Exposition de la doctrine de l’Église catholique orthodoxe/1866/Dédicace


Librairie de l’Union Chrétienne (p. v-xv).


À SA MAJESTÉ IMPÉRIALE


MARIE ALEXANDROWNA


IMPÉRATRICE DE TOUTES LES RUSSIES


Madame,

Je remplis un devoir en dédiant à Votre Majesté Impériale l’Exposition de la doctrine de l’Église catholique orthodoxe, car vous êtes la pieuse et digne épouse du Seul Souverain qui se glorifie du titre de Protecteur de la vraie Église, et qui honore ce titre par sa foi et ses vertus.

La divine Providence a voulu, Madame, que son Église fût partagée en deux parties : l’une martyre et sans appui extérieur ; l’autre protégée par des Princes puissants qui, à l’exemple de saint Constantin le Grand, ont tenu à honneur d’être évêques extérieurs, c’est-à-dire défenseurs de l’existence temporelle de l’Église. Dieu a voulu prouver ainsi que son Église pouvait être martyrisée sans se révolter ; protégée sans rien sacrifier de ses doctrines ; puissante sans se constituer en pouvoir politique.

Il n’en a pas été ainsi en dehors de la vraie Église.

L’histoire prouve en effet que, parmi les pasteurs des diverses Églises non orthodoxes, les uns se sont attribué un pouvoir politique incompatible avec les devoirs du Saint Ministère ; que d’autres ont invoqué l’appui du pouvoir temporel pour imposer certaines doctrines ; que plusieurs ont sacrifié la vérité à des exigences injustes et puissantes ; qu’un trop grand nombre ont excité des révoltes et allumé des guerres cruelles, sous prétexte de religion.

La vraie Église de Jésus-Christ n’a point souffert de ces passions humaines. Toujours humble et soumise, elle a mieux aimé être crucifiée comme le Sauveur que de se défendre par l’épée ; toujours fidèle dans la conservation du dépôt divin qui lui a été confié, elle n’a jamais sacrifié aucune vérité à des exigences puissantes. Elle n’a jamais abusé de la protection dont elle a été l’objet pour sortir de son rôle purement spirituel.

Il faut dire aussi, à la gloire des souverains de Russie, qu’ils n’ont jamais demandé à l’Église de complaisances sacrilèges en retour de leur protection, et qu’ils se sont toujours glorifiés d’être les fils soumis de la foi orthodoxe.

À côté de ce grand fait providentiel que révèle la vie entière de la vraie Église, j’en aperçois un autre bien glorieux pour la race slave en général, et pour la Russie en particulier : c’est que Dieu l’a appelée à la vérité à l’époque même où les races occidentales étaient entraînées dans un schisme qui a eu des conséquences si funestes. Sans prétendre sonder les impénétrables desseins de Dieu, on peut croire que la Russie est appelée à un rôle sublime dans les destinées terrestres de l’Église. Ne doit-on pas en trouver la preuve dans l’importance sociale qu’elle prend, de nos jours, sous l’impulsion de son Magnanime Empereur ; dans la prépondérance qu’elle obtient en Occident comme en Orient ; dans la coïncidence de ce progrès avec la décadence de cette puissance papale qui a été la principale cause du schisme d’Occident ?

J’ai été souvent frappé de cette coïncidence, et j’y trouve toujours de nouveaux motifs de remercier Dieu de m’avoir ouvert, par la Russie, les portes de sa véritable Église.

Heureux d’appartenir à l’orthodoxie, je voudrais faire partager à d’autres mon bonheur ; c’est pourquoi je consacre à cette sainte œuvre tout ce que Dieu me donne de force et d’énergie. C’est dans ce but que j’ai écrit l’ouvrage que j’ose dédier, Madame, à Votre Majesté Impériale. Puisse-t-il, avec la bénédiction divine, être utile aux orthodoxes qui n’apprécieraient pas assez le bonheur d’être nés dans la vraie Église ; aux chrétiens qui ont reçu de leurs pères un héritage d’erreurs et de préjugés ; à ceux qui ne croient pas à la révélation divine et qui cherchent, à travers mille systèmes, les vérités que leur offre la sainte Église, sous l’inspiration de Dieu !

J’espère, Madame, qu’après la bénédiction divine, la protection de Votre Majesté Impériale fera porter de bons fruits à mon humble travail. Le nom dont il est signé ne pouvait le recommander assez puissamment. Le patronage de Votre Majesté Impériale attirera sur lui l’attention et le rendra ainsi beaucoup plus utile. C’est pour ce motif que j’ai eu la pensée de le dédier à Votre Majesté Impériale. J’ai voulu aussi, Madame, saisir cette occasion d’offrir à Votre Majesté Impériale l’hommage du profond respect si légitimement dû à une Auguste Souveraine qui fait vénérer en sa personne la sainte orthodoxie ; qui honore l’Église par sa douce piété, ses lumières, ses éminentes vertus, par son zèle éclairé pour répandre la connaissance des vérités chrétiennes.

J’ai l’honneur d’être,

Madame,
de Votre Majesté Impériale,
le très-humble et très-obéissant serviteur,


Wladimir Guettée,
Prêtre et docteur en théologie de l’Église
orthodoxe de Russie.

Paris, le 10/22 mars 1866.