri mort, elle perdait tout appui ; elle tombait à la merci de la reine, qui l’avait toujours détestée. Comment donc expliquer cette accusation ? Il est clair que la d’Escoman essaya d’exploiter ces rancunes de la régente, qui étaient bien connues. Elle crut que Marie de Médicis lui saurait gré de diriger contre une ancienne rivale les soupçons qui inquiétaient les esprits : elle fut déçue dans son calcul. Non-seulement la reine ne prit pas son parti, mais l’opinion publique ne la soutint pas davantage.

Quelques années plus tard, en 1615, une tentative analogue, mais plus politique, a lieu. Les circonstances ont changé. L’autorité de Marie de Médicis et du duc d’Épernon est ébranlée et impopulaire. Un aventurier nommé Pierre Dujardin, fils d’un plâtrier de Rouen, se faisant appeler capitaine et sieur de La Garde, après avoir été offrir ses services dans les diverses cours de l’Europe et n’avoir pu demeurer nulle part, rentrait en France. Voulant attirer l’attention sur lui et faire un coup d’éclat, il publie un factum dans lequel il accuse le conseil d’Espagne, le jésuite Alagona et le duc d’Épernon, d’avoir été les instigateurs de l’assassinat de Henri IV. Il y faisait le récit romanesque et incontestablement faux d’une rencontre qu’il aurait faite de Ravaillac à Naples en 1609. Il est enfermé à la Bastille, puis à la Conciergerie ; il subit de nombreux interrogatoires. Aucune des ambitions rivales qui s’agitaient alors ne consent à s’armer, comme il l’espérait, de ses dénonciations. Le grand ennemi de l’Espagne et du duc d’Épernon, Richelieu, les méprise. Pierre Dujardin est rendu à la liberté après une captivité assez longue, et disparaît dans l’obscurité. La conduite du duc d’Épernon, qui eût été l’intermédiaire du conseil d’Espagne auprès de Ravaillac, ne prêtait nullement à ces attaques. Il avait empêché le peuple de massacrer Ravaillac au moment de l’assassinat ; ce n’était pas l’acte d’un complice qui, si prudente qu’eût été son intervention, aurait toujours eu quelque révélation à craindre. On a dit que cette conduite était une preuve de sang-froid, une habileté ; mais, avec de telles interprétations, il est évident qu’on n’a plus aucun moyen de juger les actions des hommes.

Les Concini, les favoris de la reine, tenus à l’écart par Henri IV, étaient seuls intéressés à la mort du roi ; et Sully dirige, en effet, les soupçons sur eux dans ses Mémoires ; mais il était impossible d’imaginer aucune relation entre ces étrangers et le maître d’école d’Angoulême. Quant à Marie de Médicis, quoique cette reine ne fasse pas dans l’histoire une figure très-sympathique, il n’y a pas la moindre présomption qui permette de mêler son nom à ce complot imaginaire. Mézeray accueillit le premier, avec une complaisante légèreté, quelques-unes des allégations contenues dans les factums de la d’Escoman et de Dujardin. Après lui, on se laissa de plus en plus attirer par cette source de mystères et de scandales. Pour la plupart des historiens, ces documents équivoques sont devenus des textes irréfragables. On en a pris ce qui convenait, scindant les témoignages, laissant de côté ce qui s’y trouve de trop absurde, arrangeant arbitrairement ce qu’ils offrent de contradictoire et d’inconciliable, opérant des raccords, remplissant les lacunes par des insinuations qui se transforment bientôt en des affirmations tranchantes. Voltaire avait bien vu ce qu’il fallait penser sur ce point, et ses conclusions, conformes à la réalité des choses, sont celles que l’histoire adoptera définitivement[3].

L. M.


  1. Papault, papiste ; ultramontain, comme on dirait maintenant.
  2. Cette expression avait alors le sens de catholique renforcé, catholique portant des chapelets à gros grains. Elle était prise, toutefois, en mauvaise part, de sorte que par la suite elle signifia au contraire : mauvais catholique, tiède et négligent. On écrivit alors : à gros grain.
  3. Les pièces relatives au procès criminel de Ravaillac ont été souvent imprimées in extenso. Citons le petit volume qui a paru sous ce titre : « Procès du très-meschant et detestable parricide Fr. Ravaillac, natif d’Angoulesme, publié pour la première fois sur des manuscrits du temps, par P... D... À Paris, chez Auguste Aubry, l’un des libraires de la Société des Bibliophiles français, rue Dauphine, 16. — MDCCCLVIII. »