Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre XIII. L’œil droit.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 270).
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==CHAPITRE XIII. L’ŒIL DROIT.==
37. Le Sauveur continue et dit : « Si ton œil droit te scandalise, arrache-le et jette-le loin de toi : car il vaut mieux pour toi qu’un de tes membres périsse, que si tout ton corps était jeté dans la géhenne. » Or il faut un grand courage pour couper ses membres. Quel que soit ici le sens du mot œil, il est certain qu’il indique l’objet d’une vive affection. En effet quand on veut exprimer l’extrême attachement que l’on a pour quelqu’un, on a coutume de dire : Je l’aime comme mes yeux, ou même plus que mes yeux. Et sans doute si on dit droit, c’est pour indiquer encore un amour plus violent. Car bien que l’on emploie généralement les deux yeux du corps pour voir, et qu’ils soient tous les deux également doués de cette faculté, on redoute cependant davantage de perdre l’œil droit. Le sens est donc : quel que soit l’objet que vous aimiez et l’aimassiez-vous à l’égal de votre œil droit, s’il vous scandalise, c’est-à-dire s’il est pour vous un obstacle au vrai bonheur, arrachez-le et jetez-le loin de vous. Car il vaut mieux pour vous qu’un objet auquel vous tenez autant qu’à vos membres, périsse, que si tout votre corps était jeté dans la géhenne.

38. Mais nous sommes obligés d’examiner de plus près ce que le Christ entend par œil, quand nous lisons ce qu’il dit ensuite, et dans le même sens, de la main droite : « Si ta main droite te scandalise, coupe-la et jette-la loin de toi : car il vaut mieux pour toi qu’un de tes membres périsse, que si tout ton corps était jeté dans la géhenne. » Dans cette question, je ne vois rien de mieux à dire si ce n’est que l’œil signifie ici l’ami le plus cher : car c’est bien là ce que nous pouvons appeler un membre, et un membre chéri ; et aussi un conseiller, parce qu’il est comme l’œil qui nous montre le chemin ; et conseiller pour les choses divines, puisqu’il est notre œil droit : 1'œil gauche, qui est aussi un conseiller, ne nous éclairant que sur les choses terrestres, sur tout ce qui tient aux besoins du corps. Or il n’était pas besoin de parler de celui-ci en cas de scandale, puisqu’alors on ne sait pas même épargner l’œil droit. Mais le conseiller nous scandalise dans les choses divines, quand il cherche à nous entraîner dans quelque pernicieuse hérésie sous prétexte de religion et de doctrine. Par conséquent, entendons, par main droite, un coopérateur aimé, un ministre pour les choses saintes ; en sorte que comme l’œil est l’organe pour voir, la main.soitl'instrument pour agir. Par main gauche, nous entendrons ce qui nous procure les choses nécessaires, en cette vie, aux besoins du corps.