Exploseur magnéto-électrique de Breguet

EXPLOSEUR MAGNÉTO-ÉLECTRIQUE
de breguet.

Supposez un aimant en fer à cheval, sur les branches duquel sont enroulés des fils conducteurs isolés ; supposez une armature de fer doux appliquée sur les pôles de l’aimant. Si on vient à éloigner rapidement l’armature, il se produit dans le fil conducteur un courant électrique d’une durée presque instantanée. Si on rapproche l’armature et qu’on l’applique de nouveau sur les pôles de l’aimant, il se produit dans le fil un second courant présentant les mêmes caractères que le premier, mais en sens contraire.

Cette expérience, due à Faraday, est le principe de l’exploseur représenté par la figure ci-jointe. Pour obtenir un courant au moyen de cet appareil, il suffit de donner un coup de poing sur le manche, d’où résulte le brusque arrachement de l’armature. La simplicité de cette manœuvre fait souvent donner à cette machine le nom de coup de poing.

Quand on ramène l’armature au contact, on obtient un second courant de sens contraire.

Pour la principale des applications de cet instrument, l’inflammation de la poudre, il y a intérêt à avoir un courant de grande tension ; aussi convient-il d’employer le premier courant, celui d’arrachement, par cette seule raison que le mouvement peut être accompli plus rapidement que le mouvement contraire. Pour augmenter encore la tension du courant, on a recours à un artifice singulier qui mérite de nous arrêter un instant.

Exploseur magnéto-électrique.

Le levier de l’armature porte un petit ressort que la figure montre en avant et à gauche, et qui touche par son extrémité à une vis. Quand on écarte l’armature et l’aimant, le ressort cesse de toucher la vis. Mais, comme au point de départ, il est bandé, le contact entre la vis et le ressort ne cesse qu’après que l’armature a fait environ les deux tiers de son mouvement. L’un des bouts du fil conducteur enroulé sur les branches de l’aimant est mis en communication avec le levier de l’armature, l’autre bout communique avec la vis ; par conséquent, le courant produit par le coup de poing est enfermé dans l’appareil, du moins pendant les deux tiers du temps de sa production. Cette disposition qui, à première vue, paraît destinée à faire perdre la plus grande partie du courant, a, au contraire, pour effet d’augmenter la tension, parce que le courant qui est fourni par l’appareil est, non plus le courant d’induction magnéto-électrique, mais l’extra-courant de ce courant d’induction, c’est-à-dire le courant d’induction qui se produit au moment de la rupture du circuit local du courant magnéto-électrique.

En fait, la simple addition du ressort et de la vis dont nous venons de parler, augmente dans le rapport de 1 à 5 la tension du courant. On l’apprécie d’une manière grossière en comparant les chocs que l’appareil donne quand on met deux doigts sur les bornes terminales, et on le constate d’une manière plus nette par le nombre des amorces qu’on peut enflammer dans l’un et l’autre cas.

Grâce à ce perfectionnement et à une heureuse proportion entre les parties de la machine, on peut arriver à enflammer de la poudre de chasse extra-fine placée entre deux pointes de métal très-voisines.

En réalité, dans la pratique, on emploie dans la confection des amorces, des poudres spéciales, notamment celle indiquée par M. Abel, chimiste de l’arsenal anglais de Woolwich. La poudre d’Abel est plus sensible que la poudre de chasse ordinaire ; aussi peut-on enflammer simultanément dans un seul circuit un nombre assez grand d’amorces, et, par suite, mettre le feu à plusieurs mines ou à plusieurs canons à la fois. Le seul défaut de cette poudre est qu’elle s’altère avec le temps, et qu’au bout de dix-huit mois ou deux ans elle n’est plus inflammable.

Ce défaut est écarté dans de nouvelles amorces dues à un officier du génie, et qui ne contiennent aucune substance susceptible de s’altérer avec le temps. En attendant que ces amorces françaises se répandent, on est réduit aux amorces anglaises qui ont servi pendant la guerre à quantité de travaux de destruction et qui rendent dans la paix de grands services aux ingénieurs pour la percée des tunnels et l’abatage des roches.

On a construit des exploseurs qui, d’un seul coup de poing, peuvent enflammer vingt amorces d’Abel ; mais cette grande puissance n’est obtenue qu’en sacrifiant la légèreté de l’appareil (ces instruments puissants pèsent 12 à 13 kilogrammes}. Dans la plupart des cas, on se contente d’appareils plus petits qui pèsent 8 kilogrammes et qui sont capables d’enflammer dix à douze amorces dans le laboratoire, et d’en faire partir six à huit sur le terrain.

Enfin le génie fait étudier des appareils de très-petite dimension et d’un poids très-réduit, desquels on n’attend que trois ou quatre explosions simultanées, c’est-à-dire une force suffisante pour être absolument sûr d’une explosion sur le champ de bataille.

L’exploseur est l’appareil magnéto-électrique le plus simple qui ait jamais été réalisé, et on peut ajouter qu’il n’est pas possible d’en concevoir un plus simple, puisqu’il n’y entre que les trois parties indispensables à répéter l’expérience de Faraday. En effet, on n’y voit qu’un aimant, une armature de fer doux et du fil de cuivre recouvert de soie.

Malgré cette extrême simplicité, il y a tout lieu de croire que l’instrument se perfectionnera encore notablement et acquerra, à égal poids ou à égal volume, une énergie plus grande. Ainsi l’emploi des aimants Jamin, qui n’a encore été pratiqué qu’à titre d’essai, ne peut manquer de donner de bons résultats.

Il faut bien se garder de croire que l’exploseur soit comparable en énergie à la bobine de Ruhmkorff. Le seul avantage qu’il présente sur ce puissant appareil est qu’il se suffit à lui-même et qu’il est toujours prêt à fonctionner, tandis que la bobine d’induction a besoin d’être excitée par une pile.

Sur le terrain, et notamment à la guerre, cet avantage est tout à fait capital ; cela est trop évident pour qu’il y ait lieu d’y insister.

Applications diverses de l’appareil

L’appareil qui nous occupe est susceptible d’autres applications que l’inflammation de la poudre, et dès lors il ne doit plus être appelé exploseur.

Tout d’abord il est facile de l’employer dans la télégraphie. On a pu voir parmi les objets exposés à Vienne, par la maison Breguet, un télégraphe Morse sans pile, dont le manipulateur n’était autre chose qu’un exploseur de petite dimension. On connaît la clef Morse, dont la manipulation consiste en une série de battements longs et courts diversement espacés. Il suffit de répéter ces battements avec le manche de l’exploseur pour produire une série de courants positifs à l’arrachement, négatifs au retour, qui font fonctionner un récepteur Morse à armature polarisée. Cet instrument parait être le télégraphe militaire par excellence, parce qu’il réduit au minimum le poids et le volume des appareils, et parce qu’il dispense de la pile, qui est l’embarras capital de la télégraphie ambulante.

On a objecté que les télégraphes Morse employés en France n’étant pas à armature polarisée, les stations ordinaires de la télégraphie ne pourraient pas être mis en communication avec les télégraphes de l’armée. Cette objection est plus spécieuse que sérieuse. On a vu en effet, pendant la dernière campagne, que l’armée d’invasion, c’est-à-dire l’armée allemande, n’a presque jamais pu faire usage des postes français qui ont toujours été désorganisés au bon moment ; l’armée française, au contraire, constamment en retraite, employait presque toujours les stations ordinaires de la télégraphie comme stations militaires. D’ailleurs, il y a tout lieu de croire que les appareils à armature polarisée se répandront en France comme en Angleterre et en Allemagne, et dès lors l’inconvénient signalé se réduira de jour en jour.

Rien ne serait plus aisé que de concevoir un télégraphe à cadran magnéto-électrique fondé sur le même principe, et les officiers du l’école régimentaire du génie de Montpellier ont fait des essais dans cette voie.

Nous avons eu l’occasion de voir récemment en Angleterre une autre application du même appareil réalisée par Sir Charles Wheatstone et déjà assez répandue ; il s’agit d’un compteur de tours de roue. Un excentrique placé sur l’axe dont on veut compter les tours vient à chaque révolution arracher l’armature d’un appareil analogue à celui que présente la figure et produit des courants qui sont envoyés dans un récepteur ou compteur facile à imaginer.

Au lieu de compter des tours de roue, on peut compter les allées et venues du piston d’un corps de pompe, soit dans un moteur à vapeur, soit dans toute autre machine.

D’autres problèmes pourraient encore être résolus au moyen de cet artifice, et nous serions trop heureux si nous avions pu mettre quelque lecteur sur la voie d’une invention nouvelle.

A. Niaudet.