Extrême-Orient, 1931 — 1938/1935-5

L. Fournier et Cie (p. 134-136).

LE MANDCHOUKOUO, LA CHINE ET LE SUD-MANDCHOURIEN

15 Septembre 1935.

On entend souvent dire que la Chine est le pays des surprises ; on peut ajouter : et des paradoxes.

La Revue nationale chinoise du 14 juillet dernier, écrivait :

La politique japonaise de la Chine a beaucoup évolué depuis le commencement de 1933. Le gouvernement de Nankin s’est rendu compte qu’il ne pouvait compter sur l’intervention de la Société des Nations, les puissances ne songeant qu’à la protection de leurs intérêts en Chine. Sans repousser leur coopération économique, il n’hésitera pas, selon nous, à accepter celle du Japon, si celle-ci est débarrassée de tout caractère agressif. On peut considérer la réorganisation récente des administrations provinciales du Hopei et du Tchahar comme le premier pas vers la future entente économique sino-japonaise.

Depuis que ces lignes ont été écrites, un deuxième pas a été fait. Les témoignages en viennent de tous côtés. Au lendemain même de l’affaire de Mandchourie, si paradoxal qu’il ait pu alors paraître, nous écrivions qu’il était dans l’ordre de la politique sino-japonaise qui évidemment ne correspond pas, ô lord Lytton ! à l’idéal qu’on se fait en Occident des ententes internationales… Il se fera sans bruit, disions-nous, ce rapprochement, sans éclat, à la chinoise, afin d’éviter qu’il ne soit interprété au dehors comme une reconnaissance du Mandchoukouo.

Or le troisième pas semble bien devoir être précisément cette reconnaissance, accompagnée d’une entente pour la défense contre le communisme et d’une collaboration économique dans la Chine du Nord.

Pour notre part nous avons entendu plus d’un représentant des puissances à Tokio nous exprimer le regret qu’ont celles-ci de s’être si solennellement engagées à Genève, pour la cause chinoise, à ne jamais reconnaître le Mandchoukouo. « On a toujours tort en politique de dire qu’on ne fera jamais certaines choses », nous avouait à ce propos une des personnalités les plus en vue de la Société des Nations. Qu’elle se rassure ! Le mal sera réparé. Il n’est pas de puissance qui ne veuille soutenir, pousser quelque affaire au Mandchoukouo. La Chine sera bénie le jour où, par sa reconnaissance du Mandchoukouo, elle libérera les gouvernements des liens qui les retiennent encore. Mais on peut alors se demander si le Japon tient tant à cette reconnaissance qui peut lui susciter des concurrents. En fait le Japon ne s’effraye pas de cette concurrence. Comme rien ne se fera sans lui au Mandchoukouo, il voit plutôt dans l’afflux des offres le moyen de traiter au meilleur compte. Mais surtout il voit dans la reconnaissance la consécration de son œuvre, et c’est ce qui lui importe… Politique d’abord ? Peut-être.

D’ailleurs l’intérêt économique n’est pas limité pour le Japon au Mandchoukouo ; il porte encore sur le Nord de la Chine dont le développement par une collaboration sino-japonaise est à l’ordre du jour.

Cette question très importante du développement de la Chine du Nord dépend naturellement du rapprochement sino-japonais. Elle est en outre conditionnée par celle de la participation de la compagnie du Sud-Mandchourien.

Le 17 juillet, de hautes personnalités militaires japonaises décidaient, dans une réunion à Hsin-King, d’étudier tout d’abord avec les autorités chinoises le développement des communications aériennes et ferroviaires dans le Nord de la Chine, et ensuite le développement des exploitations minières, de l’industrie du coton et de l’élevage du mouton ; la participation du Sud-Mandchourien serait recherchée pour le financement de ces entreprises, comme elle existe au Mandchoukouo.

Interrogé, quelques jours plus tard, sur l’éventualité de cette participation, le comte Hayashi, alors président de la compagnie du Sud-Mandchourien, répondit qu’elle était en effet possible en association avec un syndicat de banquiers. Et, de fait, le 8 août, l’agence Rengo annonça de Hsin-King que la compagnie du Sud-Mandchourien avait décidé de créer, pour le développement de la Chine du Nord, une filiale qui demandera une charte au gouvernement japonais.

Depuis lors, le comte Hayashi, démissionnaire, a été remplacé comme président de la compagnie par M. Matsuoka, qui en fut naguère vice-président. Les relations de M. Matsuoka avec l’armée sont trop connues pour qu’on puisse le croire, sur ce point, dans d’autres dispositions que le comte Hayashi.

En somme, la réorganisation du Sud-Mandchourien est certaine. Ensuite la participation du Sud-Mandchourien au développement économique du Nord de la Chine est en principe décidée. La question que l’on pourrait encore se poser est de savoir si les banques chinoises investiront là des capitaux avec autant d’empressement qu’au Mandchoukouo… Nous ne nous la posons pas. Nous savons que partout où l’ordre régnera et où il y aura des perspectives d’affaires, les capitaux chinois afflueront. L’article de la Revue nationale chinoise, que nous citions en commençant, le laisse du reste suffisamment entendre ; Mandchoukouo, Chine, Japon, Sud-Mandchourien composeront demain, sur le plan économique, un ensemble duquel telle puissance d’esprit pratique et experte en affaires redoute déjà d’être tenue à l’écart.