Extrême-Orient, 1931 — 1938/1934-6

L. Fournier et Cie (p. 98-101).

SIN-KIANG, THIBET ET MONGOLIE

5 Juillet 1934.

Le Sin-Kiang ou Turkestan chinois va-t-il faire de nouveau parler de lui ? On sait que le gouvernement musulman indépendant constitué en septembre 1933 à Kachgar n’a pas tenu devant des Toungans, tribus chinoises musulmanes, qui l’ont bousculé et obligé à s’enfuir.

Cependant, s’il faut en croire des télégrammes de Moscou des 11 et 23 avril (agence Tass), les Toungans auraient été battus à leur tour par les troupes du gouvernement provincial, lequel aurait décidé « d’accorder l’égalité de droits à toutes les nationalités du Sin-Kiang ». Une conférence des nationalités, organisée par ledit gouvernement, se serait ouverte, le 17 avril, à Ouroumtchi, à laquelle deux cents délégués auraient pris part.

Si tout cela est exact, les Russes auraient subi là un échec, car il est généralement admis que les tribus tounganes sont entre leurs mains. D’ailleurs deux télégrammes, l’un du 18 juin daté de Tokio, et l’autre du 24 juin daté de Shanghaï, annoncent l’intention des Soviets de déployer dans le Sin-Kiang une activité nouvelle, dirigée autant contre les Anglais que contre les Chinois, en y visant toujours la création d’un État musulman.

— Au Thibet, la mort du Dalaï-Lama, survenue à la fin de l’an dernier, a contrarié bien des intérêts, et surtout ceux des Anglais. Aussi, ces derniers doivent-ils désirer revoir à la tête du pays un personnage qui soit à leur dévotion comme l’était le Dalaï-Lama.

On se souvient qu’en 1913, à Simla, des négociations eurent lieu entre Anglais, Chinois et Thibétains, concernant le statut du Thibet. L’Angleterre et le Thibet adoptèrent une convention qui reconnaissait un « Thibet extérieur », comme « État autonome sous la suzeraineté de la Chine et la protection de l’Angleterre », le Thibet intérieur comprenant le Koukou-Noor et le Seu-Tchouen occidental. Le gouvernement chinois refusa naturellement de reconnaître un tel accord ; malgré cela, le gouvernement britannique lui notifia que la convention anglo-thibétaine était valable. Le Thibet extérieur ou royaume des lamas demeura en fait un protectorat anglais avec, pour chef, le Dalaï-Lama.

En 1919, les politiciens qui composaient le fameux club Anfou, à Pékin, se montrèrent disposés à accepter le point de vue anglais, mais un mouvement s’organisa contre eux et aucune entente ne se fit jamais entre la Chine et l’Angleterre à ce sujet.

Le Thibet a aujourd’hui une petite armée bien équipée, avec des officiers instruits par les Anglais, des uniformes de style anglais et des commandements en anglais. Mais le Dalaï-Lama, nettement pro-anglais, était le centre de l’influence anglaise et la défendait contre la masse des lamas, car il existe au Thibet deux partis ou deux clans : celui des « anciens » qui est prochinois et celui des « jeunes » qui est probritannique. Le premier est composé de lamas des différents monastères, tandis que le second l’est de jeunes hommes qui ont fait leurs études en Grande-Bretagne. Le pouvoir militaire, qui tend naturellement à entraîner le pouvoir politique, est aux mains du second.

Cependant, une délégation de cinquante lamas, arrivée à Nankin, le 24 avril, a déclaré au gouvernement central qu’à l’exception de quelques fractions peu importantes de la population thibétaine la majorité des habitants désirait le retour à Lhassa du Panchen-Lama, seconde autorité lamaïque, qui avait été chassé du Thibet, en 1925, par le Dalaï-Lama, et vivait depuis lors en Chine. Les Thibétains voudraient, paraît-il, voir son retour s’effectuer avant la réincarnation du Dalaï-Lama. On sait que cette réincarnation a lieu, suivant la croyance du pays, dans la personne d’un enfant né à l’heure de la mort de celui-ci. Après avoir été soigneusement gardés pendant un certain temps par les lamas, les enfants nés dans ces conditions sont soumis à un examen final qui détermine, grâce à la présence de marques distinctives consacrées par la tradition sur le corps de l’élu, celui des enfants en qui s’est réincarnée l’âme errante du Dalaï-Lama.

L’insistance qu’à mise la délégation lamaïque à réclamer le retour à Lhassa du Panchen-Lama avant cette réincarnation peut faire croire à un renforcement du clan des lamas et par conséquent de l’influence du gouvernement chinois au Thibet, au détriment évident de l’influence anglaise. On reste pourtant assez perplexe quand on sait que la délégation s’est embarquée au Bengale pour la Chine et que si la situation au Seu-Tchouen et au Sin-Kiang n’offrait pas assez de sécurité, le Panchen-Lama, pour regagner le Thibet, s’embarquerait pour Calcutta. On se représente difficilement qu’un tel itinéraire puisse être employé sans l’agrément complet du gouvernement britannique, et il est alors permis de se demander quelles nouvelles intrigues les Anglais ont nouées par là.

— Le conseil des affaires politiques de la Mongolie intérieure autonome, sous le contrôle du gouvernement central de Nankin, est entré officiellement en fonctions le 23 avril, à Pailing-miao, où étaient réunis les princes et les ducs, chefs des différentes bannières et ligues mongoles, ainsi que les représentants officiels de l’autorité centrale. La Mongolie intérieure, qui borde la Chine et qui s’étend au-dessous de la Mongolie extérieure qui borde la Sibérie, est donc devenue autonome, tandis que cette dernière est, comme on sait, sous l’autorité effective des Soviets.

La nouvelle prend tout son intérêt du fait que les Japonais, après l’affaire de Mandchourie, ont déjà mordu sur la partie orientale de la Mongolie intérieure, et que le gouvernement de Nankin a été prévenu par de hautes personnalités chinoises et mongoles que les Japonais se préparaient à pousser plus avant leur occupation. Il y a dans le Tchahar, disent-elles, quantité de bandits, dont la suppression pourrait être pour les Japonais un excellent prétexte pour avancer ; aussi demandent-elles l’appui de Nankin pour armer la cavalerie mongole.

Pour l’instant, toutefois, les Japonais n’invoquent pas ce prétexte, mais l’agence Rengo annonçait, le 20 juin, que la population de la Mongolie intérieure avait demandé au Japon de la protéger contre la menace d’une invasion soviétique… En voilà bien d’une autre ! Il est question en même temps de la construction par les Russes d’aérodromes en Mongolie extérieure.

Que faut-il retenir de tous ces bruits ? Nous ne saurions le dire exactement ; mais il est un fait que s’ils paraissent en grande partie fantaisistes et tendancieux, ils courent depuis un certain temps avec persistance, et qu’ils attirent l’attention sur le Tchahar, dont il a été déjà beaucoup parlé lors de l’affaire de Mandchourie.

Telle est, en résumé, la situation dans trois sur quatre des possessions extérieures de la Chine — la quatrième étant la Mandchourie. Et comme si tout cela ne suffisait pas, d’aucuns, qui se disent amis des Chinois, s’acharnent, par principe, à dresser la république de Chine contre l’empire du Japon… Lao-Tseu a dit « On devrait gouverner un grand empire avec autant de simplicité que l’on fait cuire un petit poisson. » Ce sont aussi les idées simples et pratiques qui créent les meilleurs rapports entre les nations.