Extrême-Orient, 1931 — 1938/1934-3

L. Fournier et Cie (p. 88-90).

VERS UNE POLITIQUE ÉCONOMIQUE EN CHINE

26 Février 1934.

Depuis la répression de la révolte du Fou-Kien, la situation du général Tchiang Kaï Chek s’est grandement renforcée. L’autorité n’effraie pas la Chine du Nord. « Le Nord, écrivait dernièrement le Journal de Shanghaï, n’a pas encore très bien compris la démocratie. Le Kouomintang, au moment de sa marche triomphale, y a fait naître bien des espoirs parmi les petites gens, qui attendaient de lui l’amélioration de leur condition. Mais l’expérience les a déçus : le bien-être n’est pas venu. La politique de rapprochement suivie par le gouvernement central à l’égard du Japon leur semble, pour le moment, nécessaire, donc raisonnable ; quant aux tendances dictatoriales de Tchiang Kaï Chek, ils n’en ont cure. La bourgeoisie et le peuple du Hopei ne tiennent nullement à ce que leurs villes et leurs villages deviennent des champs de bataille, et, s’ils n’aiment pas l’armée nippone, ils redoutent les soldats chinois en campagne. »

Le renouveau d’autorité qu’il a gagné grâce à Tchiang Kaï Chek, Nankin veut en profiter pour essayer de s’entendre avec Canton. Mais il faut évidemment que la paix soit maintenue solidement dans le Nord pour qu’elle règne aussi dans le Sud. Cependant, la Chine proprement dite, tout entière, donne à présent l’impression de se ramasser sur elle-même, comme le disait M. Pelliot à son retour d’Extrême-Orient, afin de redevenir, si elle le peut, ce qu’elle était, par exemple, sous les Ming.

Encore est-elle occupée sporadiquement par le bolchevisme, dont la récente poussée au Fou-Kien n’est pas la seule manifestation d’activité. Il déborde sur le Seu-Tchouen, limitrophe du Yunnan, où il serait extrêmement dangereux pour les intérêts français représentés par le chemin de fer Yunnan-Fou à Hanoï.

Tchiang Kaï Chek a la collaboration de Wang Ching Wei, président du yuan (conseil) exécutif, et peut diriger ses campagnes à l’intérieur contre les éléments subversifs, bandits ou bolchevistes, sans avoir à redouter d’opposition.

Mais l’amélioration de la situation intérieure a, pour ainsi dire, pour rançon, la perte des possessions extérieures. La Mongolie extérieure a été enlevée à la Chine par les Russes bien avant que le fût la Mandchourie par les Japonais, sans que la Société des Nations s’en soit émue le moindrement ; la Mongolie intérieure est en partie englobée dans le Mandchoukouo (Jéhol et Tchahar ; le Thibet a été sans bruit transféré aux Anglais, pendant le conflit sino-japonais par le Dalaï-Lama qui vient de mourir ; enfin le Turkestan est l’enjeu des Russes et des Anglais, qui se le disputent en ce moment même par personnes, ou plus exactement par tribus interposées).

Bref, des quatre anciennes possessions il ne reste rien ou presque rien, et de longtemps la Chine ne sera pas en état de récupérer ce qu’elle a perdu là. En vérité, il faut bien reconnaître qu’elle se désintéressait complètement de ses possessions extérieures depuis longtemps. Lors de l’installation par les Russes d’un gouvernement local à Ourga, les protestations chinoises ne dépassèrent pas ce qu’il était décent de manifester en pareille circonstance. L’aventure de Mandchourie, entamée et terminée par la Société des Nations si fâcheusement pour la Chine, a réveillé soudainement l’intérêt de celle-ci pour une région qu’elle tenait pour le fief d’un militaire avec lequel il fallait compter, le fameux Tchang Tso Lin.

Enfin, du Thibet et du Turkestan il était si peu question que les gouvernants de Nankin trouvent à présent, un peu tardivement, que la politique avec ces deux possessions est à refondre complètement et à édifier sur des bases nouvelles. À cet effet, ils ont délégué pour enquêter sur la situation exacte des personnalités qui n’ont pu constater malheureusement que l’influence grandissante des étrangers et la désaffection des populations. Nankin redoute en particulier que le prochain couronnement d’un empereur mandchou ne provoque parmi les bannières mongoles un intérêt sympathique, et n’amène la Mongolie intérieure étant, en fait, aux mains des Soviets — à se solidariser avec les Mandchous, de manière à créer un « Manmongkouo » ou empire mandcho-mongol.

À notre avis, les craintes de Nankin ne sont pas sans fondement, et Nankin aurait grand tort de compter sur la diversion d’un conflit russo-japonais pour écarter l’éventualité de cette création. Quand on a pris l’habitude de ne considérer le Japon que sous son aspect « impérialiste », on est enclin à penser que son ambition le poussera prochainement à attaquer l’Union soviétique afin de s’emparer de Vladivostok et de la Province Maritime. Quand on consent à observer de sang-froid et impartialement sa politique, surtout depuis quelques mois, on s’aperçoit au contraire qu’il cherche à consolider ses relations avec les puissances qu’il rencontre à la périphérie de son pouvoir ou dans le champ du rayonnement qu’il recherche : États-Unis, Angleterre, Russie. Sa tâche est plus ardue avec cette dernière qu’avec les autres, puisque son alliance avec le Mandchoukouo dresse naturellement une barrière devant l’influence russe. Mais Tokio n’est pas sans moyens de compenser sur d’autres points et de diverses manières ce que perd ici cette dernière. Il faut pour s’en apercevoir regarder attentivement du côté de l’Asie centrale.

Quoi qu’il en soit, la politique économique que le Conseil économique national chinois réuni, au début defévrier, à Nankin, a recommandée, est la plus sage et la meilleure que l’on puisse souhaiter voir faire à la Chine. Le Conseil a déclaré : « Malgré le fait que la faiblesse de la Société des Nations se soit révélée au monde lors du conflit sino-japonais… et bien que la Chine ait des raisons de manifester son mécontentement au sujet de l’issue défavorable pour elle du conflit sino-japonais, elle est toutefois loin de sous-estimer la valeur de la collaboration technique que lui a offerte la Société des Nations. »