Extinction du paupérisme/Chapitre I
CHAPITRE I.
La richesse d’un pays dépend de la prospérité de l’agriculture et de l’industrie, du développement du commerce intérieur et extérieur, de la juste et équitable répartition des revenus publics.
Il n’y a pas un seul de ces élémens divers du bien-être matériel qui ne soit miné en France par un vice organique. Tous les esprits indépendants le reconnaissent. Ils diffèrent seulement sur les remèdes à apporter.
AGRICULTURE. Il est avéré que l’extrême division des propriétés tend à la ruine de l’agriculture et cependant le rétablissement de la loi d’aînesse, qui maintenait les grandes propriétés et favorisait la grande culture, est une impossibilité. Il faut même nous féliciter sous le point de vue politique, qu’il en soit ainsi.
INDUSTRIE. L’industrie, cette source de richesse n’a aujourd’hui ni règle, ni organisation, ni but. C’est une machine qui fonctionne sans régulateur ; peu lui importe la force motrice qu’elle emploie. Broyant également dans ses rouages les hommes comme la matière, elle dépeuple les campagnes, agglomère la population dans des espaces sans air, affaiblit l’esprit comme le corps et jette ensuite sur le pavé quand elle n’en sait plus que faire, les hommes qui ont sacrifié pour l’enrichir leur force, leur jeunesse, leur existence. Véritable Saturne du travail l’industrie dévore ses enfans et ne vit que de leur mort.
Faut-il cependant, pour parer à ses défauts, la placer sous un joug de fer, lui ôter cette liberté qui seule fait sa vie, la tuer en un mot parce qu’elle tue, sans lui tenir compte de ses immenses bienfaits. Nous croyons qu’il suffit de guérir ses blessés, de prévenir ses blessures.
Mais il est urgent de le faire : car la société n’est pas un être fictif ; c’est un corps en chair et en os, qui ne saurait prospérer qu’autant que toutes les parties qui le composent sont dans un état de santé parfaite.
Il faut un remède efficace aux maux de l’industrie : le bien général du pays, la voix de l’humanité, l’intérêt même des gouvernemens, tout l’exige impérieusement.
COMMERCE INTÉRIEUR. Le commerce intérieur souffre, parce que l’industrie, produisant trop en comparaison de la faible rétribution qu’elle donne au travail, et l’agriculture ne produisant pas assez, la nation se trouve composée de producteurs qui ne peuvent pas vendre et de consommateurs affamés qui ne peuvent pas acheter ; et le manque d’équilibre de la situation contraint le gouvernement, ici comme en Angleterre, d’aller chercher jusques en Chine quelques milliers de consommateurs en présence de millions de Français ou d’Anglais qui sont dénués de tout et qui, s’ils pouvaient acheter de quoi se nourrir et se vêtir convenablement, créeraient un mouvement commercial bien plus considérable que les traités les plus avantageux.
COMMERCE EXTÉRIEUR. Les causes qui paralysent nos exportations hors de France, touchent de trop près à la politique pour que nous voulions en parler ici. Qu’il nous suffise de dire que la quantité de marchandises qu’un pays exporte, est toujours en raison directe du nombre de boulets qu’il peut envoyer à ses ennemis quand son honneur et sa dignité le commandent. Les évènemens qui se sont passés récemment en Chine sont une preuve de cette vérité.
Parlons maintenant de l’impôt.
IMPÔT. La France est un des pays les plus imposés de l’Europe. Elle serait peut-être le pays le plus riche, si la fortune publique était repartie de la manière la plus équitable.
Le prélèvement de l’impôt peut se comparer à l’action du soleil qui absorbe les vapeurs de la terre, pour les répartir ensuite à l’état de pluie, sur tous les lieux qui ont besoin d’eau pour être fécondes et pour produire. Lorsque cette restitution s’opère régulièrement, la fertilité s’en suit ; mais lorsque le ciel dans sa colère, déverse partiellement en orages, en trombes et en tempêtes, les vapeurs absorbées, les germes de production sont détruits, et il en résulte la stérilité, car il donne aux uns beaucoup trop et aux autres pas assez. Cependant, quelle qu’ait été l’action bienfaisante ou malfaisante de l’atmosphère, c’est presque toujours au bout de l’année la même quantité d’eau qui a été prise et rendue. La répartition seule fait donc la différence. Équitable et régulière, elle crée l’abondance ; prodigue et partiale, elle amène la disette.
Il en est de même des effets d’une bonne ou mauvaise administration. Si les sommes prélevées chaque année sur la généralité des habitans sont employées à des usages improductifs, comme à créer des places inutiles, à élever des monumens stériles, à entretenir au milieu d’une paix profonde, une armée plus dispendieuse que celle qui vainquit à Austerlitz, l’impôt dans ce cas devient un fardeau écrasant ; il épuise le pays, il prend sans rendre ; mais si au contraire ces ressources sont employées à créer de nouveaux élémens de production, à rétablir l’équilibre des richesses, à détruire la misère en activant et organisant le travail, à guérir enfin les maux que notre civilisation entraîne avec elle, alors certainement l’impôt devient pour les citoyens, comme l’a dit un jour un ministre à la tribune, le meilleur des placemens.
C’est donc dans le budget qu’il faut trouver le premier point d’appui de tout système qui a pour but le soulagement de la classe ouvrière. Le chercher ailleurs est une chimère.
Les caisses d’épargne sont utiles sans doute pour la classe aisée des ouvriers ; elles lui fournissent le moyen de faire un usage avantageux de ses économies et de son superflu ; mais pour la classe la plus nombreuse qui n’a aucun superflu et par conséquent aucun moyen de faire des économies, ce système est complètement insuffisant. Vouloir en effet soulager la misère des hommes qui n’ont pas de quoi vivre, en leur proposant de mettre tous les ans de côté un quelque chose qu’ils n’ont pas, est une dérision ou une absurdité !
Qu’y a-t-il donc à faire ? Le voici. Notre loi égalitaire de la division des propriétés ruine l’agriculture, il faut remédier à cet inconvénient par une association qui, employant tous les bras inoccupés, recrée la grande propriété et la grande culture sans aucun désavantage pour nos principes politiques.
L’industrie appelle tous les jours les hommes dans les villes et les énerve. Il faut rappeler dans les campagnes ceux qui sont de trop dans les villes et retremper en plein air leur esprit et leur corps.
La classe ouvrière ne possède rien, il faut la rendre propriétaire. Elle n’a de richesse que ses bras, il faut donner à ces bras un emploi utile pour tous. Elle est comme un peuple d’Ilotes au milieu d’un peuple de Sybarites. Il faut lui donner une place dans la société et attacher ses intérêts à ceux du sol. Enfin elle est sans organisation et sans liens, sans droits et sans avenir, il faut lui donner des droits et un avenir et la relever à ses propres yeux par l’association, l’éducation, la discipline.